Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas retrouvé seul. Et là, tout de suite, il n'avait envie que d'une chose; un bon café. Avec de la crème fouettée, du caramel et quelques petits morceaux de chocolat pour rendre le tout d'autant plus décadent. C'était comme cela qu'il l'aimait. Certes, le matin, il voulait son café noir pour bien le réveiller, mais lorsqu'il voulait quelque chose pour lui sucrer le bec sans avoir besoin de s'empiffrer de bonbons, un café au caramel faisait l'affaire. De toute façon, quelques semaines après le carnaval, il sentait que c'était encore trop tôt pour se risquer à avaler des bonbons. D'ailleurs, lorsqu'il en aurait l'envie, il aurait à aller récupérer son prix chez Honeydukes. Pour le moment, il se contenterait d'un café.

Le Gallois marchait de façon confiante sur le Chemin de Traverse, sachant déjà très bien où il se dirigeait. Le café juste au coin de la rue était probablement son favori. L'ambiance était agréable, le café était excellent et les pâtisseries, exquises. Il l'avait découvert tout à fait par hasard durant l'été de ses seize ans. Depuis, le jeune Perks était un fidèle client de l'établissement. Le propriétaire le connaissait bien et les serveuses ne se gênaient plus pour lui adresser des clins d'œil, lui faisant de petites attentions comme lui faire un rabais. Cela l'arrangeait bien.

Manu s'était simplement habillé aujourd'hui. En fait, il ne s'habillait jamais avec une attention particulière mais aujourd'hui, c'était flagrant. Jean troué, T-Shirt des Bizzar Sisters et manteau de cuir; sans oublier les verres fumés.

Avançant toujours du même pas confiant vers le café, Emmanuel sentit deux mains faibles tenter de s'agripper à son bras. Il se tourna brusquement, juste à temps pour recueillir dans ses bras une jeune demoiselle aux cheveux blonds qui ne se sentait visiblement pas bien. Le Gallois fronça les sourcils et de sa main libre, il vint enlever ses verres fumés et le glissa dans la poche avant de son manteau.

« Mademoiselle?...Est-ce que ça va? »

Le jeune homme la regarda attentivement; elle semblait particulièrement triste, des larmes avaient perlées le long de ses joues, on en voyait toujours la trace et tandis qu'il lui caressait la joue, il en sentit l'humidité. Pauvre petite...Il remarqua aussi une rougeur contre sa joue. Il ne put que s'imaginer ce qui s'était produit.

« Est-ce que tu es blessée...? »

Le regard du Gallois se fit de plus en plus inquiet. Elle était clairement blessée et ce n'était pas seulement à cause des ecchymoses qui parsemaient sa joue de lait. Les yeux de la demoiselle scintillaient sous ses larmes, quelques unes perlant de temps à autre sur ses joues, s'accrochant au passage aux doigts du jeune homme qui tentait toujours de les sécher, mais en vain. Elle était en état de panique.

Malheureusement pour l'aiglonne, Emmanuel Perks n'était pas du genre à laisser une jeune fille se promener dans les rues de Londres, blessée et apeurée. Elle avait voulu s'accrocher à son bras, elle devait faire avec le fait qu'il ne la lâcherais pas pour une seconde. C'est pourquoi lorsqu'elle se détacha brusquement de étreinte, le jeune homme fronça d'autant plus les sourcils.

*Oh non, pas question que tu t'en aille*, se dit-il, la voix aiguë de la Serdaigle résonnant contre ses tympans, justifiant ses actes en vain.

Elle n'avait pas besoin de lui? Selon Manu, à ce moment même, elle avait besoin de parler, d'être écoutée par quelqu'un qui ne la jugerait pas et se faire réconforter. Il sentait au fond de lui que ce n'était probablement pas la première fois que la jeune femme à en devenir subissait ce gens de traitement, peu importe de qui il venait. Une femme, ça se frappe pas, bon! Et une fillette, encore moins!

Bien que ses pensées étaient des plus fermes, lui resterait doux comme un agneau. Alors qu'elle se retournait pour être dos à lui, l'étudiant vint glisse sa main contre son épaule avant de revenir se placer devant elle, affichant un sourire doux, son regard directement plongé dans le sien.

« Écoute, je ne te connais pas, tu ne me connais pas, mais je suis capable de dire lorsque quelqu'un est blessé... Tu as besoin de te vider le cœur un peu. Allez, je t'invite prendre un chocolat juste ici. »

Il soupira un peu et lui sourit à nouveau, lui tendant sa main libre.

« Moi c'est Emmanuel, mais tu peux m'appeler Manu »

Le gallois esquissa un doux sourire lorsqu’il sentit la main tremblante de l’aiglonne se glisser dans la sienne. Ce simple geste voulait tout dire pour lui. Il voulait dire qu’elle lui faisait confiance, qu’elle comprenait que la dernière chose qu’il lui voulait, c’était du mal. Il se surprit alors à s’imaginer ce qui aurait pu se produire s’il n’avait pas été celui à recueillir la blondinette. N’importe qui aurait pu abuser de sa vulnérabilité à des fins des moins honorables. Il avait tout de même affaire à une jeune fille qui allait devenir sans aucun doute très jolie. Mais en cet après-midi, il sentait qu’elle était suffisamment en détresse. Et malgré le sourire qui naissait sur son visage et ses mots qui se voulaient rassurants, les larmes qui coulaient toujours le long de ses joues trahissaient la douleur vive au plus profond d’elle-même… Et sur sa joue.

Il aida la demoiselle à se redresser mais la sentit bien vite se tendre, son regard se promenant d’un endroit à un autre. Bien vite, elle demanda au brun de rentrer à l’intérieur du café. Celui-ci ne posa pas de question, se disant qu’elle aurait éventuellement à y répondre lorsqu’ils seront dans un endroit plus intime, où elle n’aurait plus peur. Le jeune homme vint alors ouvrir la porte à la demoiselle qui entra le plus vite possible. Était-ce la paranoïa de la Serdaigle qui déteignait sur lui, mais le jeune homme aux yeux d’émeraude regarda derrière lui alors qu’il entrait dans le café afin de voir si quelqu’un s’y dirigeait rapidement. Heureusement, personne ne semblait suspect.

Les effluves de café, de caramel, de chocolat et de pâtisseries parvinrent très rapidement à ses narines, lui donnant tout de suite envie de gâteries. Il salua la serveuse d’un clin d’œil puis se dirigea vers la table où Hayden avait pris place après que celle-ci ait refusé de s’asseoir près de la fenêtre. Le gallois s’assied et indiqua à la serveuse qu’ils avaient besoin de service. Il jeta un regard bref à Hayden puis, lorsque la demoiselle s’approcha de leur table, il lui dit simplement :

« Je vais prendre un Mocaccino et un croissant aux amandes… Pour mademoiselle, ce sera un chocolat chaud, je vous prie »

Une fois que la jeune femme se dirigea vers la cuisine, le gallois se tourna vers l’aiglonne et lui sourit.

« Est-ce que tu veux de la glace pour ta joue… ? Je ne te demanderais pas pourquoi tu as cette marque mais si tu veux en parler, je suis toute ouïe. Je crois déjà savoir, mais je ne veux pas m’y aventurer sans que tu le veuilles vraiment… »

Il pausa.

« Tu veux bien me parler de toi un peu ? Je ne suis pas méchant, je t’assure »

Le gallois ponctua sa phrase d’un sourire alors que les pas de la serveuse s’approchaient à nouveau d’eux.

Emmanuel ne protesta pas un instant lorsque Hayden se leva de son siège, quittant abruptement la table pour se diriger vers la salle de bien. Il la rendait inconfortable et c'était d'une évidence! Le Gallois n'avait pas l'habitude de rendre les gens autour de lui inconfortables. C'était plutôt le contraire, d'habitude. Il était celui avec qui l'on pouvait relaxer, respirer, profiter de la soirée ou de l'après-midi sans se sentir pressé par quoique ce soit. C'était celui qui était toujours là pour faire rire les gens, pour les aider, les écouter lorsqu'ils en avaient besoin. Et pratiquement toutes les connaissances de Manu avaient profiter des services de thérapie gratuit qu'il offrait lorsqu'il était libre. Certes, ses séances avaient été ralenties depuis le retour de Lucy Ann, mais il était toujours disponible pour un confrère ou une consœur dans le besoin.

Lorsque la serveuse déposa les choses devant eux, le jeune Perks lui sourit doucement et s'attaqua rapidement au mokaccino, dont il fantasmait depuis au moins une semaine. Il prit la tasse allongée, la porta à ses lèvres et en pris une longue gorgée, les saveurs de chocolat, de cannelle et de café ayant un effet presque anesthésiant sur lui. Il soupira avant de prendre le croissant feuilleté entre ses doigts et de venir y plonger ses dents.

Que ferait-il sans sucre, sans pâtisseries, sans café?
Il ne le savait pas, mais il serait probablement plutôt triste.

La jeune Serdaigle vint briser son moment de silence et de paix en s'asseyant devant lui. Il ouvrit les yeux, lui sourit, lui l'écouta parler. Elle ne voulait pas parler d'elle-même. Bien entendu.

« Oh, je ne suis guère plus intéressant, j'ai l'impression! J'ai 19 ans, je suis étudiant à l'UMA, dans la filière académique... »

Manu n'était pas timide ou gêné. Parler de lui, ça ne lui faisait rien. Même s'il se trouvait terriblement ennuyant, comme garçon. Bonne famille, étudiant peu turbulent...Il y avait peu à dire, selon lui.

« Tu es de quelle maison, Hayden?... », se risqua-t-il à lui demander.

On aurait pu caresser le silence du bout des doigts tellement il était lourd, tangible, accablant. D’un côté, le silence était tout à fait normal si l’on considérait la situation dans laquelle le jeune homme et la fillette se trouvaient. Tout d’abord, il fallait considérer la différence d’âge entre l’étudiant et l’Aiglonne. En sept ans, on a le temps d’apprendre beaucoup et malgré la maturité flagrante de la demoiselle qui se tenait devant lui, on n’a pas du tout la même vision du monde à 12 ans et à 19 ans, oh non. Ensuite, Hayden n’était visiblement pas d’humeur pour discuter ou pour boire son chocolat. Ce qui rendait l’étudiant déjà plus las. Pourquoi s’efforçait-il à mener une discussion avec une fille aux tendances sociopathes ? Il ne le savait pas trop, en fait. Et même si c’était une âme en douleur, elle était aussi réceptive qu’un hippogriffe qui s’est levé du pied gauche. L’attitude de la Serdaigle lui arracha un faible soupire. Mais si elle était comme cela, c’était probablement pour une raison. Qui était probablement la même raison qui l’avait poussée à s’enfuir d’où elle venait.

Heureusement qu’il était patient, ce petit Manu. Plusieurs l’auraient ignorée, plusieurs seraient partis après s’être assuré qu’elle allait mieux. Mais Emmanuel ne croyait pas que le seul le temps soignait les blessures du cœur. Il voulait lui donner du support, même s’il ne la connaissait pas, même si, à vrai dire, elle devait avoir très peu à faire de lui.

Le Gallois remarqua l’expression de surprise qui se dessinait sur le visage de la demoiselle lorsqu’il l’interpella par son prénom. Était-elle d’un milieu où l’on perdait tant notre identité qu’on n’utilisait même plus notre prénom ? Le jeune homme s’en vit désolé pour la demoiselle. Se perdre pour le mieux-être des autres, c’était pire que mourir, selon lui.

Elle était de Serdaigle ? Il avait presque du mal à y croire. Elle lui semblait si froide et distante qu’elle aurait pu se glisser à Serpentard sans se faire remarquer. Il était du même genre durant ses années à Poudlard. C’était le Poufsouffle au teint vert. Mais il s’est avéré, au fil des années, que le Choixpeau avait raison. En fait, le Choixpeau avait toujours raison, ou presque.

« Tu ne fais pas ton âge, je t’assure. Tu m’as l’air un peu plus âgée de cela. » , dit-il en prenant une gorgée de son café, ses yeux verts croisant ceux de l’Aiglonne.

Il avait du mal à supporter son regard, probablement parce qu’elle ne le laissait pas entrer. Son regard semblait si froid. Mais il s’efforçait de le soutenir le plus qu’il le pouvait, parce qu’il voulait la comprendre.

Le jeune homme sourit doucement à Hayden. Il devait prendre son attitude comme un jeu. Il voulait la convaincre, la pousser à lui parler. Et cela pourrait s’avérer très amusant.

« … C’est un compliment. »

Bien, état des lieux. Les deux protagonistes s'étaient échangés en tout et pour tout que quelques phrases qui se voulaient banales lors d'une rencontre. Néanmoins, cette rencontre n'était pas réellement ce qu'on pouvait nommer banale, et Hayden était la première à l'avouer. En tombant sur ce jeune homme au regard avenant, elle aurait été loin de se douter que ledit jeune homme allait presque la "recueillir", lui offrir un chocolat chaud mais surtout... rester. Pour la fillette, c'était tellement attentionné qu'eh bien s'en était étrange. Mais les mêmes pensées tournant inlassablement dans sa tête, Hayden n'allait pas tarder à avoir sa tête qui explose. Il fallait changer de directive, dénouer cette situation gênante et stressante afin d'aller dans l'avant... Parlait-on encore de l'étudiant? Non certainement pas, mais l'atmosphère du café semblait étouffer la fillette. Peut-être était-ce à cause du monde présent dans le lieu, ou bien, le tumulte des voix qui se bousculait douloureusement dans sa tête, la retombée de ses actes ou le regard attentif du jeune étudiant mais tout cela faisait en sorte que la jeune fille se sentait mal, gênée, avec un mal de tête naissant. La douleur piquait ses tempes tels des essaims d'abeilles. La douleur bourdonnait entre ses deux oreilles, et la fillette ne demandait qu'à ce que cela s'arrête. Elle mit quelques secondes sa main froide sur son front brûlant, soulageant ainsi en partie son mal, disparaissant assez pour lui permettre de suivre une conversation à peu près cohérante.

La fillette était maintenant dans une autre pensée. Edward. Il serait bien dommage qu'une telle rencontre soit écourtée à cause d'Edward n'est-ce pas? Étant donné que l'homme n'était pas pour ainsi dire un homme de vertu, elle appréhendait quelque peu sa réaction, qui pourrait, éventuellement être excessive. Éventuellement. Probablement. Enfin soyons francs, assurément. La meilleure chose était de rentrer chez elle directement sans rencontrer Edward. La colère de son grand-père n'était rien comparée à la déception que lui exprimerait Edward, qu'elle soit fausse ou non d'ailleurs, cela ne changerait rien, elle abimerait profondément le cœur de la fillette. Autant préserver son myocarde pour une autre occasion. Les blessures superficielles se guérissent plus facilement que celles du cœur. Le jeune homme prit une lente gorgée de café avant de lui adresser la parole;

« Tu ne fais pas ton âge, je t’assure. Tu m’as l’air un peu plus âgée de cela … C’est un compliment. »

Le front soucieux de la fillette se dérida un peu sous le compliment du jeune homme. De plus, il ne semblait pas réellement si prendre avec elle, et cela l'amusait. Compte tenu de sa situation un peu de rire était le bienvenu, et Hayden accueillit avec bonheur le premier vrai sourire qu'elle offrait à Emmanuel, qui s'effaça vite. Elle se sentait comme une élève prise en faute. Ne devait-elle pas rire, sourire comme tout le monde? Pourquoi cette simple action lui paraissait tellement difficile à tenir? Une perfide mélancolie s'insinua en elle, faisant rejaillir tous ses souvenirs oubliés d'une insouciance depuis bien longtemps perdue. Le pensionnat, ses amies, autrefois si proches d'elle, n'apparaissait plus que comme des vagues silhouettes, des fantômes, vestiges de son passé.

Perdue dans ses pensées, elle ne répondit pas directement à Emmanuel et prit son temps avant de consentir à lui répondre;

"Toutes nos actions ont une influence sur nous, les miennes ont fait en sorte que je grandisse un peu plus vite que la normale, s'il y a une normale à ça…" La Serdaigle eut un petit rire gêné, faux et superficiel, qu'elle réservait habituellement aux galas et bals où elle avait pour habitude d'être trainée par ses grands-parents. Retrouver ses marques d'aristo coincée et mondaine l'aidait à ne pas se perdre dans le flot de pensées obscures qui l'envahissaient.

Elle lui sourit, sincèrement. Pour la première fois depuis l’heure qu’ils avaient passée ensemble, le Gallois vit un sourire se dessiner sur les lèvres et le visage de l’aiglonne. Et elle était tellement plus jolie ainsi. Elle semblait si heureuse d’un compliment que lui considérait comme tout à fait banal – pas qu’il complimentait tout le monde tout le temps, mais c’était chose commune avec l’étudiant que de faire savoir aux autres ce qu’il pensait d’eux, surtout lorsque c’était quelque chose de positif. Après tout, Emmanuel était complètement avide de l’approbation des autres et l’une des meilleures façons de l’obtenir, c’est de rendre les gens heureux. D’ailleurs, le simple fait d’avoir rencontré Hayden dans un état visiblement misérable lui donnait encore plus l’envie de la rendre heureuse. Même si son instinct fraternel ne s’était pas toujours fait sentir auprès de sa propre sœur – du moins Sally-Anne, il avait toujours été attentionné envers Ethel – il sentait le besoin de couver la jeune anglaise.

C’est d’ailleurs pourquoi son cœur se serra un peu lorsqu’il vit l’expression de Hayden changer radicalement. Comme si elle n’avait pas le droit d’être heureuse, comme si sourire était un crime. Et ce simple changement d’attitude donna aux actions du jeune homme toute leur signification. Il ne se demandait même plus pourquoi il était là ni si c’était une perte de temps. Il voulait absolument qu’elle sorte du café avec un sourire franc aux lèvres et au cœur. Il croyait vraiment pouvoir réussir. Du moins, il ne lâcherait pas facilement prise.

Les mots qu’elle prononça par la suite lui firent aussi mal que sa moue triste. Déjà, à douze ans, elle semblait porter plus de douleur que lui sur ses épaules. Ce n’était pas dans l’ordre naturel et normal des choses. À douze ans, on joue, on est insouciant. Elle vivait tout le contraire. Son rire l’irrita plus qu’autre choses, d’ailleurs. Le Gallois attendit quelques instants, pensant aux mots et gestes de l’Aiglonne avant de plonger son regard d’émeraude dans le sien et d’avancer sa main pour la poser contre la sienne, très doucement. Son pouce bougeait lentement contre la peau de l’Anglaise tandis qu’il restait silencieux à la regarder, à la scruter, à la sonder. Il savait qu’il la rendrait légèrement inconfortable mais cela en valait, pour lui, clairement la peine. Il voulait qu’elle sache que concrètement, il était là pour elle. Pas que moralement, mais aussi si elle voulait se réfugier dans les bras de quelqu’un.

« Hayden… Est-ce mal de sourire ? Est-ce mal de ressentir de la joie ? Je ne suis pas là pour te juger, personne n’est là pour ça en ce moment, sauf toi-même. Détends-toi un peu, relaxe. Personne ne te ferras de mal pendant que je suis là » Il sourit doucement. « Laisse-toi aller, tu en as clairement besoin… Je t’en prie, ne te soucie pas des gens autour de toi, ni de moi, ni des autres… »

Il continuait de la fixer, non pas durement mais très doucement. Pour qu’elle sache qu’il était là pour elle, qu’il lui servirait volontiers d’oreiller sur lequel pleurer.

Un silence pesant, comme tous les autres s'installa quelques instants. Instants pour la fillette interminable et pourtant si rassurant. Un silence, pouvait donner tout la signification à une action, un silence pouvait susciter une attente. L'attente, c'était bien une des choses que la fillette aimait, sans pour autant formuler ce désir d'attente consciemment. L'attente était tellement exaltante, quelque soit la situation, adrénaline et malaise se mélangeait savamment, provoquant généralement des bouffées de chaleur, rien qu'à l'idée de ce qu'il pourrait se produire après ce silence après cette attente pesante qui envahissait le corps et l'esprit.
Celui-là, remarqua avec un certain désappointement ne dura pas si longtemps. Emmanuel, qui semblait plongé dans ces pensées, avançait sa main vers elle, doucement comme pour ne pas l'effrayer. Elle résuma alors la situation dans son esprit. Son sursaut, sa tentative de recul face à cette main à cette peau qui touchait la sienne, ressemblait à si méprendre à l'attitude des chiens errants qu'elle pouvait voir de la fenêtre de sa chambre. L'air un peu pitoyable, ce recul craintif dès que quelqu'un levait la main sur eux, ou même s'approchait. Comment tout cela avait-il pu lui arriver? Qu'est-ce qui avait bien pu amener ce changement à la fillette heureuse avec ses parents? Quelque chose avait cassé en elle, elle le savait bien, et le seul visage contre qui elle pouvait se venger, le responsable de tout ça apparait clairement. Archibald Wyncall. Il l'avait brisée à partir du moment où il l'avait arrachée à sa vraie famille, son pensionnat, et plus secondaire à ses parents. Les piques de jalousie envers son aînée meurtrirent son cœur que le plus long sanglot. Elle, elle devait être là-bas, avec ses parents, heureuse.

« Hayden… Est-ce mal de sourire ? Est-ce mal de ressentir de la joie ? Je ne suis pas là pour te juger, personne n’est là pour ça en ce moment, sauf toi-même. Détends-toi un peu, relaxe. Personne ne te ferras de mal pendant que je suis là » Il sourit doucement. « Laisse-toi aller, tu en as clairement besoin… Je t’en prie, ne te soucie pas des gens autour de toi, ni de moi, ni des autres… »

Tant de gentillesse, lui mettait les larmes aux yeux, alors que le sous-entendu lui apparaissait clairement. Mais bientôt son esprit lunatique fit des siennes et s'orienta vers des intentions beaucoup moins glorieuses et généreuses que celle du jeune homme. Se venger, ce n'était pas ce qu'elle voulait faire depuis qu'elle n'avait plus de chez elle? Elle était trop jeune, trop inexpérimentée, trop vulnérable pour se venger par la force. Cela exclu, il suffisait de faire de la vie de son grand-père, tout simplement un enfer. Il ne pouvait pas la tuer, elle était trop précieuse, sa seule descendance, et pour le vieillard, elle savait bien qu'il totalement exclu de détruire sa descendance. S'il le faisait, sa pauvre petite intégrité dans le cercle fermé des "sangs-purs" était fortement compromise. Peu importe les moyens, elle était persuadée qu'elle arriverait facilement à miner le moral et l'esprit de son aïeul, et cette impression de semblant de pouvoir provoqua de violents frissons, alors qu'un sourire qu'on aurait pu aisément qualifier de sadique ornait son doux visage. Elle estima d'un regard calculateur dans quelle proportion Emmanuel pourrait l'aider dans son entreprise. Il avait du potentiel, et ça plaisait beaucoup à Hayden. Au pire, elle allait tenter de l'intégrer dans ses projets. Non elle ne le manipulerait pas, elle l'utiliserait juste, sans lui faire du mal. Disons que c'était un procédé de bon échange. C'est ainsi qu'elle ravala ses larmes et qu'elle lui donna pour la deuxième fois en quelques minutes, l'honneur de voir un de ses sourires éclatants, et sincères pour une fois.

"Tu as raison, la vie est trop courte pour ne pas en profiter!" Elle regarda brièvement sa montre, et fit un petit sourire amusée "La mienne risque de bientôt de finir, je sens qu'il va bientôt me retrouver," elle se sentit obligée de préciser l'existence du "il", "Edward, c'est mon précepteur, en quelque sorte mon gardien et mon geôlier, tout dépend du point de vue." Elle poussa un petit soupir fataliste et continua sur sa lancée, "Il me retrouve toujours ça semble être une normale à nos vies."

Hayden n’était probablement pas la jeune femme avec la plus grande capacité de dissimulation qu’il connaissait. Probablement qu’elle n’essayait même pas de cacher quoique ce soit au Gallois, mais c’était évident qu’elle pensait à quelque chose d’une certaine importance ; le regard distant, les traits de son visage qui se durcissaient et s’adoucissait au fil de ses pensées. À ce moment-là, il aurait tout donné pour pouvoir lire dans sa tête. Peut-être que ça lui faciliterait la tâche, peut-être que ça le rassurerait et peut-être même qu’il serait effrayé de ce qu’il pourrait y trouver. Mais pour l’instant, il voulait l’aider, un point c’est tout. Il en avait fait sa mission personnelle et il n’arrêterait pas.

Par il ne su trop quel miracle, le jeune homme fut à nouveau témoin d’un magnifique sourire de la part de la demoiselle aux boucles blondes. Avait-elle réussi à se convaincre que la vie ne valait pas la peine d’être vécue dans le silence, l’amertume et la soumission ? Le Gallois n’était pas de ceux qui croyaient en la revanche gratuite. Il croyait cependant que justice doit être faite, qu’il faut vivre sans regrets et suivre son instinct. Sans même le savoir, il venait de se lier à Hayden d’une façon profonde, réelle et possiblement dangereuse.

L’étudiant lui rendit tout aussi sincèrement son sourire et l’écouta attentivement. Edward ? C’était lui, qui la frappait ? Pire encore, c’était probablement celui qui se chargeait de la ramener à ses malfaiteurs lorsqu’elle voulait s’échapper. Une jeune femme à en devenir, ce n’est pas fait pour être en cage, même si celle-ci est faite d’or.

« Et tu voudrais remédier à ce genre de situation précaire, c’est cela ? », dit-il doucement, comme s’il complétait sa phrase.

Ce genre d’engagement pouvait vouloir dire plusieurs choses. Mais Manu n’était un être de grande réflexion et préférait souvent agir selon ses sentiments et intentions sur le coup. Bref, c’était un homme passionné et engagé aux causes qu’il défendait.

« Tu pensais à quelque chose en particulier ? » , demanda-t-il avant de prendre une gorgée de son mokaccino.

Il ne se doutait possiblement pas du tout des réelles intentions de Hayden et, dans cette situation précise, c’était lui qui faisait œuvre de naïveté. Il eu un instant de recul ; pourquoi se mêlait-il aussi soudainement à la vie d’une Aiglonne qu’il ne connaissait pas du tout ? Mais de simplement penser ainsi lui serra le cœur. Ce n’était pas comme s’il allait laisser une demoiselle crever. À partir de maintenant, il ferrait tout pour lui éviter maux, peines et chagrins.

C’était son grand-frère.

Elle était dans la mouise, jusqu'au cou. Son petit plan bien pensé, sa vengeance proprement décidée, fut ébranlé par une tornade nommée Emmanuel. Son sourire, la désarmait complètement. Elle avait une furieuse envie de se blottir contre ses bras qui ne semblait ne demander que ça, et se confier; elle imaginait que leur début de "relation" pouvait s'apparenter vaguement à un ami très proche et plus grand qu'elle… C'est ce qu'on devait appeler un sentiment de fraternité non? Elle avait à cet instant l'impression de ne rien pouvoir lui cacher et pourtant c'est ce qu'elle venait exactement de faire. Était-ce de la culpabilité qu'elle ressentait au fond de son cœur? Elle gardait un sourire doux, bien que son regard démentait totalement l'apparente sérénité de la gamine.

On lui avait toujours appris de ne pas se lier aux autres, de faire attention de ne pas franchir la frontière de la simple d'amis occasionnels, et d'amitiés sincères. Ils ne se connaissaient depuis peu de temps, mais la fillette avait la nette impression que cette rencontre, ou plus particulièrement qu'Emmanuel, serait important dans sa vie. Sûrement un instinct stupide, mais un instinct qu'elle pensait devoir suivre, coute que coute. Elle utiliserait un peu Emmanuel, mais pas méchamment, elle en était sûre. Et même si elle le dupait, ce serait juste pour se venger et après elle serait la plus adorable… Des quoi d'ailleurs? Elle aurait tout le temps de penser à ça. Pour l'instant, il fallait mieux se concentrer sur le jeune homme.

« Et tu voudrais remédier à ce genre de situation précaire, c’est cela ? » demanda-t-il doucement.

La fillette eut un petit sourire amusé. Oui c'était cela, malheureusement pour elle, à l'âge de 12 ans elle ne pouvait pas s'émanciper si rapidement du berceau familial, encore moins du manoir familial. Elle répondit avec un petit ton désabusé;

" Je crains qu'à 12 ans on ne puisse pas faire de rébellion contre sa famille, mais c'est gentil d'y avoir pensé…"

Décidemment ce garçon était bien étrange. C'était bizarre parce qu'il lui faisait un peu penser à un petit chiot, qui se comporte au gré de ses sensations et sentiments, sans réfléchir. C'était… plutôt rafraichissant comme comportement, bien qu'elle espéra que cette passion ne lui jouerait pas de mauvais tour, comme le destin semblait s'amuser à le faire.

« Tu pensais à quelque chose en particulier ? »

Se doutait-il de quelque chose? Elle n'en était pas sûre, mais mieux valait ne pas tenter le diable, et garder ses atouts pour elle.

"Tu verras bientôt." Lui répondit-elle avec un petit sourire confiant.

"Miss!"

Tiens quand on parle du loup… Un homme d'une trentaine d'année entra dans le café et se dirigea droit vers les deux jeunes gens. Hayden aurait espéré que son précepteur lui laisse un peu plus de temps mais apparemment il avait moins de temps qu'elle ne pensait à la trouver…Bon tant pis, elle allait pouvoir mettre son plan à exécution. Dès que l'homme s'approcha d'elle, tout ce qu'elle avait mis comme efforts pour être gentille s'envola et sa carapace se remit rapidement en place, sans efforts particuliers. L'homme s'approcha d'elle avec hâte et lui empoigna le bras. La fillette lui lança un regard froid et lui dit avec ironie;

"Edward, je ne pense pas que mon vénéré grand-père apprécie véritablement toute la générosité de votre action. Il serait vraiment fâcheux d'abimer son héritage non?"

Il sembla hésiter quelques secondes, en proie à un dilemme, avant de relâcher sa prise sur la fillette.

"Miss… Votre grand-père s'inquiète beaucoup il serait plus raisonnable de…"

Hayden coupa son précepteur, glaciale:

"Je sais exactement ce qui est raisonnable ou non de faire Edward. Laisse-moi au moins dire au revoir à mon invité."

Avec le sourire malin qu'elle avait, n'importe qui aurait pu se rendre compte qu'elle allait faire un mauvais coup. Hayden ne savait pas si Edward ne l'avait pas vu, ou si simplement il ne voulait pas voir ce sourire. Elle s'approcha du jeune homme, sachant que le début de sa vengeance s'amorçait… Elle s'approcha du jeune homme, posa ses petites mains sur ses joues, tentant d'y mettre l'affection qu'elle ressentait pour le jeune homme. Elle rapprocha son visage lentement de celui du jeune homme. Alors qu'Edward prenait conscience de son action avec un petit "miss" étranglé, elle posa ses lèvres sur celles de l'étudiant. Pour sceller un pacte qu'elle lui faisait implicitement, la gamine mordit d'un coup la lèvre inférieure du jeune homme. Le sang affluait, et Hayden rompit le soi-disant baiser. Elle approcha lentement sa bouche de l'oreille d'Emmanuel, ne voulant pas le quitter tout de suite. Elle lui chuchota enfin;

"Hayden Wyncall, enchantée. Ça, continua-t-elle en faisant mention de la coupure, c'est pour que tu ne m'oublies pas de sitôt. On se reverra."


La promesse sembla flotter dans l'air quelques instants avant que la réalité ne la rattrape dans le regard offusqué d'Edward. Elle répondit à son regard accusateur avec effronterie.

"Au moins, vous pourrez dire à ce vieux croulant que je prends très à cœur mon rôle de pondeuse d'œuf… Il faut bien commencer quelque part, non?"

Il verrait bientôt…

Elle avait déjà un plan. Un plan complexe, un plan qui languissait depuis déjà longtemps dans sa tête d’enfant. Le Gallois la regarda droit dans les yeux. Il faisait partie de son plan, elle l’utiliserait. Mais pour une raison qui lui était inconnue, cela ne lui dérangeais pas du tout. Il voulait l’aider. À faire quoi, il ne le savait pas encore. Rien n’était certain, sauf qu’il ferrait tout pour elle. Le jeune homme haussa un sourcil, perplexe. Il voulait en savoir plus, question de satisfaire sa curiosité et savoir dans quel genre d’histoire il s’était embarqué. Pas question qu’il reste dans l’ignorance encore longtemps, il l’avait suffisamment été. Depuis le début de leur conversation, en fait. Du moins, c’est ce qu’il croyait. Il en était convaincu.

La voix d’un homme attira son attention. Le gallois porta son attention sur l’homme en question et su tout de suite qu’il était là pour Hayden. Non seulement il s’avançait vers eux à grandes enjambées, mais il habitait visiblement un milieu aisé. L’étudiant se crispa aussitôt ; il ne voulait aucun bien à Hayden, ça se voyait. De voir les mains de l’homme serrer fermement le bras de l’Aiglonne ne faisait que confirmer ses pensées. Emmanuel ne put qu’observer la scène avec haine et curiosité à la fois. Autant il en voulait au nommé Edward de faire du mal à la Serdaigle, il se demandait également d’où tout cela venait.

Emmanuel resta de glace à ce que Hayden s’approche de lui. Il avait voulu se redresser pour montrer à Edward ce qu’il pensait vraiment de tout cela mais se ravisa, son regard d’émeraude plongé dans celui de l’Aiglonne. Les mains sur ses joues étaient douces, trop douces pour être celles d’une traitresse. Alors qu’elle approchait lentement son visage du sien, le Gallois ferma les yeux ; il avait deviné ce qu’elle voulu faire. Le baiser était chaste, délicat. Ses lèvres étaient comme de la soie, encore pures et douces. Ce contact était rassurant.

Jusqu’à ce qu’elle le morde.

L’étudiant étouffa un faible gémissement, ses yeux se crispant légèrement alors que Hayden se dégageait de devant lui. Il glissa doucement sa langue contre la plaie, le goût du sang éveillant ses papilles gustatives.

« Je ne comptais pas t’oublier… » , lui chuchota-t-il en se redressant.

Hayden Wyncall… Il lui écrirait le plus vite possible. Bien vite, elle fut hors de son champ de vision. La tête pleine d’idées et de questions, il déposa de l’argent sur la table et sortit à son tour du café.

Le pacte avait été scellé entre un chocolat et quelques gouttes de sang.


[Terminé ! ]