*Here I am…*

C’est tout ce que réussissais à penser Lucy Ann en se laissant choir sur la pelouse, à l’ombre d’un vieux saule. Elle était de retour, enfin, après tous ces longs mois d’absence, ou plutôt devrait-elle dire d’exil plus ou moins forcé…
Elle s’affala dans l’herbe, adossée contre le tronc, et arracha un long brin d’herbe qu’elle se mit à mâchouiller, façon « lonesome cowboy ». Elle était un peu déçue, elle pensait que revenir au bercail, après quelques mois à faire serveuse dans un pub en Irlande la réjouirait plus que ça. Le problème avec ce genre de situation, c’est qu’on se rend vite compte qu’on n’est pas irremplaçable, et que la terre continue de tourner avec ou sans vous.

Bon, mis à part ses parents qui l’avaient accueillie la larme à l’œil, le reste n’avait été qu’une longue suite de désillusion. A son retour à l’UMA, elle retrouva une liste de réforme à faire pâlir d’envie un archiviste juridique, qui se suivit d’un long dédale administratif à se cogner la tête contre les murs.

« Oui bonjour, je viens régulariser ma situation après une longue absence…
Signez ici, et passez au bureau d’à côté !
Oui bonjour, je viens régulariser ma situation après une longue absence…
Remplissez ce dossier, ce formulaire et allez au bureau d’à côté !
Mais j’en viens… Ouiiiiiiiii bonjour, je viens régulariser ma situation après une longue absence… »

Tout ça pour au final remplir une pile de parchemins, devoir redéfinir son orientation qui allait conditionner son avenir en 30 sec chrono (heureusement qu’elle avait toujours eu un penchant un peu niais pour les animaux qui attiraient irrémédiablement plus sa sympathie que les humains), retrouver une place au dortoir étant donné que la sienne avait été attribuée à quelqu’un d’autre… Le tout sans croiser une seule tête familière.
Elle avait vraiment l’impression d’avoir été effacée de la surface de l’UMA, de n’être qu’une insignifiante petite chose, là, pas là, peu importe…

Elle méditait sur sa triste condition en mâchouillant son brin. Les choses n’allaient pas être faciles pour elle, car il allait falloir d’une part rattraper tous les cours, d’autre part rattraper ses « anciennes » fréquentations… Soit elles ne l’avaient pas oublié, et les retrouvailles allaient être houleuses, soit elles étaient passées complètement à autre chose l’avaient oublié… En fait, par « elles », elle pensait surtout à « il »…
Elle était partie comme une voleuse, disparaissant du jour au lendemain… Et s’il la détestait ? Et si elle le croisait au bras d’une étudiante plantureuse ?..

*Et j’arrêtais de me prendre la tête et profitais un peu de cette belle après-midi de printemps avant de psychoter dans le vide ? Sera toujours le temps de déprimer le moment venu…*

Le printemps s’annonçait doux. La neige à peine fondue, le soleil brillait déjà de mille feux, amenant sur le pays un vent chaud et réconfortant. C’était à la fois le temps de ranger les manteaux, de se prélasser paresseusement au soleil et d’envisager la belle saison de l’été. Malheureusement, cette année, le Gallois n’eut pas autant envie de chanter. Il était muet, presque stoïque à la belle température. Il n’avait envie de sortir que pour s’éloigner des autres, pour se retrouver seul avec lui-même. Justement, c’était une de ces journées. Le jeune homme avait cours cet après-midi, mais l’envie lui manquait, beaucoup même. C’est pourquoi après ses cours du matin, il avait escalader la tour de l’université jusqu’au dortoir et avait enfiler un simple chandail à manches longues, vert forêt, et un jean bleu. Il portait autour de son cou une simple écharpe noire, question de le protéger des courants d’air qui pouvaient encore surgir et attrapa son roman du moment. Tout cela en évitant le plus possible les gens qui seraient susceptibles de passer des commentaires.

C’est à l’aide de ses techniques d’esquive et de ses connaissances des plans de l’école qu’Emmanuel se fraya un chemin jusqu’au soleil brillant qui, sur le coup, l’aveugla un peu. Il s’avança dans le parc, yeux plissés, et choisit un endroit parfait pour la lecture. Bien qu’il ne fut pas sous un arbre, l’ombre de celui-ci se propageait assez loin, le jeune homme pouvait en bénéficier sans avoir à se coller le dos contre un tronc.

Était-ce parce qu’il était aveuglé par le soleil ou parce qu’il était trop distrait, mais le jeune homme ne remarqua point la présence de celle qui lui avait brisé le cœur quelques mois auparavant. Il s’assied de façon tout à fait nonchalante dans l’herbe puis s’y étendit en laissant échapper un faible soupire, toutefois assez bruyant pour qu’une Anglaise aux cheveux longs et bouclés puisse l’entendre. De son emplacement, elle pouvait le voir de tout son long, pas seulement sa tête ou ses pieds.

Mais lui, il n’en avait aucun doute. Pas même l’ombre d’un. Il n’avait pas perdu tout espoir, mais il avait décidé de ne plus s’en faire avec cela. Certes, ça resurgissait de temps à autre, mais il avait du mal à s’avouer qu’elle trottait encore dans sa tête, dans son cœur. Et elle n’était pas prête à quitter ce nid chaud.<

Le Gallois pris un moment pour apprécier la sensation du soleil contre son visage. Les feuilles de l’arbre tamisaient un peu l’aspect plus agressant de la lumière solaire, permettant tout de même à quelques rayons de percer le feuillage. Tout cela était doux, réconfortant et apaisait pour un temps les guerres dans l’âme du Gallois. Il ouvrit ensuite son livre et commença sa lecture sans se douter un instant qu’à quelques mètres, à la distance d’un regard, se trouvait celle qu’il voulait tant retrouver…

Lucy Ann faillit en avaler son brin d’herbe de travers. Un long soupir nonchalant lui fit remarquer que la vague silhouette qui était passée devant elle pendant qu’elle rêvassait n’était pas qu’une vague ombre sans forme, mais pile la personne qu’elle redoutait le plus en cet instant précis : Manny.

*Tu vois, à force de psychoter dans le vide, ton kharma a décidé de te punir en te confrontant à ton pire cauchemar… Ca t’apprendra tiens !*

Bon, il n’était pendu au bras d’une jolie blonde, c’était déjà ça mais… Son cœur commença à accélérer, et elle sentit un petit picotement dans ses joues lui indiquant qu’elle commençait à rougir sérieusement.

*Non, pas maintenant, pas tout de suite, pas comme ça, c’est trop tôt, je ne me suis pas prête ! Quoique… Il n’a pas l’air de m’avoir vue...*

Elle jaugea la distance qu'il lui faudrait parcourir en rampant sur le sol pour pouvoir s'enfuir sans être vue... Pitoyable, vraiment. S’imaginer en train de prendre la poudre d’escampette comme une ado pour contourner une privation de sortie… Pathétique même.

*Bon, je crois que j’ai pas le choix… Au moins je ne serais pas obligée de faire un truc stupide pour me cacher*

Son cerveau cessa momentanément de fonctionner, ou du moins était-ce l’impression qu’elle avait. Elle vit ses jambes la mettre debout, et se diriger vers le jeune homme, tandis que sa tête hurlait « fuit malheureuse » et que son cœur pensait « Si je me débrouille bien, la crise cardiaque devrait pas tarder pour l’empêcher de faire une connerie ».
Toutefois, aucune attaque ne vint la faucher en cours de route, et elle se retrouva face au gallois, le scrutant de toute sa hauteur. Il aurait sûrement été plus « convivial » de s’asseoir à côté de lui, mais son instinct lui dictait que, pour sa survie, il valait mieux rester en position de fuite potentielle pour pouvoir déguerpir au plus vite si besoin.

*Voilà, première étape franchie, maintenant dis quelque chose godiche, et vite*

Heu… fit-elle en tortillant ses mains entre elles de façon nerveuse.

*Brillant ! Bravo ! L’award de la meilleure élocution est décerné à Donovan !*

Bon hem… Alors est-ce que tu m’as oubliée et tu ne sais plus qui je suis et dans ce cas tu ne veux plus m’adresser la parole, est-ce que tu ne m’as pas oubliée et que tu me détestes et tu ne veux plus m’adresser la parole, ou bien tu veux bien laisser une chance à la vilaine lâche que je suis de discuter avec toi ?

Ce n’était pas un discours des plus clairs, mais la tête de la jeune fille était sans dessus-dessous. Elle attendait le verdict du jeune homme, tortillant toujours ses mains nerveusement et en se mordant la lèvre inférieure. Elle appréhendait la réponse, car soit il l’envoyait promener, et dans ce cas elle n’aurait plus qu’à aller trouver la fenêtre la plus proche afin de s’y jeter, soit il lui laissait une chance de s’expliquer, et dans ce cas elle devrait être capable de faire un discours construit et devrait enfin faire face à la situation et découvrir ce qu’avait fait le jeune homme pendant son absence… Si elle avait mis un soin tout particulier à ne pas y penser pendant qu’elle était loin, maintenant la vérité lui paraissait un obstacle difficile à surmonter.

Les yeux suivaient attentivement les lettres imprimées sur le parchemin de son livre, captant ainsi toute son attention. Il respirait calmement, doucement. Un peu de répit lui faisait le plus grand bien. La tête vide de ses tourments et remplie des histoires qu’il lisait, le Gallois retrouvait une certaine sérénité. Sa solitude et sa lecture étaient comme deux baumes pour son cœur et son âme, tous les deux presque saignés. Saignés de joie, d’espoir. Ses yeux d’émeraude, pour la première fois en quelques mois, semblaient briller… De paix et de bien-être. Il tourna doucement la page, l’une de ses mains se séparant de la surface du livre pour venir y glisser ses doigts dans ses cheveux, se servant ensuite de son bras comme support pour sa tête.

Il n’en remarqua pas les pas de l’Anglaise qui se dirigeaient vers lui. Il n’y portait tout simplement pas attention et même s’il les aurait entendus, il n’en aurait pas fait de cas. Puisque jamais il n’aurait osé s’imaginer que c’était bel et bien les pieds de sa belle qui frôlaient le sol. Autant ses pas ne l’avaient pas alerté, son ombre, elle, le déconcentra de sa lecture. Son regard perplexe toujours posé sur les mots qui ornaient la page, il se racla doucement la gorge et dit simplement…

« Oui ? »

Il entendu ensuite son interlocutrice anonyme à peine prononcé un « heu » discret, qui lui arracha un sourire. Qui était la demoiselle qui pouvait bien être si retissante à venir lui parler ? Une admiratrice secrète, peut-être ? Son sourire s’élargit à cette idée et, au moment où il allait abaisser son livre, la voix de la demoiselle se fit à nouveau entendre, cette fois beaucoup plus clairement. Et son discours lui glaça le sang, son sourire s’effaçant aussitôt. Son cœur se mit à battre de plus en plus fort, il le sentait même dans ses tempes.

Le Gallois laissa tomber son livre sur son ventre, ses yeux de forêt venant frôler la fine silhouette de sa faucheuse. Jusqu’à son visage…

« Lu… »

Il déglutit difficilement. Il n’avait même pas la force de dire son nom. Un frisson envahit son corps en entier, tous ses cauchemars, ses rêves, ses espoirs ressurgissant sans retenue, sans lui donner le temps de respirer. Il ne savait pas quoi penser, hésitant entre l’envie brûlante de la serre contre lui et celle de lui cracher aux pieds. Elle ressurgissait de nul part. Après des mois…

Emmanuel inspira bruyamment avant de se redresser sur ses pieds, se tenant maintenant droit aux côtés de la beauté qu’il avait tant aimée. Et c’est en regardant sévèrement son visage qu’il réalisa au fond de lui qu’il l’aimait encore d’un amour aussi pur que lorsqu’il lui fit l’amour la première fois.

Il hésita un instant puis décidant de ne pas céder à son envie. Pas tout de suite…

« Où étais-tu passée… ? Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? Je suis si insignifiant ? »

Oui, il était frustré, profondément blessé. Mais son cœur était plus fort que sa raison, lui priant silencieusement de rester avec lui, cette fois. Et de faire de lui un homme heureux.

Puisqu’il voulait faire d’elle une femme heureuse.

La jeune femme fronça les sourcils d’un air dépité. Ok, il n’était pas parti, il ne lui avait pas tapé dessus non plus, mais le moins que l’on puisse dire était qu’il n’avait pas l’air exactement ravi de la retrouver.

Il avait d’abord blêmi comme s’il se retrouvait devant un fantôme, quoiqu’elle ne puisse pas le blâmer pour ça, elle était à sa façon une revenante… Il s’était ensuite relevé comme un diable sortant de sa boîte, un air pas franchement sympathique sur son beau visage. La sorcière avait d’ailleurs sursauté à ce moment-là sur le coup de la surprise.

*Tu t’attendais à quoi ma vieille ? Qu’il te déroule le tapis rouge, la bouche en cœur ? Tu aurais fait quoi toi, si tu avais été à sa place, mis à part planter des aiguilles dans une poupée vaudou à son effigie pendant tout ce temps ? Hein ?*

« Où étais-tu passée… ? Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? Je suis si insignifiant ? »

Heu… *Ha non, tu vas pas remettre ça*

Elle sortit son plus bel air piteux et ses plus grands yeux de chat potté pour l’occasion, de façon tout à fait spontanée.
Je suis vraiment désolée… C’est une longue histoire, mais est-ce que tu me crois si je te dis que je n’avais pas le choix ? Je ne t’ai rien dit au début parce que je ne pouvais vraiment pas, et après j’avais trop la trouille de le faire, je ne savais pas du tout comment m’y prendre, alors j’ai repoussé l’échéance tant et si bien que…

Elle marqua une pause, reprenant son souffle après avoir tout déclamé d'une traite Ben me voilà quoi ! Et crois moi, tu es loin d’être insignifiant, si c’était le cas je ne serais pas là, en train de galérer devant toi en me sentant totalement nulle…
Si tu me laisses une chance de m’expliquer, je te raconterais tout, c’est promis, mais là… Tu ne me détestes pas trop, dit ?

Elle se sentait vraiment pitoyable, la pauvre. Encore plus que lorsqu’elle avait 5 ans et qu’elle avait cassé le vase préféré de sa mère… D’un côté, elle se sentait rassurée par l’attitude du jeune homme, car cela présageait qu’elle avait du lui manquer au moins un peu, mais du coup elle culpabilisait et se sentait encore plus mal.

Elle plongea son regard dans le sien, et ressentit à cet instant précis à quel point il lui avait manqué… Sous le coup de ce pincement de cœur, elle glissa ses mains dans les siennes, un geste qu’elle effectua sans réfléchir, elle n’aurait jamais osé autrement, la misérable absentéiste qu’elle était méritant à peine ce doux contact

Oui, il voulait des explications. Beaucoup d’explications, de détails, de raisons, de justifications. Il se sentait jaloux. Jaloux que quiconque aurait pu poser ses yeux sur elle durant son absence, qui lui aurait caressée la joue. Mais en même temps, il était profondément et sincèrement heureux, soulagé. Qu’elle ait eut le courage de revenir, de le confronter et de reconquérir. Elle était désolée…Elle n’eut pas le choix… Pendant qu’elle parlait et s’expliquait, lui, seulement qu’à moitié. Car il se vit coupable de ne pas pouvoir s’empêcher de la regarder, d’examiner attentivement son beau visage. Ses yeux doux et piteux, ses lèvres délicates, ses joues si chaudes, et d’ailleurs rouges à ce moment-là.

Il lisait la sincérité de ses excuses dans ses yeux et son ton, sa gestuelle. Ce qu’elle disait la flattait, en quelque sorte. Elle était mignonne, terriblement mignonne. Et le Gallois avait mal simplement à l’idée de séparer son regard du sien. C’est pourquoi, d’ailleurs, qu’il ne le fit pas.

Pourquoi la trouvait-elle si belle alors qu’elle lui avait fait si mal ? Peut-être parce qu’il réalisait qu’il n’était pas le même sans elle. Malgré lui, son regard s’adoucit légèrement. Il était toujours fâché et blessé et sa confiance ne serait pas facile à rebâtir, mais il était prêt à essayer. Il la regardait toujours d’un air déçu, mais une teinte d’apaisement se lisait à présent sur les traits de son visage.

*Avoir su, j’me serais rasé…*, se dit-il tout à fait nonchalamment, peut-être pour le distraire de toutes ses autres pensées.

Le Gallois sentit les doigts de la belle enlacer doucement les siens, venant nicher la paume de sa main dans la sienne. La regardant toujours dans les yeux, il se mordit machinalement la lèvre du bas, traduisant de façon abrégée tout ce qui se produisait dans son corps. L’envie de la coller contre le mur de pierre, de l’embrasser, de retirer ses mains, de pleurer, de crier, de rire. Il se contenta de soupirer.

« Je sais pas, peut-être un peu. Peut-être pas assez, non plus. Mais peut-être trop aussi. En fait, je ne sais plus trop… »

Il n’en pouvait plus. Laissant sa phrase en suspension, il détacha ses mains de celles de Lucy Ann et vint enlacer sa taille de ses bras, la collant fermement contre lui tandis qu’il nichait son nez au creux de son cou, les yeux fermés. Juste de sentir sa peau contre la sienne effaçait presque entièrement les mois de douleur et de peine amère. Presque...

Dieu qu'elle sentait bon...

« I’ve been waiting for you »*, murmura-t-il doucement.

(*Je t'attendais)

La jeune femme osait à peine y croire, tant ça semblait irréel… Elle avait à peine osé rêver à ce moment, celui où le jeune homme lui montrait qu’il ne haïssait pas, et qu’en plus il ne l’avait pas oubliée… C’était presque trop beau pour être vrai, où était l’arnaque ? Le passage où il se décollerait en lançant « Nan j’déconne, qui va à la chasse perd sa place, j’suis passé à autre chose, ciao » ?

Elle osait d’ailleurs tellement peu y croire qu’elle resta un moment figée comme une courge, ne sachant que faire. Un instant très court ceci dit, car elle ne tarda pas à rendre son étreinte au Manny. Elle passa ses bras autour de son cou, déposant un baiser sur sa chevelure avant d’y poser sa tête et de fermer les yeux, s’abandonnant à tous ses autres sens.
Son odeur, le contact de ses bras autour d’elle… Dieu que ça lui avait manqué… A cet instant là, toutes les frustrations accumulées au cours des derniers mois lui retombèrent dessus comme une enclume : toutes les fois où il lui avait manqué, toutes les fois où elle se sentait horrible de l’avoir abandonné de la sorte, toutes les fois où elle était devenue à moitié folle en l’imaginant dans les bras d’autres filles, toutes les fois où elle s’était tout simplement fait violence pour ne pas y penser afin de ne pas se rendre malade…

Une larme commença à couler le long de sa joue, elle resserra son étreinte dans une sorte de spasme nerveux *Ha non Lucy, tu vas pas verser dans le mélo, ressaisis-toi ! Tu voudrais pas les violons en fond sonore pendant que tu y es ?*

Malheureusement, toute la force de l’auto-persuasion n’y fit rien, et l’étudiante ne put retenir la fuite de liquide lacrymal. Tout au plus, le torrent fut réduit un discret ruisseau…

P… Pardon… articula-t-elle en un souffle. Je sais que tu m’en veux, je sais q-que je le mérite, mais dis-toi une chose… Pour tout ce que je t’ai fait endurer, je me suis torturée au centuple… Ca ne rachète en rien ce que j’ai fait, ça ne m’excuse même pas, mais…

Elle s’arrêta là, fermant la bouche pour refouler ses larmes et essayer de se contenir, se contentant de soupirer en fermant les yeux, resserant encore une fois son étreinte d’un cran. Heureusement qu’elle n’avait pas beaucoup de force, elle aurait fini par l’étouffer le pauvre.

En l’espace d’une seconde, tout autour d’eux sembla disparaître pour les laisser seuls avec eux-mêmes dans une bulle de tendresse, d’amour et d’amertume à la fois. Car même serré contre elle, il lui en voulait toujours un peu d’avoir même pensé une seconde à l’abandonner sans lui dire. Il se souvenait trop bien du matin où il s’attendait à la voir au cours, auquel elle ne se présenta pas. Il l’avait cherchée partout dans l’université, il était même allé voir à Pré-au-Lard, se disant qu’elle avait peut-être décidé de passer la journée avec ses copines. Mais elle n’y fut pas. Ni les autres journées, d’ailleurs. C’est après une semaine d’absence qu’il en vint à réaliser l’évidence, elle était partie. Et pendant des mois, elle ne lui avait pas écrit un seul mot. Pas une visite. Et tandis que ses souvenirs ressurgissaient, lui-même laissa une unique larme glisser le long de sa joue, ses doigts venant se serrer doucement contre le tissu de son chemisier.

En réponse au baiser qu’elle déposa contre sa tête, le Gallois effleura sa clavicule du bout des lèvres, y déposant quelques baisers délicats comme les ailes d’un papillon. Il sentit sous sa main le corps de sa belle secoué de légers spasmes, le rassurant un peu. De savoir qu’elle pleurait lui donnait en quelque sorte le droit de faire de même. Sa larme le culpabilisait donc un peu moins. Contre ses tempes, il sentait sa rosée perler le long de ses joues, lui arrachant un petit sourire. Non pas aigre mais sincèrement attendri.

Alors qu’elle commença à parler, Emmanuel redressa sa tête et l’écouta attentivement, l’une de ses mains glissée dans sa chevelure et l’autre essuyant timidement ses pleurs. De la voir aussi vulnérable l’émeut. Les yeux d’émeraude du Gallois contemplaient son visage et surtout ses yeux quand elle les ferma, refoulant ainsi ses sanglots. Le jeune homme se vit enserré un peu plus contre Lucy Ann. Il glissa ses bras contre ses épaules et son dos avant de venir lui caresser doucement la chevelure d’une main, son menton appuyé contre le haut de sa tête.

« Avec de si beaux yeux, je ne pourrais pas t’en vouloir pour toujours… »

Il soupira légèrement puis ajouta :

« Mais ne me prends pas pour acquis… C’est tout ce que je demande. Ne me laisse plus seul comme ça… »

Te prendre pour quoi ? Acquis ?

Lucy Ann ne put s’empêcher de rire à travers ses larmes.
Non mais je crois qu’il y a erreur là, je ne t’ai jamais pris pour acquis ! Tu sais ce que je pensais moi, alors que j’étais toute seule dans mon coin ? Que tu m’oubliais en faisant la fiesta avec toutes les jolies étudiantes de l’université, ou même pire, que tu en avais rencontré une en particulier et que… Voilà quoi, je ne te fais pas de dessin… Jamais j’aurais imaginé que tu m’avais attendu, c’est… C’est…

Surréaliste ? Trop beau pour être vrai ? Mais elle était dans l’incapacité de trouver ses mots, elle se contenta de se taire avant de se mettre à balbutier quelque chose d’incompréhensible.
Elle s’essuya les yeux d’un revers de la main avant de se décoller un peu du jeune homme afin de plonger son regard dans le sien, pendant qu’une de ses mains lui caressait doucement le visage.

Tu es la plus belle chose qui pouvait m’arriver pour mon retour, tu sais ça ? Et crois moi, je n’ai pas l’intention de faire la même connerie deux fois de suite, si jamais ce genre de situation est amenée à se reproduire, je ne te laisserais pas sur le carreau, quitte à t’enfermer dans ma valise ! On dit qu’on ne se rend compte de la valeur des choses qu’une fois qu’on les a perdues, et pendant tout ce temps j’ai réalisé que je t’aimais beaucoup trop pour te perdre, alors si je peux avoir une seconde chance… Je ne la laisserais pas passer, crois moi !

Emportée dans son élan, elle se jeta à moitié sur le gallois pour l’embrasser, car elle n’y tenait plus, depuis qu’elle l’avait revu elle n’avait pas effleuré ses lèvres et… Peu importe, elle venait de lui faire sa déclaration et de se jeter sur lui comme une morte de faim dans la foulée, mais après tout, on est pas sérieux quand on a 17 ans dixit le poème. Bon Ok, elle n’avait plus tout à fait 17 ans, mais elle avait su rester très jeune dans sa tête, c'est l'essentiel non?

Pendant qu’elle lui racontait tout ce qu’elle s’était imaginée durant son absence, le regard d’Emmanuel sombra légèrement dans le vide, se rappelant de ses premières impulsions après le départ soudain de Lucy Ann. Mille fois, il voulu le lui faire regretter, se prouver qu’il pouvait vivre sans elle, sans sa peau contre la sienne. Mais il se trouvait toujours face à cet espoir qu’elle revienne, belle comme le printemps. Et c’est arrivé, à deux reprises, qu’il était revenu complètement saoul à l’université. Amer, frustré, déchiré. Mais jamais il ne posa les mains sur une autre fille. Pas qu’il n’en eut pas l’occasion, au contraire. Mais il n’en avait tout simplement pas l’envie. Il se sentait toujours attaché à Lucy Ann malgré tout. D’ailleurs, son sale instinct lui annonçait le retour du printemps à sa façon. Disons qu’il avait bien hâte de retrouver sa belle Anglaise en entier.

Mais là n’était pas l’endroit ni le temps pour éveiller les passions. Il la laissa se défaire de son étreinte, la regardant droit dans les yeux pendant que sa main vint rejoindre celle de sa belle, posée contre sa joue. Il lui souriait, attendrit par ses mots et ses intentions.

« Lucy Ann… »

Le Gallois n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Accueillant la demoiselle dans ses bras, il clos les yeux et soupira doucement, se laissant emporter dans ce baiser qui était d’autant plus doux que le premier qu’ils partagèrent ensemble. C’était un baiser de retrouvailles, d’amour redécouvert, d’espoir d’une vie meilleure. Il frôla la joue de l’Anglaise de sa main, l’autre posée contre sa nuque, se laissant envahir de ce rayon de soleil qui éclairait son cœur. Le baiser dura encore quelques délicieuses secondes, se teintant au fil du temps d’une passion et d’un désir refoulé.

Difficilement, Manny vint séparer leurs lèvres, restant tout de même à une distance des plus confortables, suffisamment près pour que leurs nez de frôlent. Il la regarda dans les yeux, esquissa un sourire malin et susurra :

« Il va falloir que tu te fasses pardonner… Si tu vois ce que je veux dire… »

En bout de ligne, il laissa son petit démon intérieur placer un mot. Mais du coup, il s'en sentit mal. Il ne voulait pas donner l'impression à sa belle qu'il n'était là que pour assouvir ses besoins primaux et que c'est la seule chose à laquelle il pensait en la revoyant. Au contraire, même. Il voulait mille fois lui parler avant de faire autre chose. Peut-être pas mille, mais bon...

«J'te taquines...», dit-il brièvement pour reprendre en partie ses mots. «Mais avant tout, laisse-moi te rappeler quelque chose… »

Le Gallois déposa un doux baiser contre l’oreille de sa belle et y murmura :

« Je t’aime… »

L’étudiante se sentait comme si elle venait d’avaler deux Firewhiskey cul-sec. Les joues en feu, l’esprit embrouillé en proie à de légers vertiges, la sensation de flotter au-dessus du sol…
Les informations semblaient bouchonner dans son cerveau. Tout d’abord la petite réflexion grivoise du gallois l’avait fait sourire, elle lui avouerait sûrement un jour qu’il y avait eu des moments où il lui avait tellement « manqué » de ce côté-là que son excédent d’œstrogènes lui avait valu des avertissements de son patron. Visiblement, cette situation faisait d’elle une mégère grognon et imbuvable tellement exécrable qu’elle ne récoltait pas le moindre pourboire… Il pouvait bien la taquiner autant qu’il voulait, elle ne lui en tiendrait pas rigueur, surtout qu’elle était bien placée pour savoir qu’il ne plaisantait pas tant que ça au fond.

Elle aurait peut-être même préféré rester dans ce registre léger, car la suite l’avait complètement désarçonnée. Elle ne s’y attendait pas du tout, et maintenant elle se retrouvait coincée entre son sentiment de culpabilité, la joie mêlée d’anxiété provoquée par les retrouvailles, l’émotion intense procurée par ces deux petits mots…

*Waouh, fait chaud tout d’un coup*

Son cœur se mit à accélérer, en proie à un sentiment de panique. Elle l’aimait, elle le savait, elle aurait pu le rédiger en au moins 4 langues différentes et le faire publier dans la gazette des sorciers, mais là… Elle ne savait pas quoi répondre, les mots restaient bloqués dans sa gorge. Elle ne le méritait pas, elle ne le méritait pas lui, et encore moins d’être accueillie de la sorte. Elle se sentait comme une gamine à qui on offrait une friandise après une grosse bêtise : prise entre deux eaux, à la fois soulagée de voir qu’on ne lui en voulait pas mais gênée de recevoir une récompense qu’elle ne méritait pas.

*Raaah, mais pourquoi tu te prends la tête comme ça ? D’habitude tu ne réfléchis pas assez, mais là… Faut pas tomber dans l’excès inverse ! Respire un grand coup, ça ira mieux !*

Elle détacha un instant son regard du sien, levant les yeux vers le ciel, inspirant un grand coup.

Je… Je suis désolée, je… Je suis qu’une idiote, à cet instant précis je devrais me rouler à tes pieds en implorant ton pardon et en hurlant comme un loup-garou alcoolique à quel point je t’aime, et au lieu de ça je perds mes moyens comme la bécasse que je suis…
Elle se mit à rire, emportée en avant dans son élan, un rire nerveux certes mais libérateur, au final elle ne sentait pas moins stupide mais beaucoup moins nerveuse. Elle se redressa ensuite, se raccrochant au regard envoûtant du jeune homme.

Je suis sûre que je t’ai manqué rien que pour ça, on ne trouve pas un boulet pire que moi dans tout l’UMA… Elle se rapprocha ensuite de lui, passant ses bas autour de son cou, ne déviant toujours pas son regard.

Je vous aime, Monsieur Perks, malgré le fait que je ne sois qu’une sombre crétine…

*Ben voilà ma fille, c’était pas si compliqué que ça…*

Sa belle pendue à son cou, ses mots lui confirmant qu'elle était toujours bien amoureuse de lui, tout cela le faisait sourire. Il avait rêvé de ce moment nuit après nuit, jour après jour, s'étant fait violence pour ne plus y penser. Et maintenant qu'elle était là, il ne trouvait pas la force d'être fâché contre elle, même si au fond de lui, c'était le cas. Il était simplement trop heureux que sa chérie soit de retour et dans ses bras. Mais il sentait que cela prendrait quelques semaines, quelques mois avant qu'il puisse avoir complètement confiance en elle. Le temps que cela prendrait pour que sa présence agisse comme baume pour son cœur, pour qu'il soit bel et bien guéri.

« Tu sais... J'étais sur le point de perdre espoir. J'étais sur le point de commencer une vie de merde et d'abus de toute sorte. Je suis heureux que tu sois arrivée à cet instant. Mais en même temps... »

Le jeune homme soupira. La douleur n'était plus constante, mais elle partait et revenait, comme des vagues, au fur et à mesure que ses souvenirs ressurgissaient. Il se souvint de toutes les fois où il faillit crever en faisant des trucs tout simplement trop casses-cous pour son propre bien, les fois où il s'était aventuré dans les mauvais quartiers avec l'espoir de faire encore plus de mal qu'il n'en avait déjà. Il avait découvert la poésie noire et s'en était nourrit. D'un autre côté, il n'aurait probablement pas rencontré Andrzej si elle était restée. Il n'aurait pas appris à connaître l'âme tourmentée d'une jeune femme qui lui avait permis, pendant une nuit, d'oublier son propre cœur meurtri.

« Mais en même temps... Je crois que je vais toujours un peu t'en vouloir d'être partie. De m'avoir laissé me torturer l'esprit avec mes hypothèses, avec mes cauchemars et mes cris. »

Le regard du Gallois s'attrista légèrement.

« Tu m'as blessé comme jamais je n'ai été blessé avant. Parce que quand tu es partie, j'ai réalisé vraiment à quel point tu étais importante. Comme mon souffle... »

Les mains d'Emmanuel parcourait doucement le dos de Lucy Ann. Cela le calmait, en quelque sorte. Cela lui permettait de rester sur terre, face à l'évidence qui se mettait à jour devant ses yeux. Celle qui faisait battre son cœur était de retour, bien vivante, plus jolie que le printemps lui-même, et désolée de tout ce qu'elle lui avait fait subir. Les yeux d'émeraude toujours rivés contre ceux de noisettes de sa promise, il esquissa à nouveau un sourire un peu timide et murmura simplement, en venant déposer sur sa joue un baiser délicat:

« Cette fois, reste... Je t'en prie...»

L’euphorie du premier moment commençait à s’estomper, un peu comme après avoir mis un cachet d’aspirine dans l’eau : le temps que ça se dissolve, ça forme une spirale de bulles crépitantes plutôt sympa, mais dès lors qu’il faut l’avaler par la suite, le goût devient plus amer.

Bien sur que non, elle ne s’attendait pas à tout effacer d’un coup de baguette, comme on efface une ardoise. Hop, tout est nettoyé, on peut recommencer à nouveau… Elle avait fait quelque chose de mal, et elle était prête à en assumer les conséquences, et à prendre tout le temps qu’il faudrait pour réparer.

Si une intempérie venait à détremper le plafond de la chapelle sixtine, il faudrait prendre un temps fou pour la restaurer, car repeindre en vitesse gâcherait l’œuvre à tout jamais, et Michel-Ange ne méritait pas un travail baclé. Tout reprendre avec minutie serait long et fastidieux, mais rendrait à l’œuvre toute sa superbe… C’est comme cela qu’elle voyait les choses, même si comparer sa relation avec Manny à un chef d’œuvre du patrimoine mondial était sûrement un peu exagéré, elle comptait beaucoup plus à ses yeux.

Le regard de l’étudiante s’assombrit, les nuages de ces derniers mois venant planer dans son esprit.
Ne t’inquiètes pas, je ne m’évaporerais plus dans la nature, il n’y a que les idiots qui font deux fois la même erreur, et je vais essayer de ne plus mériter ce titre, je… Non seulement je vais rester, mais je ferais tout ce qu’il faut pour me racheter, je ferais de mon mieux pour panser toutes les blessures que j’ai pu t’infliger. Tu sais, c’est normal que tu m’en veuilles, et ça ne va pas disparaître d’un coup…

Elle marqua une pause, baissant son regard vers la pointe de ses chaussures afin de se retenir pour ne pas pleurer à nouveau.
Tu vois, quand quelqu’un que tu aimes te fais souffrir d’une manière ou d’une autre… Par exemple, quand mon frère est mort, je lui en ai voulu, et pourtant ce n’était pas sa faute le pauvre… J’étais en rage contre lui, je me sentais abandonnée, et c’était de sa faute, c’était lui qui n’était plus là, en me laissant seule avec moi-même… Et il m’a fallu un certain temps pour changer ce sentiment.
Alors là c’est différent, je suis fautive et je ne suis pas partie pour toujours, mais j’imagine bien ce que tu peux ressentir. De même que je sais de quoi tu parles en matière de faire des conneries et des abus en tout genre, parce que c’est ce que j’ai fait à l'époque, et si je pouvais l’effacer à tout jamais je le ferais, parce que j’en suis pas fière du tout… Mais toi tu ne l’as pas fait, et heureusement d’ailleurs, je ne me serais jamais remise de t’avoir entraîné dans ce genre de spirale, tu es beaucoup trop précieux pour t’abîmer de la sorte fit-elle en lui caressant doucement la joue.

Enfin bref, tout ça pour dire que je suis consciente que tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, qu’il va falloir du temps, et dans un certain sens tant mieux, parce que ça montre que ce qu’il y a entre nous, c’est quelque chose de profond, si ça n’avait rien représenté… Tu t’en serais très vite remis ! Finit-elle en lui souriant piteusement, la main toujours sur son visage.

Oui, elle venait de lui dire « tu as morflé, et c’est tant mieux », mais elle se contrefichait du sens très égoïste de cette phrase, car elle n’aurait changé cette relation pour rien au monde. Elle avait eu la chance de rencontrer un prince charmant, et elle comptait bien le garder aussi longtemps que possible.

Le Gallois buvait chaque mot que ses belle prononçait, s'y rattachant réellement. Et puis, tout cela ne faisait que lui confirmer ses intentions et ses sentiments face à lui. Elle s'ouvrait à lui, lui dévoilant enfin quelques parcelles de son expérience avec son frère. Il n'avait pas insisté là-dessus lorsqu'il avait appris à la connaître cette nuit-là dans la salle commune et il avait jugé plus sage de simplement attendre qu'elle décide de lui en parler. Après tout, la perte d'un être cher n'était jamais quelque chose de facile. Il ne voulait pas s'aventurer sur ce genre de terrain au tout début de sa relation. Mais jusqu'à aujourd'hui, sa relation n'aura pas été assez longue pour qu'il puisse en savoir plus. C'est après des mois de détresse qu'il refaisait surface et qu'il découvrait un nouveau chapitre de sa vie et de celle de Lucy Ann. Et il voulait continuer d'en apprendre de plus en plus à son sujet. Aujourd'hui, ils dépoussiéraient le livre qu'était celui de leur vie d'amants et ils y écrivaient de nouveaux mots. Ceux-ci peut-être plus âpres pour le moment mais qui bientôt deviendraient beaucoup plus sucrés que les précédents.

Elle avait raison. Ce qui s'était produit, maintenant que c'était terminé, ne servirait qu'à les rendre plus fort, plus conscients et reconnaissants de ce qu'ils avaient devant eux. Emmanuel savait qu'il apprécierait d'autant plus la présence de sa belle à ses côtés maintenant qu'il la savait possiblement éphémère. Il ne se laisserait jamais surprendre à prendre Lucy Ann pour acquise, comptant bien la gâter pour le reste de ses jours.

Alors qu'elle conclut son discours des plus francs, Emmanuel esquissa un sourire sincère et hocha simplement la tête. Il ne savait pas trop quoi lui dire, en réalité...

« Je crois qu'on ne peut en sortir que plus forts. »

Mais là, tout de suite, il en avait assez de discuter.

Habilement, le jeune homme se pencha légèrement et, soutenant toujours le haut du corps de sa belle de son bras gauche, il vint soulever ses jambes du sol en la tenant sous ses genoux. Il ne manquait plus que la robe et le tuxedo. Le Gallois observa les lieux pour un instant puis, voyant qu'il avait un banc de libre un peu plus loin, s'y dirigea d'un pas fier. Il s'y assied, Lucy Ann toujours dans ses bras.

« Tu m'as terriblement manquée... »

L'une de ses mains lui soutenant le dos et le haut des fesses et l'autre délicatement posée contre sa nuque, il se rappela de la soirée où ils s'étaient rencontrés. En fait, où il s'étaient rencontrés, apprivoisés, embrassés, aimés pour la première fois. Et maintenant qu'ils se redécouvraient, les choses étaient différentes mais semblables à la fois. Le Gallois clos les yeux et vint poser ses lèvres contre celles de l'Anglaise, appréciant plus que jamais leur goût si raffiné, se laissant emporté dans un baiser qui lui donnait chaud au ventre et aux joues.

Si Lucy Ann n’était pas tout à fait au 7e ciel, elle n’en était pas loin. Certes, elle n’avait décollé que d’environ un mètre du sol, mais tout ce que geste avait de légèreté et d’insouciance lui enlevait une partie du poids qui lui pesait sur le cœur, la faisant se sentir si légère qu’elle aurait pu s’envoler.

Ce fut en quelque sorte le cas, vu qu’elle rejoignit un banc sans que ses pieds ne touchent le sol. Elle se surprit à rire, chose qui ne lui était pas arrivée depuis un certain temps. Décidément, le gallois avait l’art de la faire se sentir bien, c’était un peu comme sa drogue personnelle, mais seulement avec les effets positifs. Si elle avait pu commercialiser de l’Emmanuel Perks en poudre, elle serait sûrement devenue millionnaire ! Enfin non, elle ne l’aurait partagé avec personne d’autre, elle le voulait pour elle et pour elle seule, et comptait bien veiller jalousement dessus. (Oui, l’action endorphines + œstrogènes peut faire perdre légèrement les pédales).

S’en suivit un long baiser passionné, plein de sens et de promesses, un mélange entre la joie des retrouvailles, l’enterrement des noires peines passées et l’espoir d’un avenir plus rose, le tout saupoudré de l’excitation de deux jeunes gens qui avaient passé les derniers mois sans contacts physiques… La recette de retrouvailles entre le cœur, le corps et l’esprit en quelque sorte.

Quand leurs lèvres finirent par se décoller, l’étudiante étreignit son amant contre sa poitrine en fermant les yeux. L’air était doux, le soleil brillait à travers quelques nuages et le vent bruissait à travers les feuilles… Une mélodie lui vint en tête



Elle serait bien restée ainsi pendant des heures, si seulement ses genoux ne commençaient pas à se plaindre… Elle déposa un baiser sur sa chevelure, puis déplia ses jambes afin de s’installer confortablement sur les genoux du jeune homme, passant un bras autour de son cou et lui caressant le visage de sa main libre.

Je ne te dirais jamais assez combien tu m’as manqué aussi… D’ailleurs je suis un peu troublée, parce que d’un côté mon corps me dit de te sauter dessus tout de suite et de te manger tout cru, et mon esprit me dit de me calmer, parce qu’un banc dans le parc n’est pas tout à fait approprié pour ça…

Elle déposa ensuite un baiser dans son cou sans trop s’attarder, car elle avait diablement envie d’y passer un moment, puis de remonter vers l’oreille et… Non, mieux valait ne pas tenter le démon.

Alors, raconte moi ce que tu as fait pendant tout ce temps, je veux savoir tout ce que j’ai loupé, rattraper au maximum tous ces moments d’absence, j’ai envie de tout savoir de toi !

Elle savait pertinemment qu’au vu des circonstances, c’était plutôt à elle de donner ce genre d’explications, mais sa curiosité avait pris les devants, elle avait envie d’apporter des réponses à toutes les questions qu’elle s’était posé pendant son absence, toutes les fois où elle s’était demandé « Qu’est ce qu’il est en train de faire en ce moment même ?... »

Le jeune homme ferma paisiblement les yeux, la tête posée contre le buste de sa belle. Il respirait au même rythme qu’elle, écoutant à la fois son cœur battre et le bruissement du vent entre les feuilles des arbres. Il faisait bon et son cœur chantait. La Grande Noirceur était terminée. C’était le temps de faire le ménage dans ses pensées et de recommencer à neuf. Cela prendrait des efforts, mais lorsqu’il pensait à tous les beaux moments qu’il vivrait avec Lucy Ann, à tous les rires, les pleurs et les moments d’extases à venir, cela en valait mille fois la peine.

Emmanuel sentit alors sa chérie s’agiter sous ses doigts. Il ouvrit les yeux, redressa le haut de son corps puis permis à l’Anglaise de se placer comme bon il lui semblait. Ses mains voyageaient sur son corps avec une retenue bien étonnante pour un jeune homme de son âge qui n’avait pas succombé aux plaisirs de la chaire depuis de longs mois. L’une de ses mains enlaçait son dos et l’autre naviguait sagement le long de sa cuisse, voyageant entre le dessous de son genou et sa fesse. Il lui arrivait aussi de s’attarder un peu plus à la peau sensible juste sous son genou, se souvenant que cela la faisait frissonner.

« Hmm, situation épineuse, en effet… Alors, je te propose deux choses. On discute un moment puis on migre vers un endroit un peu plus intime ou bien on migre vers un endroit un peu plus intime puis discute un peu ? »

Le Gallois n’eut pas vraiment le temps de réfléchir plus longtemps. Le léger baiser que Lucy Ann déposa contre son cou eut l’effet d’un choc électrique sur le corps du jeune homme, lui donnant bien envie d’envoyer au diable cette première option et de filer autre part tout de suite. Heureusement qu’elle n’eut pas l’audace de continuer dans cette branche, sinon… En fait sinon rien, le jeune homme avait tout de même beaucoup de respect pour sa belle et pour les autres, ce genre de choses, pour lui, se faisaient dans un cadre plus intime. Il n’était pas du genre à refuser une escapade en nature, mais le plus important pour lui, c’était que son amante s’y sentes bien.

« Ce que j’ai fait ? Eh bien… Quelques conneries, bien entendu, comme trop boire, me coucher tard, aller faire des longueurs comme un enragé à la piscine à deux heures du matin, lire de la poésie noire. Mais j’ai aussi fait des trucs bien aussi ! Je suis devenu vice-président du bureau des élèves, j’ai rencontré plein de nouveaux gens – d’ailleurs je crois qu’il va falloir que tu sortes tes griffes, y’as quelques filles que m’ont fait de l’œil, j’crois… »

Peut-être ne le sentait-elle pas tout de suite, trop de vêtements oblige, mais le Gallois avait légèrement gagné en masse musculaire depuis son départ. C’était en quelque sorte le fruit de sa mutilation à lui, c'est-à-dire s’épuiser à n’en plus tenir. Parfois il courrait, parfois il nageait, parfois il s’entraînait, mais c’était ainsi qu’il se défoulait.

« Sinon, rien d’important, je t’assure… J’ai pas négligé mes études même si l’envie y était, parfois… En somme, le bilan n’est pas désastreux ! Et toi, qu’as-tu fais pendant ton absence ? Et où étais-tu, d’ailleurs ? Allez, raconte-moi… »

Assez attendu, il voulait des réponses ! Elle lui devait bien quelques explications, après tout. Le Gallois ponctua son discours de quelques baisers posés ici et là, contre sa joue, son nez, la mâchoire… Vivement le temps où il pourrait laisser ses lèvres voyager librement sur le corps de sa belle.

Les yeux de l’étudiante changèrent de couleur : de marron noisette ils passèrent au noir assassin.

Comment ça des filles qui t’ont fait de l’œil ?
Elle se sentait d’humeur « dame de cœur », à hurler « qu’on leur coupe la tête ! », sauf que là elle s’en serait chargée elle-même avec plaisir.
Cependant, elle n’avait pas envie de gâcher ce moment en faisant une crise jalousive hystérique, c’est pourquoi elle respira un grand coup en essayant de relativiser.

*Bon, tu ne vas faire un scandale pour ça… Non seulement tu t’es barrée comme une voleuse, donc théoriquement tu n’as rien à dire sur ce qui c’est passé pendant ton absence, mais en plus avec un copain aussi craquant, faut pas s’attendre à ce que ce genre de choses n’arrive jamais, à moins de le défigurer toi-même !*

Elle se contenta alors de lancer un regard courroucé au jeune homme, en déclarant :
Bien, je vois… Va falloir que tu me donnes leur nom et description physique, que je leur règle leur compte à ces harpies. Et que je pense à lancer un sortilège de protection sur toi, du genre « celle qui s’approche d’un peu trop près à part moi se fait sévèrement électrocuter ». Je plancherais là-dessus quand j’aurais repris le cours de sortilèges… finit-elle en lui lançant un regard malicieux. Espèce de vilain qui essaie de me faire enrager va ! Et qui y arrive, c’est ça le pire…

Maintenant, fini avec les plaisanteries, le moment était venu de passer aux choses sérieuses… Elle ne pouvait pas reculer, autant se lancer, plus vite commencé, plus vite fini.

He bien moi… soupira-t-elle, je suis partie en Irlande, à Dublin plus précisément. Ca ne t’avance pas beaucoup là, c’est pourquoi je vais commencer l’histoire depuis le début.

Tu te souviens de mon jumeau, Ryan ? Et tu sais aussi qu’il est mort il y a bientôt 5 ans… En fait, sa mort n’était pas accidentelle, il s’est fait… Elle esquissa un mouvement de poignet caractérisant l’usage d’une baguette magique.
A l’époque, j’avais essayé d’en savoir plus, parce que mon frère était un peu crétin sur les bords et avait tendance à aller faire le fanfaron avec les ultra-serpentardistes, si tu vois ce que je veux dire…

Le problème, c’est que non seulement on ne fait pas partie d’une grande famille de sorciers, mais en plus, nous étions des « sang de bourbe », et pas qu’un peu, nous sommes les seuls de notre lignée à avoir développé des aptitudes magiques, ce qu’il cachait soigneusement, évidemment.
Du coup, quand on a retrouvé son corps dans l’allée des embrumes, une enquête du ministère a été ouverte, mais sans aucun résultat. J’ai décidé de ne pas en rester là et de mener mon enquête personnelle, en furetant de mon côté sans m’encombrer de toutes les procédures administratives, et je me suis fait quelques contacts… Qui n’ont pas donné grand-chose, hormis le fait qu’il y avait de fortes chances que ça soit lié à un groupe d’ex-mangemorts, que mon frère a fréquenté alors qu’il aurait plutôt les fuir comme la peste, mais bon, comme je l’ai dit, il avait tendance à être un peu crétin.

Faute de résultats, j’ai tout laissé tomber, et au final repris une vie normale, des études etc… La suite tu la connais, jusqu’au jour où, il y a quelques mois, un des mes anciens contacts a fait son job et m’a « recontacté ». Il avait une piste, et un informateur pour moi, en Irlande… Au début j’ai fait la sourde oreille, mais comme il ne me lâchait pas, j’ai fini par comprendre que c’était sérieux, alors j’ai décidé de partir là-bas sans rien dire.
Je n’aurais pas du, je sais, et je m’en excuse, mais d’une part je ne voulais mêler personne à mes histoires louches, et d’autre part je devais partir strictement incognito, mon identité devait impérativement rester secrète, c’est pourquoi j’ai préféré m’éclipser dans la nature, pensant que ça ne durerait que quelques jours, deux semaines tout au plus… C’est comme ça que j’ai, ou plutôt Rosalyn Stuart a transplané jusqu’à Dublin.

Elle marqua une pause, soupirant à nouveau, regardant le jeune homme de biais, n’osant le fixer dans les yeux, de peur de sa réaction.

Cependant, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. Ca s’est éternisé, encore et encore, j’ai du sans cesse repousser la date de mon retour, au final prendre un job de serveuse parce que j’étais totalement à sec… Et comme j’étais engagée dedans jusqu’au cou, je ne pouvais ni reprendre contact avec qui que ce soit, ni faire marche arrière. J’ai continué cette mascarade jusqu’à ce que les choses se corsent pour de bon, et que Rosalyn doive disparaître comme Lucy Ann qui allait elle pouvoir reprendre son existence là où elle l’avait laissé…

Voilà, tu sais tout, enfin presque, si tu y tiens je pourrais te donner les détails mais… Je préférerais éviter. Avec ce que j’ai appris, j’ai déjà eu du mal à sauver ma peau, je ne voudrais pas te causer le moindre problème avec ça, je ne me le pardonnerais jamais !

Enfin voilà, j’espère que ça t’éclairera un peu et que tu ne me jugeras pas là-dessus, je te promets que je ne suis pas une intrigante folle furieuse…Elle fixait désormais le jeune homme d’un regard anxieux, scrutant la moindre de ses réactions après avoir déclamé son discours d’une traite, sans quoi elle se serait sûrement dégonflée en cours de route.

Avant de fréquenter Lucy Ann, ce genre de comportement lui aurait fait presque peur. La paranoïa, la peur, la jalousie. Mais depuis, et surtout à ce moment-là, Emmanuel s’en voyait rassuré et flatté. De savoir qu’elle veillerait jalousement sur lui et qu’elle serait prête à casser le nez de n’importe quelle fille qui lui ferrait des avances lui donnait le sentiment qu’elle serait encore moins susceptible de le laisser seul pour une seconde fois. Et il réalisait que lui aussi serait beaucoup plus protecteur qu’auparavant. Et pour le mieux. Car il sentait qu’il prendrait ainsi beaucoup mieux soin d’elle.

Il espérait seulement, au fond de lui, qu’elle n’était pas tout à fait sérieuse. Puisqu’il ne voulait pas de mal pour ces filles. Elles avaient simplement profité du fait que le beau brun était « célibataire » pour un moment. Et puis il avait trouvé en ces filles des amies précieuses. Comme Cyanur. Mais il préférait simplement laisser cela de côté pour le moment. C’était un moment si particulier dans toute son existence, il devait le lui dire. Mais là n’était pas l’endroit ni les circonstances préférables pour discuter de ce genre de choses.

Alors qu’elle enchaînait avec son explication, le jeune homme comprenait de plus en plus les raisons de son départ. Certes, cela n’effaçait pas les moments de douleur, mais il comprenait maintenant que ce n’était pas une simple question de caprice. La caressant toujours doucement, il l’écoutait attentivement. Cela expliquait effectivement beaucoup, beaucoup de choses.

« Je comprends que tu ne veuilles pas m’inclure là-dedans et je suis bien d’accord… Je te remercie de m’en parler. Mais tu sais, malgré moi, je ne peux m’empêcher de t’en vouloir de ne pas m’avoir expliqué au moins le gros des circonstances. Je ne me serais pas fait d’idées sombres, tu comprends ?… »

Le jeune homme soupira légèrement et vint déposer au baiser contre le cou de sa belle, y frôlant doucement son nez par la suite.

« Tu ne peux pas vraiment t’attendre à ce que je sois fâché contre toi pour le reste de mes jours. Tes raisons sont entièrement valables. Je crois tout de même que dans ta situation, j’aurais fait les choses un peu différemment. », Chuchota-t-il.

La vie étais étrange, belle, amère, sucrée, tout à la fois. Et le Gallois sentait qu’il ne pourrait pas passer à travers sans sa belle maintenant qu’il avait appris à l’aimer. L’une de ses mains toujours dans son dos, il vint qu’à glisser l’autre sous son chemiser, lui caressant le ventre et la taille du bout de doigts. Sa peau était chaude, accueillante…

« Même si tu es une folle furieuse, je suis, moi-même, fou de toi… »

Lucy Ann se remit enfin à respirer. Ca y est, le plus dur était passé, ce qu’elle redoutait plus que tout était derrière elle : elle avait retrouvé son homme et lui avait fourni des explications, et il était encore là, il n’était pas parti en courant en se disant « Cette fille est complètement tarée, qu’on l’enferme à Ste Mangouste ! »
Il avait même dit que ses raisons étaient valables, ce qui voulait dire qu’il la comprenait quelque part…

Je sais, avec le recul je me suis rendu compte que j’avais pas fait les choses comme il fallait, mais je pensais vraiment que ça ne prendrait que quelques jours… Et puis tu sais, je suis comme ça, quand quelque chose me tient vraiment à cœur, je fonce tête baissée sans me poser de questions, c’est mon côté impulsif, j’ai tendance à me laisser guider par mes passions…

Et le jeune homme ne pouvait pas savoir à quel point ce qu’elle disait était vrai. Ce côté un peu « rentre dans le tas sans se soucier des conséquences » avait parfois son charme, faisant d’elle une personne plutôt téméraire et n’ayant pas froid aux yeux, mais c’était dans ce cas-là que ce qui lui avait valu sa nomination à Serpentard prenait effet : quand elle désirait vraiment quelque chose du plus profond de son âme, cela tournait à une véritable obsession. La gentille jeune fille se métamorphosait alors en créature machiavélique, froide et manipulatrice, calculant tout de façon à arriver à son but et fonçant droit devant elle comme un troupeau de gnous.
Quand cela arrivait pour décrocher une bonne note à un devoir, c’était plutôt une bonne chose, mais quand il s’agissait de sujets plus graves, comme venger la mort de son frère, c’était moins joli à voir. Car elle n’avait pas abandonné ce projet, elle le laissait juste murir le temps qu’il fallait, sans se précipiter afin de ne pas tout faire rater, son frère était mort de toute façon, il n’y avait pas d’urgence… Mais celui qui avait fait ça le paierait de sa vie un jour ou l’autre, il suffisait d’être patient, le jour où le sang du meurtrier de sa moitié coulerait sur ses mains arrivera bien assez tôt.

C’était aussi pour cette raison qu’elle n’avait pas voulu le mêler à cette histoire, elle n’avait pas envie que Manny découvre son « côté obscur » destructeur, quoi qu’avec cette histoire de pimbêche lui tournant autour il n’allait sûrement pas tarder à en avoir un aperçu…
Lucy Ann avait beaucoup entendu parler des jumeaux qui perdaient leur alter-ego, et s’il y avait bien une chose qui ressortait du lot, c’était que le survivant ressortait meurtrit à jamais, et qu’on ne savait pas jusqu’à quel point les dommages pouvaient être étendus. Elle savait depuis le premier instant où elle avait appris sa mort qu’elle ne s’en remettrait jamais tout à fait, mais si elle avait appris à vivre avec cette douleur en sourdine, elle espérait juste que cela n’allait pas un jour lui faire perdre totalement le contrôle d’elle-même.

« Même si tu es une folle furieuse, je suis, moi-même, fou de toi… »

Cette phrase, arrivant à point nommé en plein dans les pensées tortueuses de la sorcière, la fit sourire.

J’en ai de la chance, répondit-elle juste avant de l’embrasser, on forme un beau couple d’aliénés… continua-t-elle en décollant à peine ses lèvres, reprenant aussitôt là où elle s’était arrêtée, pendant que ses mains lui caressaient le dos, jusqu’à aller s’aventurer sous le surplus de tissu inutile qui le recouvrait, devant se retenir pour ne pas laisser ses mains s’aventurer ailleurs…
D’ailleurs elle en avait assez, elle avait envie de lui, il avait visiblement envie d’elle, pourquoi diable essayer de lutter contre l’inévitable ?

Dit… Si j’essaie de te corrompre en te disant que j’ai ramené une bouteille d’Irish firewhiskey et une boîte entière de chocogrenouilles édition spéciale avec les cartes des joueurs de l’équipe de quidditch irlandaise, mais que tout ça est resté dans ma valise qui se trouve sur mon lit… Tu me suivrais ?

Un couple d’aliénés ? Même si cela avait été dit sur un ton de rigolade et de camaraderie, ce n’était pas tout à fait faux. On ne retrouvait pas d’autres hommes comme Emmanuel dans l’université et Lucy Ann était elle aussi unique en son genre. Ce qui faisait d’eux un couple tout à fait charmant et envié par beaucoup de gens. Ils se complétaient à merveille, tout simplement. Que l’on les regarde de l’extérieur ou de l’intérieur, ils semblaient simplement être faits l’un pour l’autre. Ce genre de choses ne s’expliquait pas, c’était une constatation, un fait indéniable. Aussi vrai que le ciel est bleu et que la neige est blanche.

Et c’est en se délectant du moment, en sentant les lèvres de sa promise naviguer contre les siennes qu’il se dit qu’il voulait que le monde entier sache à quel point il aimait Lucy Ann Donovan et que rien ni personne ne pourrait changer cela. Il voulait que les gens les voit main dans la main, lèvres contre joue. Les doigts de sa belle vinrent se glisser subtilement sous son chandail, un léger frisson parcourant son échine. Décidément, cela faisait en effet très longtemps qu’il languissait, son corps avide de la chaleur de l’Anglaise contre lui. Il était avide de tout, en fait. Ses baisers, ses caresses, ses yeux, ses ongles dans son dos.

Lorsqu’elle lui dévoila ses plans de corruption, le jeune homme se laissa emporter dans un rire franc avant de glisser sa main contre sa joue, la regardant tendrement et malicieusement à la fois.

« Pour une boîte de chocogrenouilles et pour du Whisky Pur-feu, j’irais jusqu’aux confins de l’univers. Même jusqu’à ta chambre. », dit-il en faux chevalier.

Emportant sa belle avec elle, il se leva sur ses deux pieds, tenant la main de Lucy Ann dans la sienne. Il se pencha vers elle, glissant ses doigts dans ses cheveux, passant facilement une longue minute à regarder son ange, à la caresser, à apprécier sa présence en buvant dans ses yeux.

« Alors, tu es prête à corrompre mon cœur pur avec ton chocolat et ton alcool afin d’abuser de mes bonnes intentions ? » conclut-il en avançant vers l’université.

[Terminé!]