Soufflant et jurant sous son barda, Canelle avait pris possession de son petit coin de Poudlard. Elle avait rangé les lourds livres et manuels puis répandu le contenu de sa valise sur le lit. Inspection de plumes et parchemins, rangement des vêtements et de quelques objets personnels. La précieuse photo où ses parents souriaient en lui faisant des signes tronait maintenant sur la tablette.

Puis elle était allée prendre une douche et en était revenue emmaillotée dans un peignoir neuf, ses interminables cheveux serrés dans une serviette. Elle avait passé un pyjama vert semé de jonquilles du plus bel effet puis s'était attelée à l'indispensable lettre à la famille.

Son père allait être content. Lui aussi avait été Serdaigle en son temps. Sa mère se contenterait de la savoir bien arrivée et installée. La plume grattait le parchemin. Elle alternait les passages en gaélique et en français, selons qu'ils étaient destinés à l'un ou l'autre. Son ouvrage terminé, elle jeta une pincée de sable sur le parchemin, souffla dessus pour sêcher l'encre, puis mit la lettre sous enveloppe. Azaël la porterait demain. Elle aurait bien aimé pouvoir aller donner une friandise à son harfang. Ce serait pour plus tard.

La fatigue de cette journée commençait à la rattraper et elle pressa ses tempes pour la chasser. Elle était trop énervée pour dormir. Le lit inconnu, les bruits nouveaux... elle qui avait toujours eu sa chambre allait avoir du mal à se faire à la promiscuité du dortoir.

"Ca lui fera du bien, à cette gamine" avait décrété son père. "elle passe ses journées à courir la lande pieds nus comme une sauvageonne. Elle parle aux fées, aux pierres, aux arbres... L'autre jour elle m'a ramené, triomphante, du crin de licorne. Je n'ai pas eu le coeur de lui dire que c'était le crin de la vieille mûle du père Flannagan qui s'échappe, comme tu le sais, Anny, pour goûter le trèfle du pré Sud. Poudlard lui trempera le caractère et lui apprendra la vie en société".

Canelle avait été horriblement vexée en surprenant cette conversation et s'était jurée de ramener du vrai crin de licorne aux prochaines vacances.

Elle revint vers le lit et sortit un petit livre. C'était un livre Moldu. Une édition de poche, à bon marché, aux pages fatiguées. Le titre familier la salua comme un vieil ami.

Le Pays d'octobre

Elle retourna le livre et lut pour la centième fois les quelques phrases écrites au dos.

"Ce pays où l'on va toujours vers l'arrière-saison. Ce pays où les collines sont faites de brouillard, et où les rivières sont de brume, où les midis disparaissent vite, où l'ombre et les crépuscules s'attardent, et où les minuits demeurent. Ce pays composé essentiellement de caves, de cryptes sous les caves, de soutes à charbon, de cabinets, de mansardes, de placards et d'offices tournés à l'opposé du soleil. Ce pays dont les gens sont gens d'automne, ne pensent que des pensées automnales. Dont les habitants, quand ils passent la nuit dans les avenues vides, y font un bruit qui évoque la pluie".

Comme elle aimait Ray Bradbury ! Elle était trop jeune encore pour comprendre qu'elle était touchée par sa poésie et l'immense humanité qui se dégageait de ses textes, même les plus sombres. Elle avait coché, sur la table des chapitres, ses nouvelles préférées. Elle en choisit une, se cala contre les oreillers et commença sa lecture.

[HRP : Où tu vois que c'est nul ?^^ Tsss...]

Canelle quitta son livre avec un sourire ravi.

-Oh ! C'est très gentil !

Elle avait pris ce livre pour se rassurer de la solitude inévitable des petites nouvelles, et jeter un pont entre son monde, qu'elle venait de quitter, et ce nouvel univers qu'elle ne connaissait pas. Elle était très heureuse qu'on lui prète un peu d'attention. Sa nouvelle camarade était vive, pleine d'énergie. C'était stimulant. Elle posa son livre et s'assit en tailleur sur le lit, les mains sur ses petits pieds nus.

-Je m'appelle Canelle... O'Riordan... D'Irlande. J'espère que je ne ferai pas trop de bêtises jusqu'à ce que je me sois habituée ici. Toi, tu as l'air de bien connaître les lieux...

Lucy n'avait pas ces hésitations qui désignent la bleusaille. Elle prenait possession de son coin de dortoir en habituée. Canelle envia son assurance et avait hâte, pour un fois, de vieillir un peu. Pendant que Lucy s'affairait, elle prit une brosse, libéra son impossible crinière blonde de la serviette et entreprit à grand-peine d'y mettre un peu d'ordre avant la nuit. Si elle s'endormait avec les cheveux comme çà, elle aurait l'air d'un lampion demain matin. C'était sa mère qui se chargeait de çà, normalement, longuement, patiemment. C'était l'heure des confidences mère-fille, dont il faudrait se passer, désormais.