La nuit dévoilait son rideau étoilé au dessus des cimes des arbres et absorbait toute couleur dans une couverture d'obscurité. L'herbe sous les pieds de Liliana ressemblait à une immense vague de néant se mouvant au gré d'une brise légère et glaçante, que l'hiver expirait tendrement contre les corps exposés à son bon vouloir. Le froid et le noir environnants indifféraient pourtant la Serpentard recouverte d'une épaisse cape noire, qui s'avançait d'un pas égal à travers le parc du château. Si elle avait d'ailleurs prêté attention à la bise qui crispait ses membres, elle ne s'en serait certainement pas plainte. Au contraire de la plupart des membres frileux de l'espèce humaine, la froidure qui frappait son visage ravivait l'esprit de la jeune sorcière, revigorait son cerveau jusqu'alors engourdit par la douce chaleur de l'âtre grondant dans la salle commune.
Et ce soir, ça n'était certainement pas une réconfortante somnolence au gré des crépitements des flammes qui attendait l'héritière du Sang-souillé des Vanloock, c'était une confrontation avec l'une, si ça n'était la plus ténébreuse et mystérieuse Serpentard sévissant dans le château au gré de ses envies et de ses humeurs. Reconnue pour son esprit libertin qui avait fait d'elle une véritable mante religieuse, louve parmi les prudes brebis de Poudlard, Pénombre Craft était, selon les rumeurs, une ombre inquiétante et obscure, indiscernable, glissant sous les doigts de qui cherchait à la saisir. On ne savait jamais ce qui découlerait d'un tête à tête avec la plus langoureuse des Reptiles. Et Liliana, à l'instar du commun des mortels, ignorait l'aboutissement de cette entrevue pourtant programmée dans un but très précis : intégrer la Milice Pourpre dont Craft n'était autre que la meneuse. D'autant plus qu'elle savait pertinemment qu'un entretien n'avait pas été exigé pour la plupart des autres membres et à cela, une raison : ils avaient, eux, prouvés depuis bien longtemps leur aspiration à replonger le monde sorcier souillé par la contamination du sang-impropre dans un traditionalisme rigoriste.
Ça n'était pas le cas de la cinquième année. Malgré le nom pur qu'elle portait, son sang était mêlé à cause les moldus errants dans les ascendances de l'arbre généalogique maternel. On soupçonnait même Jane Vanloock d'avoir trafiqué son arbre avec la complicité de sa génitrice et à l'heure actuelle, on fouillait encore dans les archives du Ministère afin de dénoncer le soit disant vil mensonge qu'était l'ascendance sorcière de Heather Arrawn. A ce jour, Liliana n'avait donc toujours pas son attestation de sang, mais ça n'était certainement pas cela qui faisait immiscer le doute et la suspicion chez les reptiles de sa Maison.
Liliana était réputée pour ses nombreuses affinités douteuses, l'instabilité notable de son caractère et sa jusqu'alors regrettable sympathie pour les individus de sang-moldu. Puis un an avant l'avènement du Lord, toutes les idées que l'on avait put se faire d'elle avaient éclatées en mille morceaux d'incertitude. Tout avait basculé. Liliana avait rompu tout contact avec les membres extérieurs à son blason. Du jour au lendemain, les saluts amicaux à l'intention de William J. Craig s'étaient transformé en dédain superbe, et sa verve naturelle s'était amoindrie, comme essoufflée. Elle s'était refermée comme un coquillage cachant son trésor face à l'œil avide et si elle ne parlait plus au nom des sangs impurs, la donne ne s'était pour autant pas complètement inversée. Alors qu'elle aurait put tourner son regard vers les antipodes de ce qu'elle avait été, elle était plutôt devenue incalculable et intrigante, derrière son visage de poupée de porcelaine où les expressions qui aurait put trahir son jeu se raréfiaient. Elle avait apposé sur son visage autrefois si vivant un masque inerte qui cachait derrière lui des vérités qui ne demandaient qu'à se délier du secret. Mais ces secrets là, on ne les libérait pas.

Que pensait Pénombre d'elle ? Quel genre d'image la charismatique Vert et Argent pouvait-elle bien se faire de sa puînée de trois ans, qui se mettait soudainement à jouer avec des armes trop dangereuses pour elle ? En réalité, la blonde n'en avait cure. Mais l'avis et la décision de l'héritière devait l'importer, car de ces impressions et conclusions découlaient l'avenir de la jeune vipère. Si elle ne savait prouver son engagement face à Pénombre, une vague de mort soudaine risquait de toucher sa famille et pire encore, elle aurait trahit la parole qu'elle avait donné à son précepteur. Si elle avait crut ne pas avoir le choix, cela n'excluait pas de devoir la respecter et y mettre un point d'honneur. Le marché n'était-il pas équitable, après tout ? Sa vie valait plus que celle des autres. Si on pleurait les morts, la sienne propre était la fin de tout. L'âme absorbée par le trou noir de la mort, une perspective trop terrifiante pour un coeur d'à présent seize ans.

Une gerbe multicolore retomba comme une myriade d'étoiles au dessus de la surface du lac, indifférente aux grondements du feu d'artifice qui se concluait dans un étalement de couleurs et de fleurs qui se balançaient au bout de leur tige de feu. Liliana s'arrêta à quelques pas de la haute ombre qui se tenait sur la rive, tandis que le bouquet final s'estompait dans une pluie d'étincelles et de fumée en se reflétant à travers les iris assombries de la jeune fille. Cette dernière attendit les derniers crépitements murmurer la fin de la représentation dans un silence parfait, un brin mélancolique. Enfin, elle s'avança d'un pas plus appuyé que les précédent dans le but d'annoncer sa présence à la belle préfète-en-chef, qui la dépassait facilement d'une tête malgré sa taille plutôt respectable.

- Bonsoir, Pénombre.
Murmura-t-elle à travers l'atmosphère étouffante du calme qui ensuivait les déflagrations. L'odeur du souffre pénétra dans ses poumons comme pour accompagner un désagréable relent d'angoisse, qu'elle chassa aussitôt. La folie devait s'assumer jusqu'au bout.
- Je crains d'avoir loupé le paroxysme de l'art des artificiers.