Profitant d’un instant de calme en fin d’après-midi, avant de se mettre au travail pour les sempiternels devoirs, Gauvain était assis dans la tour de l’horloge, près d’une fenêtre, et contemplait les nuages qui galopaient dans le ciel. La journée de cours avait été longue et la fatigue poussait le jeune garçon à la rêverie. Les genoux collés à la poitrine, les bras les enserrant, la tête légèrement renversée et appuyée contre le mur pour apercevoir plus aisément le ciel, il laissait le vent frais caresser son visage et profitait de la faible chaleur d’un soleil déjà couchant.
Le cliquetis de la mécanique de l’horloge, régulier et monotone, tenait lieu de bruit de fond ; le mouvement de l’énorme balancier faisait vibrer l’air dans la tour, surtout au moment où il arrivait à la verticale, lancé à pleine vitesse. Son rythme coïncidait avec la respiration du Serdaigle, lente et profonde.

De temps en temps, un long soupir s’échappait de la poitrine de Gauvain, preuve de l’accès de mélancolie qui le tenaillait depuis quelques jours. Fermant les yeux, il laissait les images de ses souvenirs se glisser sous ses paupières.
Il se sentait un peu perdu dans le tourbillon du quotidien et avait l’impression que tout allait vite, trop vite, et qu’il n’avait plus le temps de profiter de rien. Ressentant un besoin impérieux de ralentir, il s’était ainsi isolé dans un coin relativement à l’écart. Des vagues de sentiments confus et contradictoires le submergeaient, chacune plus forte que la précédente, et il avait besoin de remettre de l’ordre dans ses pensées.

Cela ne cadrait pas vraiment avec le tempérament habituel de Gauvain, nettement plus enjoué et plein d’entrain, mais tout le monde avait besoin, de temps à autre, de recharger ses batteries : on ne pouvait donner que ce qu’on avait. Cet état d’esprit jouait bien évidemment sur la façon dont il percevait les choses et les événements, prenant tout du côté le plus sombre, ce qui renforçait son sentiment de mal-être.
Certes, il avait plein de copains dans sa maison, et même quelques-uns chez les Gryffondor et les Poufsouffle, mais il n’avait pas vraiment d’amis à qui se confier, ou sur lequel il pourrait s’appuyer.
Certes, il y avait Kaelir, son cousin, mais à la limite un membre de la famille était un peu trop proche, et puis ses responsabilités de préfet et les examens qui arrivaient devaient lui causer suffisamment de préoccupations sans en ajouter une couche en plus avec le coup de blues de son cousin.

Oui, Gammach junior était bien intégré dans sa maison et dans l’école, ses résultats étaient honorables, tout se passait bien, et pourtant il ressentait un malaise sourdre au fond de lui, comme s’il passait à côté de quelque chose, que quelque chose manquait à sa vie : l’amitié sincère et profonde, dépassant de loin le cadre du « salut ça va, oui et toi ». Sa vie lui semblait superficielle, et au final peu intéressante. L’adolescence arrivait au grand galop…
Il éprouvait aussi certains regrets qui venaient le tarauder, par exemple de s’être mis McLane à dos pour, finalement, une broutille. Ce n’était pas tant le fait qu’elle profite de chaque occasion pour montrer à quel point elle était peste que le sentiment d’être bêtement passé à côté de quelque chose. Bien sûr, elle était insupportable et superficielle, hautaine et égocentrique, et jamais ils n’auraient pu être amis, mais cette brouille était au final inutile et pesante aux jeunes épaules du garçon.
Et puis, le dernier épisode en date, il venait de perdre son premier amour… Ca comptait pour un adolescent, et il s’était fait jeter sans le moindre remord par celle qui faisait battre son cœur, même s’il aurait peut-être mieux fait de se le percer plutôt que de se le laisser voler par la blonde. Il ne l’avait pas vu venir, ça lui était tombé dessus sans crier gare, et cette histoire de salle de bains avait été le coup de grâce.
Donc, sans avoir aucun vrai problème, Gauvain se sentait malgré tout seul…

- Pfff, qu’est-ce que c’est con de se sentir seul au milieu de centaines d’élèves…

En continuant sur sa lancée et en laissant libre cours à ses réflexions, il se demanda si une partie ne venait pas de lui ; à force de paraître fort et joyeux, personne ne s’inquiétait vraiment de savoir comment il se sentait : une apparence forte était aussi une arme à double tranchant finalement.
Mais c’était tellement difficile, surtout pour un néo-adolescent, d’avouer que, comme tout le monde, lui aussi avait un côté fragile. Il ne voulait pas donner prise aux moqueries et préférait se blinder pour éviter les sarcasmes que de prendre le risque de les recevoir de plein fouet. Cette armure mentale était utile et protectrice, mais au final, il se rendait compte qu’elle le coupait des autres, en tout cas des vraies relations humaines, celles qui apportaient de la chaleur au fond du cœur.
Là était peut-être la source de son spleen mais pour la dépasser, encore fallait-il oser abandonner cette carapace et se mettre à nu, se montrer tel qu’il était, faire le saut en avant dans l’inconnu. Gauvain ne s’en sentait pas la force, il ne se sentait pas prêt…

Peu à peu, Gaby se détendait. Le Serdaigle paraissait assez sympathique, ce qui la rassurait...

"- C’est pas grave t’inquiète pas, j’étais pas non plus le plus sympa dans ma réponse. Oui, moi c’est Gauvain. Je ne pense pas qu’on se soit parlé depuis le début de l’année, c’est bizarre. C’est quoi ton prénom encore ?"

La blonde ne répondit pas immédiatement, bien qu'elle mourrait d'envie de lui lancer "Moi ?Je suis un peu misanthrope sur les bords tu sais.", juste pour voir sa réaction. En réalité, la jeune fille n'était timide qu'avec les inconnus. Avec ses amis ou sa famille, c'était quelqu'un de très sociable et même parfois un peu sarcastique.
Mais au lieu de tester la personnalité de son camarade, elle laissait ses songes vagabonder et son regard se perdre dans le coucher de soleil aux couleurs magnifiques. Du rouge, le ciel passait au orange, puis au jaune, pour revenir à l'orange. Le crépuscule était le moment du la journée qu'elle préférait. Il l'avait toujours tellement fascinée...Au bout de quelques instants, Gauvain se pencha sur son livre, et Gabrielle détourna ses yeux de la vue.

"- tu es fan de ce bouquin ?"

Fan n'était pas le mot. Elle l'avait lu, voilà tout. Plusieurs fois même, mais elle ne se considérait pas comme une fanatique de l'ouvrage. La blonde regretta alors d'avoir emmené ce livre là.
Pourquoi n'avait-elle pas jeté un coup d'oeil à ce qu'elle avait emporté ? Si elle devait parler lecture, ce n'était sûrement pas de cet ouvrage qu'elle aurait voulu discuter.

"-De l'histoire de Poudlard ?Non...pas vraiment...Je voulais juste vérifier un truc dedans, mentit-elle, au fait, moi, c'est Gabrielle. Mais tout le monde m'appelle Gaby...annonça-t-elle en souriant."

Pourquoi lui avait-elle sortit un mensonge ? Probablement parce que la vérité sonnait faux : personne ne prend un livre sans même regarder le titre. Et elle ne tenait pas à ce qu'il la prenne pour une idiote ou pour une menteuse. Ce n'était rien du tout, qu'un bouquin insignifiant, mais la simple idée que quelqu'un la prenne pour ce qu'elle n'est pas la terrifiait.

*Illogique, je mens pour ne pas passer pour une menteuse...*pensa-t-elle.

La jeune Serdaigle passa la main dans ses longs cheveux blonds, prit appui contre le mur et se rendit compte qu'elle sortait peu à peu de sa bulle, ce qui était plutôt rare chez elle...

- Enchanté alors Gaby. Moi c’est Gauvain, mais tout le monde m’appelle… heu… Gauvain.

Gabrielle décrocha un sourire timide. Elle devinait que son camarade se servait de l'humour pour qu'elle se détende, ce qui marchait plutôt bien d'ailleurs. La jeune Serdaigle jeta un coup d'oeil - le plus discret possible, par peur que Gauvain prenne ça pour de l'ennui - à sa montre avant se scruter la vue qu'ils avaient du parc. Les derniers rayons du soleil brillaient au loin, apportant quelques nuances orangées dans un ciel gris, et les élèves désertaient peu à peu la fraîcheur de la pelouse pour la chaleur des feux du château. La blonde reporta alors toute son attention sur le garçon face à elle, et il enchaîna :

- Chui désolé, je ne suis pas d’une compagnie très agréable, mais je ne me sens pas dans mon assiette…

Désolé ? Gaby ne comprenait pas... Elle fronça les sourcils, abandonnant son expression timide pour affirmer d'une voix confiante :

-Tu n'as pas à être désolé, en plus, tu m'as été de bien meilleure compagnie que tous ceux que j'ai pu voir aujourd'hui...

Elle fit une pause, et repensa à la querelle qu'elle avait eut avec ses amis le matin même. La jeune fille adressa un sourire à son camarade, avant de reprendre.

-Et on ne peut pas vraiment dire que j'ai été très sympa avec toi aussi...
Je sais être odieuse quand je veux, ironisa-t-elle.

De l'ironie, oui, mais c'était la stricte vérité... Ainsi, les présentations étaient faites. Comme elle ne savait pas quoi ajouter, elle se mit debout afin d'aller chercher sa sacoche qu'elle avait laissé sur le pas de la porte. Sans même avoir eut le temps de faire deux pas, elle trébucha.
Son teint tournant au rouge pivoine, elle se releva sans regarder Gauvain. Aussitôt, une douleur fulgurante envahie sa cheville, mais elle n'osa rien dire. Gabrielle attrapa son sac, et revint s'asseoir sur son rebord de fenêtre en boitant légèrement, et priant pour que le Serdaigle ne remarque rien.