Alors qu'elle suivait l'Auror qui l'accompagnait, Lynn tentait de se préparer au mieux à l'entretien auquel elle s'apprêtait à assister. Cela ne faisait que quelques heures qu'elle était sortie d'ici au bras d'Aïlin et voilà qu'elle revenait, en son nom, apporter une missive à Torin. Le fait d'avoir du laisser sa baguette à l'extérieur la mettait mal à l'aise, même si elle savait qu'elle aurait été inutile entre ces murs. Pour l'instant du moins, le frère honni ne représentait pas une menace. C'était pour plus tard qu'elle s'inquiétait. D'ailleurs si elle avait convaincue Aïlin de la laisser venir c'était pour mettre ses conditions à la libération de l'ex-mangemort.
Il était hors de question qu'il puisse leur faire du mal une fois sa liberté obtenue. Une fois dehors, il aurait une dette envers eux, et elle comptait bien ne pas le lui laisser oublier.
En attendant, il était temps de l'affronter une bonne fois pour toute et de lui montrer qu'elle n'avait plus peur de lui. Elle était résignée à devoir le libérer, quand bien même cela allait à l'encontre de ses convictions les plus profondes. Elle faisait ça pour Aïlin. Encore une fois, ses propres désirs passaient après ceux de son frère.
Elle se remémora en frissonnant les paroles du tableau de Devin. Il avait raison, le jeune lord avait réussi là où tous avaient échoués. Grâce à lui, Lynn était devenue une des leurs et elle était même revenue s'installer dans ce manoir qu'elle avait juré de fuir à jamais. Il était trop tard pour faire marche arrière. Tandis qu'ils avançaient, Lynn pensa à chaque étape qui avait mené ses pas jusque dans cet endroit sordide. Aurait-elle vraiment pu changer les choses ? N'avait-elle pas eu que l'illusion d'avoir le choix ? Ces pensées et ces doutes la pesaient, rendant encore plus difficile à porter le poids des nouvelles qu'elle venait annoncer. Elle ne voulait pas libérer Torin. Elle ne voulait pas le savoir dehors, sans entraves, capable de vivre sa vie après avoir détruite celles de tant d'innocents, dont celles de ses propres frères et sœurs. Torin était un monstre, quoi qu'en pense Aïlin.
Lynn inspira profondément alors qu'ils arrivaient devant la dernière porte. Elle vérifia une ultime fois la solidité de son bouclier occlumens et pénétra à l'intérieur. Le gardien lui annonça qu'il l'attendrait de l'autre côté et referma la porte derrière elle. Lynn se tourna lentement jusqu'à faire face à l'unique prisonnier des lieux.

- Torin, le salua-t-elle froidement, le prénom lui-même lui écorchant les lèvres lorsqu'elle le prononça.

Elle sortit la missive de sa cape et plongea son regard d'acier dans les prunelles de celui qu'elle détestait avoir à appeler "frère". Pourtant, elle ne pouvait nier leurs ressemblances physiques. Ils avaient les mêmes yeux, de la teinte exacte de celle de leur défunt père. Un gris argenté, un gris d'acier, froid et perçant, très différent des iris bleus d'Aïlin. Et pour un peu qu'il n'ait pas été défiguré par cette barbe sauvage, Lynn savait que derrière celle-ci se cachait un air de famille indéniable. S'il y a une chose qu'on ne pouvait pas retirer aux Bowers, c'étaient bien qu'ils se ressemblaient. Nul n'aurait pu mettre en doute la paternité de Devin Bower. Quant au reste… Si Lynn répugnait à s'imaginer le moindre point commun avec l'ex-Mangemort, elle était consciente qu'il y en avait, soigneusement enfoui au fond d'elle. Car Torin n'avait fait que s'approprier et amplifier les traits de caractère innés que Lynn et Aïlin avaient si longtemps essayé de repousser. Cette noirceur qu'elle sentait en elle comme en son frère venait de leur sang et Aïlin l'avait compris. Il avait raison quand il disait qu'il aurait pu devenir comme Torin. Elle-même aurait pu devenir comme lui. Mais ils se battaient contre ça, ils refusaient de s'avouer vaincu et de laisser leurs vices les contrôler. Voilà pourquoi elle était là. Parce qu'elle n'était pas comme lui et qu'elle voulait tout faire pour qu'Aïlin ne le devienne pas non plus.

- Aïlin m'envoie. Il m'a remit ceci pour toi. Déclara-t-elle en lui montrant le parchemin sans pour autant faire mine de lui remettre.

Comme elle aurait voulu pouvoir effacer le sourire narquois de son visage ! Mais elle était déterminée à garder son calme.

- J'ignore ce que tu lui as dit, ou promis, mais il est décidé à te faire sortir d'ici.

Elle marqua une pause avant d'ajouter, d'une voix qui ne souffrait aucune contradiction:

- Je me range à sa décision, mais ta liberté aura un prix. Mon accord, mes conditions.

Il n'était pas censé savoir qu'Aïlin n'était pas au courant et il n'avait aucun moyen de l'apprendre. De toute façon ce qu'elle exigeait était un prix bien mince contre sa libération. Elle souhaitait seulement garantir leur sécurité à Aïlin et elle. Si elle ne pouvait le laisser pourrir en prison, elle s'assurerait qu'il ne pouvait pas leur faire de mal.

Ils étaient partis. Aïlin avait pris le soin de gratifier Torin d'une ultime phrase énigmatique. Cette vérité dont il parlait, était-elle de bon présage ou non ? L'ex mangemort préférait ne pas s'attendre à plus qu'un panier d'oranges empoisonnées. Mais il avait éveillé sa curiosité, il le sentait, en parlant de nécromancie. Le temps de la réflexion pourrait tout aussi bien inciter son jeune frère à trouver cette curiosité trop mal placée et à se rétracter après lui avoir mis l'eau à la bouche. Ou bien s'était-il juste moqué de lui, qui sait...

A peine sorti de Ste Mangouste il avait été en drôle de compagnie et il se retrouvait seul seulement maintenant. Il faisait confiance aux aurors pour débarquer d'une minute à l'autre afin de l'emmener en séance d'interrogatoire. Il avait plusieurs possibilités de défense, il ne dirait rien tant qu'on ne lui aurait pas commis un avocat d'office. Il espérait que ce dernier serait le plus malléable possible, car c'était lui le spécialiste en matière de justice et il n'aurait besoin que d'un pantin bien au fait de l'actualité depuis ces deux dernières années. Il pourrait savoir comment s'étaient déroulés les audiences des autres mangemorts et développer un plaidoyer d'un genre novateur. Il pourrait distraire le jury de quelques détails croustillants pour les dévier de leur objectif lors de questions difficiles. Il trouverait au moins la solution pour diminuer sa peine... Ou il serait obligé de corrompre tout doucement mais sûrement l'âme de ses geôliers, jusqu'à les rendre suffisamment fous pour qu'ils commettent l'irréparable et le laisse s'emparer d'une baguette. Il massacrerait tous les résidents d'Azkaban qui s'opposeraient à ses projets puis libérerait ses camarades. Ensemble ils pourraient former un nouvel ordre de terreur, tuant plutôt que de fuir, puis il pourrait reprendre ses travaux...

Torin avait fermé les yeux. Toujours assis sur le banc, son dos appuyé sur le mur et ses mains croisées près de son abdomen, il trouvait enfin une posture moins douloureuse qui lui permettait de se laisser aller à une sieste.
Hélas il fallait que quelques bruits viennent le déranger durant ce qui promettait d'être son premier vrai moment de répit. Quelqu'un s'aventurait dans l'aire de détention, certainement un voisin qui ne manquerait pas de l'agacer. Ses yeux restaient fermés et, puisqu'il ne pouvait plus dormir car intrigué, ses oreilles se tendirent pour identifier ce qui venait. Une seule personne, le cliquetis typique que seules des chaussures de femme pouvaient émettre. Cette fois, il laissa pour de bon ses yeux se rouvrir : aurait-il « une » avocate ? Le comble de l'humiliation, il ne pouvait pas être défendu par une femme... Quoique s'il était une chose que l'on pouvait leur reconnaître, c'était bien leur sournoiserie. Une commise d'office signifiait souvent débutante et par conséquent, personne qui était prête à user de tous les vices de procédure pour triompher devant la cour, et les femmes étaient douées pour faire preuve de vice. Cela n'était-il pas de mauvaise augure s'il savait -comme bien trop souvent depuis son retour- mettre son honneur de côté. Il n'était plus à cela près.

Hélas la demoiselle n'avait rien d'un avocate et encore moins d'une personnes respectable : Lynn... Il n'avait pas cru si bien dire en la provoquant d'un « à bientôt » quelques heures avant. Il était étonné de la voir ici et ne daigna pas lever un sourcil, l'observant d'un air suspicieux tandis qu'elle le saluait de son prénom. Puis elle sortait un parchemin qui éveilla sa curiosité. Était-ce un piège enchanté qui le tuerait lorsqu'il aurait fini sa lecture ? Pouvait-elle être stupide au point de croire qu'elle pouvait commettre un meurtre impunément au sein même de l'antre des aurors ?
Son regard s'attarda sur les détails : les armoiries de la maison figées dans la cire... Cela ne pouvait pas être du poison à moins de vouloir prendre sa place à Azkaban. Puis la grande surprise vint : un sombre sourire se dessina sur ses lèvres lorsque le nom de Aïlin fut prononcé. Quoi que ce parchemin dise, il ferait une distraction parfaite derrière les barreaux. Aussi, il ne manqua pas de remercier sa sœur pour le déplacement... Ou pour servir Aïlin.

« Très attentionné de ta part. »

Cependant, l'objet de sa curiosité ne lui fut pas remis directement. Non, la petite voulait faire sa maline, bien entendu. Comme si les mots du sexe faible pouvait un tantinet l'atteindre. Il hésitait entre la trouver davantage stupide ou risible. Surtout lorsqu'elle lui demandait ce qu'il avait fait à leur frère alors qu'il s'agissait plutôt de l'inverse : lui avait encore d'horribles cicatrices sur le ventre. Mais ce qui suivit lui fit oublier les pensées négatives bien que le doute subsiste. Alors comme ça, le « lord » souhaitait le libérer. Lui qui se croyait un peu rouillé en terme de persuasion, il n'en attendait pas autant... Et encore moins à la suite.

Elle disait suivre Aïlin dans sa décision. En avait-il fait un pantin de sœur là où l’aîné avait toujours échoué ? Certes, Torin avait des preuves contre ces deux-là, certes, cela pouvait être en lien avec leur désir de le libérer pour le faire taire. Cela ne signifiait en rien que leurs intentions soient nobles. Et telle la femme qu'elle était Lynn crachait enfin le morceau : sa grâce imposerait ses conditions et autres cacas nerveux. Et puis quoi encore ? Comme s'ils allaient s'entretuer pour fêter sa libération !

Comment pouvait-elle ? Tenir des propos aussi ridicules... Comment osait-elle le prendre pour un imbécile ? Ne savait-il pas déjà que la liberté n'avait de libre qui l'apparence ? Que les lois de monde écœurant formaient à elles seules une prison morale des plus strictes. Comme s'il allait décimer des moldus et torturer des sorciers à tout-va. Non. Il ne trouverait sa libre expression qu'au travers de la pratique de la nécromancie. Il savait pertinemment qu'il ne pourrait revenir clamer ce qui lui avait pourtant toujours appartenu. Et lui qui était issu de la maison des serpents se devait d'avoir un sang froid reptilien : c'était le problème avec Lynn, elle était la seule à avoir le don de le faire sortir de ses gonds.
Il avait envie de lui demander pour qui elle se prenait, de la rabaisser, de la remettre à sa place de ventre qui n'était même pas engrossé. Mais il ne le pouvait pas et la vile créature le savait et en profitait. Alors ses yeux se plissèrent sans sourire ni sans haine, juste une savante touche d'auto-dérision.

« Je n'ai jamais su faire infuser correctement le thé. »

C'était plus fort que lui, il n'arrivait pas à la prendre au sérieux. Il usait donc d'un humour particulier pour ne pas dire clairement qu'il ne se plierait pas aux conditions d'une femme. Elle pouvait toujours les énoncer, qui sait si par inadvertance ils trouvaient un terrain d'entente. Et ce regrettable comportement ne l’empêchait pas de tendre la main pour recevoir le fameux parchemin.

Citation :

« Je n'ai jamais su faire infuser correctement le thé. »

Lynn eut un sourire amusé à la réflexion clairement misogyne de Torin et laissa échapper un petit rire cruel. Elle avait connu l'ex-mangemort plus intelligent et plus subtile. Peut-être Aïlin avait-il raison finalement. Il n'avait plus l'air si redoutable aujourd'hui. Peut-être parce qu'elle avait grandi, peut-être parce qu'elle avait tué et goûté au sang versé. Toujours était-il qu'à cet instant, elle n'avait plus peur de cet être misérable.

- Je viens te proposer une trêve et tu ne trouves rien de mieux à faire que de m'insulter ? S'amusa-t-elle en secouant la tête. J'aurais cru ton instinct de survie un peu plus développé après avoir passé ces deux dernières années à te terrer…

Il lui faisait presque pitié. Quelle décadence pour un être tel que lui. Ils étaient loin ses grands projets de gloire et de pouvoir. Revenir à Londres avait été une grossière erreur.

- Tu veux faire le malin ? Demanda-t-elle d'une voix à la fois étrangement douce et froide. Très bien. Je n'ai pas besoin de ma baguette pour brûler cette lettre. Et avec ses cendres s'envolera ton unique chance de sortie.

Joignant le geste à la parole, elle utilisa un sortilège informulé pour enflammer un coin du parchemin. Elle s'approcha un peu plus près des barreaux, et jeta un regard satisfait à Torin.

- Regarde-toi… après toutes ces années, c'est finalement moi qui ai ton destin entre mes mains. N'est-ce pas terriblement ironique ?

Elle observa la lettre se consumant lentement entre ses doigts avant de reporter son attention sur le prisonnier.

- Le temps presse. Mon accord, mes conditions. Répéta-t-elle fermement. Cela te paraît-il toujours aussi irréalisable ?

Il voulait jouer ? Alors elle allait suivre ses règles.
Si cette lettre brûlait entièrement c'en était fini de lui. Et Lynn était prête à en affronter les conséquences. Elle avait placé ses pions de telle façon qu'il ne puisse plus revenir en arrière. Elle semblait lui donner le choix, mais il n'en avait en réalité aucun si ce n'est capituler. Un juste retour des choses pour ce qu'il lui avait fait. Maintenant il allait l'écouter.

Il n'avait pas exprimé totalement le fond de sa pensée en balançant une phrase qui pourrait être aussi mal interprétée. Car voilà de Lynn en riait. Un peu d'humour pour adoucir les mœurs, disait-on. Elle ouvrait maintenant sa bouche pour dire qu'il venait de l'insulter. Les femmes ne comprenaient décidément rien à la plaisanterie, encore moins celle-ci. Elle lui parlait ensuite de son instinct de survie, aussi ridicule cela puisse-t-il paraître. C'était à son tour d'émettre un léger rire dédaigneux. Ne pas se soumettre aux caprices d'une gamine, voilà ce qu'était le véritable instinct de survie. Il en venait à se demander ce qui l'avait empêché de la tuer lorsqu'il en avait eu l'occasion. Son ambition avait eu raison de lui, il préférait l'utiliser vivante. Il en avait bien profité à l'époque, mais le retour du bâton se faisait sentir. Trop d'erreurs de jeunesse, maintenant il savait à quoi s'en tenir.
C'était un Torin beaucoup plus avisé qui revenait d'entre les morts. Si il devait faire des concession pour sa liberté, il ne devait pas pour autant se laisser humilier. D'ailleurs il la laissait poursuivre, s'amusant sans le manifester de son comportement. Il la regardait jouer les caïds de bas étage, lui dire qu'il faisait le malin, tenter de le faire chanter comme un chien devant qui on agitait un bout de lard. Elle faisait quoi, là ? Elle commençait à mettre le feu au parchemin soit-disant venu d'Aïlin ? Eh bien eh bien... Elle n'était qu'une enfant après tout, une enfant pourrie gâtée par une société où les mangemorts étaient enfermés. Elle s'épanouissant dans un monde qui lui offrait l'illusion d'être une personne à part entière.

Mais pour Torin elle n'était -et resterait- rien. Il ne pourrait jamais lui accorder la moindre crédibilité. Alors il attendait. Il laissait la flamme lécher le parchemin tandis qu'elle croyait pouvoir l'atteindre dans son honneur en lui disant qu'elle avait son destin entre les mains. Les Gryffondors avaient toujours été si risibles, elle n'échappait pas à la règle. Il était le seul maître de son destin. L'avenir était fait de ses propres décisions. S'il en avait envie, il refuserait d'abdiquer et verrait la lettre se réduire en cendres sans lever le petit doigt.
Cela l'amusait d'ailleurs beaucoup pour le moment, il voyait que Lynn regardait brûler le seul outil de chantage dont elle disposait. Et face à cette lourde absence de réponse, elle réitérait son offre. Qui était le plus affolé par la destruction du message ? Pas Torin, visiblement. Un sourire s'était installé sur son visage. Il savait qu'il avait tendance à perdre son sens de la logique face à Lynn, c'était toujours le cas. Tout comme il avait mis sa couverture de mangemort en danger par le passé lorsqu'elle était présente, il avait tendance à sacrifier sa liberté aujourd'hui juste pour lui dire « merde ». Juste pour lui faire comprendre qu'elle n'avait aucune influence sur lui, qu'elle n'en aurait jamais et qu'il valait mieux qu'elle ne soit pas obsédée à cette idée.

Seulement, quel meilleur moyen existait-il au fond pour lui faire comprendre la leçon ? Il n'y ferait rien derrière des barreaux. Aussi daigna-t-il enfin délier sa langue dans le plus olympien des calmes.

« Je voulais simplement dire que je refuserai de te servir de soubrette. Maintenant, si tu as autre chose à me proposer... »

Il désigna le parchemin d'un geste de la tête en disant ces derniers mots. Son visage se fit plus sérieux. Il ne pouvait pas passer à côté de son unique chance d'être libéré juste parce que Lynn jouait l'obstacle. Il avait la sensation qu'elle chercherait par tous les moyens à se venger autrement et c'est pour cela qu'il restait sceptique. Il ne savait pas à quoi s'attendre de sa part et si elle tentait de le forcer à se rabaisser plus bas que terre, autant trouver une autre solution derrière les barreaux.

« Je voulais simplement dire que je refuserai de te servir de soubrette. Maintenant, si tu as autre chose à me proposer... »

Lynn retint un soupir agacé. Elle avait espéré mieux. Elle aurait voulu voir le doute et la peur dans le regard d'acier de l'ex-Mangemort. Elle aurait aimé qu'il la supplie, qu'il lui laisse croire, même un instant, qu'elle avait le dessus. Mais bien sûr, elle n'obtiendrait jamais cela de Torin. Elle se contenterait donc de cette ouverture. C'était décevant, mais en même temps, Lynn avait conscience qu'il avait hésité. Pendant un instant, il avait été près à renoncer à sa liberté et à son avenir tout entier juste par orgueil, pour ne pas s'écraser face à elle. Torin avait bien plus d'expérience qu'elle dans la manipulation et la persuasion. Elle, elle était seulement en train d'apprendre. Mais il ne devait pas oublier que c'était en les observant lui, leur père et leurs frères, qu'elle savait aujourd'hui comment faire. Elle finirait un jour par les dépasser, pour un peu qu'elle se laisse tenter…

La jeune enchanteresse souffla sur le courrier et la flamme s'éteignit. Seule l'enveloppe avait brûlé car l'enchantement qu'elle y avait apposé plus tôt avait protégé son contenu. Torin ne perdrait donc aucune des précieuses pensées de leur frère.

- Si ça ne tenait qu'à moi, tu ne sortirais pas d'ici. Dit-elle d'une voix calme et sincère. Mais je n'ai pas le pouvoir de décider. Je ne doute pas une seconde qu'Aïlin arrivera à te faire libérer si tu suis ses instructions.

Elle lui montra la lettre, qu'elle ne lui remettrait que lorsqu'ils auraient trouvé un accord.
Elle ne souhaitait plus sa mort, du moins pas de sa main. Si cela devait arriver, elle n'en serait pas chagrinée pour autant, mais elle aurait retiré bien plus de satisfaction à le savoir pourrir en prison. Elle n'aurait pas ce plaisir néanmoins, alors il lui fallait trouver un autre moyen de se protéger.

- Tout ce que je veux, c'est la paix, Torin. Je veux seulement la garantie que tu ne nous ne nuiras plus jamais à Aïlin et à moi.

Elle avait compris que c'était la seule chose qu'elle pouvait réellement exiger de lui. Elle ne voulait pas se battre contre lui, elle ne voulait pas avoir à redouter ce qu'il pourrait bien lui faire pour se venger. Aucun d'eux n'obtiendrait vraiment ce qu'il voulait, c'était la seule solution.

- Je n'aurai pas ma vengeance, alors tu n'auras pas la tienne. Je veux que nous trouvions un moyen de cohabiter sans que cela ne finisse en bain de sang.

C'était donc un arrangement réciproque qu'elle lui proposait. Une offre bien généreuse quand on considérait toutes les horreurs qu'il lui avait fait. Lynn se sentait misérable et égoïste de sacrifier la sécurité d'autres personnes pour assurer la sienne, mais elle n'avait pas le choix. Quelles que soient ses véritables motivations, Aïlin était décidé à réhabiliter Torin. Il fallait donc qu'elle protège ses arrières et qu'elle veille à ce qu'il ne regrette pas trop vite sa décision.

- Si tu peux m'assurer que plus jamais tu ne nous feras de mal, alors je ne me mettrai pas en travers de ton chemin.

Cela voulait dire fermer les yeux sur ses activités, quelles qu'elles soient. Et si cette idée la répugnait au plus haut point, elle savait pourtant qu'il n'y avait pas d'autres moyens.

Enfin, Lynn revenait à la raison et éteignait la flamme. Torin se dit que si ça avait été lui, il aurait pincé et non pas soufflé, il ne savait pas pourquoi cette pensée idiote lui traversait la tête. Il semblait satisfait quoi qu'il arrive, si sa sœur lui avait vraiment voulu la guerre, elle n'aurait pas eu pitié. Alors peut-être pouvait-il s'attendre à une proposition aussi clémente que le geste. Il s’apprêtait d'ailleurs à venir enfin récupérer le message qui lui était destiné mais il fut interrompu. La demoiselle lui disait ce qu'il n'avait pas besoin d'entendre, il semblait logique qu'elle ne veuille pas le voir libre après tout ce qu'il lui avait fait.
Elle disait ensuite ne pas avoir le pouvoir de décider... Intéressant. Nul doute que Aïlin tirait les ficelles dans cette affaire, mais de là à ce qu'elle s'avoue impuissante... Le cadet avait-il réussi là où les autres avaient échoué ? Lynn se soumettait-elle à sa volonté aussi facilement ? Il se souvint lorsque les deux étaient derrière les barreaux quelques heures plus tôt, le « lord » lui avait dit qu'il faudrait convaincre la demoiselle. Et la moitié du travail était déjà fait, la seconde partie ne consisterait qu'à accepter un deal si celui-ci n'était pas outrageux.

Lynn enchaîna, lui révélant le prix auquel elle tolérerait sa liberté. Elle voulait la paix et, accessoirement, un pacte de non-agression. C'était donc si peu ? Elle ne désirait pas le garder en salle de torture une fois par semaine ? Eh bien, si la liberté était si peu chère il n'y voyait pas d'objection. Voldemort n'était plus, il n'avait donc plus besoin de pion, et la carrière de Torin s'était aussi éteinte avec la chute du régime. Il n'avait plus personne à soudoyer, pas de plans macabres où il devrait se servir d'un membre de la fratrie (pas un vivant tout du moins). Il avait été déchu de son trône imaginaire et ne voyait plus que par la nécromancie pour se reconstruire.
Alors non, il n'avait pour le moment plus aucune raison de les blesser, mis à part la vengeance comme Lynn le disait si bien. Mais s'il avait aspiré à se venger, ce n'est certainement pas vers eux qu'il se serait tourné en premier. S'il s'était rabaissé à un tel désir, c'est vers Potter que sa baguette se serait pointée. Pour le moment, il n'avait pas la force ni la conviction que la vengeance lui apporterai quoi que ce soit de bon. Peut-être dans quelques années, s'il se reconstruisait suffisamment pour éprouver la même fougue qu'à ses 20 ans.

Torin se leva lentement en soutenant son abdomen. Il s'avança vers Lynn, redressé comme il le pouvait. Puis sa main s'approcha des barreau. Elle cessa de bouger pour s'ouvrir et attendre de recueillir le fameux parchemin, tandis que son autre main s'appuyait sur un barreau. Il fixa la jeune femme un moment, jetant parfois des coups d’œil à la lettre. Alors qu'elle finissait de parler, il réfléchissait. Elle ne se mettrai pas en travers de son chemin tant qu'aucun mal ne lui était fait. Tout cela semblait si simple...

« Cela me semble honnête, pourquoi pas un pacte de non-agression... Mais avant Lynn, laisse moi juste une dernière fois vérifier la valeur de tes mots. J'accepterai le marché si tu n'as pas une mauvaise idée derrière la tête. »

La légilimencie était un art illégal car elle était presque toujours utilisée pour violer l'esprit qui en était victime. Mais cette pratique pouvait être utilisée dans un but sincère et bien fondé. Il espérait que Lynn n'y verrait pas offense puisqu'il lui avait expliqué pourquoi il faisait cela. Juste un petit passage dans sa tête et tout serait fini. Ils n'auraient même pas à se revoir si cela l'arrangeait. Alors une dernière fois, il plongea ses yeux de mithril dans ceux de sa sœur. Sa main s'agrippa plus fort au barreau alors qu'il tentait d'entrer dans la tête de la jeune brune. Quelque chose n'allait pas. Il sentait une force le repousser, comme une porte verrouillée qui refusait de céder. Alors il força davantage, la concentration faisant ressortir les traits de son visage. Ses joues devenaient rouges. Éventré, il n'avait eu aucun mal à entrer dans la tête de Aïlin, sa légilimencie était au mieux malgré le manque de pratique, le problème ne venait pas de là.

Alors il poussa de tout son esprit, en oubliant totalement de réfléchir tant la concentration était intense. Il se heurtait inexorablement à un mur qu'il ne se serait jamais imaginé rencontrer. Et il continuait, désarmé de cette conscience aiguisée qui aurait pu lui dire de cesser, qui aurait pu lui faire comprendre qu'il tentait de tenir tête à une occlumens, quand tout à coup...

​Lynn avait honte de proposer un tel accord mais elle était lasse de se battre. Contre deux maux il fallait choisir le moindre, et un Torin "inoffensif" en liberté était finalement moins dangereux pour Aïlin et elle qu'un Torin captif n'ayant plus rien à perdre. Du moins, essayai-t-elle de s'en convaincre.​
​Elle se sentait sale, indigne et misérable et pourtant, elle voulait continuer à faire confiance à Aïlin. Elle voulait lui laisser le bénéfice du doute comme elle l'avait toujours fait, elle voulait le croire quand il prétendait que c'était la seule chose à faire. Pourtant, pour la première fois de sa vie, elle avait l'impression que cette confiance n'était pas justifiée, elle avait conscience que suivre aveuglement les directives de son frère n'était pas raisonnable. Mais elle ne pouvait pas risquer de le voir se braquer contre elle. Il fallait qu'elle reste auprès de lui pour pouvoir l'aider et le sauver de lui-même s'il se perdait encore en chemin et la jeune enchanteresse sentait que le retour de Torin serait un nouveau tournant déterminant dans la vie de l'alchimiste. Il fallait qu'elle soit à ses côtés pour le préserver, pour l'empêcher de replonger dans ses vieux démons comme elle lui avait promis. Ils devaient être forts, ils devaient être unis. Même si elle avait l'impression que c'était toujours à ses dépens...
Torin se leva avec difficulté et s'avança vers Lynn. Elle constata avec une pointe de satisfaction qu'on ne lui avait pas mentit quant à la violence de l'affrontement de deux frères. Aïlin s'en était mieux tiré que l'ex-Mangemort, c'était indéniable. Voilà sûrement pourquoi le Lord était si confiant. Pourtant elle était bien placée pour savoir qu'il était toujours risqué de sous-estimer un Bower. Elle-même avait déjà réussi à berner Torin en enlevant Léan puis en se cachant suffisamment efficacement pour qu'elle puisse témoigner contre lui. Elle avait été bien entourée, elle avait eu de la chance.
Lynn s'était rapprochée des barreaux elle aussi. Il y avait une certaine fascination morbide à regarder évoluer Torin ainsi diminué. Pourtant, tel un animal blessé, elle le savait encore plus dangereux. S'il se montrait docile c'était pour mieux attaquer dès qu'il en aurait l'opportunité. Il disait que le marché lui semblait honnête et Lynn retint un rictus désabusé. Honnête... il n'y avait rien d'honnête à libérer un meurtrier, un ex-mangemort psychopathe aux idées extrêmes qui avait haït et détruit chaque personne évoluant autour de lui.
​
Mais avant Lynn, laisse moi juste une dernière fois vérifier la valeur de tes mots. J'accepterai le marché si tu n'as pas une mauvaise idée derrière la tête.

Lynn sut ce qu'il allait faire avant même qu'il n'ai fini sa phrase. Elle ne cilla pas et n'eut pas le moindre mouvement de recul lorsqu'elle sentit l'esprit de son frère tenter de pénétrer le sien. Car la jeune femme n'était plus une débutante. Si son occlumencie lui avait posé des problèmes quelques mois auparavant, son entraînement avait été bénéfique et son bouclier était plus solide que jamais. Plus personne ne violerait ses secrets. Ses souvenirs et ses pensées lui appartenaient et même si elle l'avait voulu, elle n'était pas certaine qu'elle aurait pu lui laisser voir quoi que ce soit. Protéger son esprit en permanence était devenu automatique et elle se souvenait trop à quel point il était douloureux se voir ses défenses s'effondrer.
Elle avait oublié, en revanche, la sensation dérangeante d'un esprit noir glissant tel un serpent visqueux autour de ses pensées. Lynn vit le visage de Torin souffrir de l'effort qu'il faisait pour voir en elle:

- Tu ne devrais pas faire ça... murmura-t-elle.

La pression se fit plus forte dans sa tête et Lynn dû se tenir à l'un des barreaux sous la violence de l'assaut.

- Arrête... gronda-t-elle.

Elle n'avait pas peur non, mais à mesure qu'il s'obstinait et s'acharnait contre son esprit, elle sentait la colère, froide et insidieuse, naître et s'épanouir à une vitesse fulgurante dans son cœur. Et alors que jusque là, elle n'avait fait que subir et encaisser, elle tenta de toutes ses forces de repousser l'esprit du Manegmort loin du sien.

- J'ai dit, Arrête ça !

Avec une violence inouïe, elle l'expulsa de sa tête et sans qu'elle comprenne immédiatement ce qui lui arrivait, une série d'images se mit à défiler sous ses yeux.
Des fragments de mémoire de son frère se bousculèrent de façon chaotique dans son esprit et elle ne put en comprendre que quelques brides. Elle vit avec horreur l'ex-Mangemort profaner la tombe de Devin; elle le vit tuer une licorne pour en faire boire le sang à un lapin mort et le regarder reprendre vie pour quelques instants avant de s'écrouler; elle vit le pauvre Kael se tordre de douleur dans une ruelle de pré-au-lard; elle se vit elle, lui tenant tête sur le chemin de traverse, puis au manoir alors qu'elle n'était qu'un fantôme dont il ne se préoccupait pas; elle vit Aîlin et la façon dont Torin l'avait manipulé, façonné; elle le revit tuant leur père au nom d'une vengeance qui n'avait pas lieu d'être; elle vit de nombreux éclairs verts sans qu'elle ne puisse reconnaître les visages de ceux qui périssaient ; elle vit un Torin enfant s'accrochant à sa mère en pleurant; elle sentit sa haine, sa colère, son dégoût et aperçue à travers ce flou les rouages de ce cerveau malade.
Il lui fallu toute sa volonté pour réussir à s'extraire des souvenirs du détenu.
Haletante, tremblante et déstabilisée, elle s'agrippa aux barreaux pour ne pas défaillir.
Elle voulu lui demander ce qu'il lui avait fait, mais elle savait qu'il n'y était pour rien. Elle savait parfaitement ce qu'il venait de se passer... en voulant le repousser, c'était elle qui s'était introduit dans sa tête... elle avait utilisé la légilimencie sur Torin.

Lynn se sentit nauséeuse. Elle était écœurée par ce qu'elle avait vu, sentit et deviné dans l'esprit perverti de son aîné. Mais qu'avait-elle vu exactement ? Torin essayait-il vraiment de relever les morts comme il lui semblait l'avoir compris ? Cette pensée était trop affreuse pour qu'elle s'y arrête pour l'instant. Il faudrait qu'elle en parle à Aïlin... à moins qu'il ne soit déjà au courant. Et cette pensée la fit frémir. Elle secoua légèrement la tête et se redressa, fixant le responsable de ses malheurs dans les yeux:

- Ton art n'est plus utilisable contre moi. Il va falloir apprendre à me faire confiance.

​Si ​tant est qu'il soit capable de confiance. Elle même n'en aurait pas envers lui. Mais il allait sortir d'ici avec ou sans son aide. Autant qu'elle en tire un quelconque bénéfice.

- Je n'ai rien à gagner à te doubler. Ça ne nous serait bénéfique ni à l'un ni à l'autre. A défaut d'être une alliée, je peux éviter de devenir une menace. Ma sécurité contre ta liberté, ce n'est pas si cher payé. Un accord me semble donc tout ce qu'il y a de plus raisonnable.

Raisonnable n'était pas le mot. Au contraire, elle avait toujours cette affreuse conviction qu'elle était en train de faire une regrettable erreur en donnant son accord tacite à sa libération.

- Bien évidemment, ta parole ne me convaincra pas. Je ne crois pas en l'honneur des Mangemorts. Et j'imagine que j'ai trop de raisons de vouloir ta mort pour que ma promesse te suffise. Je propose que l'on scelle ce marché au manoir, le jour de ta libération. Toi, Aïlin et moi.

Et pour lui montrer que malgré tout, et surtout malgré elle, elle était de bonne volonté, elle glissa finalement l'enveloppe entre les barreaux de la prison.

- Je m'en débarrasserai quand tu l'auras lue. Fais-vite, je doute que le gardien attende encore longtemps mon retour.

Elle se recula légèrement une fois qu'il eu récupéré la missive et elle le regarda déchiffrer les mots de leur frère. Elle attendit patiemment qu'il ai terminé et lorsqu'il releva les yeux vers elle, elle proposa:

- Si tu as un message à faire passer à Aïlin, c'est le moment.

Torin n'entendait plus, trop concentré. Malgré les alertes Lynn il s'obstinait. Il n'avait jamais rencontré de difficultés à utiliser la légilimencie. Toutes ses victimes s'étaient laissé faire aussi simplement que l'on se saisit d'un chaton par la peau du cou. Il n'avait jusqu'à présent jamais pris conscience des limites de cette arme qui lui avait toujours offert l'océan des mémoires du vivant... Les mémoires du vivant, c'était bien la détention de ce pouvoir qui l'avait poussé à vouloir aller plus loin : tout cela semblait si facile, alors qu'aller chercher celles des morts tenait du défi. Il s'était d'ailleurs longtemps demandé quelle était la chose la plus puissante : l'omnipotence ou l'omniscience ? La deuxième n'offrait-elle pas la première en quelque sorte ? L'inverse était-il possible ? Torin avait toujours davantage tenu du savant que du guerrier, même s'il avait mené des combats et y avait toujours survécu. Le doute s'était d'ailleurs installé en lui suite à sa défaite contre Aïlin : faisait-il bonne route ? Devait-il davantage se concentrer sur ses aptitudes au duel plus qu'à l'exploration de la nécromancie ? Non. S'il avait été vaincu par son cadet, il ne le devait qu'à sa fatigue et ses erreurs, comme ce spectacle futile d'oiseaux se relevant de la mort. Il apprenait encore de ses leçons, si il s'était senti à 20 ans comme un être tout-puissant, c'est 5 années plus tard qu'il réalisait que seule l'humilité pouvait élever un homme parmi les plus hautes sphères. La remise en question était la clef de l’énigme qui le grandirait un jour jusqu'à son apogée, jour où ses actes lui prouveraient qu'il n'aurait plus besoin d'éprouver quoi que ce soit pour que les autres lui reconnaissent un talent bien supérieur au leur.

Cette remise en question il allait de nouveau la subir en découvrant les faiblesses de ce pouvoir qu'il croyait être une force. Son jeune âge le poussait à aller jusqu'au bout de lui même sans savoir où cela le mènerait. Il souhaitait tout ignorer de l'occlumencie de sa sœur et, en poussant si fort contre une barrière infranchissable, il avait déclenché un rapport de cause à effet. Lancez fort une pierre contre une paroi en carton, elle l'arrachera pour la franchir... En revanche, lancez cette même pierre sur une paroi aussi solide que souple, elle pourrait bien rebondir jusqu'à vous si votre lancer est trop puissant. Et cette pierre -son propre esprit- qu'il avait lancé dans la tête de Lynn avait fini d'un excès de force par ricocher, laissant une paroi de carton se déchirer dans son sillage, paroi d'une âme qui n'était pas protégée par l'occlumencie : celle de Torin. Lynn l'avait repoussé si fort qu'elle avait été entraînée par le mouvement, introduite malgré elle dans la tête de l'ex mangemort. Il avait émis sans s'en rendre compte une sorte de grognement indescriptible. Il revoyait ce qu'elle voyait, mais en tant que témoin impuissant de cette intrusion. Il avait mis tant de cœur à l'ouvrage précédent qu'il n'avait pas la force de refermer instantanément la brèche de son esprit. Elle allait découvrir des choses qu'elle n'aurait jamais du voir, des choses qui pourraient peut-être la pousser à rétracter son consentement à le voir libre.

Lorsque le calvaire s'acheva, le corps de Torin s'arracha à sa position d'un mouvement brusque, comme si une rupture physique chasserait ce qui s'était passé. Son dos s'était tourné puis machinalement plaqué sur les barreaux, une main toujours agrippée à ces derniers, l'autre fixée sur son abdomen qui avait souffert de la vivacité du mouvement. Il reprenait son souffle en même temps que ses esprits, laissait pâlir les couleurs vives qu'avait pris son visage. Il n'était pas capable de décrire ce qu'il venait de vivre. Il l'avait déjà vécu, mais par lui-même, pour développer sa légilimencie.
Ses yeux, qui s'étaient fermés lors de la rupture du contact, se rouvrirent avec une mine bien sombre. Il revoyait les flash verts, il l'aurait tué elle aussi sur le coup. Cet affront était impardonnable, tout comme les sorts qu'il avait envie de jeter sur elle.

Il lui tourna le dos un long moment, ampli d'une haine profonde. Il ne savait pas de quoi il était capable s'il se retournait, elle était assez proche des barreaux, il pouvait si facilement lui arracher les yeux avant qu'elle n'ait le temps de réagir, cela aurait été si simple de céder à la tentation, laisser libre cours à son expression comme il l'avait longtemps fait. Le plaisir de voir souffrir, de torturer, de défigurer, de détruire un morceau de personnalité. Il en avait si soif, cela faisait trop longtemps, comment faisait-il pour se contenir ainsi ? Il aurait été si simple de se délecter de ce plaisir futile en cet instant, le prix de la liberté seule n'égalant par la jouissance d'une seconde de destruction. Mais une image qu'il était maintenant seul à voir lui apparut. Celle du Seigneur des Ténèbres le regardant de haut, ses yeux reptiliens en disaient tant, ils lisaient la jeunesse et l'impatience, la haine et le désir de destruction, cet amour pour le chaos. Puis après lecture, ils répondaient, reflétant la sombre sagesse d'un grand mage, l'ambition qui avait si longtemps sommeillé, l'apogée fruit d'une longue patience, la défaite et l'errance larvaire, l'humiliation la plus folle, les échecs et la résurrection.
Torin réalisait à quel point la grandeur de Voldemort le surpassait. S'il était un modèle presque parfait, la route du nécromancien pour l'égaler était infiniment longue et ne faisait que commencer. L'humilité et la retenue semblaient être le départ le plus envisageable. Elles feraient la différence entre la bête sauvage qu'était le sbire et l'être réfléchi qu'était l'aspirant.

Les paroles de Lynn le tirèrent de sa réflexion. Il lui tournait toujours le dos, comme une bête en cage que l'on venait de malmener. Il avaient encore besoin de digérer ce qui s'était passé si il ne voulait pas s'abaisser à ses instincts les plus primitifs. Maintenant il le savait, elle était occlumens, mais la confiance dont elle parlait, il ne le pouvait pas. Encore moins après cette révélation. Alors il l'écouta simplement lui dire ce qu'elle attendait de lui sans montrer son visage ou émettre le moindre son. Il devrait prendre la peine d'y réfléchir : la proposition était équitable, un pacte de sang pourrait faire l'affaire et il y trouvait même son compte plus que prévu. S'il devait apprendre à mieux se contrôler pour ne pas l'agresser à chaque fois qu'elle dépasserait les limites, quoi de mieux qu'un enchantement qui l'y forcerait ? Ainsi, il réaliserait un travail sur lui-même, il apprendrait à se contenir et à emmagasiner dans chaque situation, à se forger une carapace d'acier ainsi qu'une réserve de haine suffisamment puissante pour exploser lorsque son heure serait venue. Il serait bien plus apte à se remettre en question avant d'agir, il gagnerait davantage en sagesse et en maturité s'il ne laissait pas libre expression à ses désirs. Alors il fit savoir qu'il coopérait, d'un ton froid et sec.

« Soit. »

Pas besoin d'en dire plus, ils discuteraient plus longuement du procédé lorsque sa liberté se verrait confirmée. Car malgré les bonnes intentions, son avenir était toujours incertain. Et c'est à ce moment de doute qu'il aperçu le parchemin se glisser entre les barreaux du coin de l’œil. La main qui tenait un barreau vint s'en emparer, puis il le déroula pour commencer sa lecture.

Ses sourcils se froncèrent au fur et à mesure de la lecture tandis que sa bouche s'ouvrait pour murmurer de manière inaudible ce qui était écrit. Sceptique, il repris la lecture une seconde fois pour tenter d'estimer les chances de réussite d'une telle supercherie. C'était astucieux, mais nombre de sorciers avaient invoqué la contrainte ou l'imperium lors de leur procès. Certains avaient été acquittés, une minorité. Torin imaginait que ce n'était que le début du plan et que l'avocat lui en dirait plus. Devait-il laisser ses chances de liberté entre les mains de son cadet alors que c'était lui le spécialiste en matière de procès et de justice ? Il n'avait pas d'autre choix car même si ce message était hypocrite pour ne pas éveiller la suspicion des aurors, l'ex mangemort sentait à travers les mots une honnête volonté de le libérer... A la gloire de la famille ? Ou au désir d'exploiter de macabres recherches pour son propre intérêt ? Impossible de savoir quelles étaient les véritables motivations de celui qui avait tenté de le tuer quelques jours plus tôt. Il avait l'air de tenir à son image, il ne le lâcherait pas comme ces faisans qu'on élevait dans le but de le abattre une fois libres, car il serait aussitôt soupçonné. Le danger viendrait plutôt de l'extérieur, il devra se protéger, car il sentait que les barreaux ne seraient bientôt plus qu'un souvenir menaçant.

L'air satisfait, il enroula le parchemin et le laissa glisser entre les barreaux, sans pour autant se retourner vers Lynn qui lui demandait s'il voulait transmettre un message à Aïlin. Que pouvait-il bien vouloir lui dire, merci ? Non, certainement pas, ce n'était que juste compensation pour avoir tenté de l'assassiner. Et il n'avait aucun moyen de connaître le prix réel de sa libération. L'avenir restait si flou, mêlé de clair et d'obscur. Il ne pouvait pas se permettre la folie de regretter, même si son destin n'était pas scellé. Il avait entendu les aurors, un anonyme avait fait justice à sa manière, des individus soupçonnés d'être mangemort par les autorité avaient été abattus sans sommation. Les noms qu'il avait lu dans la Gazette à Ste Mangouste, il aurait pu les confirmer même si certains n'étaient pas officiellement reconnus coupables. Ce n'était pas l’œuvre d'un auror. Restait à savoir pourquoi un anonyme s'en prenaient ainsi aux anciens collègues de Torin. Restait à attendre de se voir acquitté par le Magenmagot. Restait à survivre s'il était libéré. Il n'avait pas que des amis. Il n'avait plus d'amis. Et personne ne le protégerait si la mort venait frapper à sa porte : il ne serait plus la proie des aurors, mais quelque chose lui disaient que d'autres prédateurs guetteraient sa sortie. A commencer par les familles de ses victimes qui ne seraient pas forcément convaincues par le jugement, puis pourquoi pas par ceux qui voulaient simplement abattre les mangemorts.

Mais il n'en était pas là, la liberté était une opportunité, non pas un cadeau. Il ne pouvait donc pas remercier Aïlin, mais au moins lui témoigner de la reconnaissance à sa manière.

« Il ne me déçoit pas. »

Lynn récupéra la lettre et annula l'enchantement avant de faire disparaître définitivement le parchemin et son contenu. Torin lui tournait le dos depuis qu'elle avait rompu le contact avec son esprit et même si le fait qu'il lui tourne le dos l'angoissait, elle préférait cela à devoir affronter son regard de haine. Elle lui demanda s'il avait un message pour Aïlin et sa réponse la fit frémir:
« Il ne me déçoit pas. »
Lynn ne pouvait pas en dire autant. Elle savait qu'elle ne sortirait pas indemne de cette histoire, qu'encore une fois elle aurait toutes les difficultés du monde à vivre avec ça sur la conscience. L'avenir lui paraissait à nouveau sombre. Tous les espoirs qu'elle avait eues quelques semaines auparavant s'étaient envolés avec la tentative de suicide d'Aïlin. Depuis, les choses allaient de mal en pis.
Elle n'était pas encore tout à fait remise de sa petite visite dans l'esprit de l'ex-mangemort. Elle faillit s'excuser de cette intrusion involontaire mais se retint. Lui ignorait tout du remord et de la culpabilité. Elle n'allait pas lui faire le plaisir de s'abaisser encore devant lui. Elle ne se montrerait plus jamais faible devant lui.
La jeune femme entendit la porte s'ouvrir derrière elle et tourna les yeux vers le gardien qui lui faisait signe qu'il était temps de s'en aller. Elle acquiesça rapidement et se tourna une dernière fois vers Torin qui refusait toujours de la regarder. Elle sentit qu'il fallait qu'elle dise quelque chose et grimaça intérieurement.
- Nous allons te sortir de là, frère. A bientôt. Déclara-t-elle, reprenant les mots qu'il avait utilisés quelques temps plus tôt.
Elle quitta finalement les lieux avec soulagement même si elle resta impassible et silencieuse. Elle se sentait mal mais elle n'avait pas imaginé que cela puisse se voir sur son visage.
- Vous vous sentez bien, Miss Bower ? Demanda Lowsley quand il la vit réapparaitre.
Surprise, elle acquiesça et se força à sourire :
- Oui, je vais bien, merci, Maître. Quelle est la suite du programme ?
- Vous pouvez rentrer chez vous, je dois rester ici régler encore quelques affaires et trouver un confrère pour défendre votre frère.
Elle acquiesça et lui serra la main, reconnaissante que ce soit cet homme de sang froid qui ait été à ses côtés pendant les derniers jours.
On lui rendit sa baguette et elle s'apprêtait à quitter les lieux quand elle entendit quelqu'un l'appeler. Elle se retourna pour voir Matthew la rejoindre:
- Qu'est-ce que tu fais encore là, tout va bien ? Je croyais qu'Aïlin était sortit tout à l'heure.
- Je.. oui, il l'est… j'étais juste…
Lynn jeta un coup d'œil à l'avocat avant de reporter son attention sur l'Auror. Elle ne pouvait pas lui dire qu'elle était venue pour apporter à Torin la nouvelle de sa libération prochaine. Comment lui annoncer tout ça ? Cela lui semblait au-dessus de ses forces. Elle allait le perdre, elle en était persuadée. Elle chercha ses mots, incertaine, mais il fut plus rapide.
- Ne te donne pas la peine de me répondre si c'est pour me mentir.
Il fit mine de partir mais Lynn le rattrapa par le bras.
- Matthew…
Il la regarda l'air perdu, la colère et l'incompréhension se battant dans ses yeux et elle se sentit au bord des larmes.
- Je suis désolée…
Hésitant, il attendit qu'elle continue mais devant son silence, il secoua la tête.
- Moi aussi. Répliqua-t-il, amer en se défaisant de sa poigne et en reprenant la direction de son bureau.
- Non, Matt, attends !
Il se retourna et plongea son regard dans celui de l'enchanteresse:
- Appelle-moi quand tu décideras si oui non notre histoire vaut la peine que tu te battes pour elle.
Et il la planta là.
Lynn serra les poings et se concentra sur son bouclier d'occlumens pour ne pas se laisser envahir par la tristesse, la peur et la colère. Et pourtant, par Merlin, comme elle avait envie de pleurer et de hurler. Elle était tellement en colère…. En colère contre Aïlin pour la mettre dans une telle situation, en colère contre Torin pour ne pas pourrir six pieds sous terre comme il l'aurait du, en colère contre Matthew de lui montrer un visage d'elle qu'elle haïssait.
Elle était triste et sentait affreusement coupable de le blesser ainsi, de le repousser alors qu'il ne cherchait qu'à l'aider. Et elle avait peur… car elle se sentait sur le point de perdre tout ce à quoi elle tenait. Mais rien de tout ça ne devait transparaître pour l'instant. D'un pas digne, elle quitta les lieux et revint au manoir. Elle rejoignit Aïlin qui n'avait pas quitté son bureau et lui jeta un regard impénétrable.
- Tu ne le déçois pas. Ce sont ses mots en retour de ta lettre. ...Moi, en revanche, c'est une autre histoire.
Puis elle se détourna et rejoignit sa chambre. Elle se trouvait injuste, mais c'était pourtant la vérité. Elle ne pouvait s'empêcher à cet instant précis de lui en vouloir pour ce qu'il lui faisait.
Une fois la porte fermée derrière elle, elle s'assit sur son lit et se prit la tête entre les mains. L'égoïsme d'Aïlin, auquel elle avait toujours trouvé mille excuses, était en train de la pousser à bout. Elle ne savait pas combien de temps elle pourrait encore supporter cette situation. Elle allait le perdre… il allait mal tourner et elle ne pourrait rien faire pour l'en empêcher… mais que pouvait-elle faire ? Lui devait-elle encore quoi que ce soit pour subir tout ça sans rien dire ? Non, ce n'était pas la bonne question. Elle savait pertinemment qu'elle ne le faisait pas par devoir mais par amour… et si elle perdait cet amour-là, il ne resterait définitivement plus rien de bon en elle. Il fallait qu'elle s'accroche. Elle irait parler avec Matthew. Elle ne pouvait pas le perdre lui aussi sans rien faire. Il méritait tellement mieux que ce qu'elle lui faisait subir et malgré cela, elle ne pouvait se résoudre à le laisser partir. Leur histoire méritait qu'on lui laisse une chance. Elle ne pouvait pas laisser Torin tout gâcher et tout détruire dans sa vie une nouvelle fois.
Il ne tenait qu'à elle de ne pas perdre espoir et de continuer à se battre. Mais combien de temps y arriverait-elle encore… ?

Frère... Lynn l'avait appelé frère. Comme ce mot sonnait étrangement dans la bouche de la demoiselle. Torin s'abstint de répondre, il n'avait rien à lui dire de plus et souhaitait désormais se reposer. Il tourna simplement la tête vers cette sœur qui s'éloignait puis quittait le couloir de détention.
De nouveau seul, il se décolla des barreaux pour lentement retourner sur sa banquette. Vu le peu de confort de l'installation, il ne pourrait que difficilement s'allonger puis se relever avec sa blessure. Il se rassit donc comme il l'était avant l'arrivée de Lynn, adossé au mur. Lentement il déboutonna la chemise de détenu qui lui avait été généreusement prêtée, puis il écarta le tissus pour venir glisser sa main sur le bandage qui recouvrait son abdomen. Il se saisit de l’extrémité pour le dérouler délicatement et observer ce qu'il restait des dommages occasionnés par Aïlin. Une peau naissante et rosée, fragile, recouvrait son ventre parsemé de reliefs et de craquelures. La chair n'était plus à vif grâce aux bons soins des médicomages, mais il avait eu pour ordre de conserver le bandage afin de maintenir la peau et les organes stables. Il fit lentement descendre son index entre ses côtes pour parcourir plus bas la zone dévastée et constater le progrès de la cicatrisation. C'est seulement lorsqu'il eut passé l'axe de ses hanches, son doigt toujours sur la verticale centrale de son corps, qu'il constata une absence macabre. Sa main palpa délicatement son abdomen pour sentir les traces laissées par l’éclat du maléfice. Il avait perdu quelque chose. Si de nouveaux traits disgracieux s'étaient formés, le plus ancien de tous avait été éradiqué, remplacé par une couture parfaite et sans relief. L'homme venait de perdre le seul lien qui pouvait encore, en quelques sortes, l'unir à sa mère. Il n'avait plus de nombril. La sensation au toucher était très étrange, à l'image d'une douleur fantôme, il sentait le creux sensible dans son esprit, mais pas contre ses doigts.

Perturbé par cette découverte, il referma délicatement le bandage sur son abdomen meurtri puis boutonna sa chemise. Et, alors qu'il finissait de se rhabiller, un nouveau son retentit dans le couloir. Quelqu'un venait, encore...

« L'inspecteur est arrivé. C'est l'heure de l'interrogatoire. »

Torin ferma le dernier bouton de son col avant de lentement se lever pour suivre l'auror sans un mot. Il repensa à la lettre de Aïlin. Il avait mémorisé ce qu'il avait le droit de dire en attendant son avocat. S'il ne restait pas muet, il serait mieux vu. Alors il leur raconterai le strict minimum avant de réclamer la présence de son avocat...

[HJ : oui c'est petit, mais c'est une clôture ]