La porte du Chaudron Baveur s'ouvrit sur un homme en habit noir, de deuil. Il portait une rose mal en point à la boutonnière, et lui-même avait l'air d'avoir passé un mauvais moment. Du moins, c'est ce que sa tenue laissait croire. Son visage, encadré de cheveux mi-longs et en broussaille, était presque illuminé par un grand sourire. Déterminé, il marcha droit sur le comptoir et tapa dessus du plat de la main. Peut-être un peu trop fort, puisque les quelques clients qui ne l'avaient pas vu rentrer tournèrent la tête. Le tenancier s'approcha, mais avant qu'il n'ait pu dire quoi que ce soit, Teobald demanda, d'une voix forte :

"Ah, Tom ! Ce cher Tommy ! File-moi donc une bouteille de Pur-Feu."

Tom ouvrit la bouche, puis la referma. Le prof de Potions à l'UMA le fixa, d'un regard perçant, sans cligner des yeux. Le barman hésita encore un peu, puis finit par parler :

- Une bouteille ? Vraiment une bout...

"Oui, une bouteille ! Bingo ! Par les chaussettes de Merlin, toi, t'es fort, mon gars ! Allez, file-moi une bouteille, j'ai dit."

Pivotant, Teobald s'accouda au comptoir. Les gens qui le regardaient, ou la plupart, reprirent prestement leurs conversations, l'air de rien. Il se mit à les regarder à son tour, comme pour les défier de reporter leur attention sur lui. Qui aurait pu croire que cet homme là enseignait à l'Université ? Mais il avait une excellente raison, du moins selon son propre point de vue, de se comporter comme ça. Il entendit le bruit caractéristique d'un cul de bouteille heurtant du bois, et attrapa le récipient sans même y jeter un oeil. Avec les dents, il arracha le bouchon, et puis il leva le whisky, pour un toast.

"Messieurs, dames, gloire à la grande famille des Britannia, et à son patriarche, Henry, qui vient de rejoindre la terre, dans un trou plus grand que vous ne pouvez l'imaginer !"

Et hop, il se but une grande rasade, le tiers de la bouteille d'un seul coup. Ah, qu'est-ce que ça faisait du bien ! Les effets de l'alcool mettraient un peu de temps à arriver, mais Teo avait tout son temps. Samedi soir, il pourrait passer tout son dimanche à décuver. Pendant un instant, il s'imagina sa mère le découvrant ivre mort, et cette pensée le fit éclater de rire. D'un pas pour le moment assuré, il rejoignit une table libre, sur laquelle il posa la bouteille, puis ses pieds, chaussés de santiags, après s'être affalé sur une chaise branlante.

Après quelques secondes, il tomba la veste. Dessous, il portait une chemise blanche chiffonnée, et de grandes auréoles ornaient ses aisselles. Une autre poignée de secondes après, il tira une cigarette de sa poche, et l'alluma d'un coup de baguette magique. Au passage, il fit tomber cette dernière, derrière lui. Sans quitter sa chaise, il se balança vers l'arrière, sur deux pieds, utilisant les siens pour garder l'équilibre. C'est ce moment que choisit le whisky pour lui asséner ses premiers coups. L'héritier des Britannia s'affala avec son siège. Une sorte de réflexe de survie le fit se redresser immédiatement. Il lissa un peu sa chemise et fit signe que tout allait bien.

"Pas de souci. Cool. Circulez, y a rien, rien à voir du tout."

Ramassant sans risque sa baguette, il reprit sa place et saisit la bouteille, pour en ingurgiter un nouveau tiers. Et ce n'est qu'après l'avoir reposée qu'il constata que la clope dans sa bouche... était cassée. Il loucha dessus, fronça les sourcils, et pointa sa baguette dessus. Pour tenter une première, et donc, sans savoir si l'expérience allait fonctionner.

"Reparo." marmonna-t-il.

Et, à sa surprise, la cigarette retrouva son état premier. Mais au passage, elle s'éteignit.

"Oh ben, tiens, c'est bon à savoir, ce truc."

Après l'avoir rallumée, il se mit à fixer le plafond, qui parfois disparaissait presque derrière la fumée qu'il crachait.

Après quelques secondes à fixer le plafond, Teo constata avec étonnement que les poutres apparente étaient devenues assez flou. Et quelque part, son acuité visuelle n'était pas si réduite que ça, puisque ce constat se fit à travers la fumée. L'alcool devait être en train d'hésiter sur le moment et l'intensité de son prochain coup. Et alcool qui hésite, euh... alcool qui hésite. Le professeur perçut alors le bruit caractéristique d'une chaise qui se déplace sur un sol. Ca venait de juste à côté. Quelqu'un était-il en train de s'en aller ? Après tout, il était assez tard, et il fallait s'occuper des enfants, de sa femme, ce genre de conneries familiales. Bon, il y avait peut-être du vrai dans tout ça, mais en tout cas, ça ne concernait pas le responsable de ce bruit caractéristique, puisqu'une voix qui, sur le coup, ne dit à Teo, s'éleva. Ah, on lui donnait du professeur, on lui donnait du vouvoiement, il y avait de très fortes chances pour que ça soit un étudiant qui soit là.

Britannia ôta ses pieds de la table, et la chaise sur laquelle il se tenait retrouva son quadri-contact avec la terre ferme. Dans le même mouvement, il se retrouva accoudé, le regard planté directement dans celui de l'importun. Une surprise, hein ? Que c'en soit une ou non, le garçon avait l'air d'hésiter un peu sur la conduite à tenir, comme s'il jugeait prudent de ne pas en dire plus pour le moment. Sage décision, parce que Teo se serait jeté sur lui pour lui arracher la peau du cou avec les dents. Ou pas. En fait, l'enseignant cherchait juste le nom de l'étudiant. Il avait le trombinoscope dans la tête, mais ce qui était écrit sous la photo était illisible. Il dut se passer une bonne demi-minute avant que le prof ne s'exclama, en levant le doigt :

"Desoya !"

Ledit doigt se braqua ensuite sur ledit Desoya. Teobald, lui, affichait l'air de quelqu'un qui est ravi de s'être rappelé une information vitale.

"Alex... Non, Alan Desoya, étudiant Première Année en..."

Pause. Puis haussement d'épaules. En fait, on s'en foutait de savoir quelle était sa section. Pour ponctuer sa découverte, Teo vida la bouteille, et l'envoya en direction du comptoir. Tom eut le réflexe de se baisser, et le récipient éclata contre le miroir derrière lui.

"A l'abordage, Tommy !" lança Britannia, avant de mettre une main sur le coeur, et de se lever.

Il prit un air solennel, et se mit à entonner :

"Rule Britannia, Britannia, rule the waves! Britons never, never, never shall be slaves!"

Et sur ce, il se rassit.

"Alors, mon petit, on s'accorde un moment de détente ? On... Ah, mais non, t'es pas en cours, en ce moment, toi ! Tu m'étonnes que j'avais fini par oublier ton nom."

Une dernière bouffée de sa clope, et il la mit au sol, avant de l'écraser avec le talon de sa santiag droite. Et comme tout bon fumeur qui se respecte, il en alluma une autre, toujours à l'aide de sa baguette. Et, pour montrer qu'il pouvait aussi faire preuve d'un peu de savoir-vivre, il présenta le paquet à Alan :

"Une clope ?"

L'histoire de se plaindre, ou ne pas se plaindre, à propos de la famille, ou de quoi que ça soit d'autre, que raconta Alan, dut passer par une oreille de Teobald pour filer à la vitesse de l'éclair par l'autre oreille. Parce qu'il fixait le fond de son verre vide, en se demandant s'il était plus raisonnable d'y remettre de l'eau, ou bien s'il pouvait s'autoriser un nouveau départ à base de quelque chose de plus fort. Du coup, il ne remarqua pas tout de suite que l'étudiant avait en fait mis une seule phrase pour répondre. D'ailleurs, répondre à quoi ? Haussant les sourcils, le professeur les fronça ensuite, avant de se dire que s'il ne se rappelait pas, c'est qu'il ne devait pas en avoir grand chose à faire, en définitive. C'était simplement pour faire la conversation. Faire la conversation, en revanche, ça ne devait pas être le fort de l'autre en face.

Après ça, on embraya sur un autre sujet : le fait que les Moldus n'avaient pas l'indispensable magie. Comment faisaient-ils donc, depuis tout ce temps ? Là, l'attention de Britannia grimpa d'un cran, parce qu'il avait quand même envie d'écouter la réponse. Et après, pour se récompenser d'avoir été attentif, il s'offrirait un coup à boire. Ce qu'il retint en fait surtout de la tirade fut un mot qui revint deux fois. Pour le reste, il y eut des remarques sur un décalage, sur un monde fade, sur un point de vue... quoi ? Non, là, il y avait le fameux mot, et il fallait donc des précisions.

"Dis donc, toi, quand t'es lancé, on peut plus t'arrêter. Fais un pause, mon gars." commença l'enseignant, pour mettre un frein à l'enthousiasme de Desoya.

Il n'avait pas mal au crâne, mais il sentait que si l'autre continuait comme ça, la migraine allait se pointer en quatrième vitesse, et ça, c'était inconcevable. Teobald tenait plutôt bien l'alcool, il n'allait donc pas se faire assommer par une conversation. Prenant une grande inspiration, il poursuivit, très sérieux :

"Des objets infoquoi ?"

Les connaissances de Teobald sur le monde moldu étaient quasiment nulles. Lui était un sorcier de sang-pur, et jusqu'à ce qu'il parte de chez lui, il n'avait jamais eu aucun contact avec ce monde-là. Et même après, il n'avait jamais essayer d'en savoir plus, parce que ça ne l'avait jamais intéressé. Mais là, on était dans une période où le Ministère prônait l'ouverture, aussi, ça avait éveillé une certaine... curiosité chez lui. Mais pas plus, il ne fallait pas non plus pousser Dumbledore dans le Filet du Diable. Le pauvre. Teobald leva alors soudainement la main, anticipant le fait qu'Alan allait certainement répondre, et se dirigea jusqu'au comptoir. Il tapa dessus, du plat de la main, et demanda :

"Une Bièraubeurre, s'il te plait, Tom."

Le barman resta stupéfait devant la soudaine politesse de son client. Et il le servit, sans piper mot.

"Merci bien, mon ami, tu es très aimable."

Sur ce, il retourna s'asseoir, tout en décapsulant la bouteille, donc il but une bonne lampée avant de s'adresser à Alan, d'un coup plus ouvert et souriant :

"Alors, qu'est-ce que donc tu allais me dire ?"

"Ah ouais, quand même."

Alan ne savait pas trop quoi dire d'autre, puis resta dans le silence un certain moment, avant d'admettre d'une voix posée et tranquille histoire de ne pas laisser cette remarque dans le vent :

- "Je sais que c'est compliqué... je suis désolé de ne pouvoir me montrer plus clair dans mes explications. On m'a toujours dit que ca n'a jamais été mon point fort. Quoiqu'il en soit, je me sens mille fois mieux dans le monde sorcier que je trouve bien plus captivant que le monde moldu !"

Puis il jeta un rapide coup d'oeil à sa montre-gousset magique, offerte il y a quelques années par Patrick d'ailleurs, se tétanisa en voyant l'heure avancée annoncée par les aiguilles et regarda à nouveau l'enseignant avant de terminer son thé rapidement, désormais pas mal refroidi d'ailleurs, et de commencer à se relever :

- "Va falloir que j'y aille d'ailleurs, j'ai pas mal de trucs à terminer ce week end... en tout cas ca a été agréable de discuter avec vous en dehors de l'UMA."

Il s'empara de sa besace d'un geste vif, et se leva totalement avant de saluer rapidement Britannia mais de manière polie et correcte ;

- "Passez une bonne fin de journée, et à Mardi je suppose en cours !"

Puis il se fraya un chemine entre le foule dense du bar, sortit sur le Chemin de Traverse avant de transplaner vers sa chambre de l'UMA sans demander son reste, un peu fatigué par la journée et tout ce qu'il lui restait à faire !

(Terminé pour moi ^^)

L'étudiant, là, se rendit compte que quand le professeur ne parlait pas, et bien, finalement, la conversation n'avançait pas vraiment. Aussi, il se sentit obligé de prendre la parole, ce qui changeait. Ainsi, expliquer les choses n'était pas son point fort. Sans blague ! Teobald n'avait rien appris de plus que ce qu'il ne savait pas encore. D'accord, il n'avait pas non plus montré une grande motivation à comprendre, mais vu le peu de clarté de ce qu'avait raconté Desoya, un cours de Binns aurait presque pu être plus passionnant. Oh, non, peut-être pas, mais presque. Et en bref, Alan trouvait le monde sorcier plus captivant. Teo réfléchit un court instant. Plus captivant ? Ne s'étant jamais intéressé aux Moldus, il n'avait pas vraiment de moyen de comparer les deux mondes. Mais "captivant" n'est pas vraiment le terme qu'il aurait choisi pour qualifier le monde dans lequel il avait grandi. Le quotidien n'est jamais captivant. Ce qui le rompt peut l'être. Tiens, par exemple, un retard est un moyen de rendre le quotidien plus intéressant.

Alan, après avoir consulté sa montre, afficha l'expression type de celui qui se dit "oh, il est déjà telle heure" ! Il termina son thé en vitesse, thé qui depuis le temps devait avoir bien refroidi, mais ce n'est pas grave, le thé peut se boire froid, contrairement au café. Le café froid, c'est dégueulasse. Tout en se levant, l'étudiant annonça qu'il avait des choses à faire, ce qui était bien, et que ça lui avait été agréable de discuter avec Britannia en dehors de l'UMA. Ouais, bon, la conversation n'avait pas non plus mené vers des sommets, mais c'était toujours ça de pris. Avec un peu de chance, l'enseignant n'aurait le lendemain que peu de souvenirs de cette soirée...

"Oh, ouais, de même."

Alan attrapa son sac, et salua le professeur, rappelant qu'ils allaient se voir le mardi suivant. Ah, oui, en cours. Les conditions normales d'une rencontre entre un professeur et un étudiant. Le quotidien. Alors qu'une discussion dans un bar, un samedi soir, c'était différent, plus intéressant, parce que ça n'était pas quelque chose de courant, surtout lorsque le prof était un peu éméché... Teobald farfouilla dans sa poche et sortit de quoi payer ses consommations. Il laissa ça sur la table, peut-être même un peu trop, mais peu importait, avec le décès de son paternel, il allait recevoir de l'argent, et se leva, un peu trop vite, et vacilla légèrement sur place.

"Ohla, oh oh." commenta-t-il, en s'appuya sur le dossier de sa chaise.

Puis il alla jusqu'à la porte de derrière, celle qui menait au Chemin de Traverse. Après tout le toutim avec sa baguette sur le mur qui s'ouvrait, il s'alluma une nouvelle cigarette, histoire de s'accorder une petite promenade de détente, avant de rentrer chez lui. Ses pas le menèrent jusqu'à l'Allée des Embrumes, mais il ne fit aucune mauvaise rencontre.