Daneel continuait d’avancer en essayant de tenir la même cadence que son professeur. Parfois il glissait, manquait de trébucher et sa démarche était saccadée. Suivre le pas d’un quadripède était un exercice tout nouveau pour lui.

- Walk without rhythm and you won’t attract the worm, chantonnait-il pour lui-même à voix basse.

Marche sans rythme et tu n’attireras pas le ver.

Il ne savait pas pourquoi il pensait a ça. L’idée se refusait à sortir de sa tête. Peut-être était-ce à cause de sa petite filature, lorsqu’il avait suivit son professeur ? Il n’en savait trop rien.

- Oui, parfois la fuite est l’unique solution, dit-il suite aux propos du centaure.

Il scrutait les environs, le château énorme, le parc de Poudlard, la lisière inquiétante derrière eux, le sang qui glissait doucement sur le flanc de son professeur. Comment rentrerait-il à sa salle commune ? Comment serait-il capable de dormir ?

Mais toutes ses questions disparurent. Elles venaient de s’envolées, chassées par une seule et unique réponse, une réponse si imparfaite qu’elle convenait a tout avec perfection, une réponse inattendue, non souhaitée, une véritable horreur qui venait de s’abattre sur lui. Il n’avait plus à réfléchir, plus a se tracasser de ces questions car la réponse s’était imposée d’elle-même, une grosse réponse horriblement rose et batracienne et il n’était plus libre de choisir ou de penser : elle le ferait.

Un long frisson tournoya, s’enroula le long de son échine, effleurant chacun de ses os, se séparant en millions de particules qui parcourirent toutes les fibres de son corps jusqu'à la couche supérieure de l’épiderme ou ils voulurent sortir, occasionnant une belle chaire de poule. Quel son désagréable, ignoble, faux ! Quel déplaisir a son oreille et a tout le reste de son être puisque chacun de ses membre savait parfaitement ce que ce bruit signifiait et qu’ils avaient tous réagit différemment lorsque les oreilles l’eurent capté. Sa jambe droite avait tentée de prendre la fuite tandis que la gauche avait décidée de se rapprocher du sol en une ultime tentative de se recroqueviller. L’un de ses bras voulait frapper et l’autre couvrir le cœur fragile qui pourrait être touché. Le cou s’était raidit, prêt a recevoir n’importe qu’elle attaque et les mains tremblaient dans tout les sens, cherchant quelque chose a toucher, cherchant un appuie, une arme, un bouclier.

Son cœur recommença à battre après deux secondes et ce fut pour battre comme un fou, comme un cheval trop rapide pour ses quatre pattes. Daneel rangea immédiatement sa baguette dans sa poche.

Il observait maintenant la forme qui se tenait devant eux. Elle n’avait rien dit d’autre. Elle n’avait pas besoin de ne rien dire d’autre.
Les sourcils de Daneel se froncèrent.



Stupide professeur ! pensa Daneel qui s’auto flagella mentalement sur le champ pour avoir manqué de respect envers le centaure, une douce figure d’autorité. Se faire enfermés dehors ET stupéfixié ? Qui serait assez bête pour faire ce genre de chose ? Ils les auraient tués, tous les deux, tant qu’à être suspendus de l’école ! Et comment pouvait-on enfermer quelqu’un hors de Poudlard, hors de toutes les entrées alors qu’on ne les contrôlait même pas ? C’était bien trop naïf. Au moins le professeur avait essayé, il essayait de les protéger.

Le jeune Poufsouffle avait grande envie de se ronger un ongle. Il essayait de soutenir le regard invisible du batracien, essayant de lire sur son visage masqué, essayant de voir ce qu’elle pouvait bien penser.

- Je…, murmura-t-il en voulant rajuster l’histoire trop improbable du professeur.

Mais il se ravisa. Non. Ne rien dire. Le mieux était de ne rien dire. Il attendrait de voir comment les choses évoluraient et s’exprimerait lorsque Ombrage le lui demanderait. Parler maintenant ne serait que s’attirer plus d’ennui ou réduire les chances déjà faibles que l’histoire inventée par le professeur ne marche.

Son apparition avait dû être saisissante car l'hybride avait semblé complètement décontenancé et le jeune élève avait soudainement pâli. Dolores jubilait. C'est ainsi que les choses devaient être. Ils devaient la respecter, et pour la respecter, ils devaient la craindre. Elle devait être là où ils s'y attendaient le moins, elle devait leur donner l'impression que même leur propre ombre pouvait les surprendre à tout moment. Ainsi tous rentreraient dans le rang et ne s'autoriseraient plus la moindre incartade. Ah, que cette idée était savoureuse !

Elle posa son regard glacial sur ses "victimes". Le centaure semblait blessé. Rien d'étonnant, il avait été assez stupide pour aller dans la forêt interdite, il n'avait qu'à en assumer les conséquences. Dolores songea par ailleurs qu'il aurait bien mieux fait d'y rester, dans cette forêt, cela aurait épargné sa présence désagréable au sein de l'école. Maintenant qu'elle y regardait de plus près, c'était une élève qui dormait sur son dos. Quelque part, cela rabaissait la fière créature à être une simple monture, et la sous secrétaire se délecta de cette vision, sans prêter plus attention à la jeune serdaigle. Quant au Poufsouffle, il était sale, visiblement apeuré, fatigué certainement, mais semblait en bonne santé. Les chères têtes blondes n'auraient pas eu trop à pâtir de l'inconscience de leur professeur.

L'hybride lui adressa alors la parole. La Grande Inquisitrice se départit de son éternel sourire. Elle n'appréciait pas du tout qu'un de ces sous-êtres puisse lui parler. Tout cela était de la faute de Dumbledore, qui avait, en engageant cette créature, ramené le centaure au même rang qu'un sorcier professeur. Elle plissa les yeux en écoutant son histoire, l'assassinant d'un regard mauvais.

Tiens donc ? Ils auraient été enfermés dehors ? Bien que cela paraisse peu probable, ce n'était pas la première fois au cours de cette année que des petits plaisantins s'amusaient à bloquer les portes pour ennuyer leurs camarades. Certainement encore une esclandre causée par les insupportables jumeaux Weasley. Et les deux élèves qui se tenaient devant elle semblaient bien jeunes, certainement des première année. Peut-être avaient-ils été désemparés en raison de leur manque d'expérience ?
La flatterie que Firenze avait pris le soin de distiller dans sa tirade charmait inconsciemment l'ego de la femme en rose. Elle devait tout de même lui admettre qu'il avait raison sur ce point. La situation était plus que préoccupante, et il était heureux qu'elle soit arrivée pour arranger tout cela.
L'histoire était plausible, mais Dolores restait d'un naturel méfiant avec la "créature". Elle se retourna donc vers le jeune Or et Noir, reprenant son visage affable et donc son détestable sourire.

- Dis moi, mon cher petit... Confirmes-tu ce que ton... professeur vient de me dire, s'enquit-elle, non sans buter sur le titre de Firenze. Il serait fâcheux pour lui comme pour vous qu'il ait jugé bon de me mentir.

*Bien qu'il soit certainement trop attardé pour faire montre de tant de présence d'esprit... Ca ne reste qu'un animal après tout...*

Elle se planta ainsi avec un visage radieux qu'elle voulait engageant, attendant la confirmation du jeune garçon, mais préparant déjà mentalement les sanctions qu'elle allait prendre, quelle que soit sa réponse.

Daneel soutint le regard de la grande inquisitrice. Il n’avait qu’une seule envie : regarder ses pieds, le sol, cesser de se sentir lu et pénétré de toute part par l’esprit et le regard doux et malveillant du crapaud rose. Mais il ne pouvait se permettre d’avoir l’air coupable tant que le professeur parlerait et que la grande inquisitrice ne mordrait a l’hameçon.

Confirmait-il ? C’était l’ultime choix : mentir et risquer une punition ou dire la vérité et décevoir son professeur tout en risquant une punition. Il repassa le nouveau l’histoire de Firenze dans sa tête, essayant de voir une faille, essayant de repérer le maillon faible de cette chaîne fictive.

Son regard glissa sur le flanc de son professeur, sa blessure et sa patte endommagée. Qu’inventerait-il pour cela ? Qu’est-ce que l’historien dirait pour expliquer ? Et qui aurait fermé toutes les portes du château ? C’était bien trop gros… Ça ne marchait pas.

Le jeune Poufsouffle inspira lentement et songea à ce qu’il allait répondre et a ce qui pourrait s’en suivre. Il avait entendu parler des techniques d’Ombrage pour faire avouer ce qu’elle désirait savoir et n’avait pas envie de subir. Il se décida enfin, prêt a répondre a la grande inquisitrice ce qu’un aveugle dirait si on lui demanderait sa couleur préférée entre le jaune et le rouge.

- Non…

Il inspira de nouveau. Il n’était pas exactement sur ou il s’en allait avec tout ça ni ce qui pourrait s’en suivre mais essayait de figurer quelque chose.

Peut-être… Elle serait probablement choquée de l’attaque mais lui reprocherait quand même son manque de prudence. Que faire ? Comment expliquer qu’il se soit trouvé là ? Oh... peu lui importait, finalement. D'une manière ou d'une autre, l'horrible bonne femme le ferait payer.

- J'étais pris dehors et j'ai vu le professeur entrer dans la foret. Je l'ai suivit parce que je voulais rentrer mais je me suis fait attaquer avant de pouvoir le rattraper. C'est qu'il va vite, sur quatre pattes. Je serais probablement mort, sans lui : le professeur m'a protégé de manière admirable, il est venu a mon secourt.

Dolores jubilait intérieurement.
Le centaure continuait à flatter son ego, et bien qu'elle ne l'ait pas vraiment pressentit, le jeune élève commençait à contredire la version de son professeur. Fort bien ! Il avait donc menti !

Leur histoire semblait confuse. Bien que certains éléments se recroisent, il était plus qu'évident que chacun tentait de présenter sa propre version des faits. Comme c'était mignon, le professeur couvant ses élèves et ces derniers cherchant une vaine excuse à leur professeur. La femme en rose ne put retenir un sourire carnassier. Elle n'en ferait qu'une bouchée. Au moins cet épisode lui permettait-elle de les prendre au dépourvu, sans qu'ils aient préparé une quelconque excuse fumeuse, et d'assoir plus encore sa réputation inflexible. La sous-secrétaire voulait que son ombre plane sur Poudlard, et que tous la craignent. Seulement ainsi elle pourrait y ramener l'ordre.

Pour le moment, elle était clairement en position de force, et elle s'en délectait.

Elle se retourna vers l'hybride, qui avait pâli légèrement à la réponse de Daneel.

- Allons... Professeur. Ce n'était pas très intelligent de votre part de chercher à me mentir... Mais après tout, comment vous en vouloir n'est-ce pas, lâcha-t-elle avec un regard feignant la pitié.

Elle engloba ensuite toutes ses victimes d'un regard assassin tout en poursuivant de son horripilante voix douce et mielleuse :

- Allez vous continuer longtemps à me servir vos versions différentes ? Ma patience a des limites voyez-vous. Je crois que quels que soient à présent vos efforts, je ne puisse considérer aucune de vos explications comme vraies.

Comme cela était bon de pouvoir les rabaisser et semer un peu de zizanie dans les rangs ennemis. Quelle qu'aie été leur version, et même si Daneel avait corroboré les dires de son centaure de professeur, elle n'avait à aucun moment eu la moindre intention de se montrer indulgente ou compréhensive.

- Je crois qu'il est de mon devoir de faire un exemple, comprenez-vous. Au vu des multiples entorses au règlement que vous venez de faire, je ne peux me permettre de vous laisser partir impunément. Pour peu que cela se sache, imaginez le chaos que pourrait devenir Poudlard... Déjà que la situation n'est pas bien brillante...

Elle laissa planer la fin de sa phrase. Si en plus ils essayaient d'en appeler à sa clémence, sa satisfaction serait complète. Elle attendit donc un bref instant en espérant des supplications de leur part avant d'annoncer la sentence.