Dimanche après-midi. William avait quitté la salle commune, une fois n'est pas coutume, sans ses affaires de classe. Il avait depuis un moment terminé ses devoirs, et ne se sentait pas d'humeur à réviser ou à lire, chose rare chez lui. Il avait envie d'aller simplement se poser au soleil, au bord du lac, pour profiter de ce temps superbe.
Le parc résonnait des rires et des cris des élèves qui, comme le Gryffondor, avaient décidé de consacrer leur après-midi au bronzage, à la conversation entre amis et, pour quelques-uns, à la baignade. Parvenu au bord du lac, le rouquin se choisit un coin sympa- la tête à l'ombre d'un grand chêne, le reste au soleil, un peu en retrait grâce à la présence d'un épais buisson- et s'allongea sur l'herbe. La fraîcheur du sol le fit frissonner, mais ce n'était pas désagréable... Il entendait, de là où il était, les bruits de rires et d'éclaboussures des élèves qui se baignaient, et tout cela lui rappelait Brighton... Sur la plage... Il ferma les yeux, mais il manquait le bruit des vagues. Comme la mer lui manquait! Bien sûr, il était bien à Poudlard, mais ce n'était pas facile d'être séparé de sa famille, de ses anciens amis d'école, et de ne plus pouvoir aller voir la mer chaque soir en quittant l'école...
Il s'était mis à compter silencieusement, ses lèvres remuant tandis qu'il calculait les dates, les jours, les semaines... Il en arriva à un total de quatre semaines. Encore un mois avant de revoir la mer! William soupira. Sa soeur serait en vacances une semaine avant lui...

*Mais elle n'est pas dans une école de sorciers, elle* pensa-t-il pour se consoler, et un sourire vint éclairer son visage.

William n'avait pas vu son ami s'installer à quelques mètres de lui. Il est probable que s'il l'avait vu, il serait allé le voir, et se serait même inquiété pour sa santé. Il n'était pas courant de trouver le préfet de Serdaigle en train de dormir. D'habitude, il n'acceptait de faire une pause que lorsqu'il était réellement épuisé, et qu'il lui était physiquement impossible de travailler... Bref, le Gryffondor ne savait pas que Mathias était là, à quelques mètres de lui, dormant comme un bébé, et il se croyait à peu près seul dans les parages...
Toujours rêveur, il sortit sa baguette magique et se mit à lancer de petits sorts, à mi-voix. Il aimait beaucoup utiliser la magie, et il était tellement agréable de pouvoir le faire à sa guise! Il était certain que ce serait l'une des choses qui lui manqueraient le plus cet été- avec la pratique du Quidditch.
William répétait "accio branche!", en direction d'un morceau de bois mort à quelques mètres de lui, sans résultat. Il avait simplement lu la formule dans un livre, mais il se doutait bien qu'il n'avait pas le niveau pour lancer correctement ce sort. Lassé de viser la branche morte sans la faire bouger d'un millimètre, il changea de sort et marmonna :

-Ligature!

Il maîtrisait bien ce sort, mais cette fois, il n'était pas assez concentré et n'avait pas bien visé. Les cordes passèrent au-dessus de la branche sans s'arrêter, et filèrent un peu plus loin- en direction de Mathias, mais ça, William l'ignorait. Déçu de sa piètre performance, il avait simplement recommencé à lancer le sort, sans se préoccuper du devenir des cordes...

En entendant le cri rauque, William avait sauté sur ses pieds. Il n'y avait pas de doute ; c'était son sort qui avait déclenché ce cri. Il n'avait pas reconnu la voix de son ami- encore un peu endormi, le préfet de Serdaigle avait une voix légèrement enrouée, mais il était fort probable qu'il allait vite se réveiller les cordes vocales en traitant Will de tous les noms.
Le Gryffondor ressentait une espèce d'angoisse en se demandant qui il avait atteint. Les hypothèses les plus apocalyptiques défilaient dans son esprit... Un Serpentard de septième année, particulièrement méchant?... Ultan Bower, qui rêvait de faire du hachis de William Craig? Drago Malefoy, qui devait lui en vouloir de l'épisode de la Tête de Sanglier? Rogue, venu cueillir quelque plante?... Très pâle, Will restait immobile, n'osant aller voir si ses craintes seraient confirmées.
Il finit par bouger, cependant, inquiet de ne plus rien entendre. Normalement, la personne touchée par le sort aurait dû continuer à beugler, jusqu'à ce que le coupable lui tombe entre les pattes... ou alors, elle se serait délivrée et serait venue casser la sympathique figure du rouquin... Mais là, rien. Et si les cordes avaient enserré le cou de la victime?... Complètement paniqué, William se précipita, s'attendant déjà à trouver un cadavre...
Dieu merci, il trouva Mathias, certes pas très flambard, mais bien vivant. Le soulagement s'effaça bientôt, cependant, laissant place à l'inquiétude. Mathias avait une drôle de tête. William s'agenouilla près de lui, et demanda doucement:

-Mathias? ça va? je t'ai touché? tu te sens bien?

Lorsque son ami se serra contre lui et fondit en larmes, William se raidit légèrement, très ennuyé. Que faisait-il là? Pourquoi n'était-il pas à des kilomètres? Que pouvait-il bien raconter à Mathias pour le réconforter? Il n'était pas habitué à ce genre de situations... Quelques instants s'écoulèrent, durant lesquels Will écouta en silence ce que Mathias avait à lui dire... Il craquait complètement, le pauvre préfet... Que dire? Maladroitement, le Gryffondor posa sa main sur l'épaule de son ami, toujours silencieux, simplement pour lui montrer qu'il était là. Les deux garçons restèrent ainsi quelques instants, William utilisant sa main libre pour faire signe aux curieux de décamper, puis il sentit qu'il devait parler. A mi-voix, il se mit à dire un peu n'importe quoi, juste pour parler:

-Tu es fatigué, c'est tout, mon vieux... Il n'y a pas de quoi s'affoler, enfin pas pour le moment... Tu dois juste te reposer... Tu devrais voir Madame Pomfresh, elle te donnerait quelque chose pour dormir, ça te ferait du bien... Tu as parlé à Flitwick? Lui aussi pourrait t'aider... Je ne sais pas trop quoi te dire... Il faut te reposer, tu es tout pâle... Arrête de réviser quelque temps, tu verras que ça ira mieux... Tu en fais trop...

Pas très cohérent, comme discours, mais William était vraiment désemparé. Il voulait vraiment aider son ami, mais le voir pleurer ainsi le laissait complètement perplexe... Sans s'éloigner de Mathias, Will se contorsionna pour attraper un paquet de Kleenex dans son sac, déplia tant bien que mal un mouchoir et le fit passer au Serdaigle.

William s'éloigna de Mathias en sentant que celui-ci se raidissait, et il le regarda, pour la première fois depuis son arrivée. Il ne l'avait pas vu d'aussi près depuis quelques jours, et il éprouva une certaine inquiétude en le voyant... Le préfet de Serdaigle avait une tronche de déterré, pour parler poliment. Will n'en dit rien- il avait le vague sentiment que ce n'était pas ce qui réconforterait le plus son ami, et de toute façon, Mathias venait de prendre un air de grande dame offusquée que le Gryffondor n'aimait pas du tout. Quand il avait cet air, Mathias ne pouvait plus entendre raison- et les craintes de Will furent confirmées par les propos ineptes de son ami. Retenant à grand-peine une réplique plus cinglante, le rouquin lança:

-Quelques minutes, mon dieu, mais tu n'y penses pas... Tu ne passerais plus que vingt-trois heures cinquante par jour à ton travail!

Ce qu'ils pouvaient l'agacer, ses amis Serdaigle, avec leur vénération pour le boulot... Lui était sérieux, certes, mais pas au point d'y laisser sa santé! Il aimait beaucoup Mathias, mais sa façon de ne jamais se décoller de son labeur lui semblait malsaine. Conscient d'avoir été légèrement blessant, il reprit sérieusement, sans laisser au Serdaigle le temps de répondre:

-Tu ne veux pas lever le pied, très bien. Mais permets-moi de te dire qu'en ce moment, tu ne travailles pas. Tu te donnes l'impression de travailler, mais ça ne sert à rien. Dans ton état, tu ne peux pas être efficace. Je te parie que tu ne saurais même pas me dire ce que tu lisais il y a dix minutes... Même en supprimant quelques minutes chaque jour, tu n'y arriveras pas. Si tu ne te reposes pas, tu cours à la catastrophe.

Il avait parlé sur un ton péremptoire qui ne lui était pas familier, mais il estimait que Mathias avait besoin de se faire secouer. Il termina, un peu plus souple:

-Regarde-moi... Je dors la nuit, je ne travaille pas toute la journée, je me réserve des moments de détente, et je suis sûr que je travaille plus efficacement que toi qui t'épuises à la tâche!

William s'en voulut d'avoir été moqueur avec Mathias. Le pauvre Serdaigle était vraiment catastrophé... Lorsqu'il évoqua le dernier cours de sortilèges, Will dut faire un effort de mémoire. Pour lui, ce cours n'avait rien eu de particulier... Il se remémora la question de Flitwick, mais le fait que Mathias l'ait prise autant à coeur l'étonna. Très sérieux, il répondit:

-Flitwick n'était pas déçu, il était inquiet, si tu veux mon avis... et il n'était pas le seul, au passage... Il avait bien vu que tu étais épuisé, il savait bien que c'était ce qui t'empêchait de réussir... En plus, tu avais très bien assimilé le sort, puisque tu y étais arrivé avant. Tu n'as jamais remarqué que c'est quand tu te surmènes que tu rates tes sorts? quand tu es en forme, tu t'en sors très bien. Tu devrais ralentir un peu le rythme, Mathias. Franchement.

Cette fois, ce n'était plus un conseil, mais une demande formulée d'une voix tendue, inquiète, presque suppliante. William se faisait vraiment du souci pour le préfet, et s'il ne comprenait pas les conseils, il ne restait plus que cela: lui montrer son inquiétude, dans l'espoir qu'il cesserait de prendre sa propre santé à la légère. Sans se rendre compte qu'il posait les mêmes questions anxieuses que sa mère, le rouquin murmura:

-Est-ce que tu manges correctement, au moins?

[HJ: désolé du retard ]

A présent, les deux garçons se fixaient, ou en tout cas Mathias tentait-il de concentrer son regard sur les yeux de son ami. Tout deux montraient une expression à la fois triste et inquiète, mais chez le Serdaigle, les cernes et les vaisseaux sanguins visibles dans le blanc de ses yeux aggravaient cet air de chien battu. Finalement, vaincu par le manque de confiance, Mathias baissa les yeux le premier. William avait raison, et il le savait. Mais il avait toujours peur. Etant pourtant l'aîné de William d'une semaine, il se sentait là beaucoup plus petit, plus fragile, que le solide Gryffondor qui se tenait devant lui. Il lui disait ce qu'il fallait comme il fallait, sans avoir peur d'être franc. Son meilleur ami, il n'y avait aucun doute. La différence de maison et donc de caractère ne ferait rien changer.

William...

Mathias sentit une boule se former dans sa gorge...mais elle disparut aussitôt que Will eut posé une question idiote. Pour ça aussi, le Gryffondor était fortiche. Enfin non, pas du tout, mais en l'occurence, le Préfet des Serdaigles trouvait cela particulièrement indélicat. Il releva les yeux qui s'étaient plissés pour bien faire sentir à William sa stupidité.

Dit, je suis pas encore suicidaire, bien sûr que je mange bien!

D'un mouvement de tête, Mathias ramena une mèche de cheveux plus en arrière, mais il percuta aussi le menton de son ami. Une sale manie venait de faire un mort...

Mince! Heu... Ca va Will? dit Mathias un peu gêné.

William s'en voulait d'avoir parlé ainsi... Si directement, et si puérilement. Il sentait qu'il avait blessé Mathias, et son propre sentiment de vexation s'évanouit aussitôt. Il oublia immédiatement que Mathias l'avait presque rabroué, lui avait parlé avec une sècheresse offensante... Il se rapprocha du Serdaigle, passa son bras autour de son cou et essaya de se rattraper en murmurant:

-Excuse-moi... excuse-moi, Mathias, j'aurais dû...

Il ne sut dire ce qu'il aurait dû faire, et se tut, gêné. Son menton avait cessé de lui faire mal, mais il continuait de le masser, plus pour occuper sa main que par nécessité. Mathias, cependant, ne se décidait pas à lever la tête... William laissa son menton tranquille et posa sa main dans la tignasse brune de son ami pour essayer de l'obliger à le regarder.

-Allez, monsieur le Préfet... tu m'en veux? allez, pleure pas... t'es pas un monstre...

Mathias ne pouvait pas lui en vouloir à ce point, tout de même... S'il ne réagissait pas à la dernière phrase du Gryffondor, tout était perdu...