Ceres errait dans la Tour d'Astronomie, elle ne parvenait pas à dormir et donc avait préféré sortir de sa salle commune. Au début, elle avait longtemps hésité avant de partir de celle-ci, mais elle avait fini par prendre la décision d'en partir. Elle avait eu beaucoup de mal avant de parvenir vraiment à la Tour, elle aurait préféré ne pas être aveugle, elle aurait tant voulu que son frère soit encore en vie...Peut-être aurait-il pu veiller sur lui pendant qu'elle avait peur du noir incessant régnant sur sa vie...Elle ne faisait qu'imaginer le monde qui l'entourait, et tout dans son âme n'étant que désolation, les paysages dans lesquels elle se trouvait ne pouvait jamais être beaux...Une fois que la tour fut atteinte par la jeune fille, elle se mit à marcher simplement, droit devant elle, pour se dégourdir les jambes. L'infirmière lui avait recommandé de marcher au moins une heure par jour pour la vie lui paraisse plus facile et qu'elle oublie qu'elle était infirme. Tout doucement, elle ferma les yeux et pensa à son jumeau. Cette vie qu'elle avait vécue juste avant qu'il ne meurt sous ses yeux avait été belle, remplie de rires et de joie...Maintenant, plus aucun sentiment positif ne lui paraissait accessible, elle ne désirait que la mort, pensant que cela le plus beau voyage qu'elle ferait...Dans le passage vers l'au-delà, tout devient lumineux, la douleur disparaît et on peut retrouver toutes les personnes qui sont parties trop tôt de cette terre...En trouvant la mort, Ceres pourrait ainsi retrouver son jumeau, la seule personne qu'elle avait pu aimer dans sa vie...Plus rien n'avait d'importance pour elle, elle avait voulu croire qu'un jour la plaie qui était dans son coeur guérirait, mais au contraire, elle ne faisait que se rouvrir inlassablement et saigner de plus belle...

Des pas se mirent à résonner dans la tour et le sang de Ceres ne fit qu'un tour. Etait-ce un professeur qui venait pour la punir? Si c'était le cas, elle pourrait toujours dire qu'elle était aveugle et qu'elle s'était égarée...Mais avouer sa cécité n'était jamais chose facile pour la jeune fille et elle préférait mourir plutôt que de le dire ouvertement. Il fallait qu'elle soit forte et qu'elle assume le fait qu'elle était sortie en pleine nuit alors qu'elle n'en avait pas le droit...De la chaleur se mit à envahir tout son corps, mais ce n'était pas vraiment celle dont elle avait besoin, cela avait plutôt une valeur d'effroi que de joie...Elle se leva de la marche sur laquelle elle s'était assise quelques minutes auparavent, et soupira légèrement avant de prendre la direction opposée au jeune homme qui arrivait, se tenant aux murs afin de ne pas vaciller une fois encore. Une voix retentit alors dans le couloir, et la question de la personne en question la heurta violemment. Si jamais la personne parlait avec autant de légèreté, elle ne pouvait pas faire partie de l'équipe professorale, c'était peu probable. Elle respira longuement afin de faire cesser les battements de son coeur. Il battait bien trop vite pour le moment...

Hésitant tout d'abord, Ceres ne tarda pas à se tourner vers le jeune homme pour qu'il ne la prenne pas pour quelqu'un d'impoli...La jeune fille était aveugle, certes, mais elle n'était ni muette ni impolie...Elle hocha légèrement la tête, mais eut un mouvement de recul, car elle ne voulait pas qu'il puisse découvrir qu'elle était aveugle...Elle reculait au fur et à mesure que les secondes passaient, elle aurait voulu fuir, elle le désirait tellement que cela la pétrifiait...

" Il ne peut faire beau...Puisqu'il fait nuit...Pourquoi dites-vous cela?"

Ceres n'était pas du genre à dire des choses qui n'avaient pas de sens. Elle était parfaitement incapable de parler de la pluie et du beau temps tout simplement, car elle ne savait pas faire de choses qui n'avaient pas de sens. Et parler pour ne rien dire la mettait en colère, elle préférait éviter toute tentation. Ce fut pourquoi elle recula encore après avoir répondu, il ne fallait pas qu'elle se dirige vers lui, car ses yeux étaient toujours fermés et qu'elle avait trop mal pour les rouvrir maintenant. Si jamais elle avait la faiblesse de s'avancer, il pourrait voir qu'elle était aveugle...Et tous ses espoirs de ne faire comprendre à personne qu'elle était infirme auraient été vains...Elle soupira légèrement et recula de plus en plus vite. C'était évident qu'elle prenait la fuite, elle avait peur, elle avait froid, et elle sentait sa colère monter irrésistiblement dans son coeur. Elle ne voulait pas qu'on l'approche, qu'on lui parle, et le regard des autres sur elle était tout bonnement insupportable...

Elle n'entendait plus rien, le jeune homme de toute évidence cherchait quoi répondre face à ce qu'elle lui avait rétorqué...Le ton de la jeune fille avait été froid et particulièrement distant, elle faisait aisément comprendre le fait qu'elle ne supportait pas la compagnie. Mais elle n'avait pas prévu une chose...Alors qu'elle reculait, quelque chose heurta son talon, quelque chose qu'elle ne pu éviter, et elle vacilla violemment, tombant à la renverse. Elle eut juste le temps de retenir sa respiration, attendant de s'écrouler contre le sol...Désormais, il n'y aurait plus rien pour l'empêcher de vaciller et de se blesser...

Si Ceres avait eu la force de hurler avant de tomber, elle l'aurait fait. Mais une telle chose aurait voulu dire qu'elle les dénonçaient tous les deux de se promener dans les couloirs en pleine nuit...Et il ne valait mieux pas qu'une telle chose se produise. Par ailleurs, elle n'avait rien demandé à ce jeune homme d'apparence peu sociable, et surtout pas de l'aider à ne pas se faire mal. La souffrance faisait partie intégrante de la vie de la jeune fille, et cela depuis qu'elle était venue au monde. Sa mère, comme peu d'autres personnes au courant de la naissance de Shuro et de Ceres, avaient jugé bon de remarquer que la petit fille était beaucoup plus turbulente que son frère. Jamais satisfaite, elle se plaisait à désobéir avec une désinvolture révoltante, simplement pour montrer que personne n'aurait jamais le dessus avec elle. Pendant ce temps, son jumeau, lui, vivait dans l'ombre, abandonné de tous. Ceres aurait très bien pu le laisser à sa misère et à sa noirceur, mais elle n'était pas aussi égoïste que tout le monde ne le prétendait...Bien au contraire, elle s'occupait de son frère aussi ardamment qu'elle le pouvait, même si ses forces n'étaient pas aussi importantes qu'elle ne le désirait...A chaque fois que quelque chose tracassait son jumeau, Ceres le prenait dans ses bras jusqu'à ce qu'il se calme, ne le lachant sous aucun prétexte. Elle soignait toutes ses blessures, faisait fuir la moindre de ses peurs, et essuyait ses larmes à l'aide de la chaleur de son sourire...Oui, à cette époque, Ceres était chaleureuse et douce, n'hésitant pas à sourire afin de redonner de ma joie de vivre à quelqu'un de malheureux, surtout s'il s'agissait de son propre frère...Jamais elle n'aurait imaginé qu'un jour son père pourrait le tuer sous ses yeux, lui ôtant par la même occasion la vue et tout désir d'exprimer un sentiment positif...Depuis ces heures douloureuses, les larmes de Ceres s'étaient glacées dans ses yeux, et son sourire s'était figé sur son visage. Aucune de ces deux choses ne vivaient dans l'âme de Ceres, car elle même n'était ni vivante ni morte...Elle n'était plus qu'une ombre errant sans but dans les méandres du monde...Comme tous ceux qui vivent des heures si sombres, mais ce n'est pas à eux de décider ce qu'ils doivent faire ou non de leur avenir lointain...Ce qu'il fallait à Ceres, c'était apprendre quoi faire du temps lui étant imparti...

La jeune fille fut retenue par des chaînes lors de sa chute, et bien que celles-ci de lui firent pas vraiment mal, ses poignets portaient de grosses marques rouges. Elle était assise, si on pouvait appeller sa position ainsi, et se mit à soupirer largement. Pourquoi trouvait-on toujours l'envie de l'aider alors qu'elle même ne voulait pas qu'on l'aide? Ceres était persuadée que personne ne pouvait rien pour elle, et que c'était parfaitement inutile d'essayer de l'approcher. Son côté farouche pouvait ressortir bien plus vite qu'elle ne le voulait en vérité, et bien qu'elle savait maintenant maîtriser le moindre de ses sentiments, rien n'était jamais certain avec elle...La jeune fille était tellement imprévisible qu'il était quasi-impossible de savoir quelle serait sa réaction. Elle entendit soudainement la voix assombrie du jeune homme s'élever dans les airs, et son sang ne fit qu'un tour. La jeune aveugle rouvrit les yeux avec violence et se releva d'elle même. Tout fut plus clair à présent, elle devait fuir ce jeune homme. Non, pas le fuir mais...L'éviter. C'était certainement mieux ainsi, car Ceres n'avait absolument aucune envie d'avoir de la compagnie. Elle s'avança d'une allure fière vers le jeune homme et planta son regard très clair dans le sien. Celui-ci brillait de milles éclats face à la pâle lueur règnant dans le couloir. Personne ne pouvait deviner que la jeune fille était aveugle et qu'elle se sentait offusquée à chaque fois que quelqu'un l'aidait. Elle n'avait besoin de rien ni de personne, et surtout pas d'un jeune homme sombre et solitaire lui même...

" Je n'ai pas besoin que l'on m'aide, je sais m'occuper de moi. Me faire mal ne me fait pas peur, alors ne gâche pas ton temps à m'aider, je n'en ai nullement besoin. Tu me gênes plus qu'autre chose, alors disparais avant que je ne t'en donnes l'irrésistible envie..."

Les mots de Ceres étaient virulents et froids, c'était bien simple, elle ne savait pas parler d'une autre manière aux élèves qui l'entouraient. Après tout, c'était ce qu'elle était...La jeune fille était toujours tel un papillon, légère et insaisissable...Et même si elle pouvait se montrer odieuse avec tout le monde, ceux qui connaissaient quelques rumeurs sur son passé ne parvenaient pas à la détester, alors qu'elle détestait ce monde et les humains de toutes ses forces...C'était ainsi, et jamais elle ne changerait sur ce point précis de son tempérament.

Regardant avec froideur une dernière fois le jeune homme, elle tourna ses yeux aussi pénétrants qu'impénétrables vers le sol et se dirigea lentement vers la Tour d'Astronomie, où elle avait prévu d'aller à la base. Pourquoi avoir de la compagnie de toute manière si c'est pour la regretter plus tard? C'était inutile et puéril de toute manière...La jeune fille soupira plua ardamment encore lorqu'elle fut hors d'atteinte. Le jeune homme ne pouvait pas la voir, et elle ferma de nouveau les yeux. Ils lui faisaient mal depuis quelques temps, et pourtant la jeune fille rechignait à aller à l'infirmerie pour l'avouer à Madame Pomfresh...Une fois parvenue dans la Tour, elle trouva plusieurs marches où elle s'allongea doucement, ouvrant tout d'abord les yeux pour faire comme si elle pouvait voir...Mais elle les referma presque aussitôt, se laissant peu à peu emporter par un sommeil bien longtemps refusé...