James n'avait pas tord. Si lui et l'autre mangemort n'avait pas débarqué en pleine nuit, tué ses voisins, mis à sac sa boutique et sa maison et tout ce qui avait suivi, Florian aurait moins souffert. Mais ce n'était pas dans le caractère de l'homme de regretter avec des "si". Il prenait ce qu'il avait et il en tirait le maximum.

Passage de la fée. Phrase choc. Second passage de la fée.

James changea de sujet. Florian eut un sourire. Le jeune homme avait un comportement des plus étranges. On aurait dit qu'il avait envie de parler mais qu'il n'osait pas. Quelque chose le poussait à se confier au glacier tout comme il lui avait montré ses points faibles quelques mois auparavant mais autre chose le retenait… Et Florian ne saisissait pas exactement quoi. Toujours sourire au lèvre, il repris la parole.

"Oui, hein. Je suis d'accord, j'ai fait appel à un décorateur français en fait. Tu vois, j'ai un peu hésité avant de rentrer. Je me suis dis j'y vais et arrivé en France je n'étais plus sûr de moi. Tu comprends, tu m'avais donné la possibilité de faire un tournant dans ma vie, de me lancer dans autre chose… Mais je n'étais pas capable d'abandonner l'Angleterre, c'est mon pays et je l'aime. Je ne savais pas si je devais revenir en arrière ou aller de l'avant. Et puis j'ai goûté ça." Il désigna sa coupe de glace. "Dans une boisson, en France. Ils mettaient du sirop de Violette. Ca m'a donné des idées. Mon cerveau s'était remis en marche. C'était le déclic, le bon moment. J'ai saisi l'opportunité. Et me revoilà !"

Sur ces mots, il attaqua sérieusement sa glace et la dévora avec une délectation non dissimulée. Il remarqua que James semblait hésitant. Il repris donc sur un ton plus calme et doux.

"Tu sais, James, si tu passes ton temps à regretter le passé tu ne profites pas du présent… et tu finiras par regretter ça aussi. Si nous n'avions pas eu cette conversation il y a quelques mois, peut être serais-tu resté l'enfant perdu que tu étais, peut-être n'aurais-tu pas réussi à t'en sortir. Peut-être serais-tu à Azkhaban aujourd'hui. Quant à moi, je n'aurais pas connu l'Italie ni la France. La vie en Italie était nettement plus agréable que celle que j'avais ici à ce moment là. Cette conversation n'était certes pas ce qu'il y a de plus plaisant mais ce qui en a découlé est positif. Comment pourrais-je faire des glaces qui donnent du bonheur aux gens si je n'en ressentais pas moi-même ?"

Il marqua une pause le temps de finir sa glace.

"Tu veux me raconter ce qu'il s'est passé ?"

Tant d'optimisme en un seul homme, ce n'était pas possible... Incrédule, James écoutait le glacier, observait son visage joyeux, et n'en revenait pas. Si lui avait vécu la même chose, il ne s'en serait pas tiré comme ça ; il aurait été malade de haine, de soif de vengeance, et certainement pas prêt à bavarder gentiment avec son bourreau. L'état d'esprit positif de Fortarôme était pour lui quelque chose d'absolument incompréhensible. Jamais il n'avait su voir les conséquences positives d'un événement négatif, et depuis quelques mois, il s'était encore davantage renfermé dans un fatalisme maussade. Complètement désorienté par le discours plein de philosophie de son vis-à-vis, il détourna la tête pour regarder la serveuse s'affairer en terrasse, de son pas gracieux ; jolie demoiselle, qu'il aurait peut-être, en d'autres temps, tenté de draguer. Mais même ce genre de badinage ne l'intéressait plus. La jeune fille disparut un instant de son champ de vision, et il reporta son attention sur le glacier. Sa coupe de glace était encore pleine, alors que Florian avait presque terminé la sienne. Prudemment, comme s'il s'apprêtait à accomplir une action éminemment dangereuse, le repenti goûta une cuillerée ; pas mal, mais il préférait nettement le caramel à la fleur de sel.

Florian lui demanda s'il voulait raconter ce qui s'était passé, et il fit oui de la tête, incapable, pour l'heure, de parler. Il avala encore quelques cuillerées de glace avant de se lancer :

-Après votre départ, j'ai beaucoup réfléchi. J'avais compris pas mal de trucs en parlant avec vous. Un sourire amer passa sur ses lèvres, puis il reprit : L'Ordre du Phénix m'avait repéré, ils me suivaient... Et puis un jour, ils m'ont coincé, à Pré-au-Lard. Je ne me suis même pas défendu, il faut dire ; c'était un soulagement pour moi... Ils m'ont proposé un marché... que je leur livre un maximum d'informations, en échange de leur protection. J'ai accepté. J'ai balancé tout ce que j'ai pu, je leur ai donné toutes les informations possibles sur les Mangemorts... Ils auraient pu me tuer comme un chien, c'est ce que j'aurais mérité, mais ils m'ont aidé à me cacher... Ils devaient m'aider à passer à l'étranger mais finalement ça n'a pas pu se faire. Je leur avais dit que je voulais aller à Rome, si c'était possible, précisa-t-il en souriant tristement.

Il s'interrompit à nouveau, mangea un peu plus de glace, puis poursuivit son récit :

-Je ne sais pas ce qui va se passer maintenant. Le Ministère a tout ce qu'il faut pour m'envoyer à Azkaban, mais ils n'ont encore rien fait... Ils ont sans doute plus dangereux que moi à traquer pour le moment. Ma famille me croit mort, et ça vaut mieux pour moi... Quant à Ollivanders, je lui ai donné une fausse identité mais je ne sais pas s'il a été dupe. Et voilà toute l'histoire... rien de glorieux, vous voyez.

Durant tout le temps de son récit, il avait fixé obstinément la table de bois clair, incapable de regarder le glacier en face. Il ne leva la tête qu'à la dernière phrase, pour adresser un sourire d'excuse à Florian. La serveuse retraversa la salle, en hâte, sa jupe volant autour d'elle, donnant à l'ancien Mangemort un prétexte tout trouvé pour détourner le regard.

Le large sourire du glacier laissait James perplexe. Il n'y avait pas vraiment de quoi sourire en écoutant sa pitoyable histoire... L'histoire d'un type lâche, influençable, dont le seul acte de bravoure avait été de se cacher alors que d'autres risquaient leur peau. À force de ne s'accorder aucune excuse, le repenti en oubliait tout ce qu'il avait pu faire de bien, comme cacher Isaac, ou sauver Florian... Pourtant, les paroles de Fortarôme sonnaient juste ; James éprouva une vague de reconnaissance en entendant son ancienne victime souligner les points positifs de sa conduite. Il eut un sourire sincère, et reprit une cuillerée de glace. Non, décidément, la violette, ce n'était pas son truc. Le glacier s'en était d'ailleurs aperçu ; il demanda son avis à James, comme à un ami proche... Un peu gêné, l'ancien Mangemort répondit :

-Je dois avouer que je ne suis pas très... convaincu. Enfin... ce n'est pas que c'est mauvais, mais c'est déconcertant. Mais je ne suis pas « les » Britanniques, il ne faut pas vous fier à moi... Je suis assez difficile, vous savez, il y a beaucoup de choses que je n'aime pas.

Au passage de la serveuse, Florian glissa un commentaire qui fit sourire James. Il ne savait plus exactement avec qui il était attablé... avec un homme qu'il avait torturé, ou avec un père soucieux de son fils ? Son père, au demeurant, ne s'était jamais intéressé ainsi à lui. Avec Thomas, du moment que les trois fils ramenaient de bonnes notes et se comportaient « comme il faut », il y avait peu de place pour autre chose. La tendresse était réservée à la mère des garçons, et à elle seule. Thomas n'avait jamais pris la peine de parler réellement avec ses fils, de leur expliquer, par exemple, comment s'y prendre avec les filles... En une phrase, Florian avait déjà fait mieux que le véritable père de James. Un peu rougissant, le jeune homme répondit à mi-voix :

-Oh... je ne veux pas débaucher votre personnel...

Il se détendait, peu à peu, retrouvait un comportement un peu plus normal. Tant bien que mal, il termina sa glace, mais quelque chose lui restait en travers de la gorge. Quelque chose qu'il voulait dire, sans savoir comment s'y prendre... Il parvint finalement à lâcher quelques mots, d'une voix à peine audible :

-Je... je m'en veux tellement... Florian... Sa voix se raffermit, et il reprit : Je ne comprends pas comment vous faites pour être aussi optimiste, après tout... tout ça...

Il s'en voulut un peu de s'être exprimé si maladroitement, mais le mal était fait. Un sourire penaud sur les lèvres, il se laissa aller sur sa chaise, en ayant l'air de s'intéresser de très près à la décoration de la boutique.


[pardon pour la qualité]

Ça oui, il était ennuyant, le Florian, à avoir réponse à tout. Quoi qu'on lui dise, il trouvait du positif, et l'exposait d'une voix cordiale, comme s'il s'était entretenu avec un ami. Pourtant... Le visage légèrement tourné vers la vitre, James observait sans les voir les clients en terrasse, la serveuse, et les passants. À nouveau, son estomac s'était contracté, tandis qu'il écoutait les arguments de son ancienne victime. Dans l'absolu, il n'avait pas tort ; mais comment se pardonner, comment se reconstruire alors même qu'on avait pleinement conscience de ses actes ? Parfois, James regrettait le passé, l'époque où il se croyait si fort au-dessus des autres, où il ne mesurait pas la gravité de ses actes. L'ignorance lui aurait permis de vivre sans se poser de questions, sans se remettre en cause ; les événements en avaient décidé autrement, et il faudrait désormais ou vivre avec toute la conscience de ce passé infâme, ou sacrifier une partie de ses souvenirs. Depuis quelque temps, James réfléchissait à la possibilité de faire appel à un oubliator ; Edward Mole, rencontré le soir de la réception en l'honneur de l'Ordre du Phénix, aurait pu le débarrasser de la partie la plus dérangeante de ses souvenirs. L'opération, cependant, n'était pas sans danger ; d'autres, dont un bon paquet de malfaisants, étaient au courant du passé criminel de l'ancien Mangemort, et c'était renoncer à se défendre qu'abandonner une part de sa mémoire.

La fin du discours pourtant réconfortant du glacier arracha un soupir à l'ancien Mangemort. Vivre et être heureux... James secoua tristement la tête, et murmura :

-J'aimerais bien vous croire, Florian. Vraiment. Mais je ne pourrai jamais vivre, et encore moins être heureux, en sachant ce que j'ai été et ce que j'ai fait.

Soudain dégoûté, il repoussa sa coupe de glace et posa sa cuillère. Tout lui semblait si nauséeux, d'un seul coup... Le jeune homme prit sa tête entre ses mains, en proie à une soudaine lassitude ; il se massa un instant le visage avant de relever les yeux vers son interlocuteur :

-Je vous suis très reconnaissant de me dire tout ça, monsieur Fortarôme, mais j'ai bien peur que cette fois-ci, vous ne parveniez pas à me convaincre. J'aimerais vous croire, j'aimerais beaucoup, mais cette fois-ci, vous êtes vraiment trop optimiste... Comment pourrais-je vivre heureux avec tout ce que j'ai là ? conclut-il en tapotant son front d'un index rageur.

La serveuse s'affairait en terrasse, débarrassait les tables, répondait aux sollicitations, avec parfois un regard vers l'intérieur de la boutique – vers son patron, ou vers James ? Soudain exaspéré par tout ce qui l'entourait, le repenti se leva comme pour partir, ouvrit la bouche pour prononcer une phrase de salutation, mais la referma aussitôt, faute de trouver une formulation. Assez maladroitement, il lâcha finalement :

-Je... je vais partir.

Le ton lourd de sa voix laissait entendre que ce départ serait définitif, mais il préférait ne pas préciser. De toute façon, il ne le savait pas lui-même ; il avait seulement envie de quitter la boutique, le Chemin de Traverse, et peut-être de ne plus s'y montrer si c'était pour rencontrer Florian Fortarôme. Non qu'il éprouvât de la haine pour la glacier, mais sa présence le mettait vraiment trop mal à l'aise.

Le ton de James était devenu grave, désespéré, et Florian sentait bien que ses mots n'avaient plus d'impact sur le jeune homme. Il risquait même d'empirer les choses qu'il continuait à tenter de lui remonter le moral. Il n'était plus question de deviser autour d'une glace, son interlocuteur exprimait à mots à peine voilés qu'il ne lui semblait plus possible de continuer à vivre, que la mort lui serait préférable. Le glacier était capable de pardonner beaucoup de chose, mais il n'était pas certain de pouvoir pardonner son ancien tortionnaire si celui-ci se donnait la mort. Il n'en avait simplement pas le droit. Sa survie était un moyen de continuer à faire vivre ses victimes par le souvenir et la culpabilité. Il ne serait pas capable de pardonner une telle lâcheté. Se tuer… Lui-même avait souffert plus que de raison pour continuer à vivre. Si James se donnait la mort cela signifierait qu'il n'avait rien appris, rien compris et en aucun cas évolué. Cela signifierait que la vie n'aurait toujours aucune valeur à ses yeux, cela rendrait fausse sa culpabilité.

Le visage de Florian Fortarôme s'était fermé alors qu'il retenait cet ultime sermon, qu'il s'interdisait de le prononcer. James se leva, perturbé, perdu, souffrant intérieurement. Il annonça son départ. Aussitôt, le glacier bondit sur ses pieds et lui saisit le bras. Ca avait été un réflexe. Comme s'il pouvait retenir James éternellement, comme s'il retenait la main destructrice du jeune homme. Surpris de son propre geste, il desserra son étreinte un peu trop forte et plongea son regard dans celui de l'ancien mangemort. Le temps sembla se figer.

"Vis."

Le si locale glacier se contenta de ce mot, comme un ordre. Il ne dit pas un mot de plus et relâcha totalement le jeune homme… mais son regard était aussi sûrement accroché à lui qu'une forte poigne. D'un léger hochement de tête, il indiqua au jeune Kirkby qu'il ne le retenait plus, qu'il était libre de partir s'il le souhaitait… mais qu'il avait tout intérêt à tenir compte du dernier mot prononcé.

Le glacier regarda l'ancien mangemort s'éloigner et resta debout, ainsi, le regard dans le vide, pendant quelques minutes après son départ avant que sa jeune employée vienne le sortir de ses pensées en lui demandant de l'aide en terrasse.

La vie reprit alors son cours.


[Clos pour moi]