Cadfael avait réussi à quitter l'enceinte de l'école sans que personne ne l'aperçoive. Il avait longtemps songé à quel endroit serait le plus calme. Il avait été visité la bibliothèque, les sous-sols, le dortoir... Rien à faire. Il ne trouvait pas cet endroit qu'il appréciait.

Alors il avançait, pieds nus, sur l'herbe du parc. Sa cravate à moitié desserrée, les manches de sa chemise retroussées. Il lui manquait quelque chose. Le soleil brillait, annonçait un jour magnifique, et chaud. Et pourtant, il n'arrivait pas à déceler de la joie.

Son regard glissa vers les arbres. Trouver un peu d'ombre, se reposer. Il se dirigea vers un Saule Pleureur. Cadfael l'avait toujours trouvé magnifique. Ses feuilles vertes viraient au doré avec le soleil. Il était massif et planté dans le sol depuis des centaines d'années. Cela avait un effet rassurant sur Cad.

Il décala quelques branches pour s'asseoir contre son tronc. Mais quelqu'un avait déjà eu la même idée. Cadfael s'arrêta.

Emmanuel Perks. Ce gallois avec qui il était si proche, et qu'il n'avait fait que croiser depuis ce début d'année.

Pas qu'il le fuie. Non. Il s'arrangeait juste pour ne pas se retrouver seul avec lui.

En fait si. Il le fuyait. Et c'était en partie ça qui lui faisait du mal. Mais Manu lui pardonnerait-il son éloignement passager?

Comment lui expliquer tout ce qu'il avait vécu, lui cacher que son œil avait été blessé, que tout ce qu'il voulait, c'était retrouver sa gentillesse et sa force de caractère.
Quand à Manu, verrait-il en lui le Cadfael qu'il avait toujours connu, ou bien découvrirait-il un parfait étranger?

Lui pardonnerait-il de ne pas lui avoir parlé de ses blessures, d'avoir fait ce qu'il pouvait pour s'enfermer?
Se retrouver avec Crystal, si heureux, lui avait rappelé à quel point Emmanuel lui était précieux. Mais il ne lui en parlerait que si le Gallois se trouvait en état. Ses soeurs lui parlaient de Lucy Ann comme petite amie potentielle. mais jamais Cadfael ne s'approcherait de cette fille que Manu aimait tellement. Il était au courant des sentiments du jeune homme et ne voulait pas lui faire le moindre mal.

C'est pourtant ce que tu as fait en le fuyant lâchement

Touché. Le jeune homme hésita à faire demi-tour. Manu s'était endormi avec un livre dans les mains. Il avait peur de l'embêter. Que Manu le trouve gonflé de venir maintenant, alors qu'ils avaient eu de nombreuses occasions.

C'est ton frère gallois. Il comprendra? Et même s'il ne comprend pas maintenant, tu l'auras mérité.

Etait-il prêt à courir ce risque?

Lentement il avança, laissant la branche retomber souplement, leur formant un cocon, les cachant à la vue de quelconque intrus.

- Bonjour Manu. Je suis désolé d'avoir été si long à revenir.

Il s'assit à coté du jeune homme sans pour autant le toucher. Sa tête se colla au tronc. Il avait fermé les yeux. Il attendrait que Manu se réveille. Quitte à attendre des heures. Et il ne le retiendrait pas s'il ne voulait pas lui parler.

L'automne était sa saison favorite. Il faisait ni trop chaud, ni trop froid. Ça sentait le froid, les feuilles, le vent, toutes des choses qui avait un effet particulièrement calmant sur le jeune Gallois. L'automne, c'était l'arrivée des chocolats chauds, des pommes, de l'halloween, des tartes à la citrouille. Et même si parfois le soleil se perdait sous les nuages de pluie, il en était d'autant plus doux. Moins agressif que le soleil de l'été, il caressait les joues, étirait les lèvres en sourire. L'automne, c'était un moment de paix avant les guerres de l'hiver. L'automne, c'était la saison où l'on pouvait se promener en pull avec un foulard.

Ce qu'il fit.

Fidèle à ses habitudes, Emmanuel avait emmené sa lecture à l'extérieur. Lire à la bibliothèque, ce n'était pas son genre. Surtout que, de ces temps-ci, le jeune homme essayait d'éviter les foules le plus possible. Pas qu'il avait quelque chose à cacher, mais certaines situations le rendait mal à l'aise. Déjà qu'il devait supporter ce mal-être pendant les cours, il préférait rester seul sur les heures de pause. En fait, il n'était pas vraiment plus évitant qu'à son habitude – c'est-à-dire pas du tout – mais il se sentait moins confortable si, par exemple, Ella et Lucy Ann devaient se retrouver dans la même pièce.

Bref, tout cela pour dire qu'il avait choisi de faire ses lectures à l'extérieur et qu'il avait envie de visiter le vieux saule pleureur du parc. C'était probablement le plus gros qu'il n'avait jamais vu et il lui avait servi maintes fois de refuge. D'ailleurs, il se souvenait d'une nuit d'insomnie où Cadfael et lui étaient sortis du château vers les trois heures du matin pour venir discuter jusqu'au lever du soleil, conséquemment jusqu'à l'heure pour se préparer pour aller en cours. Il lui manquait beaucoup, d'ailleurs.

Livre de potions sous le bras, le Brun avait doucement écarter les feuilles de l'arbre pour se glisser dans cette prison de feuillage. L'air y était bon et les rayons du soleil perçaient cette carapace, venant éclairer quelques petites parcelles de l'herbe. C'était parfait. L'étudiant s'étendit sur le sol, un bras derrière sa tête et débuta sa lecture.

…

Pas qu'il n'aimait pas les potions, même que c'était, au niveau de la matière bien entendu, l'un de ses cours favoris. Mais l'ambiance avait donné un coup de fatigue au jeune homme, qui avait doucement sombré dans les bras de Morphée. Il le remarqua seulement en entendant une voix qu'il connaissait très bien. Une voix qui l'avait consolé à plusieurs reprises. Le Gallois ouvrit les yeux lentement pour venir croiser le regard de Cadfael avant que celui-ci ne ferme les paupières.

Il n'y pensa pas deux fois, déposant son livre sur le sol et se redressant en vitesse. Non, il n'était pas fâché, il n'était pas mal à l'aise. Son retour ne lui fit que le plus grand bien, en fait. Il avait retrouvé son ami, son confident, son Cad'

« Ce que tu peux être con parfois, Cad'... »

Il ne lui demanda pas la permission, venant simplement le serrer dans ses bras. Fort.

Emmanuel ne l'avait pas snobé. Il avait même été jusqu'à le prendre dans ses bras.
Cette étreinte avait été comme un électrochoc pour Cadfael. Il avait l'impression que tout e qu'il avait fait jusqu'ici, c'était se punir. Et punir Manu, qui ne méritait rien de tout ça.

- Pardon Manu.

J'ai été con de me montrer tellement absent. Tu as toujours été là pour moi et je fuis alors que je n'aurai besoin que de toi pour aller mieux.

C'est ça qu'il aurait voulu dire. Mais sa gorge restait serrée. Mais le principal était sans doute de s'être excusé. Il serra plus fort Manu encore. Il sentait des larmes lui envahir les yeux. Il se hâta de se frotter les yeux, accusant le saule de dégager des spores quelque peu irritants.

- J'ai été un peu occupé ces derniers temps, et on a sans doute beaucoup de choses à se raconter.

Il inspira un grand coup.
Le vent faisait frissonner les longues branches souples du saule, pendant que Cadfael écoutait les paroles d'Emmanuel. Le son de sa voix était apaisant, calme. Il sentait tout ce que le jeune homme ressentait en parlant. Ils parlaient de choses futiles, comme ils le faisaient avant de parler de choses importantes. Cadfael fut le premier à se lancer.

- Manu, je ne sais pas si tu es déjà au courant, même si je pense avoir été assez discret... je suis en train de vivre une histoire avec une jeune femme. Crystal. Elle est française, et en première année à l'UMA. Mes soeurs l'ignorent encore, et je voulais que tu soies le premier au courant.

Il l'avait dit. Il planta ses yeux dans eux de son ami brun, le regard fier et perçant.

- J'ai besoin de ton accord. Pas que je m'arrêterai si tu me le conseillais... cependant j'ai besoin de ton consentement.

Il se senti stupide. Il avait l'impression de demander à un père le droit de sortir avec sa fille. Il se demandait si Manu avait la moindre idée de qui était cette fille dont il lui parlait.Il se reprit.

- Tu sais comment sont mes soeurs. Elles vont me faire vivre un enfer, et ça risque d'être pareil pour elle. J'ai vraiment besoin d'un avis favorable. Non seulement elle est blonde, mais en plus elle n'est pas galloise. Pire, elle est française.

ça lui avait fait du bien de parler de ça. Il se sentait malgré tout coupable de ne parler que de lui. Son visage devint quelque peu plus sombre.

- J'ai cru apprendre que ça n'allait pas vraiment avec Lucy Ann... J'aimerai savoir ce que je peux faire. Parce qu'après tout, je suis aussi impliqué. Tu es mon frère de coeur et il est hors de question que je ne m'implique pas.

« Arrête de me demander pardon, Cad'. Si tu le fais ne serait-ce qu'une autre fois, je te tape dessus et on sais tous les deux que c'est moi le plus fort »

Il serrait toujours son frère gallois dans ses bras. Et il n'était pas prêt à le laisser aller encore. Cela faisait tout simplement trop longtemps qu'ils ne s'étaient pas vus. Certainement, il y avait eu des moments d'amertume, surtout après sa dernière discussion avec Lucy Ann. Le brun se souvenait clairement du moment précis où ses genoux touchèrent au sol après qu'il ai balancé un puissant coup de poing au mur de pierre; c'était peut-être le seul moment où il en avait vraiment voulu à Cadfael d'être absent. S'il avait été là, il l'aurait aidé à se redresser, il lui aurait parlé, il l'aurait consolé. Au lieu de tout cela, il s'était retrouvé complètement seul. Seul avec sa haine.

Mais cela, il ne voulait plus y penser. Il voulait seulement penser au fait que son confident était de retour.

Emmanuel déposa doucement sa main sur l'épaule du blond et l'invita à s'asseoir d'un sourire tendre. Ils discutaient toujours mieux assis. Le gallois s'assied donc sur l'herbe, son dos collé au tronc large du saule, suivant Cadfael des yeux. Alors qu'il reposait doucement sa tête sur l'écorce de l'arbre et qu'il fermait les yeux, il se laissait caressé par la voix de son frère gallois. Elle avait l'effet d'un baume sur un plaie, d'un mot d'encouragement. Même si ce dont ils discutaient n'avait pas quoique ce soit de motivant. Cela lui rappelait seulement qu'il était de retour, cette fois, il l'espérait, pour de bon.

L'étudiant sourit sincèrement en entendant son confrère parler d'une fille. Finalement, il s'était casé. Après tout, un garçon gentil et attentionné comme lui ne pouvait faire qu'un petit ami de qualité. Le gallois glissa son bras autour des épaules du blond et le regarda droit dans les yeux, ce même sourire tendre et sincère aux lèvres.

« Bien sûr, que je suis d'accord! Il va falloir que tu me la présentes, cette Française. J'en ai une à te présenter aussi, pour ma part. Mais ce n'est pas une petite amie. »

Une française blonde en première année? Ça ressemblait drôlement à Blanche, qu'il venait tout juste de mentionner à son ami. Mais la copine de Cadfael s'appelait Crystal. Il ne la connaissait pas du tout.

« Cadfael, écoute-moi bien... » Il prit un air plus sérieux. « Je comprends que tu veuilles plaire à ta famille, surtout à tes sœurs. Tu veux qu'elles acceptent ta petite amie. Mais tu as entièrement le droit d'aimer qui tu veux, quand tu le veux, sans avoir besoin de l'accord de Deryn et Blod'. Tu es un grand garçon, hm? Je sais que ce n'est pas facile. Nous savons tous les deux que par chez nous, la famille, c'est primordial, et c'est bien ainsi, mais l'amour, ça ne se juge pas. Ça se vit. Et je ne peux que t'encourager à fréquenter cette belle Française. C'est bon...? »

Le brun ne savait que trop bien que le sujet reviendrais à lui et, malheureusement, à son histoire avec Lucy Ann. Il déposa son regard d'émeraude sur l'herbe et soupira doucement.

« Je ne sais pas ce qui se passe vraiment, Cad'. La dernière fois que nous nous sommes parlés, c'est quand je lui ai dit pour Cyanur. Et ça a fini en insultes, en cris. Elle a transplané je -ne-sais-trop-où et je me suis cassé la main sur le mur de pierre. Ça fait peut-être un mois de cela. Je la croise en cours mais je ne sais pas si je dois lui parler d'abord ou vice-versa. Je... Je crois m'être suffisamment excusé, cette fois, je crois que c'est elle qui réagit un peu trop violemment.... »

Par Merlin, il se sentait libéré. Il n'en avait parlé à personne, absolument personne. Et là, il pouvait dire exactement comment il se sentait, ce qu'il avait pensé, tout ce qu'il avait gardé pour lui-même pour un mois.

Il cru cependant sage de laisser les dossiers d'Ella et de Zélie de côté pour le moment.

De toute façon, Cad' finissait toujours par savoir tout de Manu.

- Tu fais partie de ma famille, et ton avis était aussi important que celui de Deryn et Niallàn.

Les bras de Manu l'avaient relâché, et faisaient comme une protection. Tout ce temps, il écoutait les paroles de son frère gallois. Il était tellement sage et calme quand il parlait et qu'il le conseillait.

- Oui tu la rencontreras. Même si j'ai peur qu'elle n'aies d'yeuxx que pour toi après!

Il rit. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas rit en présence d'un ami. Il ne pensait rien de ce qu'il avait dit. Il avait une confiance aveugle en Manu. Jamais il ne risquerait de courtiser son amie. Tout comme il savait que Crystal ne se mettrait pas soudainement à s'amouracher de Manu.

- Je sais bien que l'amour ne se décide pas. Mes soeurs ne peuvent pas m'empêcher d'être avec elle. Malgré tout, je ne supporterai pas qu'elles m'en veuillent ou qu'elles me fassent la tête.

L'accord de Manu lui avait fait énormément de bien. Il ne se sentait plus hors-la-loi.
Quand la discussion dériva sur Lucy Ann, Cad se senti rapidement mal à l'aise. Ainsi donc, ils avaient eu une violente dispute. Et c'était donc ça le bandage qu'il avait vu à son poignet il y a quelques temps. Et cette fois, il ne savait plus où se mettre. Manu avait eu besoin de soutien, et lui s'était cloîtré au plus profond de lui-même. Il avait laissé son frère tomber.

- J'ai vraiment été con d'être si loin de toi alors que tu avais besoin de moi. C'est moi qui t'ai conseillé de lui dire, j'aurai dû être à tes côtés.

Il ne savait pas comment Lucy Ann avait réagi. Elle avait le sang chaud. Manu avait fait une connerie, et il était normal que la jeune femme lui en veuille. Mais Manu était vraiment repentant. Il n'avait qu'un amour, et c'était cette rouquine. Ils étaient tellement faits l'un pour l'autre que ça crevait les yeux de tout le monde.

- Je vais aller la voir. Je ne sais pas si j'arrangerai les choses, mais je ne peux pas rester sans rien faire.

Le regard de Cad dériva vers Manu. Il était vraiment au plus mal. Parler de la jeune femme avait été un mal pour lui. Mais éviter le sujet aurait été plus désastreux.

- Manu, on va arranger ça.

Cadfael se plaça à genoux devant Manu et mit sa tête sous son visage. Il savait que c'était un risque qu'il prenait. Ses mains se posèrent sur les bras du brun. Il releva les yeux, pour forcer Manu à le regarder.

- Je ne serais plus loin de toi à présent Manu.

Le regard de Manu était calme, doux, un léger sourire était apparu... Et puis tout avait changé. Cadfael senti la chair de poule envahir ses bras. Il avait vu que quelque chose n'allait pas. Cadfael se senti blêmir.

Pas ça. Pas maintenant.

Cette fois il allait vraiment se prendre un coup. Il le méritait.

Pourvu qu'il ai la force de me pardonner ça. Par Merlin, faites qu'il me pardonne

[Hj: C'est un peu court, mais je voulais laisser le temps à Cad de se justifier ]

Il voulait arranger ça, qu'il disait... Manu aussi, d'ailleurs. Malgré le mois qu'il avait passé à profiter à fond de son célibat, il se surprenait toujours à penser à Lucy Ann, à se demander ce qu'elle faisait et s'il lui manquait ne serait-ce qu'un peu. Le gallois sentait qu'elle ne quitterais pas son esprit de sitôt. Après tout, elle était partie pendant plusieurs mois, la dernière fois, et ce n'était que environ trois semaines avant son retour qu'il avait réussi à l'oublier. Mais il souhaitait sincèrement que, cette fois, ils soient réunis dans des délais plus brefs. Il l'aimait. Puis qu'il n'avait jamais aimé une femme et plus que n'importe quel homme pourrait aimer Lucy Ann.

Le brun resta silencieux à la remarque de son frère de sang, se laissant simplement enlaçer. Pour une fois que quelqu'un était là pour l'écouter et le consoler, il en profitait pleinement. Il se sentait bien, libre de ses soucis.

Ceux-ci ne tardèrent pas à revenir en trombe.

Alors que l'étudiant venait croiser le regard bleuté de son confident, il remarqua quelque chose de différent dans celui-ci. Quelque chose qui lui avait échappé à première vue. Il lui adressa un regard perplexe et vint glisser sa main sur la joue du blond, ses doigts effleurant la paupière inférieur de l'oeil qui lui semblait différent.. Un petit reflet miroitant au creux de la prunelle de son oeil n'était clairement pas identique à l'autre. Il s'était blessé. Et de ne pas savoir pourquoi ou comment cela s'était produit le frustrait au plus haut point.

Emmanuel se contraria, frissonnant d'inconfort et dégagea sèchement ses bras de sous les mains de Cadfael. Son regard devint plus sévère, adressant à son frère d'origine un air à la fois attristé et fâché.

« Et tu comptais me parler de ça quand, hm? » , dit-il, les dents serrées

Le gallois poussa Cad' d'un geste brusque et se redressa, maintenant debout contre l'arbre. S'il l'avait prit cela à la légère, probablement qu'il l'aurait giflé. Mais cette fois, il était vraiment fâché, suffisamment pour simplement avoir envie de lui faire la morale sans l'accompagner des habituels petits coups qui arrivaient à banaliser toutes les situations.

« Ça me déçoit encore plus que ton départ, tu sais? On doit tout se dire, Cad, tout... J'ose espérer que tu vas me raconter tout cela, et en détails. Où, pourquoi, comment et surtout, surtout qui. Que je le chasse. »

Il ne voulait pas que Cadfael souffre seul.

Jamais.

Il avait vu. C'était la pire chose qui pouvait arriver. Manu avait vu qu'il s'était blessé, et il avait eu l'air trahi.

- Manu je...

Son frère l'avait repoussé avec une certaine force. Au lieu de le frapper, il s'était redressé avec brusque et s'était collé contre le saule.

« Ça me déçoit encore plus que ton départ, tu sais? On doit tout se dire, Cad, tout... J'ose espérer que tu vas me raconter tout cela, et en détails. Où, pourquoi, comment et surtout, surtout qui. Que je le chasse. »

Cadfael était perdu dans ce qu'il voulait dire et faire. Il voulait se relever, mais le stress qui l'envahisssait l'en empêchait. Il voulait s'enfuir, revenir en arrière. Mais même s'il en avait le pouvoir, il ne le ferait pas. Il referait pareil.
Il se releva et tenta de toucher Manu. Mais celui-ci repoussa sa main. Sans doute la colère, la frustration. Mais chaque barrière qui se dressait entre eux n'était que la faute du blond. Il le savait et ça le détruisait. Plus il attendrait, plus il aurait du mal à en parler.

- C'était... lors de l'attaque de Poudlard.

Son regard était tombé à ses pieds. Il avait le cou tellement courbé qu'on aurait pu penser qu'il attendait qu'on le frappe pour abréger son agonie.

- Deryn et Niallàn y étaient. Il était hors de question que je ne m'en mêle pas. Et tu sais que je fais partie de l'Ordre. J'aurai été un traître à mes yeux si j'avais ignoré cette histoire.

Ce n'est pas ça qui l'intéresse susurra une petite voix.

- Je suis venu dans l'école vêtu d'une longue cape noire, la capuche me cachant le visage. J'ai passé une partie de l'attaque au milieu, à combattre sans recevoir le moindre sort. J'en ai esquivé beaucoup...

Il serra les poings. ça lui faisait du mal d'y repenser. Il avait passé tant de temps à l'enfouir au plus profond de lui, à apprendre à revivre comme ça...

- Il y a eu une accalmie et j'ai enlevé ma capuche. C'est à ce moment qu'il est arrivé. Je me suis pris un sort venu de nulle part, et qui m'a atteint en plein visage.

Tout son corps de tendait à présent. Il ferma les yeux.

- Je ne sais pas si c'était un sort allié ou ennemi. Je n'ai pas eu le temps de l'esquiver. Je l'ai vu et je me suis retrouvé à genoux. Le pire... le pire c'est que j'ai mis en danger Deryn!

Cette fois, il se laissa tomber à genoux.

- Elle était en arrière! Elle était protégée et elle s'est précipitée pour m'aider! J'ai vu des dizaines d'éclairs autour d'elle lorsqu'elle a couru jusqu'à moi!

Il n'en pouvait plus.

- Et si c'était pour la tuer elle qu'ils m'avaient attaqué... qu'est-ce que j'aurai fait! Elle... elle m'a allongé et les autres ont déplacé les sorts et les tables pour nous défendre. Elle et plusieurs médicomages ont tout fait pour me soigner. Ils lui disaient qu'il n'y avait aucune chance que je retrouve mon oeil mais elle n'arrêtait pas... elle utilisait tout ce qu'elle savait, tout ce qu'elle aurait pu apprendre... Elle était paniquée. Elle se serait épuisée... Alors je lui ai dit que ça allait mieux. Que je voyais flou mais que ça allait aller mieux. Elle a fini par me croire.

Il se recroquevilla un peu plus. Il avait envie de pleurer, son cœur le brulait. Il avait l'impression de se détruire. Les barrières tombaient. Il se dévoilait à nouveau devant Manu. Comme il l'avait tant souhaité. Même si son absence risquait de lui coûter l'amitié de son frère de sang. De lui faire perdre tout ce qu'il considérait comme essentiel.

- J'ai passé plusieurs mois chez moi, à m'exercer à ne rien casser, à réapprendre à vivre avec un seul oeil. Deryn a des doutes, et Niallàn aussi. Mais elles se tueraient à la tâche, à chercher un antidote. Je ne sais pas quel est ce sort, ni qui me l'a lancé.

Il posa les mains dans la terre, presque comme pour supplier Manu.

- Je n'avais pas envie de t'éviter, je savais que ça n'allait pas fort, j'avais envie de te réconforter, de te prendre dans mes bras... mais je craignais ta réaction. Et plus le temps passait moins je me sentais de t'en parler. Je...

Sa voix se fit plus fluette. Il commençait à voir flou.

Pas maintenant. Pas devant Manu. Merlin pas ici...

- Je sais que je n'ai aucun droit de te le demander à présent...

Il se senti glisser.

Pardonne-moi...

Emmanuel avait détourner sèchement le regard de Cadfael, tout simplement trop énervé pour soutenir son regard ou le regarder sans avoir envie de le rappeler à quel point il lui en voulait de n'avoir rien dit. Le gallois était au courant de l'implication de Cadfael au sein de l'Ordre du Phénix depuis même ses débuts. Son frère lui avait souvent fait part de ses convictions, de sa frustration face à tout ce qui se produisait avec le Lord Noir, de ses désirs de justice et d'harmonie. Bref, ce n'était pas un secret pour le brun et lui, en revanche, s'assurer de rester discret à ce sujet. Il n'en parlait qu'avec le blond. Lui aussi supportait ces idéaux mais il avait choisi de ne pas s'impliquer officiellement. Il n'avait pas le temps de s'occuper de l'ordre en plus de veiller sur sa famille, ses amis et s'impliquer correctement dans ses études. Il gardait donc ses opinions pour lui-même.

Au fur et à mesure que les paroles fusèrent d'entre les lèvres de Cadfael, Manu se retournait vers lui presque machinalement. Il ne le voulait pas vraiment mais de sentir son frère Gallois dans une telle détresse l'interpellait au delà de son conscient. Il détestait le sentir avoir peur, le sentir malheureux. Et au fur et à mesure que la douleur du blond se faisait sentir dans sa voix, dans ses gestes, Manu se rapprochait, son visage de détendait et s'attristait pour laisser entièrement place à la compassion la plus pure qu'il puisse ressentir. Il ressentait le choc électrisant du sort dans son œil, il entendait les cris et les incantations, il était là, avec lui.

« Cad... » , souffla-t-il en venant s'agenouiller aux côtés du blond.

Le Gallois n'hésita qu'une petite seconde. Juste le temps de se dire que c'était tout-à-fait approprié de le serrer dans ses bras. Alors que son confrère avait enfoui ses doigts dans l'herbe humide , lui vint glisser l'un de ses bras dans son dos, caressant ses côtes du bout des doigts. Il cherchait ses yeux, même s'ils ne le voyaient plus aussi bien qu'avant.

« Écoute-moi bien, morveux... »

Emmanuel n'eut pas le temps de continuer ce qu'il avait voulu lui dire; il sentait déjà l'étudiant fondre dans ses bras, perdant peu à peu conscience. Le poids du blond reposait doucement sur lui, sa tête nichée contre le haut de son torse. Cependant, le Gallois ne paniqua pas. Son confrère avait besoin de ce sommeil forcé, des bras de Morphée. Il recueillit Cadfael avec toute la douceur dont il était capable et l'étendit sur le côté. D'une façon des plus candides et enfantines, le brun s'étendit également à ses côtés, lui supportant la tête d'un bras et soutenant la sienne de l'autre. Sa main caressait tendrement la chevelure de blé du jeune homme, ses yeux d'émeraude cherchant à ce que ceux de Cad' s'ouvrent à nouveau.

« Je suis là, Cad'... Ne t'en fait plus... »

Cad rouvrit les yeux sous cet arbre, seul. Les mains pleines de terre, sa main contre une des racines. Tout cela n'avait aucun sens. Manu ne l'aurai pas laissé là. Du moins... pas avant.

Tu penses vraiment qu'il t'aurait abandonné à ton triste sort?

Non. Manu n'était pas ce cet acabit. Il ne ferait jamais ça.
Cadfael se redressa doucement. Il avait encore la tête qui tournait légèrement. Il n'y avait pas de bruit. A par bien sûr le vent qui faisait frissonner les feuilles de l'immense arbre. C'était... trop calme. Et chose impossible... il voyait. Il voyait avec ses deux yeux.

- Ce n'est pas possible...je suis en train de rêver...

- A qui parles-tu?

Il s'était retourné violemment, Son cerveau, lui, mit quelques secondes de plus. Manu était face à lui.

- Manu?

- Tu ne me reconnais pas?

C'était Manu. Cad en était certain. Et pourtant, il n'osait pas approcher, ni le lâcher du regard. ça n'allait pas. C'était un rêve.

- C'est juste un rêve, rien qu'un rêve...

Il le disait doucement, pour se persuader. Il voulait se réveiller. Il ferma les yeux, le répétant à nouveau. Jusqu'à ce qu'on le plaque au saule. Sa tête heurta assez fort le tronc. Il rouvrit les yeux. Il avait eu mal. Et les poings qui lui tenaient le col...

- Qu'est-ce qui t'arrives Cad? Pourquoi tu me fuies? Tu as peur de moi?

Son coeur battait de plus en plus vite. Il voulait se débattre, mais blesser Manu...même si c'était un rêve, ce dont il doutait un peu maintenant...non ce n'était pas envisageable.

- Manu, lâche-moi. Je sais que c'est complètement fou... mais tu n'es pas réel.

Et à cet instant, il vit quelque chose qu'il n'aurait jamais souhaité voir. Le regard de déception... comme s'il avait trahi Manu plus qu'il ne l'avait fait jusqu'ici en lui cachant la vérité.

- C'est ainsi que tu me considères! Comme quelqu'un qui ne fait plus partie de tes amis! Je t'ai fait confiance, je t'ai tout dit... pour en arriver là!

Ses paroles faisaient mal à Cad. Il ne voulait pas croire que c'était autre chose qu'un cauchemar. Pourtant... c'était tellement douloureux...

- Je te laisse donc. Puisque tu m'as rayé de ta vie, je vais faire de même...

Il détournait les talons. Cadfael le regardait s'éloigner.

- DOLORIS

Terrifié, Cad vit le sort atteindre Manu. Attaqué en traître.

- MANU!!

Il se plaça devant Manu. Il ne le laisserai pas prendre un autre sort. Il fallait qu'il éloigne l'ennemi, et qu'il emmène Manu à l'infirmerie. Vite.

- Viens t'en prendre à moi sale...

La vision le pétrifia. Il était face à un ennemi improbable. Un jeune homme blond, qui avait tiré sur son frère de sang. Cet ennemi qu'il aimerai tuer de ses mains...c'était lui. Il décela un sourire malsain sur ce visage qui était le sien. Il était prêt à recommencer. Il le voyait. Il se positionna en défense. Il n'atteindrai plus Manu.

- Ne t'approche pas. Je ne sais pas qui tu es, mais je ne te laisserai pas approcher.

Une violente douleur lui parcouru le dos, avant qu'un bras n'enserre son cou par derrière.

- Tu fais trop confiance à tes yeux, qui ne sont pourtant plus très bon...

Son sang se glaça. Il sentait la baguette appuyer sur sa colonne vertébrale. Cependant, aucun souffle ne venait de celui qui le maintenait.

- Réveille-toi réveille-toi...

- Ne crois pas t'en sortir si facilement Cadfael William Cadell...

Un doloris fut lancé, et une douleur lui parcouru le dos. Lorsqu'elle eu atteint son oeil, il sursauta.
Ou plutôt, il se réveilla en sursaut. Il était collant de sueur. Il tremblait.

La voix inconnue se joua une dernière fois de lui avant de disparaître au fin fond de son inconscient.

Les yeux de Manu ne quittèrent pas un seul instant Cadfael. Celui-ci avait suffisamment souffert seul, cela n'arriverait plus, il se le jura. Le gallois savait très bien que le blond pouvait en tout temps compter sur ses sœurs et sur sa nouvelle copine – il ne la connaissait pas mais il ne pouvait que le deviner – mais ce n'était pas la même chose. Emmanuel et Cadfael formaient un tout, une équipe. Des âmes sœurs, ça ne devrait jamais être séparé, jamais. Le brun soupira doucement, ses doigts caressant toujours délicatement la chevelure de blé de son frère. Il espérait seulement que, à partir de maintenant, cela n'irait que mieux pour le blondinet. Mais en ces temps si sombres, c'était difficile à envisager. Surtout qu'il faisait activement partie de l'Ordre du Phénix.

Le jeune homme se prit aussitôt à angoisser à l'idée seule que Cad' puisse se retrouver à nouveau dans une situation dangereuse. Il pourrait mourir. Il était presque mort, même. Et il n'y pouvait strictement rien. L'étudiant senti un nœud serré se former dans sa gorge, l'empêchant brièvement de respirer. Son regard se fronça; Non, il n'aimait pas ça. Il avait peur de perdre sa moitié. D'ailleurs, le jeune Perks n'avait aucune idée de ce que pourrait être sa réaction si son ami était tué. Une chose était certaine, il traquerait son assaillant et le lui ferrait amèrement regretter. Probablement que Cad ne serait pas d'accord avec cela mais il doutait fort qu'il aurait la capacité de retenir cet élan de colère et de barbarie. Oui, il pourrait tuer pour Cad.

L'étudiant fut tiré de sa torpeur par quelques bruits faibles qui s'échappaient d'entre les lèvres de son frère de sang. Il voyait ses yeux s'agiter sous ses paupières, ses sourcils étaient froncés; il rêvait. Mais c'était visiblement plutôt un cauchemar. Son corps entier commença alors à bouger. Il semblait se débattre, affolé.

« Cad, calme-toi... », chuchota-t-il en se redressant sur son coude, son avant-bras soutenant toujours la tête du blond.

Le brun resta ainsi suspendu, son regard inquiet surveillant Cad durant son rêve visiblement douloureux. Ce n'était peut-être pas une si bonne idée d'être aussi près de lui alors qu'il remuait ainsi; son bras avait prit un tel élan qu'il vint le frapper directement sur la mâchoire, arrachant un gémissement de douleur au gallois. De sa main libre, Manu vint se frotter un peu la joue pour faire passer la douleur en gardant toujours un œil bienveillant sur Cadfael.

Celui-ci se réveilla finalement en un grand sursaut. Ce n'est qu'au réveil de son frère qu'il remarqua à quel point le jeune homme était en sueur, son propre avant bras recouvert d'une fiche couche de transpiration à force de supporter sa nuque. Il sourit tendrement au gallois, cherchant son regard de ses yeux de jade.

« T'as pas fini, de me foutre la trouille, Hyn? »

La voix de son frère gallois l'avait ramené à la réalité. mais à cet instant, il n'aurait pas osé bouger. Il fallait qu'il réfléchisse. Vite.

Ses yeux... il ne voyait rien de son oeil blessé. Le vent soufflait doucement. Il n'y avait presque pas de bruit... mais il y en avait un peu quand même. La voix suave de Manu semblait plus réelle à présent, et ses mots étaient rassurants.

- Manu.. est-ce que je rêve encore?

Question idiote. Est-ce qu'un rêve pouvait lui répondre?

Il sentait à présent la peau de son frère sous sa nuque. Il sentait les battements de son coeur, son souffle chaud. Il inspira profondément. Oui, plus aucun doute. Il était réveillé. Il se redressa doucement. Il se sentait mal à l'aise, et pourtant il était rassuré.

- J'ai fait un cauchemar. ça faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé... si subitement.

Il ne pouvait pas se retourner, mais il sentait le regard de Manu dans son dos. Cependant, ce n'était pas un regard mauvais. Il était bienveillant, sans doute inquiet.

- Manu, s'il m'arrivait quelque chose, protège mes soeurs.

Le Doloris l'avait surpris. Se faire avoir comme ça... en protégeant son ami l'avait fait réfléchir. Si par le plus grand des hasards il lui arrivait quelque chose, il ne supporterai pas que Manu prenne de tels risques pour lui. Emmanuel avait une vie, une famille, une petite amie... Se blesser n'arrangerait rien.

Il se retourna et serra Manu dans ses bras avant que celui-ci n'ai pu répondre.

- Merci d'être resté à mes côtés.

Il le pensait. Il savait que le gallois ne l'aurait pas abandonné. Et pourtant le sentir à ses côtés lui avait fait tellement de bien. Il avait l'impression qu'il allait pleurer. Ses larmes seraient acceptées ici. Ainsi, quelques-unes décidèrent de s'éclipser de ses yeux. Il les essuya rapidement.

- Tu as été là pour moi. A présent... je t'ai révélé tout ce que je te cachais. Est-ce que toi, tu veux me parler d'autre chose? De Lucy Ann?

Il voulait le lâcher, le regarder dans les yeux...mais ses poings étaient serrés sur la chemise du brun, crispés. Il avait besoin de cette chaleur,

Il était là, il le sentait. Les yeux d'océan du Cadell vinrent chercher ceux de jade d'Emmanuel, un fin sourire toujours accroché aux lèvres de celui-ci. Il n'aurait pas voulu être autre part. Sa relation avec Cadfael était devenue comme un mariage; à la vie, à la mort, dans la santé comme dans la maladie. Et ni l'un ni l'autre n'avait vraiment l'intention de demander le divorce. En fait, ça n'arriverait jamais, le jeune Perks le savait. Non, ils ne s'entendaient pas toujours et oui, parfois, il se tapaient dessus mais ce n'était tout simplement pas envisageable de ne pas partager ces moments avec son frère de sang. Les bons comme les mauvais.

L'étudiant laissa son camarade se redresser, le regard discrètement sans nécessairement le brusquer. Il aurait pu le forcer à croiser son regard, comme il le faisait bien souvent, mais cette fois, il lui laisserait le temps...

Le brun changea cependant bien vite d'avis en entendant ce que le blondinet avait à dire. Comme s'il avait lu dans son esprit, il venait tout juste de parler de ce qui avait angoissé le jeune Perks un peu plus tôt. Il aurait voulu le brusquer, lui faire mal, l'engueuler mais il n'en eut pas le temps. Aussitôt avait-il posé ses mains sur les épaules de Cad' pour le retourner, celui-ci vint se nicher dans ses bras, dont il resserra instinctivement l'étreinte. Le gallois soupira, sa joue se collant affectueusement contre la chevelure de son frère et lui murmura:

« Shut the fuck up, Hyn*... Ne parle plus de la mort, ne parle plus de toute cette merde. Là, juste là, ce n'est pas important. Tu sais très bien que tes sœurs sont comme les miennes et que je veillerais sur eux avec ma vie. Tu n'as pas besoin que je te le dise, ça. »

Le jeune homme avait senti une goutte de liquide lacrymal couler contre la peau de son cou; une larme de Cad. Le vent refroidi le sentier humide qu'elle avait tracé entre ses veines, le jeune homme frissonnant de cette sensation de froid.

« Non, je ne veux pas vraiment parler d'elle. C'est fini jusqu'à nouvel ordre, c'est tout. »

Ses propres mots l'avaient blessé. Il avait dit cela presque naturellement, un peu froidement certes, mais avec un certain calme dans la voix. Emmanuel réalisa à ce moment précis que de se mentir à lui-même lui avait fait plus de tort que de bien. Maintenant qu'il regardait la vérité les choses en face, la douleur en était que plus vive.

Le brun serra le blondinet un peu plus fort, expirant un autre soupire et se mordit l'intérieur de la joue, se faisant violence pour ne pas laisser aller une larme.

Au moins, cette fois, il n'était pas seul.

[* Ferme ta putain de gueule, Hyn]

Il était parti trop longtemps. Vraiment trop. Manu avait perdu celle qu’il considérait comme la femme de sa vie. Qu’il refuse d’en parler faisait comprendre à Cadfael à quel point c’était sérieux. La rousse avait un tempérament de feu, et l’incartade de son ami avait dû être dur pour elle. Si seulement elle l’avait vu, quand elle était partie, le voir dépérir loin de ses bras. Il en avait voulu à Lucy Ann.
A présent, il se sentait incapable de lui faire le moindre reproche. Il avait fait pire qu’elle. Il avait abandonné Manu alors qu’il était déjà blessé. Il avait pensé à Manu quand il avait été blessé. Cette seule pensée de le voir inquiet par sa faute lui avait paru insoutenable.

C’était pourtant ce qu’il avait fait, en pire. Rien qu’à sentir le cœur de son frère, battre aussi vite, lui avait fait réaliser son erreur. Ils avaient besoin d’être en contact l’un avec l’autre. Il ne voulait plus que ça arrive. Il avait mal au cœur, dans les bras de son frère. Il était incapable de le lâcher. Il avait besoin de sa chaleur, de sa protection. Il redevenait un enfant dans les bras de Manu. L’inverse parfois arrivait. Ils alternaient tellement les rôles que n’importe qui entre eux aurait été perdu. Tout était si naturel…

- Manu, c’est la guerre en ce moment. Je suis rassuré que tu ne soies engagé nulle part. J’aurai au moins le sentiment que tu es moins en danger que moi.

Ces mots n’étaient rassurants que pour lui, il le savait parfaitement.
- S’il arrive quoi que ce soir, je m’arrangerai pour que tu saches que tout va bien pour moi.

Ce n’était pas des paroles en l’air. Manu était sa moitié galloise. Sans lui il se sentait incomplet.

- J’aurai dû être là quand tu avais besoin de moi. Je ne peux pas te promettre d’être tout le temps à tes côtés en ce moment-on finirait par se taper dessus- mais si tu m’appelles j’accourrai, quoiqu’il m’en coute. Il l’empêcha de protester. Pas la peine de me traiter d’idiot, tu sais que je le suis.

Il se mit à serrer son frère plus fort. Il était décidé à survivre quoiqu’il arrive. Pour ses sœurs, pour Crystal, pour Manu. Les silences qu’ils échangeaient étaient aussi forts que leurs longues discussions.

- Je ne t’abandonnerai jamais Manu. A la vie à la mort.

Oui, c'était maladroit. Ce n'était pas ça que Manu voulait entendre. Cadfael sen était rendu compte. Trop tard.

Manu n'avait pas besoin de dire quoique ce soit. Cadfael était là et il comprenait tout sans qu'ils n'aient vraiment à s'échanger de mots. Il lisait en lui et, à vrai dire, à ce moment-là, ça lui convenait. Il n'avait pas envie de parler de quoique ce soit, de Lucy Ann et de toute cette foutaise. Il voulait dormir, la tête contre son meilleur ami et se laisser bercer par le bruit du vent dans les feuilles...

Il ne l'écoutait pratiquement plus parler. Certes, il l'entendait et se disait intérieurement qu'il méritait de se faire coller une bonne droite mais il ne céda pas à cette envie. Il le regardait dans les yeux d'un air un peu perdu, vide, épuisé. Le retour de son frère gallois signifiait qu'il n'était plus seul et qu'à partir de maintenant, il n'avait plus à s'inquiéter à propos de certaines choses.

Le brun réalisa alors qu'il était excessivement dépendant de sa moitié blonde. Durant toute son absence, il avait accumulé les conneries, les coups de gueule, les emmerdes, les déprimes. C'était fini, maintenant. Hyn était de retour, non pas indemne, mais tout de même en bonne santé, ce même sourire aux lèvres malgré une nouvelle absence au creux de ses prunelles. Il n'avait plus tout à fait cette joie de vivre silencieuse qui l'avait caractérisé pendant longtemps. Il lui semblait blasé, écrasé. Au moins, maintenant qu'il était de retour, il pouvait l'aider à porter son fardeau. Qu'il le veuille ou non.

« J'en ai marre de t'entendre parler, Hyn. »

L'étudiant avait dit cela sur un ton absolument banal, surtout si l'on considérait les gestes qui suivirent ces mots. Le gallois se pencha vers Cadfael et déposa un seul, unique et chaste baiser contre ses lèvres avant de s'étendre sur l'herbe, sa tête se fondant naturellement aux cuisses de son frère. C'était beaucoup plus efficace qu'un coup, en fait. Mais Manu et Cad savaient tous les deux que rien de luxurieux ne transparaissait dans ce baiser. C'était à la fois une tactique, une promesse, un sceau. Comme deux enfants qui partagent un bisou, rien de plus.

Le jeune Perks ouvrit les yeux un instant pour observer la réaction de son frère de sang et sourit doucement avant de fermer ses yeux à nouveau, sombrant dans les bras de Morphée avec, cette fois, l'âme en paix.