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 Enterre mon coeur. [Pénombre] ~ Abandonné ~
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MessageSujet: Enterre mon coeur. [Pénombre] ~ Abandonné ~   Enterre mon coeur. [Pénombre] ~ Abandonné ~ EmptyLun 10 Mai - 10:21:36

Enterre mon cœur.


* * *

"Je suis désolé Mère, mais je n'arrive pas à vous pleurer. Je sais que mes yeux devraient s'emplir de larmes en vous voyant si pâle, si fragile, si évanescente mais le flot de ma tristesse s'est tari. Le brasier dévorant de ma passion a depuis longtemps anhilé dans son ardente obsession toute trace de chagrin. Et mon visage n'est que le masque sans âme, d'un cœur aussi aride qu'un désert.
Je brûle, je me consume, je disparais. Mère, je vous aime mais je l'aime. Dans cette plaine de cendre que sont mes sentiments il ne reste plus rien ; uniquement les colonnes noircies du temple de mes souvenirs. Elle règne en maitresse, ma reine d'amour trois fois couronnée par l'ombre et l'acier. Que puis je faire contre cette ange qui a investi mon être, pour mieux hanter mes nuits.
Oh Mère ! Vous allez me manquer.
"

Le vent qui souffle, la brume qui tourbillonne et l'herbe qui frissonne ; voilà à quoi ressemblait la dernière demeure de Dame Lycoria Craft. Abandonnée de tous, triste âme fauchée par un dragon d'ombre, elle s'en était allée un sourire triste sur le visage, sans un mot, sans un cri, comme un soupir que l'on expire tendrement. Et son fantôme terrestre enfin libéré d'une vie de servitude, avait pu briser ses chaines pour se laisser porte par une brise tiède vers les rivages d'un autre monde. Pour eux, ces loups aux regards de prédateurs, elle n'était plus rien. Juste un nom qui s'étalait en lettres gothiques sur une dalle de marbre blanc. Les poignards des intrigues n'avaient pas hésité à trancher dans le vif cette branche pourrissante qui menaçait l'harmonie de l'arbre du clan. L'esprit de meute prédominait sur les aspirations individuelles ; et nul sur ces Terres comme aux Cieux n'aurait pu s'opposer au jugement sans appel des anciens. Pas même un fils, qui sentait sa volonté faiblir à mesure que s'étiolaient les ailes de sa détermination. Pauvre aiglon balloté et malmené par les vents de la Fatalité. Son vol erratique et désordonné peinait à se stabiliser ; et toujours il menaçait de s'abattre comme une étoile filante bien vite soufflée par l'haleine des nuits.

Seule sa plume, gardienne de sa raison réussissait encore à maintenir un semblant d'ordre dans ce chaos d'émotions. Et la petite main s'activait fébrilement sous les ombres d'un crépuscule qui n'en finissait plus d'inonder les cieux de ses éclats écarlates.

"Mon Art gémit ma Mère de n'avoir que des rimes grossières et des vers caduques à vous offrir, pour accompagner en chanson les routes de votre départ. Vous êtes là, si proche de moi et pourtant si profondément enfouie que mes appels ne vous parviennent plus. Tout au plus si vous avez pu entende les imprécations des Guides de notre Clan, lorsqu'ils ont renvoyé votre âme et votre corps à la poussière originelle qui l'avait vu naitre. C'est peut être mieux ainsi, car de ce qu'ils vous ont fait subir dans la vie, croyez moi, ils n'ont pas hésité à vous l'infliger dans la mort. Leurs mots vénéneux ont tenté de percer de leur poison l'armure d'innocence de votre parure de colombe immaculée. Mais je sais que leurs coups maladroits et cruels n'ont pas pu vous atteindre, car déjà vous n'étiez plus là. Emportée par les caresses des anges vous veniez de franchir les portes de votre paradis au son des fifres et des tambourins. Peu importe ce qui nous attend tous par delà les flots boueux du Styx, rien ne sera jamais pire que nos tristes existences de damnés harassés par le poids de nos chaines.
Mère, Elle est là toute proche je crois que...
"
-Keith ! Arrête de gémir, tu es un Craft ! Viens, nos invités vont nous attendre au Manoir.

Surpris par cette interruption, la plume dérapa et balafra la page d'une coulée de sang noir. Et l'encre ainsi répandue, s'étala paresseusement sur le papier écrasant tout de sa gluante obscurité.

Il triomphait l'indigne ! Ce mari qui n'avait pas hésité à planifier la mort de sa propre épouse ; ce père qui c'était amusé à abattre une mère sans se soucier de briser un fils pour l'éternité. Ainsi était Cairius, superbe dans son abomination, il se pavanait en exibant ses griffes couvertes du sang de sa victime. Et l'Ours surplombait son enfant, l'écrasant de toute sa majestueuse cruauté, son masque d'argent peinant à dissimuler ses ricanements. Pour lui c'était le début d'une nouvelle ère. En enterrant la douce Lycoria il venait de poser la première pierre du piédestal devant le mener au pinacle de sa gloire.

Ah comme Keith le haïssait ce colosse sans âme qui avait insisté pour présider à la cérémonie d'adieu. C'était encore lui, qui selon les anciens rites barbares du clan, avait aspergé la tombe de son épouse du sang de cinq moldus ; sacrifiés injustement pour servir les Craft au royaume des morts. Comme dans un mauvais rêve, il revoyait l'Ours projeter alentour les gouttelettes carmines pour nourrir la meute avide des félins fantômes des défunts ancêtres attirés et réveillés par les effluves de la curée.

Étrange roi que le nouveau maitre de la dynastie qui venait de baptiser son sacre dans le meurtre et le carnage. Pouvait on imaginer plus sombre prédiction pour l'avenir ?

Keith ne se retourna pas. Seul ses yeux bleus qui scintillaient sous son masque de Lynx, indiquaient qu'il avait parfaitement entendu les paroles du monstre. Sa main aux long doigts pâles de pianiste, glacée par l'haleine de la mort avait repris son périple sur la page ; et l'esprit du jeune homme n'était plus là, emporté par les crissements de la plume il voguait sur des rivières d'encre.


"Mère ! Pourquoi sont ils venus ? Regardez les, tout ces grands attirés par l'odeur du sang qui se jettent au pied des dragons noirs, dans l'espoir de ronger quelques miettes de leur pouvoir. J'ai peine à comprendre ; ils haïssent les Craft et pourtant ils ronronnent contre nos bottes. Ah comme la noblesse est triste ; jamais je n'aurai imaginé assister à pareille déchéance. Il y a quelque chose de pourri chez les sans purs. Je sens que leurs veines charrient un liquide noir, épais, putride et fangeux qui porte en lui l'essence de leur folie ; de ma folie.
Des hyènes, juste des hyènes qui se pavanent sous leurs masques grossiers ; murmurant et ricanant à mesure que la terre recouvrait votre cercueil. Et maintenant que vont ils faire ? Je crois que Père veut les convier à un festin. Rien de plus qu'une orgie cannibale où ils vont s'empiffrer de vos souvenirs pour mieux les souiller de leurs haleines fétides et de leurs grosses mains avides.
Vous saviez Mère. Vous contempliez tout les jours le fond de l'abime alors qu'au dessus de votre tête les cieux étaient gris, sales et humides comme les pierres de votre cellule. Je comprend. Vous saviez, et avant que l'on ne cloue le couvercle avec de petites pointes d'électrum gravées de glyphes, vous souriez, car vous saviez qu'au fond de la tombe se trouvait la lumière ; que l'espoir demeurait dans les abysses les plus noirs.
Puissiez vous mourir libre, comme vous avez vécu enchainée.
Mère, je vous aime ; mais je l'aime.
"

Le brouillard serpentait parmi les tombes érodées, déroulant sensuellement ses tentacules gluants. Il semblait qu'une pieuvre blanchâtre s'était abattue sur le paysage, l'absorbant et le noyant dans une étreinte spectrale ; à mesure que les pierres couvertes de mousse s'effaçaient. Il n'y avait pas de vent et pourtant les arbres torturés se balançaient doucement. Leurs branches tordues s'agitaient poussées par le souffle glacée de dizaines de fantômes qui erraient parmi les souvenirs, comme des voiles de soie emportés par un soir d'orage.
Ainsi était ce champs de ruines, cette morne plaine qui accueillait les statues brisées de conquérants d'un autre âge. La gloire coule et s'efface comme la peinture d'une toile abandonnée aux éléments. Et les pigments délavés se mêlent et se défont, dégoulinant comme autant de larmes, de regrets et de remords.
Penchez vous sur les tombes et écoutez. Alors vous entendrez des murmures mélancoliques et savourerez des pensées éthérées. Collez vos oreilles contre le granit pour vous abreuver à cette source intarissable de légendes, de batailles, de carnages et de récits. Les morts sont d'excellent conteurs et leurs souffles désincarnés poussent les voiliers de notre imaginaire vers des contrées oubliées de tous.

Ils avançaient souplement parmi les allés endormies, leurs profils affutés fendant la brume comme des coups d'épée dans l'eau. Révélés, puis avalés, ils se mouvaient avec l'assurance de prédateurs et de chasseurs traquant leurs proies jusqu'aux franges de la démence la plus délicate.

Rêve ou réalité ?

L'aiglon ne savait plus. Perdu dans ce cimetière entre présent et passé, il était seul ; et les groupes épars qui s'éloignaient portés par le murmure de leurs voix et le froufrou de leurs capes ne faisaient qu'accentuer son isolement. C'est dans la foule que la solitude est la plus cruelle. Et le cœur de Keith, cette pauvre victime du jeu des trônes, saignait et se vidait de toute sa vie dans l'abandon le plus complet.

Lycoria Craft, qui était elle ? Personne. Rien de plus qu'une femme qui avait vécu une existence de prisonnière, sacrifiée sur l'autel des ambitions des grandes familles. Nul ne se souviendra d'elle. Nul ne se souvenait d'elle. Son enterrement n'avait été qu'une mascarade ; un véritable chef d'œuvre d'hypocrisie. La noblesse sorcière s'y était rendue par politesse et par curiosité. Ils voulaient voir de leurs yeux le nouveau couple royal. L'Ours et la Vipère unis dans le crime, ouvrant la voie à une nouvelle dynastie de Craft. Ils n'attendaient plus que la mariage pour prendre possession du trône.


"Oh, je suis désolé Mère. Je ne devrais penser qu'à vous en ce jour si particulier et pourtant c'est Elle qui occupe mon esprit. Je devrais pleurer votre disparition, mais mes yeux ne se mouillent de larme que pour Elle. Elle est si proche de moi et pourtant si éloignée. Je suis prisonnier dans une cage aux barreaux d'airain condamné à regarder s'éloigner mon obsession. Et j'ai beau secouer mes fers pour me lancer à sa poursuite, rien ne vient, je ne fait que me tuer en efforts aussi vains qu'inutiles.
Je pourrai la prendre dans mes bras, effleurer sa peau ou gouter son odeur ; mais je ne peux. Je crois qu'elle me hait autant que je l'aime. Ne sait elle pas que c'est pour elle que j'ai tenté d'attenter à mes jours, que j'ai souhaité raviver du souffle de la trahison un vent de révolte contre les anciens du clan en refusant d'indignes présents.
Pénombre, ma plume regrette ces paroles que mes lèvres ne peuvent prononcer. Tu es venue belle et majestueuse comme de coutume ; et ta mère cette detestable créature marchait dans ton ombre, éclipsée par le soleil noir de ton aura. Tous n'avaient d'yeux que pour toi ; en ce jour qui aurait du être celui de maman. Mais dans la foule masquée qui soupirait, enivrée par ton passage, as tu remarqué ce pauvre lynx qui posait un regard hésitant sur ton inaccessible personne ?
"

Il y eu un claquement sec et le carnet se referma dissimulant aux profanes les tourments d'une ame déchirée.

Immobile le front baissé Keith faisait face au marbre de sa Mère. Il était le dernier. Tous marchaient à grandes enjambées pour fuir le cimetière, mais lui demeurait ; étrange statue d'ivoire pétrifiée pour l'éternité.
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