« Le ciel est un océan, tout, tout, tout rempli de poissons ! »
Voilà ce que braillait une voix aigue dans les oreilles d’un jeune moldu, qui traversait la gare d’un pas tranquille. Un moldu ? Pas vraiment … Pourtant, il en avait tout l’air : habillé d’un jean, d’un t-shirt à rayures et d’une veste, un casque sur les oreilles, il paraissait être un jeune tout à fait normal. Enfin, presque. Mis à part le fait qu’il se promenait tout seul dans une gare alors qu’il avait à peine douze ans, avec juste un sac en bandoulière, quelque chose chez lui pouvait attirer l’attention. Deux choses, en fait. Bien sûr, il y avait ses yeux dépareillés, ah, ces fameux yeux qu’il avait tant détestés … Mais plus question de les cacher, désormais. Non, le plus bizarre, chez lui, ce n’était pas son regard, quoique celui-ci était assez étrange. Ce qui attirait tant l’attention, c’était le petit singe perché sur son épaule gauche ! Pas plus gros que la tête du jeune garçon, il était assis sur son épaule et observait tout autour de lui d’un air très intrigué. Et les gens se retournaient sur son passage pour voir s’ils n’avaient pas rêvé, et si le garçon avait bien un singe sur l’épaule.

- Sûr on ne les voit pas …

Le garçon chantonnait à voix basse, le seul à l’entendre était l’animal sur son épaule. Il profitait du temps qu’il lui restait à pouvoir écouter de la musique, car une fois à l’école, ça ne serait plus possible … Non pas qu’il n’ait pas le droit, mais tout simplement, ça ne marcherait plus ! Pour Noël, on lui avait offert un appareil du genre, censé marcher également dans l’école. Mais il n’avait pas tenu deux semaines, maintenant il était reparti chez sa cousine, afin que son père essaye autre chose. Penser à Noël lui faisait inmanquablement penser à sa dispute avec Lucy … Il ne l’avait pas revue depuis, ou plutôt, il l’avait soigneusement évitée. Emilien soupira lorsque le singe attrapa le bout de son écharpe pour jouer avec. Encore un peu et il finirait par l’étrangler ! Le petit animal était un cadeau de son beau-père, pour son douzième anniversaire. Il ne comprenait toujours pas pourquoi Mario s’obstinait à lui faire de tels cadeaux alors qu’il le trouvait idiot. Emilien l’avait entendu parler de lui, son beau-père ne l’aimait pas. Alors, qu’est-ce qu’il cherchait, avec ses cadeaux ? Il voulait l’acheter ? Mais pourquoi ça ? En tout cas, le jeune garçon s’était attaché au singe et n’avait pas pu le laisser en Italie. Après tout, il n’était pas bien gros, pas plus qu’un chat, ni qu’un hibou. Ils ne pouvaient pas lui interdire de le garder, à Poudlard ! On trouverait ça un peu bizarre, mais c’était tout.

- … Mais on ne regarde pas au fond !

Eh oui, paroles très philosophiques, il faut dire. Ce n’était pas vraiment lui qui avait décidé de la musique à mettre sur le lecteur. En effet, celui-ci était un cadeau de sa belle-mère. Cette dernière n’y connaissant absolument rien en musique – à part la musique religieuse – elle avait mis un peu de tout. Heureusement, il y avait quelques chansons qu’il aimait bien. Emilien approchait du passage de la gare moldue à la voix neuf trois quarts. Le jeune Backhand cacha les yeux du singe pour passer au travers du mur. S’il ne l’avait pas fait, l’animal se serait mis à hurler, en croyant qu’ils fonçaient droit dans un mur ! Car il avait été dressé par un moldu, bien évidemment, alors … Bah, il s’habituerait vite à la magie. De toute façon, à Poudlard, il n’aurait pas le choix. Dans la journée, Emilien le laisserait libre de se promener dans tout le château et le parc. Tout ce qu’il espérait, c’était qu’il n’irait pas trop loin dans la forêt interdite. Il aurait été embêté pour le retrouver. Emilien eut un grand sourire lorsqu’il se retrouva sur le quai, entouré d’autres élèves de Poudlard et de leurs parents. Le Poudlard Express était là, ils pourraient y monter dans quelques minutes. En attendant, Emilien était bien content de retrouver l’école. Les vacances de février avaient été bien longues !

Le Serpentard s’était opposé à ses parents en refusant de passer ses vacances de Noël en dehors de Poudlard, ce qui ne leur avait pas plu du tout.Pour les deux semaines de congé qu’ils avaient en février, Emilien avait décidé de rentrer à la maison. A quelle maison ? Ça, il n’avait pas vraiment choisi. Ça avait été au plus rapide : sa mère était venue le chercher à la gare, accompagnée de son beau-père. Pas moyen de fuir ; quelques heures plus tard, Emilien se retrouvait dans l’avion, prêt à atterrir en Italie. Mais il y avait appris une bonne nouvelle : sa mère était enceinte ! Emilien n’était pas joyeux à la seule idée d’avoir un frère ou une sœur, non. Il était joyeux en pensant qu’il y avait de fortes chances pour que l’enfant soit un sorcier ! Dans ce cas, sa mère serait obligée de parler de magie à son nouveau mari, un moldu. Et Emilien ne serait plus obligé de raconter qu’il partait dans un internat pour apprendre les mathématiques et la géographie … Bon, rien n’était sûr, mais il espérait. Par contre, si l’enfant se révélait être un moldu … Ce serait horrible : Emilien, malgré toute la bonne volonté dont il était capable de faire preuve, ne pourrait s’empêcher de le détester. De toute façon, il serait obligé de lui mentir sans arrêt !

Même sur le quai du Poudlard Express, le singe perché sur son épaule attirait les regards – surtout qu’il essayait de temps en temps d’attraper des choses, comme la barrette de l’autre gamine, sûrement la petite sœur d’un élève. Emilien souriait, l’école lui avait manqué ! Il s’étonnait lui-même avec de telles pensées, mais après tout … Si Poudlard lui avait manqué, ce n’était pas pour ses cours, ses professeurs, ses devoirs, non ! C’était pour ses amis, pour la liberté que lui offrait l’école. En parlant d’amis, Emilien se demanda si certains d’entre eux étaient également rentrés chez eux pendant les vacances … Ses amis … Il n’en avait pas énormément. Et il avait l’impression de n’en avoir aucun depuis qu’il s’était disputé avec Lucy. Emilien avait eu toutes les vacances pour y repenser, et … S’il savait qu’il avait raison sur toute la ligne – bon, peut-être qu’il avait un peu exagéré – il se demandait pourquoi ils en étaient arrivés à se parler sur ce ton. Enfin, c’était surtout lui qui avait crié. Pourquoi ? Bonne question. Peut-être qu’il ne s’énervait pas assez souvent, alors du tout, c’était assez excessif.

Emilien ne repéra personne parmi la foule, en réalité l’idée de voir Lucy l’avait convaincu de river ses yeux sur la locomotive rouge. C’était sans doute un peu lâche de sa part, mais … S’il voyait la Serdaigle, il lui dirait quoi ? Sérieusement ? Le jeune Backhand attendit que les portes du train s’ouvrent, et que les plus pressés soient rentrés, pour y grimper à son tour. Maintenant, mission impossible : se trouver un compartiment vide, ou au pire, relativement calme. Pas question de faire le voyage avec une bande de surexcités. Surtout qu’avec son singe sur l’épaule, il n’avait pas fini d’en entendre parler ! Vous imaginez, Emilien et Ben – car c’était le nom du singe, de son vrai nom Benedetto – avec quatre gamins qui demandient à tour de rôle « Je peux le toucher, dis ? » « Il est méchant ? » « Il mord ? » Non, il ne tiendrait pas tout le voyage comme ça. Le Serpentard arpenta donc le couloir, quand il aperçut dans un compartiment une jeune fille qu’il connaissait bien … Il s’arrêta, hésitant. Est-ce qu’il n’était pas temps de s’asseoir, et de discuter calmement ? Lucy devait être tout aussi convaincue que lui que leur dispute était stupide. Mais … Qu’est-ce qu’il pouvait lui dire ? Emilien ouvrit la porte du compartiment, enleva le casque de ses oreilles, et s’arrêta sur le pas de la porte.

- Euh … Salut …

Je vous le donne en mille, le nouvel arrivant, c’était bien sûr Emilien [mais quel hasard ! ]. Lucy s’était rendu compte qu’il lui avait manqué, mais le voir de nouveau, lui montra combien elle avait fortement sous-estimé ce manque. Elle avait envie de se précipiter vers lui, de s’excuser encore et encore, de le supplier de ne plus lui faire la tête, mais évidemment, elle n’en fit rien.
Un coup d’œil surpris vers l’épaule d’Emilien l’informa qu’il avait gagné un singe durant les vacances. Ils n’avaient jamais parlé de leurs anniversaires respectifs, et elle n’avait aucun moyen de deviner comment il était entré en sa possession.

D’abord, il y eut un long silence. La situation était très embarrassante. Lucy aurait voulu dire quelque chose, l’inviter à s’asseoir, mais aucun mot ne daignait sortir de sa bouche . Elle avait momentanément perdu tout usage de sa voix, étonnée, surprise, et prise d’un nouveau coup au cœur chaque fois qu’elle voyait Emilien. Il était manifestement aussi surpris qu’elle, et tous deux se contentaient de s’observer, jusqu’à ce qu’il ait le courage de rompre ce silence. Ce que ne serait jamais parvenu à faire Lucy… et après, il était persuadé qu’il n’avait que des défauts…

- Euh … Salut …

Ces quelques mots lâchés difficilement, débloquèrent Lucy, lui déliant la langue. De quoi avait-elle eu peur ? Qu’il lui crie à nouveau dessus ? En tout cas, entendre sa voix, son ton hésitant, tellement doux par rapport à la manière dont elle l’avait déjà entendu s’exprimer, la détendit. Elle était tellement soulagée, lui en voulait-il encore ? Sans doute un peu. Elle avait agi de façon tellement irraisonnée…

- Salut…, dit-elle d’une voix douce.

Maintenant, c’était à elle de parler, du moins, c’était ce qu’elle pensait. Malgré ses nombreuses sorties dans Londres, elle avait quand même rudement cogité l’histoire, et en avait conclu, qu’en plus d’être un garçon bien, Emilien était en plus, un véritable ami. S’il ne l’avait pas été, pourquoi aurait-il tenté de la mettre en garde contre Stanislas ? La jalousie ne justifiait pas tout, car même jaloux, il y avait manifestement de bonnes raisons pour qu’Emilien ne partage pas son enthousiasme à l’égard du Serpentard. Elle invita Emilien à s’asseoir à côté d’elle, puis prit la parole.

- Merci, dit-elle, de m’avoir ouvert les yeux… d’avoir été franc avec moi. Si tu ne m’avais pas parlé comme çà, je ne me serais probablement jamais rendu compte de…- moment difficile que de s’autocritiquer ouvertement -, de la stupidité de mes actes.

Elle avait autre chose à lui dire, après l’avoir remercié. D’ailleurs, elle préférait qu’il ne dise rien, suite à ses paroles. Ce serait sans doute plus simple que d’entendre ressasser encore et encore l’erreur qu’elle avait commise en embrassant Stanislas sans le connaître.

- Je voulais aussi te dire que… tu m’as manqué, je veux plus qu’on se dispute comme çà…

Oui, il lui avait manqué atrocement. Elle prit alors conscience qu’il lui avait peut-être même un peu trop manqué pour un ami. Non, non et non ! Officiellement, elle sortait avec Stanislas, et d’ailleurs, elle sentait ses tripes se nouer à chaque fois qu’elle regardait le jeune homme. N’était-ce pas une preuve d’amour ? Elle ne pouvait pas commencer à avoir des sentiments pour Emilien, sinon, cette histoire se terminerait mal. Le problème, c’est qu’elle ne savait plus à quoi ou à qui penser. Lorsqu’elle voyait Stanislas, elle perdait toute moyen de penser de manière cohérente, mais en même temps, durant ces deux semaines, Emilien lui avait manqué, et Stan, certainement pas autant Mariana avait raison, çà commençait à ressembler à Dallas.

En tout cas, voilà, elle avait tout dit. Maintenant, Emilien pouvait s’exprimer. Lucy contempla le petit singe qu’il avait sur l’épaule avec un léger sourire, presque timide. Il paraissait adorable. C’était plus facile que de regarder Emilien droit dans les yeux. Ses yeux qui l’avaient tellement aidée à comprendre l’une des peines de son ami. Et encore, avec ses cheveux qui devenaient blonds, « normaux » quoi, elle ne pourrait bientôt plus rien dire sur le sujet. Malgré tout, les blessures étaient encore là, cicatrisées, mais à quel point ?

[Lucy ou comment compliquer une situation qui l'est déjà ]

Et si Lucy décidait que se réconcilier était une mauvaise idée ? Après tout, rien ne lui disait qu’elle, elle avait envie de lui parler à nouveau. Elle pouvait très bien l’envoyer promener, tout simplement. Enfin, il n’y avait pas de raison … C’était surtout Emilien qui avait causé cette dispute, Lucy n’avait pas fait grand chose pour. Avec un caractère moins colérique pour Emilien, tout aurait très bien pu se passer, non ? Alors si c’était Emilien qui était à l’origine de la dispute, c’était aussi lui qui pouvait y mettre fin. D’ailleurs, il avait évité son amie après les vacances de Noël, mais elle, elle avait peut-être cherché à le croiser ? Bof, si c’était le cas elle n’avait pas cherché longtemps. Et puis, elle avait sa fierté, elle aussi. Bref, c’était pour cela qu’Emilien restait sur le pas de la porte, avec hésitation. Si Lucy ne voulait pas lui parler, il n’allait pas l’obliger à le faire, tout de même ! Elle avait bien le droit de lui faire la gueule, après qu’il lui ait reproché de sortir avec Gatween, qui non seulement était moche, mais qui n’avait aucun intérêt. Il ne se passa pas très longtemps avant que Lucy ne lui réponde, mais ces quelques secondes lui apparurent comme une éternité. Et il fut réellement soulagé lorsqu’il entendit sa réponse, dans laquelle il n’entendait aucune colère, aucun mépris.

Devait-il s’asseoir ? Il eut à peine le temps de se poser la question que la Serdaigle l’y invita. Comme Emilien prenait place en face d’elle, à côté de la fenêtre – le Poudlard Express était parti et déjà la campagne défilait sous leurs yeux – la fille aux cheveux blancs – qui n’étaient plus si blancs que ça, d’ailleurs, non ? – reprit la parole. Lucy le remerciait d’avoir été franc, et de lui avoir ouvert les yeux … Emilien haussa les épaules, si c’était à refaire, il aurait certainement parlé autrement. A quoi ça avait servi, de s’énerver comme ça ? A part à montrer qu’il savait hurler, lorsqu’il le voulait … Le Serpentard avait les yeux fixés sur le petit singe, qui était descendu de son épaule et qui commençait à inspecter le compartiment. La présence de Benedetto lui donnait quelque chose à regarder, et comme ça il n’était pas obligé de regarder son amie … Celle-ci semblait faire de même, d’ailleurs. La stupidité de ses actes ? Bah … C’était vrai que sortir avec Gatween, ce n’était pas très intelligent. Mais ça n’avait pas été très fin de la part d’Emilien de le lui faire remarquer comme ça. Il se demandait ce qu’il allait lui répondre, quand Lucy, qui apparemment ne voulait pas qu’il fasse de commentaire là-dessus, continua.

Lucy ajouta qu’il lui avait manqué, ce qui fit apparaître un petit sourire sur les lèvres d’Emilien. Enfin ! Et c’était réciproque, d’autant plus qu’à part elle, Emilien n’avait pas vraiment d’amis à Poudlard … Et même d’amis tout court. On pouvait penser à Startouffe, mais en fait il le voyait assez rarement. Le Poufsouffle lui adressait la parole de temps à autre, lorsqu’ils se croisaient dans les couloirs par exemple, mais ils n’avaient de longues discussions, comme ça avait pu être le cas avec Lucy … Sûr qu’il y avait pensé, pendant les vacances ! En plus il avait eu l’occasion d’utiliser le cadeau qu’elle lui avait fait à Noël, et son beau-père avait été bien surpris … D’ailleurs en parlant de cadeau, Emilien n’en avait définitivement pas fait à son amie. Maintenant il était un peu tard, alors … L’année prochaine, il y penserait. Ou pour son anniversaire, ou les deux. Il verrait bien, il avait le temps … Non, lui non plus il ne voulait pas qu’ils se disputent comme ils l’avaient fait à Noël, ça n’avait amusé personne, et surtout il n’en avait tiré aucune satisfaction ! Alors que par exemple, lorsqu’il se disputait avec ses parents, et qu’il avait le dernier mot, ça lui faisait du bien … Que répondre à ça ? Emilien opta pour quelque chose de simple :

- Ouais, j’suis d’accord.

Mais le sourire qu’il faisait exprimait cent fois mieux ce qu’il pensait que les mots, alors pas la peine de se casser la tête à faire de belles phrases … Et maintenant ? Il lui paraissait difficile de commencer une conversation tout à fait normale, mais ils n’allaient pas passer tout le voyage à dire qu’ils étaient désolés, qu’un tel avait eu tort sur tel point, et que l’autre avait tort sur tel autre point. Emilien se leva pour poser son sac dans le filet à bagages, il se déplaçait relativement lentement, de peur qu’un geste brusque ne réduise tout à néant. Puis il se rassit, et se risqua enfin à regarder son amie en face. Oui, décidément, ses cheveux blondissaient, ou alors il avait besoin de lunettes ! Comment était-ce possible qu’il ne l’ait pas remarqué avant ? Evidemment, à force de l’éviter pendant plus d’un mois, elle avait eu le temps de changer, mais à ce point là ? Elle pouvait les avoir teint, sinon … Ses yeux à lui, par contre, ils n’avaient pas changé. Et il n’avait aucune envie d’avoir des yeux différents, à présent. Emilien s’installa plus confortablement, et se décida à briser le silence. Pourquoi ne pas essayer de discuter normalement ? Ce n’était pas en hésitant comme ça qu’ils retrouveraient la relation qu’ils avaient avant.

- Alors, come stai ? T’as passé de bonnes vacances ?




Traduction :
- Come stai ? : « Comment tu vas ? »

A ce moment là, quelque part dans Londres, une vieille dame faisait ses courses, dans Pré-Au-Lard, le gérant de Zonko ouvrait sa boutique, en France, à Lyon, les cousins de Lucy s’éveillaient difficilement, encore en vacances. Mais ici, dans le Poudlard Express, une jeune élève de première année se sentait totalement libérée.
Emilien avait souri. Donc, il n’était plus fâché, lui non plus. Et n’était manifestement pas mécontent de lui avoir manqué. Peu importait qu’il lui eût offert un cadeau cette année-là, le plus important était qu’il fût heureux. Le sourire qui s’étalait sur ses lèvres était déjà un beau présent pour la Bleue et Bronze. Il le confirma d’ailleurs, bien que les mots fussent inutiles, il suffisait de voir son sourire pour le comprendre.

Emilien posa son sac dans le filet à bagages, avec une étrange lenteur, et une immense précaution. On aurait dit qu’il se faisait tout doux par peur de provoquer quelque tourbillon dévastateur. L’effet était assez bancal, et d’autant plus surprenant, que d’ordinaire, c’était Lucy qui devait choisir ses mots pour prendre garde à ne pas provoquer le terrible courroux du grand manitou d’Emilien. Puis il se rassit, et la regarda en silence, comme elle-même ne le quittait pas du regard. Il semblait faire une fixation sur ses cheveux. Ah oui, c’est vrai, on voyait désormais assez distinctement qu’ils blondissaient, l’effet était trop léger auparavant, pour que l’on s’en rende compte, et en ne s’étant pas vus depuis un mois évidemment…

Durant ces trente-et-uns jours, Lucy n’avait pas tenté d’éviter Emilien, mais ne lui avait pas couru après non plus. La peur de se faire de nouveau hurler dessus, la fierté, ne voulant pas avouer que de rester en conflit avec son meilleur ami la ravageait. Pendant ces trois semaines, elle n’avait été que l’ombre d’elle-même, ne parlant que peu, elle d’ordinaire assez bavarde avec sa famille, n’avait quasiment rien dit. Elle n’aurait jamais teint ses cheveux, encore par fierté d’ailleurs. Elle avait essayé lorsqu’elle était petite, et ça n’avait conduit qu’à faire redoubler les moqueries sur ses cheveux blancs. Elle ne se les teignait qu’en de rares occasions, et seulement pour s’amuser et changer un peu.

Emilien reprit la parole, encore une fois, tentant de nouveau de briser la glace. « Come stai » ? Ca ressemblait à de l’italien ça… Lucy aurait pu en sourire, mais alors, son ami lui aurait demandé pourquoi, et n’aurait certainement pas aimé entendre qu’il venait de parler la langue de son beau-père. Elle préféra aussi ne pas demander ce que çà voulait dire, elle ne parlait pas un mot d’italien, mais avait de rapides notions de l’espagnol, qui était aussi une langue latine, et devait y ressembler fortement. Cà ressemblait à « Como estàs », qui voulait dire, comment vas-tu. C’était très certainement çà.

- Je vais… mieux disons. Les vacances n’étaient pas terribles… nan en fait elles étaient nulles à ch***.

Elle ne précisa même pas pourquoi, tellement c’était évident. Elle s’en était voulue autant qu’Emilien à elle-même, et ne cessait de se demander s’il voulait qu’ils stoppent toute amitié après cette dispute. Si elle avait su que son ami s’était posé exactement les mêmes questions !
Elle n’avait pas revu Emilien auparavant, mais en avait entendu parler, et la nouvelle qui circulait dans les couloirs ne la rassurait pas. « Un Serpy et un Pouffy se sont battus près du lac ». Il n’avait pas fallu trente secondes à Lucy pour faire le lien entre la dispute qu’elle avait eu avec Emilien, et le fait qu’un Serpentard se soit battu. La Bleue et Bronze avait eu raison, puisque quelque temps après, on lui avait confirmé qu’il s’agissait d’Emilien. Non, elle n’avait pas tenté de lui courir après, mais avait quand même fait la chasse aux nouvelles. Et elle s’était vraiment inquiétée quand à l’état d’Emilien après qu’il se soit battu. Il paraissait que le Pouffy n’était pas du genre frêle et fluet, au contraire. Oui, elle s’était inquiétée, une fois de plus, sans doute trop pour un ami… Ses sentiments se mélangeaient au fur et à mesure que le temps passait, prenant un malin plaisir à l’embrouiller à s’emmêlant de plus en plus.

- Et toi, j’ai entendu dire que tu t’étais battu ? Tu… il ne t’as pas fais trop mal ?! demanda-t-elle, d’un ton où perçait l’inquiétude qu’elle avait ressentie en apprenant la chose.

Elle posa son regard gris, empreint d’une tendresse affectueuse, sur les yeux d’Emilien. Oui, on s ‘était peut-être moqué de lui à cause de leur différence de couleur, mais elle persistait à penser qu’il avait de beaux yeux. Ainsi qu’un beau sourire d’ailleurs… en fait, elle trouvait son ami vraiment très beau, d’où la surprise qu’elle avait éprouvée lorsqu’il lui avait annoncé qu’il n’avait pas de cavalière pour le bal de Noël. C’était vrai que son caractère n’était pas des plus faciles, mais d’autres personnes que lui devaient bien se rendre compte qu’il n’était pas le garçon indifférent des autres qu’il voulait montrer, non ? Eh bien, apparemment pas. Les gens étaient vraiment des abrutis finis.

Emilien était bien conscient qu’il venait d’utiliser deux mots d’italien, même s’il ne l’avait pas fait exprès. Ça lui arrivait de plus en plus souvent, peut-être qu’il commençait à s’y faire, à cette langue … En même temps, ce n’était pas comme s’il avait le choix : de un, sa mère ne lui parlait même plus en anglais, c’était sûrement la meilleure façon pour l’obliger à apprendre sa langue natale ; de deux, Benedetto, le petit singe qu’on lui avait offert, et qui se promenait dans le compartiment, avait été dressé pour comprendre certaines expressions en italien ; et de trois, Emilien allait bientôt avoir un petit frère ou une petite sœur, et il faudrait lui parler en italien. Le Serpentard s’était juré de ne pas parler une autre langue que l’anglais, le jour où ses parents s’étaient officiellement séparés. Il se souvenait encore de ce jour, il jouait tranquillement dans sa chambre lorsque sa mère était venue lui dire au revoir. Peu après, son père avait cassé sa baguette magique en deux et tout avait changé dans sa vie. Maintenant, sa détermination en avait pris un coup, ou plutôt son obstination, car il avait compris qu’il y avait des avantages à parler italien.

Lucy ne fit pas le moindre commentaire sur son « Come stai » et répondit même qu’elle allait mieux. Mieux ? Emilien ne demanda pas ce qu’elle voulait dire par là, et l’écouta continuer. Apparemment, elle n’avait pas passé de très bonnes vacances … Pourtant, d’après ce qu’il avait compris, elle avait une famille plutôt sympathique, des frères et une sœur, une maison dans Londres … Mais bon, ça ne suffisait sûrement pas. Emilien, quant à lui, n’aurait pas su dire s’il avait été déçu de partir en Italie ou pas. Aurait-il préféré rentrer chez son père ? Pas sûr, l’idée de voir sa belle-mère ne lui plaisait pas beaucoup plus. Alors mis à part qu’il avait été accueilli à la gare par un « Andreaaa ! » … Emilien n’avait pas fait grand chose, durant les vacances, il s’était un peu promené histoire d’échapper à sa mère et à son beau-père, et s’était occupé de Benedetto. Deux semaines à ne rien faire, en résumé. Vers la fin, c’était devenu très long, et Emilien avait vu venir la date de son retour en Angleterre comme sa délivrance. Le Serpentard prit la parole à son tour :

- Moi j’suis parti en Italie … Pour une fois, ça a pas été trop catastrophique avec mon beau-père. Il m’a même offert quelque chose pour mon anniversaire, un exploit !

Il lui désigna Benedetto, qui grimpait dans les filets à bagages. Emilien cherchait toujours à comprendre pourquoi un tel cadeau. Pour faire bonne impression ? Pour montrer qu’il avait de l’argent ? A l’occasion, il le lui demanderait, à son beau-père. Evidemment ça ne serait pas très poli, mais Emilien avait l’impression qu’il cherchait à l’acheter, il n’avait pas pu lui offrir simplement pas générosité … Ça cachait forcément quelque chose. Et Emilien n’avait pas envie d’y réfléchir pendant des mois, le plus simplement serait de lui poser directement la question, non ?

Lucy ajouta qu’elle avait entendu dire qu’il s’était battu. Ah, çà … C’était juste après qu’ils se soient disputés, en fait. Emilien était sorti dans le parc, assez énervé – et c’est un euphémisme – et avait balancé tous ses livres dans le lac. Et alors qu’il cherchait un moyen de se calmer, un abruti de Poufsouffle était venu le déranger … Porky l’avait vraiment cherché, en lui posant des questions telles que « Tu te hais ? ». Emilien avait essayé de se retenir, il lui avait dit de dégager, de la fermer, mais rien à faire. Porky avait continué, pour son plus grand malheur. Alors le Serpentard l’avait frappé, et l’autre idiot avait répliqué. Ce n’était pas plus compliqué que ça, mais l’histoire avait fait le tour du château, surtout que le Poufsouffle était assez énorme – d’où son surnom de Porky – et qu’Emilien n’était pas Mr Muscles, loin de là. Malgré tout, il ne s’en était pas trop mal sorti, l’infirmière lui avait donné quelque chose contre la douleur – Porky n’y était pas allé de main morte ! – et Emilien était retourné en cours avec quelques bleus, sans plus … Et la réputation d’avoir tabassé un Poufsouffle, ce qui n’était pas sans plaire à certains élèves de sa maison.

Mais son amie – ça faisait vraiment du bien de pouvoir à nouveau l’appeler comme ça – paraissait inquiète. Bah, c’était du passé, de toute façon ! Il était encore en un seul morceau, non ? Porky ne s’était pas retenu et l’avait frappé au visage à plusieurs reprises, mais il n’avait même pas été défiguré … Emilien eut un petit sourire pour la rassurer, c’n’était rien du tout ! Bon, évidemment, il n’avait pas de quoi en être fier, mais on ne pouvait pas dire qu’il ne l’avait pas prévenu, le Porky ! Quelle idée aussi de venir le provoquer, comme ça, et surtout, de répliquer ! Emilien avait cru halluciner lorsqu’il était revenu dans la salle commune, et qu’il avait reçu quelques compliments de la part de ses aînés. Bien sûr, les Poufsouffle ne l’avaient pas pris de cette façon, et les coups d’œil que les blaireaux lui jetaient dans les couloirs le montraient bien … Pff, et dans deux mois, ils auraient tout oublié. Emilien savait bien que son amie ne devait pas trop approuver, il n’avait qu’à se souvenir de ce qu’elle avait dit dans la volière. Alors qu’elle ironisait sur les défauts de Stanislas, elle avait cité bagarreur. Il n’en avait rien dit, mais il l’avait retenu …

- Bah, c’est rien … Deux gamins qui se tapent dessus, ça peut jamais finir trop mal. Pomfresh a tout arrangé en moins de deux, et à part quelques points perdus …

Le train filait dans la campagne à une vitesse assez exceptionnelle, et si le paysage avait changé, ce n’était pas le seul. En effet, le temps avait commencé à se dégrader, et de grosses gouttes de pluie commençaient à s’écraser sur les vitres. En à peine deux minutes, il pleuvait « cats and dogs », enfin il pleuvait des cordes, quoi. Emilien contempla un instant le spectacle, le ciel était devenu très sombre et la pluie n’était pas prête de s’arrêter. Le Serpentard n’aurait pas su expliquer pourquoi, mais il adorait lorsqu’il pleuvait, et que lui était à l’intérieur, bien à l’abri. Les lampes du train s’étaient allumées. Peut-être était-ce parce que ça lui donnait comme un sentiment de sécurité ? Difficile à expliquer, en tout cas. Emilien médita quelques instants là-dessus avant de reporter son attention sur Lucy.

Emilien dit qu’il était parti en Italie, déclaration en face de laquelle, Lucy ne cacha pas son étonnement. Lui qui avait si fermement refusé de rentrer chez lui à Noël, avait accepté de revenir pour les vacances de février ? Mais ce n’était pas tout, et elle fut également surprise en apprenant que le beau-père d’Emilien lui avait acheté un cadeau d’anniversaire. Elle connaissait les différents qui les opposaient tous deux, et s’étonnait qu’il se montre aussi gentil. Si elle avait su que la mère du Serpentard était enceinte, elle aurait sans doute deviné pourquoi, mais n’étant pas informée de tous les changements qui s’étaient produits dans la vie de son meilleur ami, c’état normal qu’elle ne comprenne pas pourquoi ce changement d’attitude si soudain. Soit son beau-père voulait l’acheter, soit c’était bon signe. Et désespérément optimiste, Lucy préférait penser pour son ami que son beau-père voulait commencer à tisser des liens autres que la haine entre eux.

La Bleue et Bronze contempla encore une fois les yeux de son ami. Il en avait traversé des choses pas drôles… et pourtant, il était difficile de le deviner au premier regard, il avait parfaitement su dissimuler ses émotions derrière un mur d’indifférence… ou d’agressivité. N’empêche, il paraissait que le Poufsouffle était dans le genre plutôt énorme !!! Le moins qu’on pût dire, c’était qu’Emilien n’avait pas peur de s’attaquer à plus gros que lui !
Bon évidemment… Lucy aurait préféré qu’il évite de se battre, étant donné qu’elle n’aimait pas vraiment le genre « je me bat pour un rien ». En l’occurrence, sans doute se serait-elle montrée tout aussi violente devant les propos exaspérants du Pouffy. Quand elle était en colère, mieux valait-il ne pas lui sortir des phrases du genre « Tu te hais ? », parce que la furie qui sommeillait alors en elle ne trouvait pas de meilleur cible pour déchaîner ses foudres.
Il ajouta que Pomfresh les avait soignés impeccablement, comme d’habitude, et qu’ils avaient juste perdu des points. Quand même…

- N’empêche… j’l’ai vu plus tard le Pouffy… il était balèze… tu l’as vraiment envoyé dans le lac ? demanda-t-elle avec un léger sourire admiratif.

Emilien paraissait peut-être frêle, mais il ne l’était pas tant que çà finalement… et puis il n’était pas stupide non plus, comme avait dit Archimède [comme le hibou dans Merlin l’Enchanteur] : « Eurêka euh nan c’est pas çà Donnez moi un levier, un point d’appui et je soulèverais le monde ». Bon, dur de trouver un levier quand on était sous un mec qui faisait trois fois notre poids quand même hein…

Il se mit à pleuvoir. Le ciel s’était couvert de lourds nuages noirs, qui promettaient un bel orage. Dans les choses que Lucy adorait, il se trouvait, dans les premières places, « Être à l’abri, bien au chaud, quand un orage éclate ». Elle trouvait les éclairs et le grondement sourd du tonnerre fascinants. Les gouttes de pluies dégoulinaient sur la vitre. La Serdaigle se détourna du spectacle, et regarda à nouveau Emilien.

- Comment s’appelle-t-il ? demanda-t-elle en désignant le petit singe.

Il grimpait aux filets à bagages depuis qu’il était entré dans le compartiment, et semblait bien s’amuser. Lucy se doutait qu’Emilien avait du bien s’en occuper. Pour sa part, elle n’avait jamais eu d’animal de compagnie, mais s’en achèterait peut-être un l’été suivant. A moins que ses parents ne décident de lui en offrir un à son anniversaire…
Benedetto, sans le savoir, constituait un sujet de conversation idéal. Tout plutôt que de laisser le silence s’installer de nouveau entre eux.
Regardant une nouvelle fois Emilien, Lucy surprit son cœur à battre plus vite que d’habitude. C’était bien sa veine… elle devait faire quoi ?! Hein ?! Quelqu’un pouvait-il lui dire ?! Elle était folle amoureuse de Stanislas et pourtant… ce n’était pas normal. Elle n’aurait pas du s’inquiéter autant pour Emilien quand la rumeur avait couru qu’il s’était battu avec un Poufsouffle énorme, il n’aurait pas du tant lui manquer, son cœur n’aurait pas du battre si vite quand elle croisait son regard. Tout çà ne tournait plus rond du tout.

- Et sinan... tu t'es servi de mon cadeau ? demanda-t-elle avec un sourire malin.

Si oui, elle avait hâte de savoir comment. Au moins, les exploits d'Emilien occuperaient plus son esprit qu'Emilien tout seul. Du moins elle l'espérait...

Lorsqu’il avait déclaré que deux gamins ne pouvaient jamais se faire trop mal, en se tapant dessus, Emilien avait eu peur que sa voix ne flanche, et d’ailleurs il lui semblait qu’elle n’était pas restée aussi ferme qu’il l’aurait voulu. Bien sûr que si, une bagarre bien qu’entre gamins, pouvait très mal tourner. Il était bien placé pour le savoir, mais pour rien au monde il ne l’aurait avoué, du moins pas à n’importe qui. Est-ce qu’à Lucy, il serait capable de le dire ? Pas sûr, Emilien n’avait pas oublié leur dispute dans la volière, bagarreur était bien évidemment un défaut aux yeux de la Serdaigle. Alors si déjà être un bagarreur, c’était mal pour elle, comment réagirait-elle en apprenant « l’incident » ? Le Serpentard n’en disait donc rien pour le moment, même si Lucy avait plus l’air inquiète que désapprobatrice en parlant de ce qui s’était passé au bord du lac. Bien sûr, il avait eu ses raisons … et dans les deux cas. Mais ça n’avait rien à voir. Et puis ça aurait été une discussion bien trop compliquée.

Lucy ajouta que Porky était quand même assez balèze. Elle n’avait pas tord, et Emilien, quand il voyait le Poufsouffle arriver au loin, changeait de couloir aussitôt. Tout sauf se retrouver une fois de plus face à lui ! Maintenant qu’il était calme, il réalisait à quel point il avait été idiot de s’attaquer à ce tas de graisse. D’un autre côté, Porky l’avait bien mérité, et ce n’était pas parce qu’il faisait trois fois le poids des élèves normaux de Poudlard qu’il avait le droit de se moquer impunément de n’importe qui ! Emilien n’était pas du genre à se laisser marcher sur les pieds, et si avec le recul, il se disait qu’il faudrait vraiment qu’il apprenne à sortir sa baguette plutôt que de répliquer avec ses poings, il pensait qu’il avait eu raison de réagir face à Porky. Pour répondre à la question de son amie, oui il l’avait bien envoyé dans le lac, mais … Pas de façon très « réglementaire », autrement dit il avait agi assez sournoisement. Mais sans ça, l’autre le réduisait en bouillie, alors …

- Ouais, répondit le Serpentard en jouant un peu nerveusement avec le lacet de sa chaussure droite. Il était surtout complètement cinglé …

Non mais, sérieusement, le Poufsouffle avait répliqué avec tellement de force qu’Emilien avait mis quelques minutes avant de réagir. Le Serpentard avait ramené ses pieds sur la banquette, bah ce n’était pas si sale que ça ! Et puis des elfes de maison passaient après chaque voyage, alors bon … Emilien enroulait distraitement son lacet autour de son index, sans y faire très attention, mais le sujet n’était pas pour le mettre très à l’aise. De nombreux garçons de son âge auraient été ravis de pouvoir se vanter d’avoir balancé un mec aussi gros que Porky dans le lac, mais Emilien avait de très bonnes raisons pour ne pas se jeter des fleurs. On pouvait peut-être changer de sujet ? On l’avait tellement sermonné avec des idées telles que la violence c’est mal, il y a toujours d’autres solutions, etc. … Alors que ça ne lui était arrivé qu’une seule fois. Une seule avait suffi pour que son père le considère comme … Comme un monstre. C’était le mot.

Puis son amie lui posa une question à propos du petit singe. Son nom, ce n’était pas lui qui l’avait choisi, mais il n’était pas si mal. Benedetto, avec Ben pour diminutif. Au moins, ce n’était pas trop compliqué … Emilien avait été très surpris lorsque son beau-père lui avait présenté le petit animal. Il n’avait d’ailleurs pas su quoi dire sur le moment, à part « Grazie ». Lui, s’occuper d’un animal de compagnie ? Ça lui paraissait un peu invraisemblable, mais après tout, il pouvait bien essayer … Ce qui était sûr, c’était que son père ne lui aurait jamais rien offert de tel. Il aurait eu peur qu’Emilien fasse du mal à l’animal en question, et si ça faisait rire le Serpentard quand il y pensait, dans le fond, il se demandait comment ils avaient pu en arriver là. Comment son père pouvait-il aussi mal le connaître ? Même son beau-père ne pensait pas autant de mal de lui ! Emilien observa un instant Ben qui n’avait bien sûr pas remarqué que l’on parlait de lui. Tout ce qu’il comprenait, c’était son nom, et quelques trucs en italien. Emilien fit un petit sourire et répondit :

- Benedetto. Evidemment c’est pas moi qui ai choisi son nom, sinon … Il comprend que l’italien, c’est bête. Mais il fait des trucs marrants quand il veut …

L’intéressé avait entendu son nom et était revenu sur l’épaule de son nouveau maître. Emilien ne comprenait pas comment un animal pouvait avoir été dressé ainsi, enfin il fallait qu’il soit relativement docile … Si Emilien avait été un animal, il n’aurait sûrement pas été facilement dressable … Il fit un petit sourire et se tourna vers Benedetto.

- Ti amo, Ben, déclara-t-il avec l’air le plus sincère possible.

Et quasi-automatiquement, le petit singe enlaça la tête d’Emilien. C’était très mignon, même si le bras poilu de Benedetto passait juste sous le nez du Serpentard qui se retenait pour ne pas éternuer. Heureusement, ça ne dura pas une éternité non plus … C’était l’un des « tours » qu’on avait appris au singe avant de le vendre. Ça avait bien fait rire Emilien au début, mais il n’en abusait pas, sachant parfaitement que le petit singe ne jouerait pas le jeu indéfiniment s’il le faisait. Le Serpentard se tourna à nouveau son amie, laissant Ben grimper sur sa tête, ce qu’il faisait assez souvent. Emilien essayait de ne pas trop se crisper lorsqu’il le faisait, mais il avait encore un peu de mal à s’y habituer.

- C’est pas trop mignon ? demanda le Serpentard en riant – Oh, miracle, il a ri !. Dommage que ça marche pas avec tout le monde, hein …

Il imaginait bien, par exemple à la bibliothèque, alors qu’il discutait, Mrs Pince qui viendrait les virer …Et avec juste un « Ti amo, Mrs Pince » tout irait mieux. Emilien retint une grimace de dégoût en pensant à la vieille bibliothécaire ayant le même geste que Ben. Finalement, il valait peut-être mieux que ça ne marche pas avec tout le monde. Emilien arrêta là d’imaginer ce qui se passerait si tout le monde agissait comme Benedetto et écouta la nouvelle question de son amie. Ah, son cadeau, oui, il s’en était servi ! Pas beaucoup, malheureusement, parce qu’il avait été très occupé et que, pour une fois que les relations avec son beau-père étaient calmes, il valait mieux ne pas tout gâcher. Emilien avait tout de même fait des essais. Par exemple, il avait laissé une fausse baguette magique sur la table du salon, alors que sa mère était partie faire des courses, et, caché dans l’escalier, avait attendu que son beau-père entre et remarque l’objet en question. La tête qu’il avait faite en la prenant ! Emilien n’avait pas pu voir en quoi s’était transformée la baguette, mais la tête de l’Italien avait largement suffi à le faire rire. Et le mieux : il n’y avait pas eu de problème avec sa mère, elle n’en avait même pas entendu parler.

- Ouais, enfin, pas autant que je l’aurais voulu, mais bon. Mon beau-père a failli faire une crise cardiaque ! Le plus drôle c’est qu’il en a même pas parlé à ma mère, parce qu’il est persuadé qu’il a des hallucinations ! Vraiment merci pour ton cadeau, je sens qu’il va me sauver la vie quand je vais retourner chez mon père.

Lucy n’était pas au courant de la manière dont Emilien s’y était pris pour envoyer Porky dans le lac, mais que ce soit de façon sournoise ou pas, c’était forcément d’une bonne façon. La « sournoiserie » [tiens çà fait penser à viennoiserie] était le levier dont parlait Archimède ! Les grands mystères de la vie résolus par une pro 8). Elle commencerait à donner des tas de conférences dans le monde entier, serait adulée, admirée de tous, encore plus qu’elle ne l’était déjà ... Le rêve s’arrête ici. Comme la Serdaigle était parfaite, elle n’avait pas la grosse tête n’est-ce pas ?!

*Tu m’étonnes qu’il soit cinglé, il paraît que c’est un gros masochiste…*

Sadique aussi. Puisqu’il ne s’était pas vraiment gentiment laissé faire comme prévu, et avait riposté à l’attaque d’Emilien. Oui, c’était sûr et certain, il y avait de drôles d’oiseaux de blaireaux chez les Pouffy. A commencer par Porky. La façon nerveuse de son ami de jouer avec son lacet fit comprendre à Lucy qu’il préférait éviter de parler plus longtemps de çà.
Elle en avait marre d’être assise, et visiblement, Emilien aussi puisqu’il posa ses pieds sur la banquette. Bah, s’il le faisait lui, pourquoi se priver ? Et elle allongea ses jambes sur la banquette. Dehors, le temps était aussi lugubre, certains devaient trouver l’ambiance à leur goût… et d’autres non. La Bleue et Bronze voyait d’avance ceux qui se recroquevillaient sur eux-mêmes dans leur compartiment, et ceux qui allaient crier au premier éclair… un… La foudre frappa un vieil arbre ratatiné sur une colline, non loin d’eux. Du moins, elle paraissait plus proche qu’elle ne l’était. Les réactions ne se firent pas attendre. Aussitôt, des cris retentirent dans tous le train. Ca avait le don d’exaspérer Lucy qui leva les yeux au ciel. Y en avait vraiment qui avaient peur de tout alors… Que les moldus craignent les éclairs, c’était normal, ils étaient nettement moins bien protégés, mais eux, des sorciers !
Quel nom avait la phobie des éclairs ? Il faudrait qu’elle songe à demander à Mariana.

- Benedetto. Evidemment c’est pas moi qui ai choisi son nom, sinon … Il comprend que l’italien, c’est bête. Mais il fait des trucs marrants quand il veut …

Sinon… ce serait un nom anglais évidemment. Bah, le diminutif de Benedetto c’était Ben, et Ben, c’était anglais ! Donc au final, c’était plutôt un bon point pour Emilien.
Sauf que le singe ne répondait qu’aux ordres en italien. Perdu… un point pour le beau-père. En fait, c’était une façon tout aussi perfide d’obliger Emilien à parler sa langue et d’accentuer encore un peu ses réflexes, ceux qui faisaient qu’il avait parfois quelques expressions étrangères. Enfin, Lucy devait parler Français chaque fois qu’elle allait voir ses cousins, oncles, tantes et grands-parents, et elle n’en mourrait pas. Même si elle savait que son ami mettait un point d’honneur à embêter sa mère et son conjoint en refusant de s’adresser à eux en italien.

Le truc marrant en question, était adorable. Ce qui était drôle, c’était de voir Emilien déclarer sa flamme à un singe. La tête de son ami aussi, qui essayait de ne pas éternuer. Benedetto grimpa alors sur sa tête, mais cette fois, Emilien paraissait beaucoup plus tendu. Normal, le caractère de ces animaux était assez… lunatique. Ils pouvaient être adorables et obéir au doigt et à l’œil quand ça leur chantait, puis dans la seconde qui suivait, s’exciter et devenir carrément incontrôlables.
Emilien renchérit en disant que çà serait sympa que çà marche avec tout le monde comme çà. Mouais, enfin bon, quand elle voulait une bonne note à son devoir de potion, elle voulait que le prof lui mette une bonne note, pas qu’il la prenne dans ses bras… quelle horreur ! Etre coincée dans les bras de Rogue… Help ! Et dans ceux de Rusard ? Ou de Trelawney ? Pire que tout, dans ceux de Porky ?! C’était la mort assurée !
Spécial flash info… on nous informe à l’instant, que la célèbre Lucy Duncan est morte aujourd’hui, à Poudlard, en effet, l’un de ses camarades, dont personne ne sait le nom mais que tous désignent comme « Porky » l’a sauvagement étouffée en la prenant dans ses bras. Les parents de la victime, effondrés… et blablabla et blablabla… l’heure du décès est 18h10 .

- Mouais, enfin, çà dépend qui hein…

Ensuite, Emilien lui parla de la manière dont il avait usé de son paquet de farces et attrapes. La première année eut un sourire jusqu’aux oreilles lorsqu’elle apprit que l’Italien de beau-père de son ami était persuadé d’avoir des hallucinations. Le Serpentard la remercia plusieurs fois.

- C’est rien, je t’en offre autant que tu veux, du moment que tu me racontes tout après !

La différence de température entre l’intérieur et l’extérieur du train était désormais flagrante. De la buée se formait sur la vitre, et par habitude, Lucy se mit à dessiner des formes dessus. Mais ses pensées revenaient toujours à Emilien et aux étranges sentiments qu’elle se mettait à avoir pour lui, en se demandant pourquoi. Etaient-ils là avant la dispute ? Sans s’en rendre comte, elle venait de dessiner Emilien, et des cœurs à côté. Quoi de plus explicite ? Bon, on pouvait espérer qu’elle ne soit pas très douée en dessin mais bon… quand elle s’aperçut de la chose, elle effaça rapidement ce qu’elle avait fait d’un revers de manche.

- En tout cas, tes vacances ont été nettement plus mouvementées que les miennes… à part une seule chose… je suis allée à un concert moldu !!! dit-elle avec enthousiasme.

Oui, ça avait été l’évènement des vacances, et le seul dans tous les rayons, qui avait vraiment réussi à changer les idées de la petite. Une ambiance de folie. Un frisson d’excitation quand on pense qu’on est entouré de personnes différentes de soi, qui n’ont aucune idée de ce qu’on est capable de faire. La foule en délire. Des bis à n’en plus finir. Un autre monde. Une autre manière de penser. Plus proche, qui semblait plus accessible que jamais. Réunis autours de la musique, des centaines de moldus et deux petits sorciers mêlaient ensembles leurs voix aux acclamations qui ovationnaient les artistes. Cette impression qu’elle avait de flotter, transportée par la musique… Son frère, avec qui elle avait mené cette expédition, l’avait même fait danser, alors qu’ils chantaient à tue-tête. Le lendemain, au réveil, elle avait l’impression d’avoir vécu un rêve, mais quand elle voulut dire bonjour à son frère et se rendit compte qu’elle était aphone, elle fut certaine d’y avoir vraiment été. Et sa bonne humeur dura encore une journée entière, avant que les lugubres pensées ne l’atteignent de nouveau.

- C’était… magique sans l’être quoi ! s’exclama-t-elle en riant à ce souvenir. Les musiciens étaient super bons ! Ma mère voulait qu’on rentre juste après le concert, mais on est quand même allés réclamer des autographes !

Emilien eut un sourire lorsqu’elle répondit qu’elle lui offrait autant de farces et attrapes qu’il le voulait, à la seule condition qu’il lui raconte l’utilisation qu’il en avait fait après. Ah, ce serait bien … Question argent de poche, le Serpentard n’était pas très gâté. Dès qu’il s’agissait de l’envoyer en Italie, alors là, pas de problème ! Ses parents devenaient comme riches tout d’un coup, et capables de payer cinquante billets d’avion. Mais alors quand c’était pour faire un cadeau à leur fils, oui lui permettre de s’acheter quelque chose, rien du tout. Ils se faisaient avares en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Emilien de toute façon aurait eu du mal, avec son argent moldu. Il savait l’utiliser bien sûr, à force de vivre comme un non-sorcier. Mais pour faire des achats à Pré-au-Lard, ou sur le Chemin de Traverse ? Emilien se rappelait encore le jour où il s’était rendu à Londres pour acheter ses fournitures, accompagné par son oncle Christopher et sa cousine Camille. Ils avaient d’abord dû passer à la banque pour changer l’argent, quelle galère, avec tous ces gobelins … Finalement c’était son oncle qui lui avait donné un peu d’argent de poche pour l’année.

Une fois encore, il y eut un blanc dans leur conversation, mais Emilien s’y était habitué, et puis il y avait des moments où l’on disait rien, mais où l’atmosphère n’était pas tendue. Le Serpentard regardait au dehors, l’orage avait commencé et l’on voyait de temps en temps des éclairs tomber à quelques kilomètres de là. A chaque fois, on entendait des cris dans le train, il y avait vraiment des surexcités là dedans ! Emilien se surprit à penser que c’était vraiment des gamins, alors que lui-même n’était qu’en première année, et que parmi ceux qui hurlaient, il y avait sans doute des deuxième et troisième années. Bah, c’était une question de maturité, pas d’âge ! Le jeune Backhand regarda un moment son amie dessiner sur la vitre, qui s’était couverte de buée. On aurait vraiment dit que la nuit était tombée, tant les nuages qui couvraient le ciel étaient sombres ! Emilien tenta de reconnaître ce que la Serdaigle dessinait, mais il fallait croire qu’elle n’était pas très douée. Enfin, lui n’était pas mieux. Là, ce n’était pas une tête ? Avec plein de petits cœurs autour. Emilien détourna le regard.

Apparemment, Lucy était toujours aussi amoureuse de Stanislas. Daaallaaaaaaaas !! Oui, c’était sans doute lui, qu’elle venait de dessiner sur la vitre. Ce que les garçons peuvent être bêtes parfois, hein ? Emilien l’avait croisé à plusieurs reprises, Gatween, ce n’était pas comme s’il avait le choix. De plus, le Serpentard avait décidé de faire un peu connaisance avec les gens de sa maison, histoire de ne pas toujours se retrouver tout seul dans son coin, dans la salle commune. Et ça incluait donc Stanislas. Pour l’instant, il n’en pensait toujours rien de positif, et continuait à se dire qu’il n’avait vraiment aucun intérêt. De même, il l’avait observé, et s’il avouait qu’il ne ressemblait pas vraiment à un vieux bœuf rabougri, il en avait conclu qu’entre lui et Emilien, il n’y avait pas photo. Gatween était tristement banal, en plus de son caractère ennuyeux. Mais bon, chacun ses goûts, n’est-ce pas ? Lucy était libre d’aimer qui elle voulait ! Et lui n’avait bien entendu pas son mot à dire.

Le Serpentard se posait de toute façon le moins de questions possible quant à ce qu’il ressentait pour son amie, contrairement à Lucy. Pourquoi se torturer l’esprit ? C’était simple, il aimait bien discuter avec elle, être en sa compagnie, et voilà. De toute façon, elle était avec Stanislas, aux dernières nouvelles. Emilien reporta son attention sur Benedetto, et ne vit même pas que Lucy avait précipitamment effacé son dessin sur la vitre. Et quand bien même il l’aurait remarqué, il serait dit que c’était parce qu’elle ne voulait pas risquer une nouvelle dispute en parlant de Gatween. En tout cas, le petit singe était reparti dans les filets à bagages, et faisait un bond à chaque coup de tonnerre. La scène tira un nouveau petit sourire au Serpentard, puis il se tourna vers Lucy qui avait repris la parole. Combien de temps avait duré ce petit blanc dans leur conversation ? A peine une minute, mais elle avait passé très lentement aux yeux d’Emilien. Un concert moldu ? Quelle était la différence avec les concerts sorciers ? Si ce n’est qu’on y était entouré de moldus et pas de sorciers … Emilien avait un peu de mal à saisir ce qui enthousiasmait tant son amie.

- J’ai jamais été à un concert, avoua-t-il. Ni moldu, ni sorcier. Mes parents apprécient pas trop la musique, et puis de toute façon mon père veut plus rien faire avec moi, donc bon …

C’était vrai ! Arthur Backhand, qui était le seul adulte de la famille à être au courant de « l’incident », avait à présent peur de son fils. Emilien était assez triste de le constater, il s’éloignait tellement de son père qu’il se demandait pourquoi celui-ci insistait encore pour le voir. Ils ne se parlaient plus, sinon pour se disputer, et Mr Backhand évitait plus que tout les sorties avec son fils. Car ils habitaient encore non loin de l’école où tout ça avait eu lieu. Son père ne voulait pas croiser d’autres parents d’élèves, ou des professeurs, en compagnie de son fils. Il avait fait croire à tout le monde qu’Emilien était parti dans une sorte d’institution pour hyperactifs, ou quelque chose dans le genre. Mr Backhand était un bien pire menteur qu’Emilien, en réalité. Il racontait des histoires à tout le monde, y compris à sa propre femme qui, elle, pensait qu’Emilien était dans un internat en Irlande. En tout cas, ça finirait par lui retomber dessus. Forcément. Et si le « destin » ne se décidait pas à punir Arthur Backhand pour ses mensonges, Emilien se promettait de s’en occuper lui même. Le Serpentard ajouta :

- Bah, mis à part les quelques blagues à mon beau-père, mes vacances ont pas été super mouvementées non plus … Comme ma mère est enceinte, elle a décidé de ne plus rien faire de la journée, c’est insupportable.

Emilien avoua ne jamais être allé à un concert. Jamais ? Pour Lucy, qui vivait dans une famille où la musique était omniprésente, la chose était incompréhensible ! Ne pas connaître cette ambiance, c’était manquer de quelque chose d’important à ses yeux. L’avantage, c’est qu’avec ses beaux-parents moldus, elle n’aurait pas besoin de lui expliquer comment s’habiller en moldu pour passer inaperçu parmi la foule. Car oui, la Bleue et Bronze était fermement décidée à l’emmener voir un jour, un concert. Que ses parents soient distants, ok, qu’ils soient vraiment pénibles, çà commençait à ne plus aller, mais qu’ils l’empêchent de vivre, ah ça non !

- Eh bien, on se chargera de régler çà alors, dit-elle avec un sourire.

La déclaration suivante, que sa mère était enceinte, stupéfia Lucy. En revanche, quelle attitude adopter, elle ne le savait pas trop. Si l’enfant à venir se révélait être un sorcier, ce serait la fin des mensonges, al libération, et un confident pour Emilien. En revanche, si c’était un moldu, adieu tout espoir de montrer un jour qui il était vraiment…

- Elle est enceinte à ce point ? Et elle te l’avait pas dit avant ?!

Ah les parents… cachottiers jusqu’au bout ! La mère d’Emilien avait-elle eu peur de la réaction de son fils à l’idée qu’il puisse rejeter dès le début son demi-frère ou sa demi-sœur ?
Lucy était quand même stupéfaite. Que le bébé se soit développé au point que sa mère ne se sente pas de bouger et qu’Emilien ne l’ait appris que pendant les vacances… enfin, l’essentiel était qu’il soit au courant à présent.

Et elle, elle voulait des conseils. Sauf que pas de bol, le meilleur ami, seul capable de lui en prodiguer, se retrouvait être l’objet du conseil en question. Demander à Mariana ? Plutôt mourir une deuxième fois ! Ou alors… ouais nan, c’était nul l’idée du « Au fait tu sais j’ai une copine qui a un copain et… ». Il était toujours évident que la copine en question se révélait être la personne qui parlait. Absolument nullissime. Bon, y aller franchement ? Et qu’allait penser Emilien d’elle après ?! Elle sortait avec un garçon qu’il détestait, ils se disputaient à ce propos, et puis dès leur réconciliation, elle lui annonçait qu’elle ne savait plus si elle l’aimait lui ou Stanislas ? Nan. Ca n’allait pas du tout. Quelle était l’option la moins nulle ? Dire la vérité bien sûr. Mais s’en sentait-elle le courage ? Elle inspira un bon coup et…

- EcouteEmilienj’aibesoindetoijesaisplussij’aimeStanislasousijet’aime toietjesuiscomplètementperdue.

Comment ça on n’y comprenait rien ? En tout cas, elle ne répèterait pas une deuxième fois, elle n’avait plus de souffle, et se mordait déjà la lèvre, à l’idée qu’Emilien ait tout compris. De toute manière, c’était évident que lui, il ne l’aimait pas… alors pourquoi se faire des idées ? Et lui demander conseil et le placer en situation aussi délicate ?

*Je suis désoléééééée*

Dallaaaaaaaaaaas :sifle:

[Désolée, c'est court... mais c'était pour que t'aies ta réponse. Et maintenant ? Suspens...]

[Voilà maintenant tu seras obligée de me faire une longue réponse en rentrant XD]

« J’crois qu’les histoires d’amour c’est comme les voyages en train. » D’où est-ce qu’il la connaissait, cette chanson ? Elle était peut-être dans son lecteur de musique, qu’il avait rangé dans son sac après être entré dans le compartiment. De toute façon, il n’y comprenait rien, à ce truc : il appuyait sur un bouton et hop, tout disparaissait ! Une fois qu’il avait trouvé le bouton pour tout mettre en marche, il n’y touchait plus, de peur de tout arrêter. Emilien regardait distraitement par la fenêtre. Et lui, ça lui faisait penser à quoi, les voyages en train ? La comparaison que faisait le mec qui avait écrit la chanson, il ne connaissait pas son nom, lui paraissait tenir la route. Emilien prenait le train une fois par mois, lorsqu’il fallait se rendre de sa maison en Angleterre jusqu’à Londres. Pour le trajet du retour, il le faisait avec son père, en voiture. Mais à l’aller, il était seul. Il avait l’impression de connaître le paysage par cœur, au début il trouvait ça intéressant, et puis à la longue, il s’en lassait … Enfin, lorsqu’il approchait de Londres, il se redressait sur son siège pour observer l’arrivée dans la capitale anglaise. Ça ne changeait jamais.

Il adressa un nouveau sourire à Lucy, lorsqu’elle lui répondit qu’on corrigerait ça. Ça, c’est-à-dire le fait qu’Emilien n’ait jamais été à un concert. Bah, il fallait dire que ça ne le dérangeait pas tant que ça … Peut-être parce qu’il n’avait pas de groupe favori, ou bien parce qu’il n’avait jusque-là pas d’amis pour lui faire envie en racontant leurs derniers concerts. Il ne savait pas trop. Ça faisait plusieurs fois qu’ils évoquaient la possibilité qu’Emilien se rende chez Lucy pour les vacances, mais comme la dernière fois il avait aimablement refusé … Le Serpentard se demanda depuis combien de temps le train était parti de Londres, avec ce fichu orage, il avait un peu perdu la notion du temps. Déjà qu’en hiver, la nuit tombait très tôt, alors si en plus ils avaient l’impression qu’elle tombait dès midi, ça n’allait pas l’aider. Bah, après tout, il s’en fichait. Le temps passait déjà bien assez vite, en compagnie de Lucy, n’est-ce pas ? « Dans les premiers kilomètres tu n’as d’yeux que pour son visage. Tu te sens vivant tu te sens léger tu ne vois pas passer l’heure. » C’était vrai que la conversation avait plutôt bien commencé même s’il avait fallu un peu de temps pour qu’ils s’y mettent vraiment. Comme au démarrage du train, il ne prenait pas tout de suite de la vitesse.

Eh oui, sa mère était déjà enceinte au point de ne plus avoir envie de bouger ! En même temps, ça ne l’étonnait pas trop de sa part. Pourquoi l’en aurait-elle informé avant ? Et puis ça lui donnait beaucoup de mal, que de lui envoyer une lettre. Car bien sûr, ni l’un ni l’autre de ses parents ne voulaient voir de hibou. Il fallait toujours passer par Christopher, qu’on aurait pu appeler « Christopher la bonne poire ». L’oncle d’Emilien s’occupait de tout ce qui concernait son neveu et le monde de la magie : par exemple, lorsqu’il fallait envoyer quelque chose à Poudlard, que ce soit une simple lettre ou les cadeaux de Noël, eh bien on envoyait le tout à Tonton Christopher – « Zio Christopher » comme disait sa mère – et le seul vrai adulte sorcier de la famille transmettait à Emilien par hibou. Que de complications ! Tout ça parce que les parents d’Emilien faisait preuve d’une obstination sans limites. Non contents d’avoir brisé leur baguette magique et juré de ne plus lancer de sorts, ils rejetaient tout ce qui touchait au monde des sorciers. Une simple chouette leur faisait peur ! Un chapeau pointu ? Quelle horreur ! C’était ridicule.

- Bah, tu sais, je l’avais pas vue depuis le mois de juillet. Et c’est trop compliqué pour m’écrire à Poudlard.

Parce qu’Emilien avait passé le mois d’août chez son père, parce qu’il n’était pas rentré à la Toussaint – personne ne pouvait l’accueillir – et parce qu’il avait refusé de quitter Poudlard à Noël, il avait passé six mois sans voir sa mère. Pour beaucoup d’enfants, ça aurait été une véritable catastrophe. Pour lui bien sûr, lui qui n’aimait pas sa mère, ce n’était pas bien grave, au contraire. « Mais la magie ne dure qu’un temps et ton histoire bat de l’aile. Toi tu te dis que tu n’y es pour rien et que c’est sa faute à elle, le ronronnement du train te saoule et chaque virage t’écoeure. » Emilien eut l’impression de voir les problèmes arriver lorsque Lucy, après avoir longuement hésité, débita d’un seul coup une phrase à laquelle il ne comprit rien. Dans leurs discussions, il fallait toujours qu’il y ait un problème ! Parfois minime, mais qui venait tout de même s’incruster entre deux répliques tout à fait amicales. Le sale petit grain de sable dont on ne pouvait pas se débarrasser, et qui dérangeait de plus en plus, jusqu’à ce qu’on utilise les grands moyens pour le déloger. Et là, la catastrophe, le tremblement de terre, l’apocalypse : on n’était pas d’accord, et pas du tout, même. Bien qu’il n’ait pas compris grand chose à la phrase de Lucy, il savait que le problème était là.

- Pardon ? répondit-il en premier lieu, en fronçant les sourcils.

Mais apparemment, Lucy ne voulait pas répéter, et se mordait la lèvre comme si elle avait laissé échappé ce qu’elle venait de dire, et qu’elle n’aurait pas dû. Tout ce qu’Emilien avait pu comprendre, c’était « Emilien » et « Stanislas ». Super, il était bien avancé avec ça ! Stanislas … Pourquoi en reparler ? Ça ne lui avait pas suffi, dans la volière ? Elle n’avait pas compris à quel point le sujet était sensible ? Pourtant son amie était intelligente, c’était certain, il le savait bien. Alors pourquoi voulait-elle absolument revenir là-dessus ? Il n’aimait pas Stanislas, point. Tant pis, il pouvait très bien faire comme si ça ne le dérangeait pas, qu’elle sorte avec cet abruti de Gatween. Emilien attendait toujours de voir si Lucy souhaitait répéter, mais non. Cette fois-ci, il n’était pas question de s’énerver, alors qu’ils venaient à peine de se réconcilier. Ça faisait plus d’un mois qu’ils ne s’étaient pas adressé la parole, et il faudrait qu’ils se disputent déjà ? Non, ce n’était pas possible ! Mais pourquoi c’était toujours comme ça, entre eux ? Emilien s’était déjà posé la question, dans la volière, mais il n’avait pas trouvé de réponse. Il fallait croire qu’ils étaient faits pour se disputer, c’était tout. De son côté, il devait être capable de faire quelque chose, non ? La technique de ce psychologue de foire ne servait plus à rien, Emilien avait l’impression d’avoir brisé tout ce qui faisait que ça marchait, en frappant Porky au bord du lac. Le Serpentard n’avait d’autre choix que de faire un effort.

- Tu sais … J’m’en fiche, que tu sortes avec Gatween. Tu fais ce que tu veux, ça me regarde pas.

C’était à son tour d’avouer ses tords, Lucy l’avait fait à deux reprises, dans la volière et lorsqu’il était entré dans le compartiment. Alors que lui, sa fierté l’avait empêché de le faire avant. Bon, si c’était juste pour entendre ça qu’elle lui parlait de Stanislas, c’était fait. Elle avait ce qu’elle voulait. Ils changeaient de sujet, à présent ? Non, Emilien tenait à lui expliquer pourquoi il ne voulait pas en parler. Comme ça, le sujet serait clos, définitivement. Sauf lorsqu’elle voudrait lui annoncer qu’elle et Gatween avaient rompu, là il voudrait bien en entendre parler. Emilien avait parlé calmement, mais pas froidement comme il l’avait fait dans la volière. A ce moment, il avait vraiment été horrible. Quand il y avait repensé, plus tard, il avait eu honte de lui … Lucy n’avait pas mérité ça, même si elle avait fait preuve de bêtise ou de naïveté en sortant avec Gatween. Pendant toutes les vacances, il avait repensé à son attitude dans la volière. Il était toujours d’accord avec ce qu’il avait dit. La seule différence, c’est qu’il estimait qu’il aurait pu le faire autrement. Être un peu plus diplomate par exemple, avoir plus de tact. Ce qu’il essayait de faire à ce moment-là, dans le Poudlard Express.

- Simplement, comme je l’aime pas trop, je préfère qu’on en parle pas.

Voilà, c’était tout simple, non ? Pourquoi est-ce qu’il n’avait pas été aussi calme, dans la volière ? C’était comme ça. De toute façon, ce qui est fait, est fait. Le passé, c’est le passé. Et dans l’instant présent, Emilien souhaitait changer de sujet, mais il voyait mal comment. Après avoir dit ça, comment repartir comme si de rien n’était, sur le sujet des concerts moldus ou des vacances, par exemple ? Non, ce serait carrément se moquer de son amie, à ce moment-là. Et puis quelque chose continuait de l’intriguer. Pourquoi Lucy en parlait-elle ? Il ne pouvait pas se résoudre à croire qu’elle n’avait pas compris que le sujet pouvait énerver Emilien. Pourtant, n’avait-elle pas dit, au début du voyage, qu’elle ne voulait plus qu’ils se disputent comme ça ? Et il avait dit qu’il était d’accord ! Alors pourquoi ? Evidemment qu’il n’allait pas lui demander comme ça. Surtout qu’il n’avait pas totalement compris la phrase de Lucy, à part « Stanislas », et peut être même « J’aime Stanislas ». Elle l’aimait ? Parfait, le sujet était clos, alors ! Elle l’aimait Gatween, Gatween l’aimait, tout allait pour le mieux. Non ?

- C’est pas toi qui disais que tu voulais pas qu’on se dispute ? Moi non plus j’en ai pas envie. Alors Gatween … C’est pas un sujet très … simple.

« Simple », le beau mot. Emilien n’avait rien trouvé de mieux. Un sujet calme ? Non, c’était ridicule. Sinon, il avait aussi : un sujet qui n’incitait pas à une discussion très posée. Mais c’était encore pire. « Et le train ralentit, c’est déjà la fin de ton histoire. » Non, le Poudlard Express n’était pas arrivé, loin de là. Emilien comparerait plutôt les voyages en train aux discussions entre Lucy et lui. Au début, tout allait bien, puis au bout d’un moment, l’un des deux trouvait le moyen de dire quelque chose de dérangeant, et on savait comment ça se terminait. « Il paraît que les voyages en train finissent mal, en général. » Il n’y avait eu qu’une seule fois où leur discussion s’était bien terminée, et normalement. Evidemment, après avoir vu Lucy et Stanislas, dans le parc, comment Emilien aurait-il pu faire comme si de rien n’était ? En général, il disait ce qu’il pensait, comme lui avait fait remarquer son amie dans la volière. D’après elle, c’était même une qualité. Quand on voyait où ça les avait menés, cette qualité, on pouvait se poser des questions. Emilien jugea bon d’ajouter encore quelque chose.

- Après, si tu veux vraiment en parler … Tu sais ce que je pense de lui.

Emilien scruta le visage de son amie, un peu inquiet. Il espérait vraiment ne pas l’avoir vexée, ce n’était pas son but … Tiens, il lui semblait que c’était la première fois qu’il l’observait vraiment attentivement, ou alors les autres fois il n’avait pas fait très attention. Bien sûr, il avait déjà remarqué ses cheveux blancs, qui blondissaient d’ailleurs. Qui ne les aurait pas remarqués ? Mais c’était dommage. Dommage, parce que les gens souvent s’arrêtaient à sa couleur de cheveux, qui leur paraissait une drôle de curiosité, une erreur de la nature. Et ils ne jetaient qu’un bref coup d’œil à son visage. En cherchant à comprendre ce qui était passé par la tête de Lucy lorsqu’elle avait parlé de Stanislas, Emilien se rappela un vers que sa cousine appréciait particulièrement. « La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur. » Le reste du poème, il n’avait jamais trop aimé. Le Serpentard regarda en direction de la fenêtre, il voyait son reflet sur la vitre et ne put s’empêcher de repenser à une discussion avec sa cousine. Camille lui avait justement sorti son vers – de qui ? Bonne question – alors qu’ils avaient encore rencontré des idiots pour se moquer des yeux du Serpentard. Ce dernier avait été touché par le fait que sa cousine veuille le réconforter, mais comme il l’avait dit, et comme il le pensait encore, la courbe de ses yeux, à lui, ce n’était pas une vraie courbe. Elle était cassée au milieu, à cause de ce changement de couleur brusque.

Le Serpentard faillit sourire en se rappelant la fin de la chanson – enfin, on pouvait appeler ça comme ça, mais le mec ne chantait pas, il ne faisait que parler, d’un bout à l’autre. « Maintenant tu es prévenu la prochaine fois tu prendras le bus. » Ouais, le bus pour aller à Poudlard … Transformer les discussions avec Lucy en voyages en bus, plutôt que des voyages en train ? L’idée avait de quoi amuser. Emilien se passa la main sur la nuque, avec lenteur, comme s’il pensait à autre chose. Il voulait surtout une réponse positive de Lucy, n’importe quoi, quelque chose qui sauverait leur conversation. Comment se réconcilier en une leçon, et se redisputer aussitôt ? Non, c’était nul …

Emilien expliqua qu’il s’en fichait qu’elle sorte avec Stanislas et que çà ne le regardait pas. Ouf. Il n’avait pas compris ce qu’elle avait dit. Mais il était manifestement tendu. Lucy s’en voulait d’avoir prononcé ces paroles. Pourquoi fallait-il qu’ils soient toujours au minimum à la limite de se disputer lorsqu’ils se voyaient ? Alors qu’ils se manquaient tellement lorsqu’ils ne se voyaient pas ? Il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond, çà au moins, c’était certain. Il enchaîna alors sur la raison qui le poussait à ne pas vouloir en parler. Qui arracha un léger sourire à Lucy. Naaaan alors comme çà, Emilien n’aimait pas Stanislas ? Ca alors, première nouvelle !!! Cependant, la petite se garda bien de faire une remarque à voix haute, ne tenant pas à briser le fragile lien de conversation calme qu’ils venaient de tisser.

- Nan c’est pas çà... c’est... rien, soupira Lucy.

A quoi cela servirait-il de répéter ? C’était elle, et elle seule qui s’était fourrée dans ce pétrin, c’était à elle seule de s’en sortir. Seule entre Stanislas et Emilien. Peut-être valait-il mieux ne pas y penser pour l’instant. Après tout, elle n’était pas certaine d’éprouver un réel amour pour Emilien. En attendant, c’aurait été particulièrement stupide de perdre les deux.

- Nan c’est bon… j’en parlerais plus, promis.

Et sur ces paroles, elle adressa un sourire aussi joyeux que possible à Emilien, avant de déposer de nouveau ses yeux sur le sombre paysage. A son tour des paroles d’une chanson lui revinrent en tête… oui, c’était facile de s’identifier à une chanson… j’me sens si seule dans ce brouillard… Oui, c’était le brouillard complet dans sa tête. Perdus cette nuit… oui, elle était perdue… Elle entortilla une mèche de cheveux autours de son doigt, un tic qu’elle avait pris, lorsqu’elle était anxieuse, d’une manière ou d’une autre. Emilien avait dit une dernière phrase, mais Lucy ne l’avait pas vraiment entendu, comme si elle avait été très loin de lui… comme dans un rêve.

Au son de la voix d’Emilien, Lucy avait de nouveau tourné la tête vers lui, s’apercevant qu’il la regardait étrangement. Sans doute pensait-il qu’elle n’allait pas bien. Oui, elle devait sûrement être très mal pour avoir de nouveau abordée une conversation avec le nom de Stanislas lorsqu’elle parlait avec lui. Que dire ? Elle se contentait de le regarder à son tour, plongeant son regard dans les yeux qu’elle connaissait maintenant si bien. Les yeux qui faisaient la particularité d’Emilien, qui le rendaient plus unique encore qu’il ne l’était. Qu’elle avait vu doux, furieux, et comme au moment où ils la dévisageaient, inquiets.

- ...

Non, elle ne savait pas quoi dire, elle avait ouvert la bouche, cherchant quelque chose à ajouter pour dire combien elle était désolée d’avoir remis sur le tapis un sujet qui fâchait, et l’avait refermée aussitôt, incapable de trouver autre chose que « je suis désolée, c’était stupide de ma part » ce qui n’aurait pas vraiment aidé à une conversation plus détendue. Changer de sujet, c’était sans doute ce qu’il y avait de mieux à faire…
L’arrivée du chariot de friandises dans le couloir l’aida à faire diversion, même si elle n’avait pas vraiment faim, c’était l’occasion rêvée de parler d’autre chose.

- Tu veux quelque chose ? demanda-t-elle à Emilien.

Bon, elle n’avait plus grand-chose après avoir offert des cadeaux de Noël à tout le monde, mais son amitié avec Emilien valait bien de dépenser les quelques mornilles qui lui restaient. Elle attendit sa réponse, essayant toujours de rester enjouée.

hj: désolée, pas le temps de faire une plus longue réponse, je dois y aller !

[Arf de toute façon je peux pas en faire une trop longue non plus ... ]

C'était pas ça ? Comment ça ? Emilien ne comprenait pas bien ce que son amie avait voulu dire, mais ça avait forcément un rapport avec Stanislas, puisqu'elle avait prononcé son nom ! Lucy n'avait pas dit "Stanislas" pour le simple plaisir de l'énerver, tout de même. Surtout qu'elle avait pas envie de le mettre en colère, d'après ce qu'il avait compris. Lui-même préférait de loin rester calme ... En parlant de Stanislas, il faudrait qu'il ait une discussion avec lui, un jour, histoire de ... bah, de le connaître un peu, quoi. Juste pour voir. Pour avoir encore plus de choses à dire son sujet, de choses négatives bien sûr. S'il lui trouvait des qualités, ce dont il doutait fort, il se ferait un point d'honneur de ne pas en parler. Oui, c'est nul, comme attitude, mais c'est comme ça. Quand on aime pas quelqu'un, on préfère ne voir que ses défauts, comme ça on a de vraies raisons de le détester. Parce qu'à part ça, Emilien ne voyait pas bien pourquoi il détesterait autant quelqu'un avec qui il n'avait jamais parlé ...

Bon, ce n'était rien, d'après Lucy. Rien de bien important puisqu'elle ne répétait. Quelle idée de dire quelque chose, puis de décider que c'était sans intérêt et se refuser ensuite à répéter ... Enfin, comme elle voulait, hein ? Emilien n'allait pas l'y obliger, premièrement parce qu'il n'en avait pas les moyens, et deuxièmement parce qu'il n'en avait pas envie. Et puis, aussi, parce que comme ça concernait Stanislas ... Quoique, maintenant, sa curiosité avait été éveillée. Qu'est-ce qu'elle avait donc bien voulu dire à propos de Gatween ? Quelque chose de mal ? Qu'il était stupide, peut-être. Ah, le rêve. Ou bien que finalement, elle ne l'aimait pas. Et Emilien qui lui avait dit qu'il s'en fichait ! Tu parles d'une gaffe ! Si ça se trouve, elle avait été vexée. S'il s'en fichait, qu'elle sorte avec Gatween, ça voulait dire qu'il ne faisait pas bien attention à elle ... En réalité il ne s'en fichait pas, sinon il n'aurait pas fait toute une scène dans la volière, mais ... Rah ! C'était trop compliqué ! Changer de sujet, vite !

La Serdaigle déclara qu'elle ne parlerait plus de Stanislas, et le lui promit, même. Wow, dans un sens, on faisait de vrais progrès ! Ca voulait dire qu'ils ne se disputeraient plus à ce sujet, normalement. Bien ! Mais d'un autre côté, Emilien ne saurait sans doute jamais ce que Lucy avait voulu dire. Et puis, si son amie avait envie de dire du mal de Stanislas ... il n'avait rien contre, comme on s'en doute ! Bah, c'était comme ça. Il valait peut-être mieux ça, que de s'énerver encore. Quand la Serdaigle ouvrit la bouche, Emilien espéra qu'il en sortirait des explications. Mais il attendit pour rien, car finalement, son amie ne prononça pas un mot et referma la bouche. Bon ... La discussion n'allait pas aller loin, si on continuait comme ça. Il fallait avouer que le sujet avait comme jeté un froid, Emilien non plus ne savait pas trop quoi dire. De quoi pouvaient-ils parler ? Les cours, les profs, c'était bateau comme sujet. Les vacances, c'était déjà fait. En plus, celles de Lucy avaient été nulles s'il avait bien compris, alors ...

Tous deux accueillirent donc l'arrivée de la vieille avec son chariot de bonbons, avec un certain soulagement. Enfin quelque chose à commenter ! Parler, parler, parler ! Emilien adorait les bonbons, c'était un fait, mais il avait du mal avec les bonbons sorcier, en réalité ... Ce qu'il n'aimait pas s'avouer. Lui qui répétait chaque jour qu'il aurait aimé avec une famille de sorciers, vivre dans le monde des sorciers chaque jour, il n'aimerait que les bonbons moldus ? C'était nul ... Enfin, ça devait être une question d'habitude ... Lorsque Lucy lui demanda s'il en voulait, il se maudit mentalement. Pourquoi n'avait-il pas d'argent sur lui ? Parce que ça le gênait que ce soit son amie qui paie, elle lui avait déjà offert un super cadeau de Noël alors que de son côté, il n'avait même pas pensé à elle, et en plus elle voulait payer les friandises ... Emilien n'avait pas non plus envie de refuser, enfin, il pouvait aisément se passer de bonbons, mais il ne voulait pas vexer Lucy. Après avoir tenté de trouver une solution à son dilemne, il finit par répondre :

- Non, ça va, j'ai pas très faim ... J'ai mangé un truc à la gare avant de monter dans le train.

Faux. Complètement faux. Ce matin, il avait vérifié qu'il n'avait rien oublié dans sa chambre au Chaudron Baveur, puis avait galéré pour aller jusqu'à la gare. Une fois dans King's Cross, il s'était dirigé vers la voie neuf trois quarts. Mais ça, Lucy ne pouvait pas le savoir, n'est-ce pas ? Emilien avait peut-être faim, mais plutôt mourir que de l'avouer !

Il n'avait pas faim. Bon, ça n'aurait servi à rien d'insister n'est-ce pas ? Surtout qu'elle-même n'avait aucunement envie de manger, alors il valait mieux qu'elle gardât son argent pour une autre occasion. Ne pas jeter l'argent par les fenêtres, voilà une notion qu'elle avait bien intégré et la petite s'assurait toujours qu'elle ne serait aucunement déçue de ses achats avant de dépenser son argent de poche. Prévoyante la Serdaigle !

- Ok...

Le paysage continuait de défiler, la pluie de tomber, le silence de règner. Le temps pourri eut au moins l'avantage de donner une idée de conversation à la fillette qui songeait au soleil. Oui, le soleil, pour qui est-ce que ce mot n'évoque pas les vacances d'été, repos après une longue année de travail ! Qu'il était délicieux de paresser durant deux mois sans rien avoir à faire d'autre que de passer du bon temps ? Et puis surtout, Lucy savait que pour elle, les Grandes Vacances rimaient avec France ! Qu'elle aimait ce pays dont elle était originaire, elle aimait cette langue, les accents chantant des gens du sud, et ceux peut-être moins prononcés des autres...

Et elle verrait ses cousins et cousines, qu'elle avait manqué pour Noël !!! Sa famille qu'elle aimait tant ! Bon, d'accord, parfois, souvent même, elle les détestait, mais parce qu'elle était en colère seulement... elle était incapable de rester fâchée longtemps avec quelqu'un qu'elle aimait vraiment. Les projets d'été... mais d'abord, avant de songer à repartir en vacance,s il faudrait d'abord qu'elle règle cette affaire avec Stanislas. Que pourrait-elle lui dire ? Qu'elle était allée trop vite ? Qu'elle s'était peut-être trompée après tout ? Stupide... elle fondait dès qu'elle le voyait... mais alors ? On ne pouvait pas aimer deux garçons à la fois quand même !!!! Non, non et non... sans doute considérait-elle Emilien comme... comme son grand-frère ?! Tout aussi ridicule... elle n'éprouvait certainement rien d'approchant avec son propre frère !

- T'as des projets pour cet été ? demanda-t-elle.

*Pense à autre chose, pense à autre chose....*

Les projets de l'été.... bon, il voudrait sûrement aller en Italie voir le petit frère ou la petite soeur, mais après ? Lucy se souvint du jour de leur rencontre... il y avait une lettre, de quelqu'un à qui Emilien semblait tenir. Ah, évidemment, ce n'était sûrement pas quelqu'un de sa famille, mais sans doute un ami d'avant... voire une amie. Bien sûr, elle n'était certainement pas la seule amie d'Emilien, elle avait été stupide de penser que si, même si le jeune garon n'avait jamais évoqué quelqu'un d'autre. Mais après tout, elle savait combien il était silencieux en ce qui pouvait le concerner... La Serdaigle ne put s'empêcher de ressentir un petit pincement de jalousie pour cette personne qui devait connaître le Serpentard depuis tellement plus longtemps qu'elle. Sûrement une fille en plus.... et sûrement que cette fille, elle, elle ne devait pas chercher pendant des heures pour trouver un sujet de conversation débile à entamer avec Emilien.

Lucy savait que qui que soit cette fille, elle n'était très certainement pas consciente de la chance qu'elle avait d'avoir rencontré le jeune homme. Alors qu'elle, elle le savait ! La première année prit alors conscience de son attitude puérile, et ne put s'empêcher de stopper net ses pensées, pour penser que d'être jalouse comme ça c'était vraimen stupide. Oui, Emilien avait très certainement eut raison au final. Elle était stupide ! Même là, elle jugeait une fille sans jamais l'avoir vue ! Elle était pathétique, pas étonnant qu'elle eût autant d'ennuis ! Une gamine, c'est incapable de se gérer seul, c'est bien connu ! Aussi, elle n'avait plus qu'un seul moyen de s'en tirer, et ce devait être sans l'aide de son ami.

Et toujours ce satané silence, il fallait croire qu'ils étaient vraiment peu doués pour la conversation ! Quand une conversation se déroulait bien, les sujets s'enchaînaient sans même qu'on y fasse attention, et on pouvait commencer à parler de chevaliers et terminer avec des extra-terrestres. Si si, surtout avec une vieille prof d'histoire. Bref. Emilien cherchait lui aussi un sujet, presque désespéré de ne rien trouver. Mais quoi ? Ils ne s'étaient pas vus pendant presque deux mois, son amie lui avait vraiment manqué, et là, ils ne savaient pas quoi se dire ? Ce n'était pas normal ! Pourtant, le Serpentard avait beau chercher, il ne voyait pas ... Mis à part des sujets banals comme "J'ai pas envie de retourner en cours demain, j'espère que Rogue sera tombé dans un de ses chaudrons et se sera écrasé son gros nez tout gras au fond." Evidemment, ce genre de choses, ça fait toujours réagir. Parler des profs, c'était un très bon sujet ... quand on ne savait vraiment pas quoi dire. Là, il fallait trouver autre chose.

Ce fut Lucy qui vint à leur rescousse en proposant le sujet des vacances d'été. S'il avait des projets ? Eh bien tout d'abord essayer d'avoir des vacances un peu agréables, pour une fois. Il connaissait bien le programme, maintenant : un mois chez son père, un mois chez sa mère. Et s'il avait de la chance, et si son oncle insistait vraiment, il aurait peut-être droit à une semaine chez sa cousine au milieu. Emilien espérait de toutes ses forces qu'il pourrait aller voir Camille, car ça faisait tellement longtemps ! Bien sûr ils s'écrivaient, mais ce n'était pas pareil ... Le seul point positif dans toute cette histoire, c'était que Camille entrait à Poudlard l'année prochaine. Il pourrait la voir tous les jours ! Bien sûr, elle ne serait pas à Serpentard, mais ce n'était pas un problème ... Lucy était bien la preuve qu'on pouvait parfaitement avoir des amis dans d'autres maisons ! La Serdaigle avait d'ailleurs l'air de connaître pas mal de Serpentard, bizarrement. Les McLane, Gatween, lui-même ... Enfin, elle faisait ce qu'elle voulait, hein.

- Je suppose qu'on m'aura déjà tout prévu : un mois ici, l'autre en Italie.

Emilien soupira, ça ne s'arrangeait pas, avec ses parents. Seul son beau-père semblait un peu plus amical, mais le Serpentard ne pouvait s'empêcher de se demander ce qu'il avait derrière la tête. Peut-être qu'il espérait qu'ainsi, ça se passerait mieux entre Emilien et son petit frère ou sa petite soeur ? Peut-être. En tout cas, l'enfant parlerait italien, alors il avait tout intérêt à faire des efforts dans ce sens ... Mais surtout, il se promettait de lui apprendre l'anglais, parce que c'était important, et ce serait une victoire de plus sur sa mère. Bon bien sûr ce ne serait pas pour tout de suite, tiens d'ailleurs, à partir de quel âge les enfants commencent à parler ? Emilien n'en avait strictement aucune idée, m'enfin il n'y avait pas de raison qu'il soit très cultivé à ce sujet, puisqu'il n'avait jamais eu de frère ou de soeur ! Et ses parents n'étaient pas du genre à raconter de vieux souvenirs de quand le garçon était bébé, déjà que pour trouver des photos, ce n'était pas évident ...

- Mais j'vais quand même essayer de négocier un peu de temps pour aller chez ma cousine.

ll eut un petit sourire en pensant à Camille. Et pourtant, ils ne se ressemblaient pas du tout ! Sa cousine, âgée d'un an de moins que lui, était vive, enjouée, enthousiaste, optimiste ... Bref, ce n'était pas des traits de caractère qu'Emilien possédait. Mais ils s'étaient toujours très bien entendus, car du temps où le père d'Emilien était encore un sorcier, ils se voyaient souvent. Maintenant ... c'était plus difficile. Parce que le père de Camille était resté un vrai sorcier. Emilien méprisait ses parents à ce sujet. Ah, quand c'était pour envoyer une lettre à Poudlard, on pouvait bien passer par Christopher la bonne poire, ah ça oui ! Il était gentil, hein. Mais lorsqu'il s'agissait d'envoyer Emilien chez lui, ah mais, c'était un sorcier, ce n'était pas dangereux ? Ils étaient pathétiques ! Un jour, Emilien s'en irait de chez lui, et ce serait bien fait pour eux ... Il irait n'importe où, mais ailleurs.

- C'est un peu la seule famille sorcière qu'il me reste, ajouta-t-il en se rendant compte qu'il n'avait jamais évoqué l'existence de sa cousine.

Sa chère cousine, qui était comme une petite soeur pour lui. Vivement que l'année se termine, et qu'il aille la voir ! On pouvait remarquer qu'Emilien souriait presque toujours lorsqu'il parlait d'elle, lui-même n'y faisait pas attention, mais ... Enfin, il retourna la question à son amie.

- Et toi, alors ?

[hj: encore de retour pour quelques jours, mais cette fois-ci c'est pas un tout ptit message ]

Les vacances d’Emilien étaient déjà programmées grâce à ses chers parents, mais Lucy avait quand même réussi à le faire parler à ce sujet. Un mois en Angleterre, l’autre en Italie… sa mère était enceinte, certes, c’était normal qu’elle ne bougeât point pour les vacances, mais son père ? Il comptait passer sa vie à Londres ? La fillette adorait les voyages, et aimait à ne pas s’enterrer durant deux mois dans le même endroit pour les vacances, quand tous les autres s’en allaient vers des destinations étrangères. Bon, des destinations étrangères, elle n’en voyait que depuis l’année précédente, mais l’exploratrice insatiable qu’elle était ne se lassait pas d’écouter de nouvelles langues, d’observer de nouvelles cultures, de goûter de nouvelles saveurs… Etant issue d’une famille sorcière « pratiquante » comme on aurait pu la comparer à celle de son ami, les longs trajets étaient exclus puisque dans ces cas-là, ils empruntaient comme toute personne sensée, des portoloins.
Les yeux de la petite avaient déjà vaguement croisés la Belgique, un pays dont elle se souvenait surtout comme étant plat, ils avaient admirés les vestiges anciens de la Grèce dont le souvenir faisait s’illuminer son visage, particulièrement au nom de la ville de Delphes, l’Italie, le lac de Côme, Bellagio, un endroit magnifique, où se côtoyaient les nombreux touristes venant admirer le panorama du lieu… et la France ! La France bien sûr, qu’elle connaissait mieux que tous les autres, hormis son propre pays. Mais elle y avait une grande partie de sa famille et de ses souvenirs, aussi était-il normal que la Serdaigle portât cette nation, cet état dans son cœur.

A propos de famille, Emilien ajouta qu’il essaierait de négocier quelques temps chez sa cousine. Cousine, une fille, et dont la simple énonciation suffisait à le faire sourire. La lettre devait provenir d’elle, sans aucun doute. Du moins Lucy l’espérait, sans s’en rendre vraiment compte elle-même. La question fusa de ses lèvres, presque aussitôt, presque trop vite, tandis que son cœur semblait s’arrêter le temps de la réponse.

- C’est elle qui t’avait écrit ? Tu te souviens, dans le parc ?

C’était la seule famille qu’il lui restait. Ainsi, ce devait être une sorcière, ainsi que ses parents… l’oncle et la tante d’Emilien. Celui-ci en parlait comme s’il n’avait pas l’occasion de souvent les voir, et il n’en fallait pas plus pour laisser la première année deviner que les parents de son ami étaient eux-mêmes responsables de cet éloignement. Il n’y avait rien de très étonnant à cela, mais une fois de plus, Lucy comprit encore un peu tous les différents qui opposaient le jeune garçon à ses géniteurs. Quoi de plus normal que de visiter ses proches de temps à autres ? Mais s’ajoutait à la longue liste des restrictions imposée par le mode de vie de moldus des parents d’Emilien, celle de ne fréquenter en plus, que le moins de personne non-douées de magie possible… La fillette s’imagina deux secondes, en telle situation, elle qui se rendait si souvent chez ses cousins et cousines, tous sorciers. Ne plus voir personne serait assurément terrible, et elle ne doutait pas qu’elle aurait longuement nourrit rancune contre son père et sa mère si jamais ils s’agissaient d’agir de la sorte.

- Je suis désolée que tu ne puisses pas la voir plus souvent, dit-elle d’une voix douce.

Emilien lui retourna alors sa question, à laquelle elle répondit, qu’elle irait voir sa famille en France, et n’avait pas encore d’autres projets en cours pour l’instant, mais qu’elle espérait vivement découvrir de nouveaux endroits, que ce fut en France ou dans d’autres contrées.
Une fois de plus, le sujet revenait à la famille. Ah, que toutes ces personnes si différentes pourtant, pouvaient compter à leurs yeux, bien plus certainement que les deux premières années ne voulaient l’affirmer. Sauf évidemment, les cousins et les cousines. On avait beau se disputer avec ses parents, ses frères et sœurs, trouver les grands-parents un peu trop protecteurs, ne pas aimer certains oncles et tantes, on s’entendait généralement très bien avec ses cousins et ses cousines, à moins que ce ne fut le contraire, et qu’on les haït de manière à ne point les souffrir, quelles que fût la démarche qu’ils pouvaient faire auprès de vous. La première option s’appliquait à Lucy et aux deux cousines et trois cousins dont elle était la plus proche en âge. A eux six, ils ne s’occupaient guère des plus petits, vagabondant généralement dans le jardin, quand ils n’étaient occupés à fomenter quelque mauvais coup soigneusement préparé à l’attention de leurs frères et sœurs, n’osant encore s’en prendre aux plus « vieux », lesquels riposteraient aisément. Car leurs réunions de familles pouvaient faire songer à un jeu. Les adultes, les « grandes personnes », assurément trop sérieuse, restaient ensembles à discuter, tandis que les plus jeunes se séparaient en plusieurs groupes selon les affinités et les âges, se livrant des batailles sans merci, et concluant une trêve générale à l’heure du goûter.
Eventuellement, ils pouvaient aussi s’associer afin de voler quelque gâteaux ou bien des bouteilles de vins en douce, afin d’imiter leurs aînés, et « d’aider à leur digestion » selon leur propre excuse. Mais de cela, ils se gardaient bien de se faire prendre, s’assurant que la boisson était en quantité suffisante pour que n’en remarque la disparition que ceux qui en étaient les responsables. Dans l’affaire on incluait généralement les plus petits, lesquels revenaient fiers comme des paons, la bouteille à la main, que ne tardaient à leur chiper tous ceux plus habitués qu’eux, prétextant que leur jeune âge les empêchait de toucher à toute forme d’alcool que ce soit. Des trêves, des accords et des trahisons, une douce existence qui n’avait lieu que lors des vacances d’été quand tous se réunissaient dans l’immense propriété que leurs aïeux partageaient.



Un sourire passa sur le visage de Lucy lorsqu’elle raconta à Emilien tout cela. De temps en temps, il arrivait que l’un des enfants amenât avec lui un ami pour les vacances. Ceux-ci étaient généralement très bien accueillis, et surtout très vite initiés à la «vie de famille» telle qu’elle se déroulait chez leurs grands-parents. Pourquoi pas son ami un jour ? Et pourquoi pas lui et sa cousine si elles se rencontraient et qu’elles s’aimaient bien ? Il était juste après tout, que les deux cousins puissent vivre un peu de ces moments eux aussi, au lieu de se retrouver seuls tous les deux. Une vraie petite communauté sommeillait durant la période scolaire, éparpillée aux confins de la France et de l’Angleterre…

- Tu adorerais, ajouta-t-elle. Je suis sûre que tu aurais des tonnes d’idées géniales !

En effet, le père d'Emilien comptait passer ses vacances chez lui. Du moins, le mois pendant lequel il accueillerait généreusement son fils. L'autre, il le passerait sûrement à voyager avec sa femme moldue. Il n'était pas question d'emmener Emilien ou que ce soit, enfin il en avait l'habitude, maintenant ... Son père avait honte de lui, il ferait mieux de se faire à cette idée. Lorsqu'il serait de retour à la maison, eh bien il n'aurait qu'à se trouver des occupations. Il pouvait ... aller se promener, ouais. Le village n'avait pas grand intérêt, sauf le matin, mais il y avait la mer. Là aussi, mieux valait y aller en début de journée, ou bien le soir, quand il n'y avait plus personne. Emilien n'aimait pas les gens de son village, ils étaient du genre rancunniers et pas très compréhensifs. Ils ne l'avaient jamais regardé d'un très bon oeil, mais alors depuis l'incident, c'était horrible ! Parmi les pires, il y avait un vieux qui disait qu'Emilien était un suppôt de satan, à cause de ses yeux "anormaux". Alors le garçon les évitait le plus possible, et aller acheter du pain à la boulangerie était une vraie torture. En contre-partie, il connaissant les alentours mieux que personne, m'enfin ... il aurait préféré connaître les autres enfants du village.

La question de Lucy l'étonna un peu, ce qui s'était passé au parc datait de ... plusieurs mois, et qu'elle se souvienne de cette lettre le surprenait. Il acquiesça, oui, effectivement, c'était bien une lettre de Camille ... en même temps, ils s'écrivaient régulièrement. Emilien recevait en moyenne une lettre de sa cousine par semaine, elle lui racontait ce qui se passait chez elle, les dernières nouvelles du monde des sorciers, et lui rappelait souvent qu'il fallait insister avec ses parents pour qu'il vienne lui rendre visite. Le Serpentard se rappelait comment il avait couru pour empêcher sa lettre de tomber à l'eau. Les lettres de Camille, bien que nombreuses, restaient précieuses à ses yeux ! Quand on a une personne qui vous écrit aussi souvent, on ne jette pas ses lettres ! A moins que ce soit quelqu'un qu'on ne supporte pas.

En parlant de vacances, celles passées avec Camille avaient toujours été les meilleures à ses yeux. C'était loin de celles de Lucy, où toute la famille se retrouvait, mais ... ça lui suffisait. Les seules fois où toute la famille avait été réunie, c'était pour l'enterrement de la mère de Camille, alors qu'Emilien avait trois ans, et pour le deuxième mariage de son père. Etrangement, tout le monde était là : Emilien bien sûr, et son père, mais aussi sa mère, qui en apprenant que la mariée était une moldue, avait eu envie de voir à quoi elle ressemblait, ainsi que Christopher et sa fille Camille. Même le cousin de son père était là : Maxim. Ce mariage avait été une joyeuse catastrophe, l'ancienne et la nouvelle femme de son père avaient été à deux doigts de se battre, Maxim et Christopher avaient failli sortir leur baguette magique, et les enfants avaient disparu, comme envolés. En réalité, Camille et Emilien en avaient eu assez, et étaient partis de la maison avec quelques provisions en nourriture. Ils avaient fini par s'arrêter sur la plage alors qu'il était prêt de minuit. Les adultes avaient paniqué en constatant leur disparition et la punition avait été sévère, mais Emilien ne regrettait rien.

- De toute façon, l'année prochaine elle entre à Poudlard, alors c'est sûr qu'on se verra plus souvent.

Lucy lui raconta comment se passaient ses vacances à elle, lorsqu'elle retrouvait toute sa famille. Evidemment ça n'avait rien à voir avec les siennes, mais finalement il préférait peut-être celles qu'il passait avec Camille : il n'aimait pas la surpopulation. C'était entre autres pour cela qu'il avait fui la maison lors du mariage, il préférait largement être seul avec Camille. Et il remerciait cette dernière de le suivre sans poser de question, dans toutes ses idées et tous ses projets, alors qu'elle était plutôt du genre à aimer la foule, du moment que l'attention générale se portait sur elle. Tout ce qu'Emilien espérait, c'était qu'elle n'aurait pas trop changé depuis l'été dernier. On verrait bien, s'il avait l'occasion d'aller chez elle.

Il adorerait ? Il ne savait pas trop ... Emilien ne se sentait jamais très à l'aise, au milieu de nombreuses personnes, encore plus si c'était des gens proches en âge de lui. D'un autre côté, ça pouvait aussi très bien se passer, mais ... Enfin bon. Et comment il était censé prendre ça ? Comme une nouvelle invitation à venir passer des vacances chez elle ? Cette fois, il répondrait sans doute oui, mais après ce qu'il avait dit la dernière fois ... Bon, dans la volière, il avait une bonne raison de répondre que, "malheureusement", il ne pourrait pas. C'était parce que ... parce que ... oh et puis d'accord, il n'avait aucune raison d'être aussi désagréable ! Et oui, il le regrettait, et sans doute que ça avait foutu en l'air toute autre possibilité d'invitation. Après ça, n'importe qui en aurait conclu que ce n'était pas la peine d'essayer à nouveau, mais Lucy, elle, elle pouvait comprendre que c'était parce qu'il était énervé, non ? Ce n'était pas sa meilleure amie pour rien, après tout. Et ça ne sert à rien d'avoir des amis qui ne peuvent pas vous comprendre. En tout cas, ce ne serait pas Emilien qui reparlerait de ça. Pas question de passer pour le mec qui se fait inviter ! En guise de réponse, il fit un petit sourire et un :

- Oui, sûrement ...

L'orage s'était calmé, et à présent la pluie tombait régulièrement. Emilien commençait à reconnaître le paysage, tiens d'ailleurs ... Après un virage, on vit enfin apparaître Poudlard, dont les lumières se remarquaient de loin, et brillaient dans la nuit qui était tombée. Il allait retrouver le château, la salle commune et le dortoir avec ses camarades de Serpentard, tous plus aimables les uns que les autres ... Emilien n'avait pas l'impression d'en avoir encore rencontré un qui sortait vraiment du lot, mais enfin, ça viendrait sûrement. Ce n'était qu'une question de temps : après tout, il y avait tellement de gens envoyés à Serpentard chaque année, qu'il devait bien y en avoir au moins un qui ne ressemblait pas à tous les autres, qui ne détestait pas les Poufsouffle juste parce qu'ils étaient des Poufsouffles, et les Sang-de-Bourbe par principe. Emilien se leva pour attraper une robe de sorcier dans sa valise, ainsi qu'un pull de l'uniforme obligatoire. Il se changerait dès le lendemain, mais pour la soirée, on n'allait pas l'embêter avec ça ! Il enfila donc le pull par dessus son t-shirt de moldu, et puis la robe. Tant pis pour son jean, ce n'était pas une catastrophe.

- Ah, Poudlard et ses magnifiques uniformes ...

Enfin, le vert lui convenait plutôt bien. Il se serait mal vu porter du jaune, en tout cas. Quelques minutes plus tard, le train faisait son entrée dans la gare, et des bruits de pas se firent entendre dans le couloir. Emilien, comme tout le monde, laissa sa valise, et prit Ben avec lui. Il s'agissait maintenant de ne pas se faire confisquer l'animal en entrant dans la château, car il était vrai que dans la lettre qu'il recevait, il était stipulé que seuls les chats, hibous, rats et crapauds étaient autorisés ... On verrait bien ! Emilien descendit du train en compagnie de Lucy, et eut la surprise de trouver des calèches tirées par ... rien. Décidément, c'était plutôt chouette, la magie. Il put monter dans l'une d'entre elles avec son amie, et arrivés à Poudlard, il s'adressa une dernière fois à la Serdaigle avant de prendre le chemin de la salle commune de Serpentard :

- Bon, on se revoit tout à l'heure, ou au pire demain en cours !