Selene n’avait encore jamais eu l’occasion de se rendre à la salle sur demande, et cela lui manquait grandement. Elle qui avait passé une semaine entière à l’infirmerie, elle se disait que faire un petit détour avant de retourner à sa salle commune n’était pas de refus. En cette fin de soirée, la jeune Gryffondor était habillée d’un uniforme tout simple, mis à part que sa chemise était à manches courtes et non pas à manches longues, comme elle avait l’habitude d’en mettre. Ce qu’il fallait savoir c’était qu’elle avait encore un peu de fièvre à cause de sa maladie aux yeux, et que c’était pour cette raison qu’elle avait une horrible sensation de chaleur perpétuelle. Accompagnée par sa sempiternelle canne blanche d’aveugle, la jolie jeune fille n’avait aucunement peur de tomber. Elle était devenue assez agile maintenant et avait bien compris que les escaliers pouvaient être traîtres…Cependant, elle ne doutait pas que tant que personne ne la bousculait, tout irait pour le mieux.
Arrivée avec peu de peine à la salle sur demande, Selene pensa fortement, sans y faire totalement attention, au salon qu’elle avait connu dans son enfance. Mais ce souvenir se transforma bientôt en cauchemar, parce qu’elle se souvenait avec un peu trop d’exactitude la scène du jour où elle avait perdu la vue. C’était l’un des rares souvenirs qu’elle avait encore en elle, parce qu’elle se plaisait à penser que sa mémoire était abominablement sélective. C’était la vérité, parce que c’était à peine si elle se souvenait du visage de ses géniteurs. Depuis qu’elle avait perdu la vue, il n’y avait pas une seule image qui était chère à son cœur, et elle ne voulait plus jamais avoir justement d’image d’horreur comme elle avait tant eu l’habitude d’en avoir. Pourtant, le souvenir de ce maudit salon était clair comme de l’eau de roche, et ce fut pourquoi, dès qu’elle ouvrit la porte de la salle sur demande, elle retrouva la même atmosphère désagréable et lugubre qu’elle avait quittée pour aller à l’hôpital.
Selene se rendit bien vite compte qu’il s’agissait de son salon. Il lui suffit de toucher l’un des murs pour retrouver une fois de plus la sensation de froid perpétuel qui régnait toujours dans cette pièce. Tout était à sa place…Du vieux fauteuil râpé au tableau d’une femme avec un enfant dans les bras, tout était exactement comme dans son souvenir. Cette sensation de rentrer chez soi combla la jeune fille d’une douce sensation de plénitude, et ce fut pourquoi elle ouvrit subitement les yeux, alors que l’infirmière lui avait recommandé de les tenir fermés. Ses pupilles d’un rouge sang si particulier étaient brillantes, certainement sous le contrecoup de l’émotion mais aussi face à la pâle lumière du feu, dont elle se souvenait également. Toutes les images qu’elle imaginait avec facilité lui tira un petit sourire satisfait et enchanté. Mais ce sourire disparut néanmoins bien vite lorsque sa main rencontra des bouts de verres plein de sang…
Selene eut un violent mouvement de recul, si bien qu’elle perdit l’équilibre et s’écroula complètement sur le vieux fauteuil rouge. Elle avait maintenant quelques gouttes de sang sur le bout des doigts, non pas dues au fait qu’elle s’était entaillée la main, mais parce qu’elle avait frôlé le sang qui était posé dessus. Ce sang, c’était le sien, celui qui s’était écoulé de ses yeux lorsque son père avait envoyé un vase en pleine figure à sa mère et que c’était la petite fille de l’époque qui l’avait protégée. C’était ce jour, cet instant, cette seconde où elle avait dit au revoir pour toujours à la lumière. Et ce souvenir, si glaçant et douloureux soit-il, parvint à faire couler de ses yeux non pas des larmes de sang, mais bien une larme qui scintillait face à la pâle lueur de la pièce, un pleur qui était fait d’eau salée…
Selene ne pensait pas un jour parvenir à pleurer de nouveau sincèrement. Mais revivre cet instant était trop dur pour elle, elle sentait au fond de son cœur qu’elle n’en avait pas la force…Alors, au lieu de quitter la salle aussi vite qu’elle y était parvenue, la jeune fille se laissa attraper par le sommeil et s’allongea doucement sur le fauteuil en fermant doucement les yeux. Non, elle ne voulait pas partir, elle voulait pouvoir se souvenir de tout ce qu’elle avait vécu d’heureux durant ces années avant qu’elle ne perde la vue. Et elle savait qu’elle n’allait s’en souvenir que si elle restait là, allongée et paisible.
« Papa…Maman…Ne me laissez plus…Dans le noir… »