Trop c’était tout simplement trop ! Il avait beau avoir une patience légendaire, il avait beau préférer éviter les ennuis par-dessus tout, il n’en restait pas moins qu’il arrivait un moment où, même lui, en avait sa claque. Et ce moment était arrivé. Alekseï avait définitivement dépassé les bornes. Et l’époque où il acceptait ce que son frère lui jetait à la figure sans broncher était désormais bien révolue. Non, l’heure de la vengeance était enfin venue et il l’avait trop attendue pour ne pas savamment la préparer en vue de la déguster au maximum. Alekseï allait amèrement regretter de l’avoir humilié le lundi précédent tandis qu’il patrouillait. En effet, son imbécile de frangin et ses babouins d’amis avaient trouvé hilarant de lancer un sort à une armure alors qu’il passait devant elle pour que cette dernière lui tombe dessus. Il était resté empêtré dix bonnes minutes tandis qu’Alekseï et sa petite cour d’admirateurs se tordaient de rire et, évidemment, alors qu’il s’apprêtait à leur enlever un bon paquet de points pour outrage envers préfet -il fallait bien que le badge lui serve à quelque chose mine de rien-, son aîné n’avait rien trouvé de plus provoquant à dire que : « Alors Kolia, on se cache dans les jupons de l’autorité comme toujours ? »

C’était la goutte d’eau qui avait fait littéralement déborder le vase. Alekseï voulait la guerre ? Et bien il l’aurait ! Et, contrairement à ce que ce Troll des montagnes pensait, Niko n’avait aucune intention de courir tout raconter aux professeurs. Oh non, il allait battre son frère par ses propres moyens, en utilisant ce que se dernier refusait si terriblement d’user sauf quand il s’agissait de faire des affaires : son cerveau. Oh il avait toute l’intention de rendre sa famille fière de lui, il allait agir en bon Dmitriev qu’il était en recourant à une des armes les plus puissantes qu’il connaissait : le chantage. Alekseï devait bien cacher un ou deux secrets pas très nets dans sa manche, tout le monde en avait. Il allait donc les découvrir et, si son frère s’en prenait de nouveau à lui, ça allait barder pour son matricule.

Sauf qu’il ne réussirait jamais seul dans cette entreprise, il avait besoin des services d’un professionnel de l’information, or des rumeurs couraient dans les couloirs sur une personne qui passait son temps à prendre des photos et faire ensuite chanter les innocentes victimes. Autrement dit, exactement ce qu’il lui fallait. Il ne lui restait qu’à mettre la main sur ladite personne. Ce qui se révéla plus rapide qu’il ne l’avait initialement envisagé lorsqu’il choppa un couple de cinquièmes années à Serdaigle en train de s’embrasser et plus si affinités dans une salle vide après le couvre-feu. Contre son silence, la fille -qui semblait une adepte de se faire chopper avec des garçons apparemment- avait accepté de lui donner l’adresse où écrire. Et c’est ce qu’il avait fait. La réponse s’était révélé des plus rapides et c’était la raison pour laquelle il était le seul clampin levé dans le dortoir en ce beau samedi matin.

Il enfila en silence une de ses robes d’extérieur puisque le rendez-vous était devant le Lac et se jeta un coup d’œil critique dans le miroir. Il était suffisamment bien habillé pour un « rendez-vous d’affaire », surtout si l’élève était plus âgé que lui, ce qui risquait fortement d’être le cas. Il ajusta machinalement le col de sa chemise, se passa une main dans les cheveux puis sortit avec discrétion. Tandis qu’il prenait la direction du Lac, il s’interrogeait sur son mystérieux interlocuteur. Serait-ce un garçon ou une fille ? De quelle maison viendrait-il ou elle ? Quelque part, il trouvait l’idée du chantage typiquement vipérine mais les gens pouvaient toujours vous surprendre. Et, puis, soyons honnêtes, tant que la personne en question s’acquittait de son travail avec professionnalisme, le reste lui importait peu. Il avait parfaitement les moyens de payer qui que ce fût et, ce, grassement donc le problème ne viendrait pas de là. La véritable difficulté serait de savoir si son possible futur associé accepterait de suivre quelques temps Alekseï pour trouver la faille dans son armure ou bien s’il trouverait cela trop fatiguant et/ou dangereux. S’il ou elle faisait ça pour l’argent, la question serait vite réglée mais dans le cas contraire, le ou la persuader se révèlerait plus compliqué. Enfin, d’une façon ou d’une autre, il avait toute l’intention d’y arriver. Il avait décidé de faire payer son frère et rien ne l’en empêcherait. RIEN !

L’air frais de ce début de matinée était des plus revigorants et, pour ne pas attraper froid, il accéléra légèrement le pas. Puis, une fois les portes du château passées, il laissa le Parc de côté et se dirigea vers la berge du Lac. Arrivé à proximité, il discerna bien vite une silhouette à l’orée de la Forêt interdite et en déduit qu’il s’agissait de son interlocuteur. Il se dirigea donc droit sur elle d’un pas décidé. Il s’agissait d’une fille. Albinos par-dessus le marché, tout comme Pernelle. Son visage aux yeux vairons lui disait vaguement quelque chose mais ça ne voulait rien dire, il était un physionomiste catastrophique alors il pouvait aussi bien l’avoir déjà croisée q ne l’avoir jamais vue de sa vie. Il se contenta donc de tendre la main devant lui pour qu’elle la serre, tout en se présentant.

-Nikolaï Dmitriev. Je suis le client.

Il ne donna pas d’autres informations sur lui-même, ni sa maison, ni son année et ce pour deux raisons. La première, il était préfet donc la plupart des gens du château connaissait sa tête à son grand mécontentement. La deuxième, les conseils de Lev tournaient en boucle dans sa tête : « Moins tu en dis sur toi, mieux tu pourras te protéger en cas de pépin », « Un ennemi averti en vaut deux » et j’en passe et des meilleures.

« On en apprend bien plus sur un homme -ou en l’occurrence une femme- par sa poigne que ses paroles. » Encore une de ces phrases inutiles que son paternel lui avait ressassé jusqu’à satiété en grandissant et qui s’imposait maintenant à lui sans qu’il n’ait rien demandé à personne. Pourtant il ne put s’empêcher de constater que, si elle s’avérait vraie, alors son interlocutrice était quelqu’un qui savait ce qu’elle voulait. Et qui n’hésitait pas à le faire savoir. Comme sa remarque sur son statut de préfet le lui apprit très vite. Il remarqua d’ailleurs qu’elle ne considéra pas utile de se présenter à son tour, voulant probablement ainsi garder l’avantage. Après tout, elle vivait des informations qu’elle possédait, alors laisser ses clients dans le noir était une façon de plus de les manipuler. Malheureusement pour elle, il n’avait aucune intention de se laisser faire. Cependant, pour l’instant, son nom lui importait bien peu alors il se contenta d’écouter ses demandes en silence.

Elle allait d’ailleurs droit au but, sans faire de détours ni prendre de pincettes. Voilà qui allait faciliter la discussion, car s’il avait fallu parler en énigmes, il se serait bien vite fatigué. Néanmoins, pour répondre consciencieusement à toutes ses questions, il allait avoir besoin d’un peu de temps. Il commença donc par se préoccuper des questions pratiques.

-Tout vous raconter risque de prendre un peu de temps, je propose donc que nous nous asseyions d’abord.

Et, tout naturellement, les habitudes ayant la vie dure, il étala sa cape sur l’herbe encore trempée de la rosée du matin pour que la jeune fille puisse s’y asseoir sans se mouiller. En effet, tout comme il avait sans même y réfléchir adopté le vouvoiement qui convenait à une discussion d’affaires avec une élève plus âgée que lui -surtout qu’elle-même s’était adressé à lui en ces termes-, la galanterie la plus basique voulait qu’il s’arrange pour rendre la situation la plus confortable possible lorsqu’il se trouvait en compagnie d’une jeune femme, qui plus est inconnue. Quant à lui, il s’assit à même l’herbe. Habitué à la neige sibérienne, ce n’était pas la rosée de mai qui allait l’effrayer. Sans compter que le sort de réchauffement corporel était parmi les premiers qu’il avait cherché à maîtriser et, ce, déjà lors de sa première année à Durmstrang. C’est donc tranquillement installé qu’il entama son récit qu’il voulut cependant le plus succinct possible car, de un, il n’avait aucune intention de raconter sa vie à une parfaite inconnue, encore moins une qui faisait de l’information son business, et, de deux, il n’aimait pas se perdre en paroles inutiles.

-Pour vous répondre dans l’ordre, je cherche à m’en prendre à mon frère aîné, Alekseï, septième année à Serpentard. Les raisons ne concernent que moi mais je peux sans grande difficulté vous dire que nos relations sont pour le moins … il chercha une façon diplomatique de présenter les choses et finit par opter pour … chaotiques. Or, les vacances étant au tournant, je désire avoir un moyen de le tenir à distance une fois de retour chez nous. Ce que je sais est qu’il est fiancé à Angelina Fowl, en cinquième année à Poufsouffle, mais comme cette dernière n’est plus à l’école ces derniers temps, je suis presque certain qu’il n’a pas dû se gêner pour en profiter. Or, c’est là une information qui ne plairait très certainement pas, ni à notre père ni à Lord Fowl.

L’ombre d’un sourire sadique se dessina alors sur ses lèvres en imaginant le bourbier dans lequel une telle information pourrait envoyer son frangin, mais elle disparut aussi vite, remplacée par un masque d’impassibilité longuement travaillé et il reprit où il s’en était arrêté.

-Pourquoi vous ? Car je n’ai jamais utilisé d’appareil photo et que, si votre réputation est méritée, vous semblez la plus qualifiée pour ce genre de travail. Enfin, en ce qui concerne votre avantage à vous associer avec moi, tout dépend de ce que vous désirez en échange. Si c’est de l’argent, je suis largement capable de vous en fournir, si c’est autre chose, tout dépendra de vos exigences. Je vous écoute donc : êtes-vous intéressée par ma proposition et, si oui, que voudriez-vous pour paiement de vos services ?

Il posa alors son regard tranquille dans celui vairon de son aînée, attendant néanmoins avec une certaine impatience sa réponse. Elle n’était certes pas sa seule option mais elle était, de loin, la meilleure, il serait par conséquent fort déçu s’il se heurtait à un refus. Non pas qu’il planifiât de le montrer d’une façon quelconque bien entendu.

-Pour ce service, je vais plutôt vous demander un paiement en nature.

S’il n’avait pas eu une maîtrise quasi-totale de ses émotions, sa réaction aurait probablement consisté de plus qu’un sourcil levé, mais on avait le contrôle ou on ne l’avait pas. Il se contenta donc d’attendre qu’elle élabore ses propos car il semblait des plus invraisemblables qu’elle ait voulu sous-entendre ce que cette phrase signifiait la plupart du temps. Pour commencer, ils étaient encore un peu jeunes pour penser à ce genre d’activités. Deuxièmement, elle semblait suffisamment jolie pour ne pas avoir besoin de forcer ses partenaires. Et, troisièmement, Nikolaï ne se considérait nullement assez attractif pour être impliqué dans un deal de cette nature.

Elle se lança ensuite dans une description assez complète des probables actions d’Alekseï et Niko se dit qu’il n’avait certainement pas été floué sur la marchandise. Son interlocutrice savait ce qu’elle faisait, aucun doute là-dessus. A l’entendre, tout semblait si simple, il en fut d’ailleurs agréablement surpris. Elle avait de l’expérience derrière elle et cela se sentait dans sa façon d’exposer les faits. Il espéra donc que le « paiement en nature » serait dans ses moyens, autrement dit qu’elle n’exigerait pas contre ses services une action qu’il se refuserait à faire. Il serait vraiment dommage de perdre une occasion pareille.

Il l’écouta ensuite le mettre en garde contre la possibilité de renverser la tendance en sa défaveur et il ne put retenir un léger froncement de sourcils à découvrir que cette mystérieuse fille -dont il ne savait toujours pas le nom, ça finissait par devenir gênant- en savait tant sur sa vie. Il était certes au courant qu’étant préfet, il était inévitable que les gens en sachent plus sur lui qu’il ne l’aurait voulu mais la remarque sur Ara indiquait que l’albinos en savait plus que la moyenne car, après tout, cela ne faisait que deux semaines qu’ils étaient ensemble et ils n’étaient pas particulièrement démonstratifs en public. Néanmoins, l’usage du prénom d’Ara lui indiqua également que l’albinos devait la connaître personnellement, sinon elle se serait contenté du Miss Waldon qui convenait à une discussion entre inconnus, alors il ne se sentit pas plus menacé que cela. Elle ne faisait que se mettre à l’abri, -ce qui pouvait se comprendre sinon elle n’irait pas bien loin dans le business de l’extorsion d’informations, pour commencer avec le cas Alekseï- et laissait clair qu’il n’était dans aucun de leurs intérêts de se transformer en ennemis. Sans compter qu’au final, sa demande était des plus raisonnables. Elle ne lui demandait que de fermer les yeux sur ses activités illégales, voilà qui ne serait pas bien difficile à faire. S’il en bénéficiait lui-même, il ne lui convenait nullement que la jeune fille se fasse attraper. Il y avait toujours le risque qu’elle parle et il tenait à ce que son dossier reste vierge, merci bien. Un mince sourire étira alors ses lèvres alors qu’il répondait.

-Vous êtes certainement très doué dans votre domaine mais il semble que la négociation ne soit pas votre point fort. Vous ne vous faites clairement pas payer à la hauteur de votre travail, en tout cas si vous êtes aussi efficace que vous le prétendez. Arès tout, comme vous dites, il ne me coûte absolument rien de détourner le regard si je venais à vous croiser, tandis que vous prenez des risques pour moi. Or, je n’aime pas flouer mes partenaires. Sachez donc que, si vous veniez à vous trouver dans une situation embarrassante avec un de mes collègues préfets, je serais prêt sans problème à vous aider, dans la mesure de mes moyens bien entendu. Et à condition que vous soyez intéressée cela va de soi. Mais pour cela, j’aimerais tout d’abord savoir à qui je m’adresse, j’ai horreur de partir sur des bases inégales or vous semblez déjà en savoir long sur mon compte et je ne sais pas même pas à quelle maison vous appartenez, ni même quel est votre nom.

Il ne rajouta pas qu’il s’agissait là de la moindre des politesses car, en affaires, surtout dans une affaire comme la leur, l’identité de quelqu’un n’était pas une information que l’on divulguait aisément. Cependant, il considérait que s’ils allaient réellement se mouiller ensemble, il méritait de savoir avec qui il s’engageait. C’était la moindre des choses de son point de vue. Sinon, peu importe les avantages, il refuserait de travailler avec l’albinos.

A parce qu’il était requis d’un Préfet qu’il connaisse de nom et de visage tous les élèves de sa Maison ? Non, parce qu’il n’avait jamais lu ça dans son contrat, pas même dans les petites lignes. Bon, OK, techniquement il n’avait pas signé ni même lu de « contrat » en acceptant son insigne de Préfet, mais l’idée de base était la même : personne ne lui avait jamais dit qu’il se devait de reconnaître chaque membre de la Noble Maison de Salazar Serpentard. Eût-ce été le cas, il aurait immédiatement refusé le poste. Lui et la physionomie avaient toujours fait deux et il doutait que cela change dans un futur proche. La preuve, il n’était même pas au courant que sa maison comportait une Albinos en son sein … Non pas que ça lui cause le moindre cas de conscience à vrai dire. Il considérait réaliser un travail tout à fait convenable en tant que Préfet et, pour cela, il n’avait nul besoin d’apprendre les noms de tous ses camarades. Alors certes, il avait l’air un peu idiot sur le coup à demander à connaître la maison d’une Serpentarde, mais il avait connu des situations mille fois plus embarrassantes dans sa vie et celle-ci ne l’empêcherait pas de dormir.

Il eut néanmoins un instant de surprise qu’il s’empressa de cacher lorsque sa nouvelle acolyte déclina son identité. McGween ? Voilà un nom qui, lui, lui disait clairement quelque chose. Et il ne s’était certainement pas attendu à l’entendre lors d’une transaction de « l’ombre ». Les McGween étaient, au contraire, une famille qui vivait sous les feux des projecteurs. Leur firme vestimentaire était presque aussi connue que la marque Wizard’s Paradise des McGregor et sa mère ne jurait que par les bottines McGween. A part cela, sur un plan plus terre-à-terre, Nikolaï avait également du mal à faire le lien qui devait pourtant exister étant donné leur nom de famille commun entre la jeune fille discrète et pleine d’une grâce défiante en face de lui et l’espèce d’énergumène constamment survolté qu’était Gabriel McGween. En effet, le quatrième année était une des rares personnes dont le jeune Préfet avait rapidement retenu le nom. Pourquoi ? Et bien tout simplement car il aurait fallu être aveugle pour ne pas remarquer la façon pour le moins « particulière » qu’avait l’adolescent de s’habiller. Non pas que le Russe le juge pour cela, seulement il avait un peu de mal à comprendre l’intérêt qu’une personne pouvait trouver à s’afficher à chaque instant de la journée. L’anonymat était tellement plus sûr que les feux de la rampe. Enfin, comme disait le dicton : les goûts et les couleurs …

Il se reprit donc et acquiesça d’un signe de tête bref.

-Je crois bien que oui. Nous avons tous les deux à gagner dans cette affaire, il serait donc idiot de ne pas en profiter jusqu’au bout. Mais, je vous en prie, je vous laisse prendre en main les formalités administratives, vous êtes après tout celle qui fournit le service, les choses doivent donc être faites selon vos termes. Je me contenterais de donner mon avis si quelque chose ne me convient pas.

Et sr ces paroles, il la laissa s’emparer d’un bout de parchemin et d’une plume pour officialiser leur transaction. D’un certain côté, c’était presque surréaliste. Voilà qu’ils étaient là, au petit matin, face au Lac, deux adolescents à peine pubères, jouant aux conspirateurs comme des grands. Mais de l’autre, cette sensation de prendre enfin une partie de sa vie en main était des plus agréables. Il se contenta donc de laisser de côté les questionnements métaphysiques sur la portée de ses actes et de se concentrer sur le présent. S’il pouvait après cet instant obtenir de quoi tenir Alekseï à distance pour les mois d’été à venir, il serait un homme heureux. C’est tout ce qu’il demandait.