Sept mois, c’était le temps qui s’était écoulé depuis sa première rencontre avec Ara à la fin du mois de septembre. Sept mois durant lesquels leur relation s’était peu à peu approfondie, passant de celle de partenaires de TP à une amitié sincère puis à quelque chose d’encore plus trouble, du moins de son côté. A vrai dire cette dernière étape n’avait été franchie que peu après les vacances de Noël lors d’une discussion avec Akiko. Il avait alors réalisé que les sentiments qu’il avait pour Ara étaient un peu plus qu’amicaux, preuve en était le magnifique pendentif en ambre qu’il lui avait offert pour Noël sans même s’interroger sur les raisons de pareille dépense pour une simple amie. Seulement, depuis, il n’avait rien fait pour tenter de changer la situation. Quelque chose en rapport avec le fait que dès qu’il tentait d’ouvrir la bouche pour lui faire part de ses sentiments, une paralysie quasi complète s’emparait de son cerveau et il était incapable d’aligner deux phrases. Il en était donc toujours amené à changer le sujet de la conversation. Sans compter que ses nouvelles fonctions de préfet avaient drastiquement réduit son temps libre. Sauf que la fin de l’année s’approchait dangereusement et il ne voulait pas prendre le risque de laisser repartir la jolie griffonne célibataire, Merlin seul savait à quel point l’été était propice à des histoires d’amour lorsqu’on vivait une vie d’adolescent normal. Car, non, les vacances d’un Dmitriev n’incluaient jamais d’amourette passagère, pour ça encore aurait-il fallu qu’il croise le chemin d’autres jeunes de son âge durant lesdites vacances, son frère mis à part.

Ainsi, il avait tout d’abord voulu profiter de l’anniversaire d’Ara pour se déclarer, le tout accompagné d’un superbe présent qui lui démontrerait l’étendue de ses sentiments. Mais, à la dernière minute, il s’était dégonflé, craignant de se ridiculiser, et il avait envoyé les boucles d’oreille en or blanc sans aucun signe distinctif qui mènerait jusqu’à lui. Il s’était néanmoins assuré de vérifier qu’Ara avait apprécié le cadeau. Cependant, ce comportement, proche de celui d’un harceleur, ne pouvait décemment pas continuer, il était un Dmitriev par les ballerines de Circée ! Certes, le courage était la qualité des Lions, mais cela ne signifiait pas que les serpents étaient forcément des mauviettes finies. Il profita donc de l’occasion rêvée, fournie par le devoir du professeur Sinistra, pour s’assurer d’être seul à seule avec Ara dans un endroit calme et romantique de manière à pouvoir provoquer le destin en paix.

Enfin, ça, c’était le plan en théorie. Parce que maintenant qu’il l’attendait dans l’air frais de cette soirée d’avril, il commençait à douter fortement de ne pas avoir fait l’erreur de sa vie. Alors, oui, il pouvait toujours prétendre ne l’avoir invitée que dans le but de terminer leur devoir, mais, étrangement, il ne croyait pas Ara aussi bête que cela. Elle était forcée de remarquer que quelque chose n’était pas comme d’habitude. Rien que le fait qu’il se soit habillé avec la plus grande attention tout en tentant de rester casual indiquait qu’il avait prévu plus qu’une simple soirée de travail à deux. Enfin, il était désormais trop tard pour faire marche arrière, il allait donc devoir se comporter en homme et accepter les conséquences de ses actes, quelles que ces dernières soient. Il se tourna donc avec un sourire sincère vers elle quand il entendit la porte s’ouvrir derrière lui.

-Très bien merci. Et toi ?

Elle était magnifique dans sa tenue décontractée qui rendait bien plus justice à sa beauté naturelle que n’importe quelle robe de créateur. Non pas qu’elle n’eut pas pu en porter, mais Niko, trop habitué au luxe en toute chose, aimait la simplicité par-dessus tout.

-Alors, tu crois qu'on va en venir à bout, de ce fichu devoir ?
-Je n’en doute pas une seconde, si tu réussis l’exploit de me faire réussir une potion, qu’est-ce qu’un simple devoir d’Astronomie ?, répondit-il avec un nouveau sourire.

Jusque-là, tout allait pour le mieux. La situation était sous contrôle, il n’avait pas fait d’impair et leur échange ressemblait à tous ceux qui l’avaient précédé. Mais, ce n’était pas suffisant, s’il voulait arriver à ses fins ce soir, il devait encore faire un pas en avant. Alors, il fit signe à la jeune fille de s’approcher du bord où il avait étalé une carte du ciel étoilé ainsi qu’un parchemin vierge où annoter leurs trouvailles. Il attendit donc qu’elle se penche pour regarder la carte, puis, sans plus y réfléchir pour s’empêcher de revenir sur sa décision une fois de plus, il se mit derrière elle, appuyant ses bras sur le muret des deux côtés de la Gryffondor, profitant de sa taille pour observer la carte par-dessus l’épaule de cette dernière. Mais, surtout, il s’arrangea pour rendre cette action la plus naturelle possible, comme s’il avait fait ça toute sa vie, alors qu’en réalité il avait habituellement horreur du contact physique avec les autres. Puis, comme si de rien n’était, il interrogea la Rouge-et-Or, son souffle dangereusement proche de l’oreille de cette dernière.

-Alors, par quoi tu veux commencer : dessiner la constellation du Cygne ou bien calculer la distance entre Orion et Sirius ?

S’il se fiait à la rougeur qui avait soudainement pris possession des joues d’Ara après son petit manège, il était au moins sûr d’une chose : il ne lui était pas indifférent. Restait à savoir si cette coloration était un bon ou un mauvais présage. Ara se sentait visiblement inconfortable à cause de la proximité qu’il avait imposé entre eux, mais son besoin d’espace était-il dû à une volonté de retrouver une certaine liberté, autrement dit, est-ce qu’il la dérangeait ? Ou bien avait-elle juste peur de ne plus pouvoir contrôler ses actions s’il se rapprochait trop ? Un certain optimisme qui était loin de lui être habituel, mêlé à la crainte de se faire rejeter, lui susurrait que la deuxième solution paraissait la plus probable. Après tout, depuis le temps qu’ils se fréquentaient, il avait pu remarquer ces petits détails qui laissaient à penser qu’il n’était pas le seul à espérer un peu plus de leur relation. Sinon, jamais il n’aurait osé se lancer ce soir. Il priait néanmoins pour ne pas s’être trompé car il n’était pas sûr d’arriver à supporter la honte de s’être fait tout un cinéma à partir de rien dans le cas contraire.

Heureusement, le bégaiement prononcé qui accompagna la rougeur de la Gryffondor le rassura. Il n’était peut-être pas un spécialiste des questions d’amour, mais s’il s’en référait à sa propre expérience et à son incapacité à réfléchir rationnellement lorsqu’Ara le prenait par surprise avec une de ses réactions, il pouvait naturellement en conclure qu’Ara lui trouvait au minimum un peu de charme. Sinon, elle n’aurait pas eu un mal pareil à prononcer un mot somme toute plutôt facile tel que cygne. Lui, à la limite, l’anglais n’était pas sa langue maternelle donc ça aurait pu se comprendre, mais Arabella n’avait pas d’excuse, si ce n’était justement qu’il l’avait prise par surprise avec son rapprochement soudain. D’ailleurs, lui-même subissait les conséquences dudit rapprochement car lorsqu’elle lui frôla le bras, il sentit un décharge électrique le traverser à l’endroit précis où l’épaule de la jeune fille l’avait touché. Sans compter qu’il aurait fallu qu’il soit aveugle pour ne pas réaliser que, soudainement, leurs lèvres étaient bien plus proches qu’avant.

Un mec normalement constitué en aurait d’ailleurs immédiatement profité pour régler le tout en collant ses lèvres à celles d’Ara et hop affaire conclue. Seulement, le problème était qu’il n’avait jamais fait partie de la catégorie « mec normalement constitué » sinon ça se saurait. Il suffisait pour s’en convaincre de voir que c’était là ce qui causait la plupart des conflits avec Alekseï : son incapacité à suivre la norme désormais redoublée de sa volonté de s’en séparer. En effet, si être un mec normal voulait dire ressembler à son frère, il laissait cela aux autres. Cependant, cela ne réglait pas son dilemme actuel : embrasser ou ne pas embrasser ? Il fut finalement tiré d’affaire lorsqu’Ara reprit la parole, le ramenant à la réalité.

-A-alors ... tu veux essayer en premier ?

Il évita de pure justesse de se ridiculiser en lui demandant sans y réfléchir de quoi elle parlait, se rappelant à temps qu’ils en étaient toujours à discuter de la marche à suivre pour le fameux devoir d’Astronomie. Car c’était là l’inconvénient majeur d’avoir un prétexte pour se déclarer, l’autre personne ne savait pas que c’était un prétexte et, par conséquent, elle continuait logiquement d’en parler. La vie était mal faite tout de même …

Il se reprit cependant pour ne pas passer pour un parfait crétin, utilisant à son avantage le naturel acquis lors d’innombrables soirées mondaines dans son enfance. Il pouvait en effet parler comme si de rien n’était alors, qu’intérieurement, son esprit était un chaos indescriptible. Comme quoi être de la bonne société n’avait pas que des inconvénients finalement, bien que ces derniers soient tout de même largement dominants comparés aux rares avantages.

-Entendu je m’y colle, mais je me défais de toute responsabilité quant au résultat final, parce que je n’ai définitivement pas été doté du don de dessin à la naissance.

Une idée lui vint alors soudain, lui permettant de retrouver, tout du moins momentanément, l’atmosphère propice à une déclaration romantique quelle que fusse sa forme -baiser ou paroles enamourées.

-Je sais ! Tu n’as qu’à mettre ta main sur le mienne et comme ça si mon trait n’est pas droit, tu me remettras sur le bon chemin, dit-il avec un sourire faussement naturel.

Et comme ça, au passage, il pouvait continuer à rester honteusement collé à elle … Mais, ça, bien sûr il n’allait pas le dire à voix haute. Il y avait des limites à son audace tout de même.

Spoiler:

(Non mais aller adieu la réputation, elle va aller gambader dans le pré avec le self-control! )

(Toutes les miss de cette années devaient avoir des noms de produit d'info-pub, quoi. )

(On peut dire bravo, oui )

Spoiler:

Plus ce rendez-vous avançait et plus il se demandait si le sadisme n’était pas une qualité génétiquement héritée chez les Dmitriev car il ne comprenait sinon pas pourquoi il trouvait un tel plaisir à provoquer ce qui était désormais clairement de la gêne chez sa jolie compagne. La façon dont le rouge s’épanouissait sur ses pommettes accompagnant divinement un léger bégaiement était en effet un spectacle des plus réjouissants. Et, savoir qu’il était la raison de cette gêne le satisfaisait profondément et lui redonnait du courage pour dévoiler enfin ses propres sentiments à l’égard de la Gryffondor. Il profita donc pleinement du frôlement de leurs corps quand cette dernière se retourna et huma discrètement l’odeur du shampoing qui se dégageait de sa longue chevelure. Puis, par commodité, il se permit de la déplacer pour mieux voir la carte, usant qui plus est de cette occasion pour prolonger le contact entre eux. C’est alors que son regard tomba sur le pendentif qu’elle portait et son cœur fit un bond en reconnaissant son cadeau de Noël. C’était là le détail qui finit de le convaincre que s’il ne se déclarait pas ce soir, il ne retrouverait jamais d’aussi bonnes conditions.

Il s’empara donc de la plume tendue par Ara et se régala de la chaleur de la main de la Rouge-et-Or contre la sienne, peu habitué qu’il était à ce genre de petits gestes d’affection si peu courants dans son enfance. Puis, lorsqu’elle lui promit de ne pas le lâcher, la situation lui sembla des plus propices et, avec une naturalité déconcertante, y compris pour lui-même, il lui murmura à l’oreille.

-De toute façon, je ne t’aurais pas laissée faire.

Et, à peine ces mots prononcés, il s’écarta légèrement d’elle pour se laisser la place de la faire tourner sur elle-même et se retrouver ainsi de nouveau face à face, carte et plume oubliées dans leur coin, et regard brillant d’intensité. Puis, ni une ni deux pour ne se laisser le temps ni de regretter ses actes ni de remarquer l’incompréhension probable d’Ara face à ses actions, il l’attira contre lui et, plongeant son regard de glace dans celui de lavande de la griffonne, il plaqua ses lèvres contre les siennes.

Pour être tout à fait honnête, ce fut loin d’être le baiser parfait dont il avait rêvé, c’était légèrement maladroit et, au début, il ne savait pas trop quoi faire de ses lèvres et encore moins de sa langue. Surtout qu’une petite voix des plus désagréables ne cessait de lui répéter qu’Ara était déjà sortie avec un autre garçon avant lui et, qu’en comparaison, elle devait le trouver pathétique dans sa technique. Puis, un rayon de lune fit briller la chaîne du pendentif de l’adolescente et il se remémora que ce n’était pas le cadeau du type en question qu’elle portait mais le sien, alors au diable les questionnements métaphysiques !

Il passa alors une main dans la chevelure de la Gryffondor tandis que l’autre venait trouver sa hanche et, se laissant porter par les sensations, il réussit à un résultat quelque peu plus correct. Il se permit même de fermer un instant les yeux, au cas où ce baiser venait à conclure son amitié avec Ara, histoire d’en garder un souvenir le plus fidèle possible. Puis, comme les besoins naturels reprennent toujours leurs droits, en l’occurrence la nécessité d’oxygéner son corps en prenant une bouffée d’air, il finit par se détacher d’Arabella.

Il se sentait essoufflé et échauffé, il était sûr et certain d’être rouge pivoine et il ne savait désormais plus quoi faire ni quoi dire. Bref, en un mot comme en cent, s’il avait prévu la soirée jusqu’à ce point, désormais il était perdu. Parce que, dans les romans qu’il lisait, il y avait toujours une magnifique ellipse après le premier baiser magique et on ne retrouvait les héros que quelques jours plus tard, heureux dans leur petite bulle d’amour. Car, bien évidemment, aucun écrivain ne semblait jamais avoir trouvé utile d’expliquer à l’adolescent en manque de conseils ce qu’il convient de faire une fois qu’on a embrassé la fille qui fait battre son cœur. Lui dire : « Et sinon, ça te dirait de sortir avec moi à partir de maintenant ? » ? Bizarrement il ne la sentait pas trop celle-là …

Ah il avait l’air malin maintenant après tout son cinéma du mec qui maîtrise la situation ! Il se retrouvait comme un parfait crétin incapable de savoir comment réagir. Bravo la prestance Dmitriev en action, Lev se serait bien moqué de lui s’il avait été présent. En même temps, le géant avait une aisance avec les filles qui était proprement injuste du point de vue de Nikolaï. Avec des muscles comme les siens, normal que les filles n’aient de yeux que pour lui ! Et, le pire, c’est qu’il n’y accordait pas une attention particulière. Comme tous les « hommes à charme », ça lui paraissait totalement normal. Injustice de ce monde … Non pas que Niko aurait voulu avoir du succès avec les filles -loin de là, moins on s’occupait de lui, mieux il vivait- mais qu’est-ce qu’il n’aurait pas donné en cet instant pour savoir quoi dire ou au moins quel geste amorcer pour ne pas se prendre une baffe dans la tronche ou se retrouver avec une amie outrée sur les bras. Il fit néanmoins un effort pour tenter de remédier au silence gênant qui menaçait de prendre place entre eux et tenta d’articuler quelque chose. Quoi il ne savait pas bien mais, en tous les cas, vu l’échec patent de sa tentative, ce ne fut pas bien grave.

-Je … c’est-à-dire que tu … enfin je veux dire … c’était … Дерьмо !

Et voilà comment le retour à sa langue natale concrétisait définitivement sa frustration à exprimer ses sentiments. C’est dans ces moments-là que finalement il se disait qu’être un peu plus comme son frère n’aurait pas forcément été un mal. A tous les coups, Alekseï avec sa longue liste de conquêtes à Durmstrang aurait su comment se comporter. Sauf qu’il n’était pas son frère et que se lamenter sur son sort n’allait pas le sortir du pétrin dans lequel il s’était fourré … Et, s’enterrer six pieds sous terre, était-ce une solution envisageable ?

Elle n’avait vraiment pas compris ce qu’il avait voulu dire par son baiser ? Il ne savait si se sentir vexé ou tout bonnement dépité. Apparemment sa technique laissait réellement à désirer si la fille qu’il embrassait de tout son cœur en venait encore à s’interroger sur ses motifs après coup. Bon après, il n’avait certainement pas aidé avec son cafouillage verbal majeur mais tout de même, il avait espéré que ses actions prennent le relais de ses paroles lorsque ces dernières se révélaient incapables de transmettre ses sentiments. Comme quoi les auteurs de roman à l’eau de rose ne comprenaient rien à la vie et se faisaient juste du fric sur le dos de lecteurs lectrices naïves et innocentes ! Heureusement que lui n’avait jamais ouvert un seul de ces bouquins. Aheum. Enfin, n’empêche que même dans les classiques qu’il lisait quand le héros revenait de ses aventures et bah la fille elle ne lui demandait pas pourquoi il lui roulait soudain la taloche du siècle ! Imaginez un peu Roméo retrouvant Juliette, l’embrassant et soudain celle-ci l’arrête et lui dit :

« Roméo, mon Roméo, que veux dire avec tout ça ? »

Ça vous casse tout le romantisme de la scène quoi ! Et dire qu’il avait même choisi une ambiance étoilée et tout le toutim, bonjour la déception. Il allait devoir tout reprendre le début et probablement subir une encore plus grande humiliation. Nan mais franchement devoir expliquer à Ara qu’il en pinçait pour elle … La Gryffondor ne savait-elle pas que les garçons ne disent JAMAIS qu’ils sont amoureux, c’est une règle d’or de la société et ce depuis la nuit des temps. L’homme ramène une peau de mammouth, fait une quête invraisemblable, achète un collier hors de prix, bref fait n’importe quoi pour sa belle mais il ne dit PAS « Je t’aime » c’est écrit dans les règles qui régissent l’univers. Ouais, ouais rien de moins que ça. Ou peut-être qu’il avait juste honte …

-Enfin, moi je… je t’aime bien.

Ah bah voilà les choses reprenaient un cours normal. C’est aux filles d’exposer leurs sentiments. Il était donc normal qu’Araaaaaaa … HEIN ? Elle venait bien de dire qu’elle l’aimait bien là, il n’avait pas rêvé ? Finalement, ce n’était peut-être pas le cours normal des choses après tout. Non pas qu’il se plaigne du tour qu’avait pris la situation, très loin de là, mais il ne s’était pas attendu à une confession direct. Enfin, Ara était chez les Courageux alors, dans le fond, ce n’était pas si surprenant que ça non ? Bon, bah là c’était le moment de rassembler le sien de courage, c’était maintenant ou jamais. Il prit donc une grande inspiration, ferma un instant les yeux et, retrouvant un semblant de calme, déclara :

-Bah moi je t’aime plus que bien.

Classe et distingué. Digne d’un gentleman. On sentait là les heures passées avec un des précepteurs les plus chers de la bonne société moscovite pour apprendre à charmer ces dames. S’il avait eu un mur à disposition il s’y serait bien tapé la tête dessus jusqu’à ce qu’évanouissement s’en suive, juste pour échapper à l’humiliation du moment. Sauf qu’il n’y avait pas de mur alors quitte à être foutu, autant l’être pour de vrai, il continua donc sur sa lancée.

-Ce que je veux dire par-là c’est que tu me fais plus d’effet que n’importe qui d’autre. Quand je te vois, je perds la capacité à réfléchir normalement, les mots sortent de ma bouche sans mon accord, j’ai des idées bizarres et les actions n’en parlons même pas. Un instant j’ai l’impression d’avoir la situation bien en main et l’instant d’après tout part en fumée. Bref, en un mot comme un cent, tu me transformes en idiot fini et le pire c’est que ça ne me dérange qu’à moitié. Je sais bien à quel point tout ça doit te sembler fleur bleue et crois-moi en partant d’ici il y a de fortes chances que j’aille me noyer dans la salle des bains des préfets mais en attendant je termine. Arabella Waldon, je crois bien non je suis même certain que j’en pince pour toi, est-ce que tu veux sortir avec moi ?

Un sourire niais à souhait. Juste ce qu’il lui fallait pour terminer cette soirée surréaliste en beauté. Après avoir sorti le discours le plus mielleux possible, voilà que maintenant il souriait comme un idiot à l’écoute des paroles d’Ara. Elle attendait sa demande depuis des mois. Elle avait du mal à y croire. Il n’était pas le seul à ne pas savoir comment agir. La vie semblait soudain trop belle pour être vraie. Ara voulait bien sortir avec lui. Et ce fichu sourire qui refusait de s’effacer pour autant qu’il s’efforce de faire redescendre le coin de ses lèvres à un niveau acceptable ! Mais dans le fond qu’importait qu’il ait l’air d’un crétin fini alors qu’Ara avait répondu positivement à sa demande ? Qui allait réussir à ruiner un moment pareil ? Certainement pas lui en s’inquiétant de l’apparence qu’il pouvait bien avoir sur le moment. Ara voulait bien de lui et c’était tout ce qui comptait.

Alors, bien entendu, lorsque les lèvres de la Gryffondor vinrent trouver les siennes pour la deuxième fois de la soirée, il n’hésita pas et approfondit le baiser en entourant la taille de la jeune fille de ses bras et en rapprochant leurs deux corps. Et soudain, désormais que toutes ses inquiétudes s’étaient envolées, embrasser ne semblait plus si difficile. Il s’agissait simplement de se laisser aller et de ne s’occuper que de la sensation exhilarante des lèvres d’Ara tout contre les siennes. Ce n’était pas moelleux ni doux comme les romans s’évertuaient à le décrire pendant des pages et des pages, non c’était … impossible à raconter. Il suffisait de sentir. Un goût légèrement salé, une passion refoulée pendant des mois et une envie de se découvrir toujours plus qui l’amenèrent à demander timidement aux lèvres d’Ara de s’entrouvrir pour amener le baiser au stade supérieur. Commença alors un ballet de langues totalement improvisé mais que le Russe apprécia grandement. Finalement, embrasser une fille avec de l’expérience n’était pas une si mauvaise chose que cela.

Un sourire toujours collé aux lèvres, il finit par se détacher de sa tout récemment promue petite amie -le simple fait de penser le mot étira encore un peu plus le coin de ses lèvres-, et l’observa enfin à loisir, imprimant le moindre de ses traits dans sa mémoire. Non pas qu’il ait l’intention de la quitter de sitôt mais il n’allait pas se priver de pouvoir désormais ouvertement la dévisager. Puis, sur un coup de tête, il l’embrassa de nouveau bien que plus rapidement cette fois-ci.

-C’était juste pour m’assurer que je ne rêvais pas. Ça me semblait une façon plus agréable de le vérifier que l’habituel pincement.

En prononçant ces mots, son regard tomba ensuite sur la carte du ciel oubliée sur le bord du muret et il trouva là le moyen parfait de retrouver un semblant de normalité sans avoir l’air de forcer la situation. Alors, sans lâcher pour autant Ara, il désigna leurs notes délaissées et déclara, avec un humour certain :

-Avec tout ça, j’ai l’impression qu’on en a oublié la constellation du Cygne. Prête à t’y remettre ?

Malgré sa question, la façon dont ses bras refusaient de lâcher la jeune fille laissait bien clair que, quel que fut le choix de cette dernière, il n’avait nullement l’intention de quitter ses côtés de sitôt. Comme Ara elle-même l’avait précisé, ils avaient tous deux attendus trop longtemps ce moment pour le faire si rapidement se terminer à cause d’un devoir insignifiant. Cependant, rien ne les empêchait de continuer à travailler ensemble, le dicton ne disait-il pas : « Souci partagé à moitié réglé » ou bien était-ce plutôt « Faute avouée à moitié pardonnée » ? Peu importait à vrai dire, ce qui comptait était de rester ensemble, l’activité à laquelle ils s’adonneraient ne comptait que peu.