(Hmm, il est de bonne humeur Papy )

La porte d'entrée du manoir claqua, son écho résonnant dans tout le hall, avertissant ainsi les occupants de la demeure de l'arrivée fracassante du maître des lieux. Trois silhouettes féminines firent alors leur apparition, un sourire éblouissant pendu aux lèvres, suivie de près de Alix et Andrew. Mais l'aîné qui avait toujours été le plus intelligent et surtout le plus perspicace, su immédiatement qu'il ne valait mieux pas parler à Xenophius. Celui-ci, comme pour confirmer les pensées de son frère, repoussa brusquement sa cadette qui était venue l'étreindre chaleureusement. Blessée, mais surtout surprise d'un tel geste, Kate ne dit rien bien sûr, et se recula alors le menton baissée, se réfugiant vers sa mère, comme une enfant punie. Xenophius monta alors deux à deux les marches qui menaient à son bureau, sentant avec agacement les regards curieux se braquer sur lui. Qu'ils aillent tous au diable ! Le vieil homme fit claquer également la porte d'ébène de la pièce qu'il occupait le plus souvent, et se dirigea immédiatement vers la table de verre qui soutenait une bouteille de whisky. Il s'en servit alors un verre, et d'une traite, avala l'alcool qu'il appréciait tant, mais qui ne semblait pas agir sur lui comme il l'aurait souhaité. Il n'allait pas mieux. Mais il savait que boire davantage ne résoudrait pas son problème. Il savait qu'en cet instant, rien à par la chance ne l'aiderait. Il était impuissant, et ce sentiment était terriblement frustrant pour un sorcier comme lui, qui avait pour habitude d'avoir ce qu'il voulait, et de toujours maîtriser la situation. Mais cette fois, c'était bien au delà de ses pouvoirs, et il en relevait de l'ordre divin.

Le mage noir s'avança alors vers son bureau, et se laissa choir sur son fauteuil, comme accablé par une terrible vérité qu'il refusait pourtant d'admettre. Il joint alors ses mains devant son menton, laissant son regard se perdre... Rares étaient les fois où Xenophius McGregor s'était laissé piégé par de pareilles émotions, mais il devait le reconnaître, il culpabilisait. En fait, il se sentait terriblement coupable, et angoissé mais surtout en colère contre lui-même et le monde entier. Il voulait tuer de ses propres mains chacun des médecins qui lui avaient dit que le sort de celle qu'il avait élevé comme son enfant, de son héritière, de sa petite-fille reposait désormais entre les mains du destin seul. Par Merlin mais pourquoi avait-il décidé de partir en Afrique ? Pourquoi avait-il fallu qu'il s'entête à poursuivre la formation de Megan dans ce maudit endroit ? Et pourquoi était-ce tombé sur elle ? Pourquoi ce serpent de malheur l'avait-il mordu elle ? Pourquoi l'avait-il laissé partir seule ? En proie à des multitudes de questions, victime d'une atroce culpabilité qui le rongeait de l'intérieur, comme une maladie qui vous gangrenait chaque parcelle du corps, Xenophius n'avait plus qu'une envie : repartir en Afrique où il avait laissé Megan entre les mains de ce vieux chaman qui se chargeait de l'apaisement de son esprit.

Soudain, les coups frappés à la porte le coupèrent dans ses sombres pensées, et il releva la tête, autorisant d'une voix qui trahit le trouble qui l'agitait. Il observa alors James s'approcher, un large sourire triomphant accroché aux lèvres, bien trop heureux... S'efforçant au mieux de dissimuler sa nervosité, il entama la conversation. Que tout soit bref. Qu'ils en finissent, et qu'il rentre auprès de Megan. Car s'il se rendait coupable de ce qui lui arrivait, il l'était encore plus de privilégier ses affaires à elle dans un moment aussi critique. Elle allait peut-être mourir, et il était là, venu d'Afrique pour écouter le rapport de James. Pour parler business encore et toujours.

« Bien. Je t'écoute. Tu as l'air heureux, alors je ne peux qu'espérer de bonnes nouvelles. »

Il n'y avait eu ni salutation, ni « comment vas-tu », ni grand accueil chaleureux, ni même formes de civilité en proposant à boire. Rien. Seulement un regard noir et un système nerveux particulièrement sensible. Bolivar, son clan, la Colombie entière pouvaient l'attaquaient ce soir qu'il se sentait capable de les tuer tous un par un par la seule force de sa colère.

La voix qui lui avait ordonné d'entrer n'était pas la voix habituelle de Xenophius. D'ordinaire, il avait le timbre clair et ferme du chef habitué à en imposer ; cette fois-ci, James eut l'impression, à travers la porte, que c'était un homme malade qui lui répondait. Malade ? Pourtant, la dernière fois qu'ils s'étaient vus, Xenophius était en pleine forme, et s'apprêtait à partir on ne savait où avec Megan... et depuis, James n'avait pas été mis au courant d'un quelconque ennui de santé de son parrain. Il jeta un regard interrogateur en direction de l'elfe qui se tenait toujours à ses côtés, mais la créature ne le remarqua pas, occupée à ouvrir la porte pour qu'il puisse entrer.
Le sourire du jeune homme s'était effacé en entendant la voix de Xenophius ; en voyant son parrain, il marqua un instant d'arrêt. Jamais encore il n'avait vu Xenophius dans cet état. Assis, ou plutôt prostré dans son fauteuil, un verre de whisky devant lui, il semblait ravagé par une terrible et contagieuse inquiétude. Malgré l'effort de son patron pour se dominer et masquer sa nervosité, James remarqua que quelque chose n'allait pas, et sa propre humeur changea immédiatement ; le plaisir et la fierté qu'il avait éprouvés à l'idée de rendre compte de sa mission chez Murray firent place à une sourde appréhesion, et il s'avança, un peu raide, vers le bureau.

-Bonsoir, Monsieur, fit-il en s'inclinant légèrement devant le chef de clan.

Sans s'encombrer de politesses, sans même l'inviter à s'asseoir, Xenophius lui avait ordonné de parler, sur un ton qui ne plaisait pas du tout à James. Il avait remarqué son air heureux, et semblait le lui reprocher, comme si être heureux lorsque lui-même ne l'était pas était passible d'un châtiment. Dans ses mauvais moments, il ne faisait pas bon se trouver sur son chemin, car il ne se privait pas pour passer ses nerfs sur le premier venu ; James avait été, une fois, ce premier venu, et il ne tenait pas à renouveler l'expérience. Le visage grave, il répondit donc, en choisissant soigneusement ses mots :

-De bonnes nouvelles ? Je vous en laisse juge, Monsieur McGregor. J'ai rencontré Murray et il est entièrement d'accord pour une alliance en Chine. Lui et Dmitriev entendent se réserver le marché des pychotropes, ce qui ne pose aucun problème, mais aussi celui des potions de soin... Là, il y a un risque de concurrence entre vous, et il faudra délimiter le champ d'action de chacun avec rigueur. J'ai proposé que nous nous chargions d'élaborer ce partage, et que nous le transmettions à Murray... Pour Murray, les potions basiques ne devraient pas tarder à être remplacées par des formes moldues comme les cachets ou les gélules, et il vous suggère de vous cantonner à des mélanges plus élaborés qui ne seront pas concernés par ces substituts.

Le jeune homme marqua une brève pause pour voir si Xenophius souhaitait l'interroger, mais de toute évidence, le chef de clan voulait en terminer au plus vite avec ce rapport. Il tira donc de sa poche les parchemins rédigés chez Murray, y compris celui par lequel son hôte avait pris parti en sa faveur, et les remit à son parrain en poursuivant :

-Murray est d'accord pour la création d'une caisse commune pour la Chine, mais ne veut pas de fusion plus poussée. Je lui ai tout de même demandé d'y réfléchir pour la branche potions, de façon à ne pas vous concurrencer l'un l'autre. Nous avons rédigé un projet d'accord que vous pourrez amender à votre gré, et transmettre à monsieur Dmitriev.

Il se tut, rendu nerveux par le visage glacial de Xenophius. Mal à l'aise, il se mit à fixer la bibliothèque derrière son parrain, cherchant à déchiffrer les titres dorés des reliures, tandis que le patron parcourait les parchemins.