Une fois l’après-midi enfin terminée, Nikolaï était passablement fatigué : entre l’ennui mortel du cours d’Histoire de la Magie qui l’avait endormi et la fatigue physique du cours de Duel, il se sentait plus crevé, physiquement et psychologiquement, qu’il ne l’avait imaginé. De plus, les conséquences des deux chutes qu’il avait réalisées contre sa volonté se faisaient désormais sentir. C’était évident qu’il aurait un bleu sur le postérieur le lendemain (les jours à venir allaient être sympathiques pour s’asseoir ! ), quant à ses poignets, ils étaient encore légèrement ressentis de leur rencontre inattendue avec le sol. Il choisit donc d’aller se détendre tranquillement dans sa chambre avec un bon bouquin, peut-être même ferait-il une petite sieste avant le dîner, qui sait ? Mais alors qu’il prenait la direction des Cachots, il aperçut Alekseï au loin qui se dirigeait vers le même endroit. N’ayant aucune envie de croiser son frangin dans ces conditions, il fit une croix sur son projet et choisit d’aller somnoler sur les bords du Lac puisque la température printanière le permettait désormais.

Alors qu’il approchait de son coin favori, d’où l’on avait une vue époustouflante sur l’immensité de la surface opaque du Lac Noir, un OVNI fit son apparition dans son champ de vision. Au même moment, il entendit une fille s’écrier :

- "Oh non !!!"

Il observa alors plus attentivement l’objet qui lui bouchait la vue et découvrit, non sans surprise, qu’il s’agissait d’un pardessus féminin, ce qui expliquait le cri désespéré de celle qui était très probablement sa légitime propriétaire. Il sortit donc prestement sa baguette et visa le manteau :

-Immobulus.

Une fois le manteau arrêté dans sa folle course, il le ramena à lui.

-Locomotor pardessus.

Il se tourna alors vers la demoiselle en détresse, lui adressa son sourire le plus charmant, celui qu’il avait appris à diriger aux filles des collègues de son père, et s’apprêta à sortir une formule toute faite. Mais sa phrase mourut sur ses lèvres lorsqu’il reconnut ni plus ni moins qu’Akiko ! A croire que ce jour-là, il était écrit là haut (oui oui référence à Jacques le Fataliste, ya pas de raison que tu sois la seuls à étaler ta culture khâgneuse namého ! ) qu’ils allaient faire plus ample connaissance. Reprenant une certaine contenance, il s’approcha et lui tendit le vêtement :

-Tiens et ne le laisse plus partir en voyage seul, il pourrait y prendre goût.

Il avait choisi l’approche humoristique pour détendre une ambiance qui pouvait s’annoncer quelque peu tendue. En effet, lorsque la première rencontre avec une personne se fait sous la forme d’un échange de sorts, même dans le cadre d’un cours, ça a tendance à rendre les conversations suivantes un peu compliquées. Et puis il y avait l’éléphant dans le couloir, à savoir la réaction plus qu’étrange que la fillette avait eu après le Rictusempra, à un moment ou à un autre, ils faudrait bien aborder le sujet, enfin il était le mieux placé pour savoir qu’il y a des choses qu’il vaut mieux ne pas demander de but en blanc, si jamais l’occasion se présentait naturellement, il aurait tout le loisir de satisfaire sa curiosité plus tard.

C’était définitivement une sensation étrange (mais pas désagréable) de percevoir le respect ainsi que la pointe d’inquiétude dans la voix d’Akiko lorsqu’elle s’adressait à lui, il était tellement habitué à être la victime torturée et humiliée qu’il en oubliait souvent que pour une fille plus jeune, son apparence de garçon nordique et son accent guttural pouvaient se révéler impressionnants. Enfin, il semblait que l’humour avait été un choix gagnant car, après un instant de surprise muette, la Serdy éclata d’un rire cristallin, qui ne fut pas sans lui rappeler brutalement le Duel et sa plus qu’étrange réaction. Mais il était clair que cette fois-ci le rire ne risquait pas de déraper pour se transformer en crise d’hystérie car la figure de la fillette était totalement détendue, enfin presque, une petite gêne tendait tout de même quelque peu ses traits enfantins.

- "T'en fais pas, je le tiendrais en laisse la prochaine fois ! J'ai déjà Salem pour me faire tourner en bourrique..."

Salem ... Salem ? Mais de qui parlait-elle ? Un(e) de ses ami(e)s ? Peu probable, cela ne ressemblait pas vraiment à un nom de personne. Il savait que c’était le nom de l’institution magique américaine (allez savoir pourquoi les Yankees avaient décidé de nommer leur école d’après le nom du bled paumé connu mondialement pour avoir persécuté violemment les sorcières ! ), mais Akiko était française d’origine, il en était certain. Lorsqu’elle s’était exclamée dans sa langue maternelle pendant le cours, il avait reconnu la si difficile langue de Molière que sa mère s’acharnait à leur faire apprendre à lui et son frère, sous prétexte que c’était la langue de l’aristocratie depuis l’époque impériale. En même temps, son prénom était fort peu courant et il sonnait même plus japonais que français alors qui sait, peut-être avait-elle également des origines américaines ? Quoiqu’il en soit, il doutait fortement qu’elle ait fait référence à l’Institut de Salem dans sa phrase. Il arrêta donc de s’interroger bêtement en silence et mis les pieds dans les plats :

-Et on peut savoir qui est ce ... cette Salem ?

Bah oui, il ne savait même pas si l’être -car il devait s’agir d’un être animé pour pouvoir la faire tourner en bourrique- était mâle ou femelle.

-Ah et par « on » je veux dire moi bien sûr, j’ai jamais bien compris cette façon de s’exprimer des Anglais alors je préfère préciser, hein ?

Ouh la mais c’était quoi cette phrase totalement inutile ! Elle allait le prendre pour le dernier crétin, il pouvait faire une croix sur le respect qu’il avait décelé dans son regard quelques secondes auparavant, maintenant elle devait se dire qu’il était vraiment bizarre. Mal à l’aise, il chercha à cacher son mal être en se dirigeant vers son arbre préféré. Il s’assit contre le tronc et commença à arracher nerveusement des touffes d’herbe.

Il fallait vraiment qu’il améliore ses capacités de communication, dès qu’il quittait sa carapace de cynisme, il devenait aussi maladroit qu’un dragonneau à la sortie de l’œuf.

Son chat, il aurait dû y penser dès le début, c’était ce qu’il y avait de plus logique. Les filles avaient toujours des chats, allez savoir pourquoi ! Peut-être qu’elles aimaient le fait de pouvoir les câliner quand bon leur semblait ou bien c’était leur caractère versatile qui leur faisait de l’effet, genre entre girouettes on se comprend. Quoiqu’il en soit, à sa connaissance, tous les chats du château avaient des propriétaires féminines, enfin à une exception près, parce que même avec beaucoup d’imagination il était impossible de prendre Rusard pour une fille. D’accord il avait les cheveux longs mais quelle fille les auraient aussi sales, je vous le demande ? Aucune, c’est bien ce que je disais.

Ecoutant les informations fournies par Akiko, Nikolaï parvint à se faire une idée assez claire de son petit monstre sur pattes. Il était même presque certain d’avoir déjà aperçu le fauve dans un couloir terrorisant cette « pauvre » Miss Teigne. Seulement, il ne savait pas que le célèbre matou qui avait réussi à s’attirer les faveurs de l’ensemble de la population estudiantine du château en faisant de la chatte du concierge sa nemesis appartenait à la petite aiglonne. La nouvelle le fit sourire et il comprit de suite pourquoi la fillette avait employé l’expression « me faire tourner en bourrique » pour parler du comportement de l’animal à son égard : la petite terreur devait être bien difficile à surveiller. Et si, qui plus est, les tableaux ne faisaient pas leur boulot correctement que voulez-vous que je vous dise il n’était pas surprenant qu’Akiko passe sa vie à courir derrière son chaton.

Une fois assis et après avoir écouté les paroles rassurantes de sa cadette concernant sa maîtrise de l’anglais, il se détendit suffisamment pour engager la conversation sur un terrain un peu plus personnel. La fillette lui était réellement sympathique et elle semblait savoir tenir sa langue, elle n’irait pas raconter à tout le monde ce qu’il lui dirait, de toute façon elle ne semblait pas non plus avoir une masse d’amis, alors comme ça moins de risques pour lui. Et si jamais elle commettait une indiscrétion dans l'intention de lui nuire, il saurait que la fuite venait d'elle et comment dire ? Il avait suffisamment subi les foudres de son frère pour savoir comment détruire une personne tant physiquement que psychologiquement.

-Merci c’est gentil, toi aussi tu parles drôlement bien anglais, enfin de mon point de vue d’étranger en tout cas. Soi-dit en passant tu es bien française d’origine, non ? Alors comment se fait-il que tu ne sois pas à Beauxbâtons ? Moi, si je suis ici c’est ...

Allez, sois naturel, Nikolaï, tu lui sors la version officielle et ça va passer comme une lettre à la poste.

-parce que mon père a été muté en Angleterre. Il est diplomate.

**Diplomate, mon œil ! Ca me fait doucement rire, père ne connaît rien à la diplomatie : il exige et il obtient, un point c’est tout.**

-Résultat Alekseï -c’est mon frère, il est en septième année- et moi on s’est retrouvés ici, à Poudlard. Alekseï n’était pas franchement ravi de quitter sa vie à Durmstrang mais moi Poudlard me plaît plus, les gens sont plus différents les uns des autres. Et puis bon, en un an c’est pas non plus comme si je m’étais fait des amis à la vie à la mort. Et euh sinon Akiko c’est de quelle origine, parce qu’en plus de l’anglais –ce dont finalement je lui suis bien reconnaissante en fin de compte-, ma mère nous a fait donner des cours de français et franchement ça colle pas avec les Marie et autre Lucie ...

Et bah dis donc, il n’était pas certain de s’être autant ouvert à qui que ce soit de toute sa vie. Il y avait bien eu Dimitri, ce garçon taciturne avec qui il avait partagé sa chambre l’année précédente, mais au moment où ils commençaient à devenir réellement amis, le garçon avait disparu soudainement et lorsqu’il avait interrogé les profs, ceux-ci avaient simplement dit que sa famille avait déménagé à l’étranger et qu’il avait été muté dans une autre école. Pendant un certain temps, il avait attendu une lettre de sa part, lui expliquant ce qu’il s’était passé et lui donnant des nouvelles, mais plus les mois passaient et plus son espoir diminuait. Finalement, il avait abandonné l’idée et avait choisi de ne plus s’ouvrir, de peur d’avoir une fois de plus le cœur brisé. Déjà que vivre dans l’ombre de sa famille n’était pas aisé, si ceux qu’ils considéraient comme ses amis le laissaient à sa solitude, pas étonnant non plus que sa carapace naturelle de méfiance se soit endurci encore un peu plus à l’égard du genre humain. C’était aussi pour ça que Poudlard lui plaisait plus, les gens ne cachaient pas tous un horrible passé derrière eux et puis il y avait nettement plus de filles qu’à Durmstrang, ce qui lui facilitait la tâche au niveau de la maigre socialisation qu’il s’autorisait à faire. Les garçons lui rappelaient toujours un peu Alekseï et le danger de la violence capable de surgir quand il s’y attendait le moins, son père et son frère auraient dit que cela démontrait qu’il n’était qu’une mauviette, tout juste bon à parler chiffons avec les femmes, mais dans le fond il s’en fichait pas mal. Il était plus à l'aise avec les filles et il n'allait pas en faire tout un plat (peut-être était-ce dû au fait que comme la plupart d'entre elles il n'avait pas sa langue dans sa poche et qu'à défaut d'avoir des muscles, il savait user des mots de façon assassine ?).

Apparemment contrairement au Duel, pour les ricochets Akiko ne serait pas une adversaire bien difficile à battre. En même temps, on ne pouvait pas être bon partout non plus, sinon c’était la meilleure façon de se faire détester par tout le monde. Nikolaï regarda la performance de la Serdaigle et hocha la tête d’un air entendu : pour une novice, elle avait du potentiel. La plupart des débutants ne savaient même pas comment lancer la pierre pour qu’elle reste bien à l’horizontale et soit repoussée par l’eau donnant cette impression de ricochet, et il la lançait de telle manière qu'elle rentrait à la verticale et s’enfonçait par conséquent dans l’eau.

-Tu t’en sors pas mal du tout pour une première fois, tu devrais pas te sous-estimer, après tout McCarter a été assez clair là-dessus, c'est inutile voire même contreproductif. Regarde, pour améliorer ta technique, tu dois lancer sans bouger le poignet, c’est ton bras qui dirige pour que la pierre reste à l’horizontal.

Il prit un nouveau galet et lui fit une petite démonstration. Cette fois-ci, comme il faisait attention à ses mouvements, la pierre fit cinq ricochets avant de se perdre dans l’immensité du Lac Noir. Plutôt fier de sa performance, le garçon se tourna de nouveau vers sa partenaire de jeu et lui donna une pierre :

-Tiens vas-y réessaye.

Pendant qu’elle se mettait en position, il relança la discussion, sans se rendre compte qu’il était désormais totalement à l’aise avec sa cadette et discutait avec elle comme si de rien n’était.

-Ca faisait longtemps que j’avais pas joué aux ricochets, chez moi les lacs sont gelés la moitié de l’année donc ça limite les possibilités. Soi-dit en passant, je comprends ton calvaire concernant le temps, je suis de constitution fragile aussi. Je crois bien que la prochaine fois que Mme Pomfresh me voit rentrer dans son infirmerie pour avoir un médicament contre le mal de gorge ou le nez qui coule, elle va me stupefixier pour m’empêcher de sortir et lui éviter du boulot en trop .

Et voilà, maintenant qu’il avait commencé à parler librement avec quelqu’un il ne pouvait plus s’arrêter ! Il ne savait pas si c’était mauvais signe ou pas, mais c’était un fait et puisque la Bleu-et-Bronze ne risquait pas de l’envoyer paître, il décida d’en profiter à mort : qui savait quand est-ce qu’il aurait de nouveau l’occasion de discuter comme ça avec quelqu’un de son âge ?

-Et sinon qu’est-ce que tu voulais dire quand tu as dis que tu ne te sentais pas en sécurité ? Ya des mecs ou des filles qui t’emmerdent au château ? Tu sais tu peux toujours prévenir un prof, il s’feront un plaisir de t’aider, tu sais ... Enfin, j’veux pas non plus me mêler de ce qui me regarde pas.

Après tout, il était bien placé pour savoir qu’il y avait des persécutions dont on ne pouvait pas se sortir juste en prévenant un prof. Sinon, il aurait depuis longtemps couru raconter ses malheurs à l’un d’entre eux. Mais tout ce qu'une telle action lui aurait valu c’était la colère d’Alekseï qui le lui aurait fait payer en rentrant à la maison et bien pire la colère de son père qui ne supportait pas qu’on parle des problèmes familiaux à des gens de l’extérieur. Oh oui, rien que d’y penser lui provoqua un frisson d’angoisse !

Ne plus lui réussir ! Il en connaissait plus d’un qui se serait damné (bon peut-être pas autant ça restait des ricochets mais c’est une expression j’y peux rien moi) pour réussir à faire trois ricochets après avoir trébuché. Il eut un bref flash-back de ses premières tentatives au tendre âge de 4 ans, lorsqu’il était encore autorisé à sortir avec sa mère et il se souvint qu’à l’époque trois ricochets lui semblaient un exploit digne d’être célébré. A vrai dire, il était presque sûr qu’il l’avait été, seulement cela remontait à trop loin pour en avoir un souvenir net et puisque sa mère s’en tenait aux ordres de son mari et n’évoquait plus que des sujets d’une banalité à mourir (sa prochaine fête, le mariage d’un tel, ...) avec ses fils, il n’avait aucun moyen de s’en assurer. Il ne s’attarda cependant pas plus sur la performance d’Akiko car cette dernière entreprit de répondre aux diverses et nombreuses remarques et questions qu’il avait formulées un instant auparavant.

Il écouta attentivement et imagina facilement la peur qu’avait dû ressentir la petite Serdaigle avec un camarade blessé, un chat fugueur et Rusard aux trousses. D’un certain côté, cela lui semblait bien futile comparé à ce qu’il était habitué à craindre (il aurait échangé un Rusard, même hors de lui, contre une rencontre avec un Alekseï ayant besoin de ventiler sa frustration à n’importe quel moment), mais de l’autre c’était rassurant de voir qu’ici les gens avaient des soucis dignes d’enfants de leur âge. Il lui fit donc un sourire compréhensif. Il fut sur le point de lui mettre la main sur l’épaule, histoire de la rassurer, de lui prouver que cette histoire était bien finie et qu’elle était à l’abri loin des griffes de l’immonde concierge, mais il se reprit à la dernière seconde, ayant trop peur qu’elle trouve son geste déplacé, trop intime alors qu’ils venaient à peine de se rencontrer. Après tout ils s’étaient adressé la parole pour la première fois quelques heures auparavant et il avait beau la trouver sympathique et considérer que lui parler était étonnamment facile, passer le cap du contact physique était encore prohibé. En effet, si quelqu’un de plus vieux l’avait touché après leur première rencontre, lui aurait flippé grave et tenter de mettre le plus de distance entre lui et la personne, or il ne voulait pas qu’Akiko s’enfuit en le laissant tout seul, une fois de plus. Il choisit donc de changer le sujet et l’interrogea donc sur ce qui titillait sa curiosité depuis le Duel, à savoir quel était ce souvenir –apparemment désagréable si l’en en croyait le prof, mais c’était un expert alors pourquoi douter de sa parole sur ce point ? Non parce que sur d’autres choses, McCarter n’était tout de même pas l’homme le plus digne de confiance ayant marché sur la Terre, ça le jeune Russe l’avait bien compris - qui augmentait sa puissance de façon exponentielle.

- "J'ai... j'ai toujours peur depuis ce jour-là... des mangemorts... tu sais... à cause d'eux... indirectement... une des personnes que j'aime le plus familialement a failli me tuer... ce... c'était à l'hôpital Sainte Mangouste... Ma mère... a été attaquée par les mangemorts en début d'année... un mauvais hasard apparement... elle en est devenue folle à lier... peut-être à vie, et une fois... une fois..."

Ok alors là il aurait peut-être mieux fait de fermer sa grande gueule et de laisser les cadavres pourrir dans leurs armoires, au lieu d’ouvrir les vannes des souvenirs. Il s’était attendu à tout, mais certainement pas à ÇA ! Après tout, il avait beau avoir vécu en Russie toute sa vie si l’on excluait les six derniers mois, il savait pertinemment que Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom avait failli s’emparer du monde sorcier anglais l’année dernière et qu’il ne lui aurait pas fallu beaucoup plus de temps pour s’emparer de l’intégralité de la communauté magique internationale, seulement il ne pensait pas qu’une première année issue du monde moldu et même pas anglaise par-dessus le marché aurait eu à en souffrir. En effet, la plupart des élèves plus âgés devenaient plus sombres lorsqu’on évoquait les années passées, en particulier l’année précédente mais c’était compréhensible au vu de la situation à Poudlard et en Grande Bretagne en général, mais une moldue française attaquée par des Mangemorts, il n’aurait jamais pu deviner un truc pareil ! D’après Akiko, il s’agissait d’une erreur, mais ça ne changeait rien au fait que cette sale bande d’enf**s (oui le Serpentard ne les portait pas dans leur cœur, car tout comme il pouvait encore comprendre lorsque son père faisait éliminer un concurrent ou un adversaire, il trouvait injustifiable de tuer quelqu’un juste par peur de la différence) avait apparemment bousillé la vie tranquille de la jeune fille.

Il sentit une bouffée de colère l’envahir, mais il la maîtrisa rapidement, ça ne servait à rien de s’énerver après coup et puis, pour l'instant, il avait un problème bien plus grand à régler : il devait tenter de consoler l’aiglonne ou du moins d’alléger un minimum son fardeau. En effet, il ne s’était jamais, ô grand jamais, retrouvé dans une telle situation, avec une fille au bord des larmes entre les bras, et encore moins une fille qui venait de lui raconter son plus lourd secret à n’en pas douter. Pendant un instant, il envisagea de fuir lâchement, histoire de se dépêtrer facilement de cette situation inconfortable, mais il se reprit à temps, imaginant que si lui avait avoué son pire souvenir à quelqu’un, il aurait apprécié que la personne ne prenne pas ses jambes à son coup.

Il s’approcha donc avec précaution de la fillette assise au bord de l’eau, ne pouvant détacher le regard des marques d’étranglement bien visibles maintenant qu’Akiko avait retiré son écharpe, fasciné par la forme des doigts se détachant sur la peau claire. Il n’osait imaginer ce qu’elle avait dû ressentir lorsque sa mère avait tenté de mettre fin à sa vie. Lui, au moins avec Alekseï et son père était prévenu et il savait à quoi s’attendre s’il déconnait trop, mais la gamine devait faire une confiance aveugle à sa mère comme toute personne normale devrait le faire, alors ça avait dû être un coup extrêmement dur. Toujours aussi maladroit et malaise que lorsqu’il avait tenté de la rassurer sur sa nuit à l’infirmerie mais maintenant à la puissance 10, il prit son courage à deux mains et s’assit à côté de la Bleu-et-Bronze. Il lui mit la main sur l’épaule et se contenta de la laisser là, fixant l'immensité du Lac, espérant qu’elle comprendrait qu’il était prêt à écouter si elle avait encore besoin de parler ou bien à se taire et à rester à ses côtés en silence si c’était ce qu’elle désirait. Il tenta bien de marmonner quelques paroles de réconfort, mais il avait beau se creuser la cervelle, rien ne venait, d’autant plus qu’il ne la connaissait finalement pas si bien que ça et qu’il n’avait aucune idée de ce qui pourrait l’aider à se sentir mieux. Il choisit donc de prononcer les seuls mots qu’il rêvait d’entendre un jour quelqu’un lui dire lorsqu’il aurait le même courage qu’Akiko avait eu et se confierait à quelqu’un :

-C’est pas de ta faute.

En effet, les phrases telles que « tout ira bien », « tout va s’arranger » ou autres « c’est pas grave » sonnaient atrocement faux et il savait pertinemment qu’elles étaient fausses, après tout comment pourrait-il savoir si l’état de Mrs Velon allait s’arranger ou pas, par conséquent tout ce qu’il pouvait faire pour aider sa nouvelle amie -car comment appeler d’autre quelqu’un qui vient de vous lâcher une telle bombe dessus avec toute confiance que vous la rattraperez avant qu’elle n’explose ?- c’était de lui assurer qu’elle n’avait rien à se reprocher et qu’elle n’aurait rien pu faire pour changer la situation.

[Hj : j'espère que ça t'ira, j'ai galéré pour arriver à ce résultat final et j'arrive pas à me décider sur si j'aime ou pas

Il avait vu juste, elle se sentait coupable de ce qui s’était passé. Dans ce genre de situations, il est naturel de s’en vouloir car il est plus facile de mettre un nom précis (même le sien) sur l’objet responsable de sa douleur, pour pouvoir concentrer sa haine dessus et alléger sa peine plutôt que de devoir affronter la réalité, à savoir qu’il n’y a aucune raison valable à ce que ce qui a eu lieu se soit réalisé, c’est purement et simplement un malheureux hasard. Tout comme l’attaque des Mangemorts sur sa mère n’était pas quelque chose qu’Akiko aurait pu anticiper, il n’y avait aucune raison qu’elle s’en veuille de ne pas avoir su gérer la crise de folie meurtrière de sa mère. Non seulement sa mère se retournait contre elle mais, en plus, en cas de strangulation, l’apport d’oxygène au cerveau se réduisait drastiquement et il devenait très difficile de réfléchir. Et puis, même si elle avait l’esprit assez clair pour faire quelque chose qui essayait-elle de tromper ? Comme si une première année aurait-elle pu lancer un sort capable de la sortir d’une telle posture ? La fillette avait clairement suffisamment de puissance magique, elle l’avait déjà prouvé en plus d’une occasion, mais un sort a également besoin de contrôle mental pour fonctionner correctement et Nikolaï avait du mal à imaginer que lorsqu’on est sur le point de mourir étouffé, on est du contrôle mental. De plus, comme si tout cela ne suffisait pas déjà, il doutait fortement qu’Akiko aurait eu le courage d’attaquer sa propre mère, même dans une situation de mort imminente. En tous cas, lui était quasiment certain que si sa mère s’en prenait un jour à lui, il serait totalement pris au dépourvu et incapable de réagir. En même temps, les premières paroles de vengeance de la Serdaigle prouvaient suffisamment qu’elle avait nettement plus de courage que lui, alors peut-être qu’il n’en allait pas de même pour elle, peut-être avait-elle une volonté de survie suffisante pour attaquer sa mère en cas de légitime défense ? Non pas qu’il imagine qu’elle lui fasse du mal volontairement, mais il était totalement crédible que la Bleu-et-Bronze apprenne un jour à maîtriser son pouvoir pour devenir une auror capable de se débarrasser d’un assaillant sans le blesser trop gravement.

D’un certain côté, il enviait sa détermination, sa force de volonté. Il avait l’impression d’être un lâche incapable d’accomplir quoique ce soit comparé à elle : quoiqu’il fasse, son frère et son père avaient toujours la main haute. Si jamais il avait le malheur d’élever la moindre objection, il finissait toujours couvert de bleus dans un coin. La discussion à la Volière quelques temps auparavant avec Alekseï en avait été un exemple des plus brillants, le refroidissant nettement sur les bienfaits d’exprimer son opinion. Cela avait beau être libérateur sur le coup, les répercussions étaient trop violentes à son goût.

Enfin il n’était pas là pour s’apitoyer sur son sort. Il sortit donc un mouchoir brodé avec le blason des Dmitriev d’une poche de son uniforme (il se baladait toujours avec, c’était un cadeau de sa mère : très impersonnel, certes, mais c’était mieux que rien, et puis ça pouvait toujours servir d’avoir un mouchoir à portée de main) et le tendit à Akiko, pour qu’elle sèche ses dernières larmes.

-Bah tu sais, j’ai pas fait grand-chose, je sais juste qu’il y a des moments où on a besoin de laisser sortir un peu le chagrin et le remords, sinon ils se transforment en ressentiment et quand ça explose c’est pas beau à voir. Et franchement, je t’assure, tu devrais pas t’en vouloir, comment aurais-tu pu attaquer ta propre mère ?

Après cette question rhétorique il se tut une fois de plus, prenant lentement conscience de la portée des paroles qu’il venait de prononcer. Akiko était loin d’être idiote, c’était même une fille drôlement futée (après tout un aigle trônait bien sur son blason non ?), alors après une telle révélation elle allait forcément faire 1+1=2 et comprendre que lui-même avait un ou deux secrets à cacher. L’amertume dans sa voix et la sensation de déjà vécu dans ses paroles étaient vraiment trop évidents pour qu’elle puisse passer à côté. Après tout, il parlait d’expérience : à force de tout cacher à tout le monde, de temps en temps il explosait devant Alekseï (jamais il n’aurait osé le faire devant son père) et ça finissait toujours par lui retomber dessus.

Bref, ce qui était fait était fait, maintenant il restait à voir où tout ça allait le mener : il doutait fortement qu’il se mette soudain à déballer toute sa pathétique vie à l’aiglonne, mais entre ça et ne rien dire du tout, il y avait plein de degrés de confidence, alors qui savait, peut-être que son inconscient avait décidé que c’était le moment de commencer à s’ouvrir à quelqu’un ?

L’expression « voix de la sagesse » appliquée à sa personne était si inattendue et incongrue qu’elle provoqua un éclat de rire nerveux chez le jeune sorcier. Non mais sérieusement, c’était bien de lui qu’on parlait là ? Lui, Nikolaï Mikhaïlovitch Dmitriev, dernier rejeton de l’illustre lignée des Dmitriev, incapable de tenir tête à son abruti de frère, tremblant à la simple idée de se trouver dans la même pièce que son père et refoulant toute son amertume par une méfiance exacerbée à l’extrême et une ironie mordante lorsqu’il était obligé de se socialiser. Il trouvait l’idée hilarante, non mais vraiment qu’est-ce qu’Akiko pouvait bien trouver de sage chez lui ? A part le fait qu’à force de se prendre des coups, il avait appris à fermer sa grande gueule et encore seulement de temps à autres, il ne voyait pas vraiment ce qui chez lui pouvait être qualifié de « sage ». Non, décidément, l’idée était vraiment trop absurde.

Après quelques instants, il réussit à se calmer et s’essuya les yeux tandis qu’il redevenait tout de suite beaucoup plus sérieux et sombre. Rire avait été une réaction conditionnée qui lui avait permis de relâcher un peu de la tension que la discussion avec l’aiglonne lui avait fait accumuler, mais il n’en avait pas oublié pour autant ce qui avait amené la remarque de la Bleu-et-Bronze. « La sagesse se forme par l’expérience consentie ou pas », les neuf mots qui expliquaient l’expression de « voix de la sagesse » et le ramenaient à la triste réalité. Le terme de « phénomène » le fit sourire amèrement, il avait une connotation d’évènement unique et exceptionnel que l’attitude d’Alekseï et de son père n’avait pas. Les deux hommes n’avaient aucune excuse concernant la façon dont ils traitaient le cadet de la famille, seulement leur caractère et pour Alekseï la façon dont Mikhaïl l’avait élevé. Cependant, Nikolaï n’arrivait pas à lui trouver d’excuse valable, après tout lui aussi avait subi la même éducation et il n’était pas pour autant devenu un idiot prétentieux n’hésitant pas à faire usage de la force lorsque les mots lui faisaient défaut. Soupirant, il se passa la main dans les cheveux pour se dégager le visage de ses cheveux qui commençaient à être mi-longs et murmura, à moitié pour lui-même, à moitié pour Akiko :

-Disons que je peux faire le lien ...

**Pause. Respire Nikolaï, c’est maintenant ou jamais, si tu ne t’ouvres pas au moins un minimum avec elle, tu vas te refermer à jamais telle une huître gardant jalousement sa perle ... Nan mais franchement c’est quoi ces comparaisons foireuses ! Allez sois un homme pour une fois, ne donne pas raison à père et Alekseï**

Observant fixement les remous que les créatures aquatiques faisaient sur la surface du Lac, il reprit la parole, toujours à voix basse, comme s’il avait honte de dévoiler ainsi ses faiblesses et qu’une partie de lui désirait qu’Akiko n’entendît pas ce qu’il disait.

**Oh la la mais par où je commence ?**

-On va dire que ta mère avait l’excuse d’avoir été attaquée par des tarés psychotiques pour s’en prendre à toi, chez moi on ne fait pas autant de chichis. Quand tu ne corresponds pas aux standard vissokoié katchestvo, hight quality comme ils disent ici, qui vont avec le fichu blason que tu as entre les mains, ils s’arrangent pour que tu les atteigne d’une façon ou d’une autre.

L’ironie et l’amertume se mêlaient dans ses paroles qui, pour la première fois de sa courte existence, lui permettaient d’extérioriser un peu son enfer familial quotidien. D’un côté la colère et la tristesse étaient là, comme en toile de fond, et de l’autre l’ironie et le cynisme lui permettaient de mettre une certaine distance avec tout ce qu’il vivait, comme une barrière infranchissable qui empêchait quiconque (du moins en théorie) de tenter de venir chercher la faille dans son armure pour appuyer là où ça faisait mal. Délaissant soudain la vue du Lac, il remarqua qu’Akiko fixait encore le mouchoir qu’il lui avait tendu et il ressentit une vague de haine pour ce dessin si familier qui lui rappelait tout ce à quoi il ne pouvait pas échapper. Son père s’était fait un plaisir de lui rappeler le jour de ses onze ans en perpétuant la tradition de faire tatouer les armoiries des Dmitriev sur l’omoplate gauche de tout homme de la famille atteignant l’âge de quitter la maisonnée pour entrer à l’école. Le tatouage était là pour que le jeune qui vivait désormais loin de l’ambiance familiale n’oublie pas pour autant d’où il venait. La douleur (car évidemment l’anesthésie était prohibée : les Dmitriev n’étaient pas des femmelettes) était, quant à elle, là pour rappeler que pour sa famille il fallait être prêt à souffrir, voire à mourir. Evidemment le merveilleux petit Aliocha avait réussi son test à la perfection à ses onze ans, montrant une résistance à la douleur exceptionnelle pour un gamin de son âge, mais le petit Kolia c’était une autre histoire. Lui c’était le mouton noir de la famille, la poule mouillée qui avait été incapable de retenir ses larmes tandis que l’aiguille accomplissait son sinistre dessein, griffant la chair tendre pour faire apparaître le dessin si honni. Déjà à l'époque Nikolaï avait eu envie de crier, comme il le désirait à cet instant : « souffrir pour sa famille c’est une chose mais qu’est-ce qu’on fait quand on souffre A CAUSE de sa famille ? ».

Elle compatissait avec lui « d’une certaine manière » ? Ben ça lui en faisait une belle jambe ! L’aiglonne avait une bien étrange façon de lui montrer son empathie. Un instant, il fut sur le point de récupérer son mouchoir, se lever et partir, en la laissant là en plan, pour lui faire bien comprendre qu’il avait espéré plus d’elle après avoir enfin accepté de s’ouvrir à quelqu’un. Mais avant qu’il ne laisse place à sa frustration, la gamine se prit la tête entre les mains et prononça deux phrases toutes simples qui eurent le don de le calmer. Non mais quel idiot il faisait parfois ! Evidemment qu’après le peu d’informations qu’il lui avait fourni, elle ne pouvait pas deviner, comme par magie (même si c’était une sorcière ), tout ce qu’il avait enduré et trouver exactement les mots qu’il voulait entendre. Elle n’avait que onze ans et avait ses propres problèmes à gérer donc il ne pouvait pas s’attendre à ce qu’elle réponde à toutes ses attentes.

Il respira donc profondément pour retrouver un peu de son calme habituel et tenta de détendre un peu l’atmosphère bien sombre qui s’était installée entre eux :

-Oui moi non plus je ne m’envie pas ... Et toi non plus soi-dit en passant ... Franchement on fait la paire tous les deux, on pourrait créer un club : ma famille est pourrie mais je suis génial !

Il lui adressa ensuite un sourire satisfait de lui-même, du style de ceux qu’Alekseï affectionnait particulièrement, sauf que chez son frère ils étaient naturels, alors que chez lui ils étaient caricaturaux. Il reprit ensuite de nouveau la parole :

-Enfin tout ça pour dire, que merci de ta compréhension. Ça fait du bien de savoir que quelqu’un ne me prend pas pour un lâche fini.

Il se tut de nouveau, lui laissant le temps d’assimiler la nouvelle information, mais sans lui dire pourquoi on pouvait le considérer comme un lâche. Il n’était pas encore prêt à mettre des mots sur son calvaire familial. Il continua néanmoins :

-Désolé de pas t’en dire plus, mais je peux pas, j’y arrive pas comme toi, ça reste bloqué en travers de la gorge. J’suppose qu’un jour j’y arriverai mais pas aujourd’hui ...

Il la regarda de nouveau, tentant de lui dire par la pensée qu’elle serait très probablement celle à qui il se confierait le jour où il s’en sortirait la force, mais sa fierté et des années de méfiance l’empêchaient de le lui faire comprendre de façon verbalisée. Il termina donc bien plus prosaïquement :

-Bref, si t’as quelque chose à rajouter, je t’écoute sinon je vais aller m’écrouler sur mon lit. Cette journée a été épuisante et je suis pas super habitué à tout ce partage de sentiments ça m’a lessivé.

Il se leva, attendant de savoir si elle dire quelque chose de plus, mais bien décidé à partir. Il avait énormément baissé ses défenses ce jour-là et même s’il ne le regrettait nullement, il était vidé psychologiquement et avait besoin de réfléchir posément à tout ce qu’il venait de vivre. Mais ne voulant pas paraître grossier non plus, il n’était pas question qu’Akiko, sa première « amie » (mon dieu que le mot sonnait agréablement à ses oreilles, si étranger et pourtant su désiré) le prenne pour un goujat qui s’enfuit dès qu’il n’a plus envie de sa compagnie, il lui sourit :

-Ah et quoiqu’il en soit, ça a été un plaisir de te rencontrer : tu es une grande sorcière et une super personne.

**Aarg tu t’entends mon vieux ?! Ce que c’est fleur bleue comme phrase ! La prochaine fois tu lui offres un bouquet de roses aussi pendant qu’on y est !**

[HJ : Si tu as une idée pour prolonger un peu le topic sans s'attarder trop longtemps, je suis preneuse, sinon on peut finir parce que mon p'tit Niko va avoir besoin d'aller se reposer après autant d'émotions