Dans le mile ! Isaac regarda Apollon et Rolas boire d’un air triomphant. Il aurait mis sa main à couper que ces deux là s’étaient fait rembarrer au moins une fois. William ne toucha pas à son verre en revanche. Ce n’était pas surprenant. Le gryffondor semblait trop coincé pour tenter quoique ce soit. C’était idiot, il y avait des roux bien pires que lui, et ses actions dans les BR lui avaient donné une image de petit caïd qui plait diablement aux filles. Il avait de quoi faire des ravages, et il n’en profitait pas même un peu… Il n’essaya pas non plus de découvrir un vice intéressant chez ses camarades. Sa question était bateau même si, finalement, Isaac fut étonné d’être le seul à boire. Enfin, personne d’autre n’avait fugué Poudlard quelques jours ? Les murailles n’étaient pourtant pas aussi infranchissables qu’on aurait pu le penser. Il avait découvert le mois dernier que tromper la seule vigilance de Rusard était terriblement facile. Ensuite, il suffisait de longer la lisière de la forêt interdite et de s’y enfoncer vingt petites minutes pour atteindre la lande et rejoindre Pré-au-Lard. C’était une Gryffondor de sixième année qui lui avait donné l’astuce. Elle lui avait confié qu’elle le faisait presque tous les week-ends depuis l’année dernière pour retrouver sa copine. La partie dans la forêt était un peu risqué mais, après tout, entre un samedi de débauche et un samedi d’ennui, le choix était vite fait. D’ailleurs, il commençait à regretter la présence de James. A force de vivre des fêtes qui finissaient en n’importe quoi, il s’était fait une certaine idée de la manière dont les soirées devaient se terminer et vu les individus présents, il avait tout intérêt à boire assez pour tomber en blackout afin de ne pas finir frustré.

Rolas posa enfin une question intéressante. Il semblait très fier de pouvoir coincer Apollon sur une question qui, dans son esprit de mec stéréotypé, pourrait mettre en doute sa virilité. Isaac but une longue gorgée et Megan l’imita. Jusque là, tout était très normal. Oaken semblait plus contrarié mais il ne pouvait pas se défiler puisque la moitié de Poudlard avait pu les observer en plein roulage de pelle au beau milieu du bal de Noël. Isaac avait même annoncé leur mariage ce soir-là. Ensuite, ses souvenirs étaient devenus complètement bordéliques. Il s’était réveillé dans ce cachot et… Non, ce n’était pas le moment de raviver ces traumatismes. En plus, William venait de provoquer la consternation générale en portant son verre à ses lèvres. Sérieux ? Isaac lui lança un regard exagérément choqué en posant une main devant sa bouche comme s’il tenait le scoop du siècle. L’alcool avait tendance à aggraver ses comportements gay… Néanmoins, c’était cool. Il ne l’aurait jamais cru capable d’une chose pareille. Comment ? Pourquoi ? Avec quiii ? Craig était peut-être homo, ou bi à la limite. Ça expliquait peut être ce caractère renfermé et ce t-shirt moulant au col en V. Il se promit de creuser la question à la fin du jeu. En attendant, il déclara dans un petit sourire :

- On dirait bien que l’hétérosexualité se perd… Il faudra que tu penses à te mettre à la page Rolas.

Les « je n’ai jamais » se transformèrent évidemment en petites vengeances personnelles. Visé deux fois, Apollon chercha à embarrasser Rolas dont personne n’avait pu ignorer le comportement suspect depuis le début de la soirée. C’était bien le problème des Poufsouffle. Ils étaient incapables de dissimuler un mauvais tour. Qui croyait-il tromper dans une soirée qui comptait trois Serpentard, son meilleur pote et un ex BR ? Personne ne but, même si Megan et lui hésitèrent un peu… Mais finalement non, ils étaient plutôt clean. Megan n’avait pas eu droit à une plaisanterie de sa part. Ce qu’il lui avait fait se définirait plutôt par un terme aussi charmant que celui de « coup de pute ». Isaac considéra le jaune et noir avec méfiance.

- Bien… S’il se passe quoique ce soit d’anormal au cours de la soirée, on saura au moins qui pendre par les pieds au plafond pour jouer à la pinata…, lança-t-il sur un ton des plus sérieux.

Megan prit ensuite son tour pour tester à nouveau Apollon. Bien ! Voilà qui était de plus en plus intéressant. La jeune fille ne semblait pas tout à faire à l’aise avec sa petite ruse. Apollon hésita mais ne fit rien. Se défilait-il ? Pas vraiment, il lui déclara dans un grand sourire « Ne précipitons pas les choses, tout de même. Ce serait aller un peu trop vite en besogne » et ce fut au tour de Megan d’être gênée. N’étaient-ils pas mignons ? Isaac regarda son verre. Personne ne l’intéressait véritablement ici et le mot « sortir » était exagéré. La seule chose qu’il pouvait souhaiter des mecs présents, c’était un plan cul. De toute manière, il avait déjà un copain. Cependant, les trois hétéro (ou pas) n’en savaient rien et il avait envie de les faire douter histoire de faire monter l'ambiguïté qui planait dans l’air. Il posa sur Rolas, Apollon et surtout William un regard brûlant, comme lui seul savait le faire, et vida son verre. Seul Tyler n’avait rien dit et rien bu. Cette partie n’était malheureusement pas adaptée à son âge, mais le « j’ai déjà » pourrait peut être l’inciter à jouer.

- Bien… Alors prêts à inverser les règles ? J’ai déjà… heu…
Oula… Il pouvait coincer tout le monde avec un fait aussi bidon que « j’ai déjà couché avec un gars », mais ça n’aurait rien de surprenant… « j’ai déjà couché avec un mangemort ! » mais là pour le coup ce serait vraiment TROP surprenant… Bon tout le monde le savait gay, et semblait trop puceau pour être un minimum concerné par la moitié de son vécu. Par contre, il pouvait au moins mettre la rage aux gars présents.
- Hum… J’ai déjà embrassé plus de deux filles parfaitement lucides dans une soirée, très jolies en plus…

Le lucide était bien entendu une dédicace spéciale à Apollon, au cas ou ce dépravé en herbe ait connu ce genre de soirées arrosées ou tout le monde finissait par embrasser n’importe qui. De son côté, il en avait connu un certain nombre chez ses amis moldus et il avait pu remarquer que les filles adoraient trouver des prétextes pour coller un frenchkiss à leur « super pote gay » en mode « lol on s’en fout c’est la fête ! ». C’était en général juste avant de les retrouver sur une table en train de danser comme des chaudasses contre leur meilleure amie, pendant les autres mecs présents l’avaient de plus en plus mauvaise.

Toute vérité n'est pas bonne à dire, songea William en observant les mines choquées de ses camarades. Ben quoi ? Il avait déjà embrassé un garçon, ou plutôt s'était déjà laissé embrasser, et alors ? Il n'y avait pas de quoi prendre ces airs... La réaction d'Isaac, surtout, le mit très mal à l'aise. Le Serpentard porta sa main à sa bouche dans une expression stupéfaite, comme si on venait de lui annoncer la nouvelle du siècle... Embarrassé, le roux détourna le regard, sans s'intéresser vraiment à la suite du jeu. Il devait bien admettre qu'il s'ennuyait ferme, et qu'en plus, son estomac commençait à entrer dans un processus révolutionnaire plutôt inquiétant. Le souci était qu'il avait en prime l'impression que ses jambes étaient de plomb ; jamais, en cas d'urgence, il ne parviendrait à lever ses fesses de ce canapé. Il serait condamné à se vomir dessus ou même, comble de la déchéance, à mourir étouffé dans son propre vomi sous le regard torve de ses camarades trop avinés pour réagir. La classe. Une mort aussi glorieuse atténuerait probablement le chagrin bien légitime de sa famille, qui pourrait dire dignement aux voisins qu'il était mort en héros.

Il écouta à peine les autres questions, l'esprit entièrement occupé de... de quoi, d'ailleurs ? Lorsqu'il faisait l'effort d'analyser ses pensées, il ne parvenait pas à formuler quelque chose de clair. À quoi pensait-il, l'instant d'avant, juste après avoir imaginé sa mort dans le vomi ? Le roux ferma les yeux pour réfléchir ; rien ne lui revenait. Il jugea préférable de rouvrir les yeux avant de s'endormir, et le fit juste à temps pour recevoir de plein fouet une oeillade torride d'Isaac. L'effet fut instantané ; William rougit jusqu'à atteindre un ton brique foncé, et détourna brusquement la tête. Qu'est-ce qui lui prenait, à ce phénomène de foire ? Il ne s'était tout de même pas mis en tête de le draguer ? Il imagina les doigts manucurés du Serpentard sur son corps, ses lèvres piercées sur les siennes, et frissonna de dégoût. Embrasser une fille, ce n'était déjà pas sa tasse de thé, mais alors un mec...

Tiens, justement. Puisqu'on parlait d'embrasser... Isaac remit ça sur le tapis – à croire qu'il n'y avait que cela d'intéressant dans la vie. William soupira, profondément ennuyé par cette discussion récurrente, et, une fois de plus, se laissa emporter par des pensées fugaces. Les autres continuaient inlassablement leur jeu ; presque tout le monde prit une gorgée de son verre, hormis Apollon qui promenait un regard triomphant sur les autres, et William - ce qui semblait déjà plus improbable. Pas que le roux soit un tombeur de jeunes filles ; mais il avait à peine écouté la question, et n'avait pas bien suivi la règle du jeu. Tout le monde le regarda, et le silence soudain le ramena sur terre ; il fixa chacun des autres avec l'air perdu du mec qui vient de se réveiller, et posa une question tout à fait pertinente :

-Hein quoi ?
-Tu l'as déjà fait ou pas ? demanda vivement Isaac.
-Fait quoi ?
-Embrassé plus de deux filles sobres dans la même soirée...
-Heu... non...
-Pff... Alors tu bois, comme les autres...

À contrecoeur, William trempa ses lèvres dans son verre, sans prendre davantage que quelques millilitres. L'alcool commençait sérieusement à le rendre malade, et il se massa doucement le ventre pour dissiper la nausée. La chose la plus raisonnable à faire serait de quitter ce lieu de perdition, mais le roux ne s'en sentait pas la force. Il essaya de poser son verre au sol, près du canapé, mais le renversa d'un geste malencontreux. Sans même y prendre garde, il se pelotonna dans son divan, couché sur le côté en cas de malheur, et, le regard vague, fit d'une voix lointaine :

-J'ai déjà... vu mon père en train de baiser.

L'été précédent, rentrant plus tôt que prévu de la plage, il avait pu voir son père et sa nouvelle gonzesse en pleine action... Cet événement dérisoire en soi avait achevé de saper son moral, et il avait jugé que son père était définitivement un connard... Il n'hésitait pas à trousser cette femme dans la chambre conjugale, devant la photo de sa défunte épouse, et il parlait même de remariage... William n'en avait jamais parlé à personne, sauf ce soir, l'alcool aidant ; à peine les mots eurent-ils franchi ses lèvres qu'il regretta de les avoir prononcés, et il se rencogna sur le canapé, le moral dans les chaussettes.