[HJ : vu qu'on vient de changer de mois, j'en profite pour caler ce RP le 1er octobre, date de l'anniversaire de Page ]

Tout n'était pas encore d'équerre.
Quelque chose manquait.

Malgré la nouvelle année, malgré la victoire de la lumière sur l'ombre, malgré le puissant sentiment de voir l'histoire s'écrire sous ses yeux... l'irlandaise ne parvenait pas à être sereine. Elle fêtait aujourd'hui son quatorzième anniversaire, et l'esprit de l'adolescente qui aurait dû être heureux en ce jour particulier, alors que sa famille et ses amis étaient auprès d'elle, n'y parvenait pas.
Une ombre ternissait la joie et la sérénité qu'elle aurait dû éprouver depuis plusieurs mois déjà. Et elle ne parvenait pas à identifier ce qui l'oppressait ainsi, ce qui l'empêchait de profiter pleinement de ce nouveau départ.
Evidemment, depuis les sombres heures, elle avait dans un premier temps retrouvé sa famille, le clan McHenry, qui s'était soudé autour d'elle pour l'aider à se relever, et, depuis peu, avait retrouvé son second chez elle, ses amis, les Lions... Elle avait déjà passé de bons moments, elle ne pouvait le nier mais... Une indéfinissable gène, lovée, discrètement, profondément et pernicieusement au fond d'elle gâchait tous les moments positifs auxquels elle s'efforçait de se raccrocher.

Alors Page avait décidé de prendre cette soirée particulière pour faire le point. Au calme. Seule.
Ce qui n'était pas tâche aisée dans un château rempli d'apprentis sorciers aux intentions plus ou moins bienveillantes à son égard... Si les uns chercheraient sans doute à la tirer de son malaise, les autres sans doute se feraient un plaisir de l'y enfoncer... Dans tous les cas, sa tranquillité ne serait pas assurée.

C'était en tournant pensivement sa cuillère dans la soupe de potiron servie ce soir là par les elfes de maison que la rouquine avait posé son regard sur l'insigne qui ornait la poitrine de son ami William... L'insigne préfectoral, que les deux roux avaient retrouvé depuis la rentrée, et surtout qui leur donnait accès à quelques salles maintenues à l'écart de l'immense majorité des élèves. La quatrième année avait alors souri à son complice, qui sans doute n'avait pas compris pourquoi mais le lui avait rendu.
Pourquoi n'y avait-elle pas pensé plus tôt ? La charge préfectorale lui donnait accès à deux salles dédiées à seulement dix élèves parmi la population totale de l'école ! Voilà enfin des lieux où elle avait une chance d'être tranquille !
La salle des préfets ne se prêtant pas vraiment à l'introspection, ce fut leur salle de bains réservée qui fut retenue par la rouquine.

Dès la fin du repas, l'irlandaise s'était discrètement esquivée avec ses affaires, et avait pris la direction du cinquième étage. Elle avait murmuré le code permettant d'ouvrir la porte et était entrée, sans trop savoir ce qu'elle venait chercher ici finalement.

Elle n'était encore jamais venue, préférant durant son premier "mandat" utiliser les mêmes douches que tout le monde, trouvant ce privilège complètement stupide. Pourtant, ce soir, elle y trouvait enfin une utilité.
Elle contempla un instant la salle, éclairée par la lueur du soleil couchant qui filtrait à travers les vitraux mouvants, et déposa ses affaires sur l'un des bancs de pierre qui entouraient le bassin. Elle actionna les nombreux robinets qui déversèrent en cascade des eaux colorées, remplissant peu à peu le bassin d'une eau chaude, moussante et parfumée.
Tandis que le niveau montait lentement, la lionne se déshabilla, offrant sa peau pâle aux derniers rayons de l'astre du jour. Se relevant, elle croisa son reflet dans un miroir et se figea.
Elle avait grandi. Changé. Et vécu. Page n'y avait pas prêté trop d'attention ses derniers temps mais... Elle fêtait ses quatorze ans. Et avec la puberté étaient arrivés de nombreux changements... Elle devenait une jeune fille, à son corps défendant. La lionçonne était devenue, sans qu'elle ne s'en aperçoive, une jeune lionne. Et Merlin savait qu'elle avait eu besoin de ses griffes pour être encore là aujourd'hui.
Le temps semblait suspendu. Le regard de la rouquine courait sur son corps, presqu'étonné des courbes qu'il y trouvait, et s'arrêta, sinistre, sur ses cicatrices.
Elle en avait décidément beaucoup. Trop, pour son âge. Elle se mordit la lèvre inférieur et sentit son coeur se serrer.

Première année. La terrible rencontre de Pré-au-Lard. Elle avait eu une chance inouïe de ne s'en sortir qu'avec une simple scarification, si laide et parfois douloureuse pouvait-elle être. Celle que les retenues d'Ombrage lui avaient offerte se limitait heureusement à une fine ligne blanche sur le dos de sa main droite. Observant la trace, l'irlandaise retourna la main, offrant le creux de sa paume à son regard. La trace d'une brûlure s'y lisait encore, souvenir cuisant d'une fâcheuse rencontre en forêt interdite. Au moins y avait-elle appris qu'utiliser sa baguette de sa "mauvaise main" n'était pas une idée brillante. Le reste... lui avait été offert par les quelques mois passés à Poudlard l'an passé. Elle ne savait pas laquelle de ses marques lui serrait le plus le coeur. Etaient-ce les balafres claires qui lézardaient son épaule, une partie de son cou et de son torse, lui rappelant chaque jour la pénible condition de son collabo' ? Ou bien les marques laissées par les entrevues bien trop répétées avec le duo des Carrow ? A moins que ce ne fut les plus discrètes cicatrices gagnées au cours de son séjour en maison de redressement ? Eux au moins avaient su y faire pour que l'essentiel soit gravé dans l'esprit de l'irlandaise et non dans sa chair...

Page frissonna, sans pour autant qu'aucun courant d'air ne se fut manifesté. Tant de marques qui n'étaient que la partie visible de son mal-être. Secouant la tête, la préfète se détourna du miroir et se glissa dans l'eau chaude, laissant échapper un léger soupir de soulagement. La chaleur de l'eau et les odeurs enivrantes apaisaient quelque peu ses tourments et l'aidaient à chasser ses sombres pensées.
La lionne s'assit confortablement et laissa la douce chaleur la gagner entièrement, fermant les yeux, et laissant ses pensées à nouveau vagabonder, dans l'espoir de pouvoir, cette fois, comprendre où elle s'égaraient et les ramener dans le droit chemin.

Chaque bulle de savon semblait amoindrir ses soucis. Ce n'était sans doute pas la meilleure idée du monde de masquer ses fantômes personnels par un bain moussant, mais cela faisait du bien à la rouquine. Elle avait l'impression de réussir enfin à se détacher un peu de tout cela, à y mettre moins d'affect... sans doute était-ce par là qu'elle aurait dû commencer. Mais tout n'est pas simple lorsque l'on a quatorze ans.
Page en était à sa troisième grosse bulle de savon rose lorsque la porte s'ouvrit à la volée et que, paniquée, elle s'enfonça du plus qu'elle le put dans l'eau, laissant juste son nez et ses yeux écarquillés dépasser de la surface. Non non non et non ! Elle voulait être tranquille ! Pas se sentir complètement vulnérable, là, nue dans ce fichu bain ! Holy shit, pourquoi n'avait-elle pas eu la présence d'esprit de lancer un simple collaporta pour avoir la paix ?
Trop surprise et gênée pour réagir plus avant, l'irlandaise suivit l'intruse du regard et vit Lellia s'asseoir avec soulagement sur l'un des bancs de pierre. Visiblement, leur capitaine n'allait pas très fort non plus. Mais pour le moment, Page était incapable de faire quoi que ce soit d'autre que d'amener lentement de la mousse vers elle pour masquer sa peau pâle. Au fond d'elle, la rouquine remercia Merlin que ce fut Lellia qui ait débarqué, et non n'importe quel autre préfet : pour avoir partagé les vestiaires de Quidditch depuis quelques années maintenant, les deux filles s'étaient déjà côtoyées et c'était sans doute celle envers laquelle la pudeur serait la moins forte.

Mais tout de même, quoi. Elle était dans son bain, sentait ses joues qui avaient viré au cramoisi, et ne trouvait rien d'autre à faire face à sa capitaine que "blup blup". Enfin la bonne nouvelle, c'est que lorsque Lellia l'aperçut, elle ne parut pas en mener plus large. C'est fou comme elle pouvait avoir la gorge sèche malgré toute l'eau qui l'entourait. Néanmoins, la faiblesse visible de son aînée, bizarrement, rassura un peu l'irlandaise. OK, elle était loin d'être en position de force, mais Lellia non plus, bien qu'elle fut habillée, hein. Une pointe d'inquiétude naquit même dans les yeux de l'irlandaise. Voir la flamboyante Windfall dans cet état était rarissime. Page ne put s'empêcher de laisser glisser son regard vers le genou découvert de la préfète en chef. Pas beau à voir.

« Sinon ça va toi ? Je t’ai pas beaucoup vu depuis la rentrée… »

- Euuuh je...

Allaient-elle faire la causette, là, comme ça, dans cette situation improbable ? Cela semblait bien parti pour. De toutes façons, Lellia ne semblait pas en mesure de se relever, et Page ne comptait pas quitter le mince écran que lui procurait la mousse colorée du bain. Alors autant combler le vide intersidéral qui semblait occuper la salle. Surtout que, fuck a duck, ce n'était pas comme si elles ne se connaissaient pas ou se détestaient : la rouquine avait beaucoup de respect et d'admiration pour sa capitaine, malgré tous les défauts qu'elle lui connaissait.
La question posée, pourtant anodine, prenait toutefois une résonance particulière pour la quatrième année, en cet instant précis. Elle qui en était à remuer ses mauvaises pensées...

- Ouais... enfin bof. Je... Je crois que j'ai vraiment du mal à revenir à Poudlard. Comme si... comme si rien ne s'était passé, comme si de rien n'était. C'est plus pareil, et j'arrive pas à m'y faire je crois.

L'irlandaise s'interrompit un instant, sentant la pression de ses sentiments refoulés remonter à la surface. Sa gorge commençait déjà à se nouer. Alors c'était ça, de mettre des mots sur ce qui lui pesait ?

- J'ai l'impression d'avoir raté tant de choses... D'avoir trahi. De pas avoir su faire face. J'arrive pas à oublier tout ça. Enfin... J'crois que je suis pas la seule à avoir du mal à tirer un trait non ? fit-elle en désignant du menton le genou de sa coéquipière sans pour autant mettre dans son geste une once de dégoût. Elle était mal placée pour faire sa mijaurée devant ce qu'elle même possédait. Elle savait que ce n'était pas facile. Et que Lellia n'aurait sans doute jamais voulu montrer cette faiblesse à quiconque, trop fière pour cela.