De justesse, William avait évité la collision, mais le gros dictionnaire de magie noire lui avait échappé des mains et s'était écrasé sur le sol avec un grand bruit mat. En vitesse, l'adolescent plongea pour récupérer le livre avant que la bibliothécaire, ou quelqu'un de moins sympathique encore, ne vienne se plaindre du traitement infligé à un précieux grimoire... et, plus grave, à un grimoire traitant de magie noire, la plus noble des matières ! D'autres avaient été punis pour moins que cela... de toute façon, les punitions semblaient être devenues l'unique but de la vie à Poudlard ; les uns vivaient uniquement pour en infliger, les plus cruelles possibles, et les autres tâchaient de passer entre les gouttes... rien de bien excitant ; on se levait le matin en se demandant ce qui allait encore pouvoir vous dégringoler dessus, quel serait le motif de la prochaine retenue, ou si on n'allait pas croiser inopinément le chemin d'un Doloris égaré...

Si William avait réussi à limiter les dégâts, ce n'était apparemment pas le cas de tout le monde ; il suffisait de regarder l'élève qu'il avait failli heurter pour comprendre que l'imagination des tortionnaires était sans limites. Alix Ylian arborait des marques de couleurs et de formes variées, des plaies, et, par-dessus tout, cet air fourbu commun aux cibles des Carrow et de leurs sbires. Essayez donc d'avoir le teint frais et le regard vif après une séance de torture ! Même avec le meilleur des fonds de teint magiques, il restait des traces, à commencer par un regard fatigué... Il y avait quelque temps que le rouquin n'avait pas parlé à Alix ; replié sur ses propres problèmes, il avait tendance à s'isoler complètement des autres élèves... Il eut un pincement au coeur en se rendant compte du triste état dans lequel se trouvait son camarade. Il savait trop bien ce que cela faisait d'arborer ces plaies pour rester indifférent, et il murmura en se rasseyant à sa place :

-Bah, tu peux rester, je suis largement assez suspect moi-même...

Il essaya de sourire en prononçant ces quelques mots, mais le coeur n'y était pas. À les voir ensemble, les fanatiques de la MP n'allaient-ils pas s'imaginer qu'ils complotaient ? Les deux élèves étaient connus comme des agitateurs, et les opposants aux Carrow étaient étroitement surveillés... D'ailleurs, quelques membres de la Milice Pourpre occupaient des tables de la bibliothèque, prêts à intervenir en cas de nécessité. Avec un soupir, William ouvrit le dictionnaire de magie noire et se mit à en tourner les pages sans vraiment faire attention à ce qu'il faisait ; il avait envie de faire ces devoirs comme d'aller sauter de la tour d'astronomie... Et avec Alix à côté de lui qui parlait, ce serait difficile de se mettre au travail. Le roux tourna lentement la tête vers son camarade ; à sa façon de dire qu'on l'avait « laissé tranquille », il sentait comme une invitation à se justifier... Pourquoi avait-il flanché, cessé de résister, pourquoi s'était-il avoué vaincu ? Un brin agacé par ce qu'il estimait être de la suspicion mal placée, il répondit à voix basse :

-Mon père a déjà été passé à tabac une fois, et ils m'ont bien dit que s'il fallait recommencer, il ne s'en tirerait pas aussi bien... alors je fais ce que je peux pour ne pas attirer l'attention, et ça marche. Les Carrow n'aiment pas taper sur les gens qui ne résistent pas, ça les ennuie... Ils préfèrent ceux qui leur donnent du fil à retordre... ça rend le jeu plus intéressant, lâcha-t-il avec un regard vers les blessures du cou d'Alix.

Il n'avait pas tardé à comprendre que toute résistance excitait le plaisir des tortionnaires, et que la meilleure façon de les décourager était de jouer au mouton. Un rôle pas vraiment gratifiant, mais suffisamment efficace pour avoir la paix. De toute façon, ce n'était pas avec les dérisoires actions de quelques élèves résistants qu'on changerait la face du monde... pourquoi, donc, s'en prendre plein la tronche pour pas un rond ? Si encore la résistance avait eu la moindre chance d'aboutir... D'un geste un peu vif, l'adolescent tourna les dernières pages du dictionnaire pour arriver au chapitre qui l'intéressait, et se pencha sur cette détestable lecture.

« Défense contre... » William soupira, leva sa plume, puis ratura les deux mots. La matière avait changé de nom, mais il avait du mal à s'en souvenir. Pourtant, la nature des cours n'était pas faite pour induire en erreur ; on étudiait les mille et une beautés de la magie noire, et si l'on apprenait à se défendre contre quelque chose, c'était contre les forces du Bien et, surtout, contre toutes les formes de tolérance... L'adolescent poussa le parchemin sur le côté, en déplia un autre, et inscrivit en grosses lettres « Forces du Mal ». Même pour une matière qu'il détestait par-dessus tout, le roux gardait l'habitude de soigner la présentation de ses devoirs ; il souligna ce titre et la date à la règle, en évitant de regarder Alix qui se plaignait d'être affreux.

Affreux, oui, c'était le mot, avec toutes ses plaies et ses contusions... William ne savait pas quoi répondre à cette remarque incongrue ; cela aurait signifié 1° qu'il s'intéresait au physique d'un autre garçon ; 2° qu'il acceptait d'entrer dans une conversation digne de femmes hystériques qu'une coulure de rimmel rend dépressives et 3° qu'il avait envie que les membres de la Milice présents à la bibliothèque lui infligent une retenue pour bavardage. Un grand escogriffe arborant l'affreux insigne à l'araignée commençait d'ailleurs à regarder les deux garçons avec insistance, attendant probablement un prétexte pour les punir. William se pencha sur son travail, l'air très concentré, espérant donner le change ; peut-être qu'en restant silencieux quelques instants, ils parviendraient à détourner l'attention du milicien... Mais Alix n'avait pas dû remarquer le regard fixe du grand type, puisqu'il continua à parler. Le roux était en train d'indiquer, toujours avec soin, le numéro de la première question, et il arrêta d'écrire pour répondre au Serpentard :

-Faire nos devoirs ensemble ? Tu sais, j'ai d...

Une voix glaciale couvrit la sienne, et le garçon sentit son estomac se nouer. Il aurait pu reconnaître cette voix-là entre mille ; il l'avait suffisamment entendue au cours des multiples retenues en sa présence... Carrow aimait parler aux élèves qu'il collait, et William gardait le souvenir des longs discours que le type lui avait tenus, sur la place des impurs, sur la supériorité des sorciers sur les moldus, et sur le genre de comportement qu'un sang-de-bourbe devrait tenir en présence d'un sorcier... Par réflexe, le gamin se leva (« vous attendrez ma permission pour vous asseoir », lui avait un jour ordonné le professeur Carrow) et leva un regard craintif vers l'enseignant :

-Professeur... nous ne trichons pas...

Sa voix était presque inaudible à force d'être basse, et de toute façon, Carrow n'était certainement pas venu pour discuter. Sans prendre garde à la réponse de William, il enchaîna d'ailleurs avec une menace explicite : coller les deux garçons pour bavardage. Le Gryffondor blêmit en entendant l'avertissement de Carrow ; en général, être collé par ce type ne se limitait pas à une seule séance : il se débrouillait toujours pour que la retenue débouche sur une autre, puis encore une... Être collé signifiait donc reprendre le cycle infernal des retenues quotidiennes, auquel William avait eu tant de mal à mettre fin. Il fallait absolument éviter ça... mais le garçon n'était pas sûr de pouvoir prononcer un seul mot, tant la peur lui asséchait la gorge.

-Monsieur... ça ne se reproduira pas... parvint-il à souffler sur un ton suppliant.

Comme à son habitude, l'arrivée impromptue d'Amycus dans une conversation entre élèves faisait son petit effet. Souvent, les adolescents commençaient par sursauter, surpris d'entendre une voix grave et menaçante au milieu des petites voix de leurs camarades prépubères. Ensuite, ils se retournaient et, face au visage et au corps déformés du professeur, leur visage laissait transparaître toute la frayeur qu'il pouvait inspirer. Enfin, ils ne manquaient jamais de se justifier, prenant la parole d'une petite voix tremblotante et inventant toutes les excuses qui leur venaient à l'esprit. Pathétique...

Cependant, le mangemort se satisfaisait énormément de ces réactions. C'était en quelque sorte sa revanche contre toutes les années écoulées. Durant près de quinze années, il avait du se fondre dans la masse des sorciers, il avait du quémander du travail auprès des individus les moins recommandables, lui, un Carrow d'une lignée si pure que pas un millilitre de son sang n'était d'origine moldue. Il avait du demander la charité à des sang-de-bourbe, il avait du effectuer des tâches dégradantes, éliminer des parasites des demeures de ceux qu'il considérait lui même comme des parasites. Mais à présent, il avait retrouvé sa gloire passée. Tous le craignaient, pas un n'osait soutenir son regard noir. Il s'était imposé en maître de cette école, car, bien que son statut soit moins élevé que celui du professeur Rogue en théorie, dans la pratique c'était bien lui et sa soeur que les élèves craignaient, à force de retenues et de châtiments.

Et les deux qu'il avait en face de lui ne faisaient pas exception à la règle. Depuis le mois de septembre, il avait passé un nombre incalculable de soirées en compagnie de William Craig. Il ne se souvenait plus de tout ce qu'il lui avait fait subir, mais il était très probable qu'il fut un des élèves les plus marqués par la répression. Quant à Alix Yilan, si Amycus n'avait jamais levé sa baguette contre lui, il n'en était pas moins couvert d'égratignures, de bleus et même de plaies encore ouvertes, toutes dues à Alecto. Assurément, ces deux là savaient ce qu'il coûtait de s'opposer au pouvoir, mais leur réaction était celle des élèves qui en ont eu leur dose, et ne souhaitent plus commettre les mêmes erreurs.

Tandis qu'ils s'excusaient de leur comportement, promettant de ne pas faire leurs devoirs ensemble et de ne plus parler aussi fort dans cet espace de travail et de silence, le professeur laissa apparaître un petit sourire. La crainte et le respect qui transparaissaient dans leur voix lui procuraient un plaisir immense.

-J'espère bien que vous tiendrez vos engagements. Mais soyez surs que je corrigerai vos devoirs avec la plus grande attention, et en sanctionnerai les moindres similarités.

Il s'approcha encore un peu de la table où étaient assis les deux garçons et se remémora les raisons de sa présence dans la bibliothèque. Il était venu chercher quelques références au Théorème de Sinubald et à la Guerre des Scrouts. N'en ayant trouvé aucune mention dans les quelques livres qu'il avait ouvert, il décida de poser la question aux deux garçons. En tournant correctement sa phrase, il pourrait obtenir des informations sans laisser transparaître son ignorance.

-En ce qui concerne le bruit, je vous offre une chance de vous racheter. Que pouvez vous me dire sur la Guerre des Scrouts, Messieurs? Une bonne réponse de votre part et j'oublie votre infraction.

Voilà un geste qui pourrait paraître étrangement gentil de la part d'un tel homme. Cependant, ces élèves pourraient lui apprendre si cette fameuse guerre avait réellement existé ou non. Et si tout ceci n'était que pure invention, peut être pourrait il se servir de leurs connexions pour confondre ceux qui osaient se moquer de lui.


[HJ] Comme expliqué dans mon post précédent, la Guerre des Scrouts n'a jamais existé et est une invention d'élèves de Forces du Mal pour se moquer de l'ignorance d'Amycus. Vous pouvez choisir de faire partie de ces élèves moqueurs si ça vous amuse, mais j'ai les copies avec les noms, donc si je découvre que c'est une blague, vous allez prendre cher

Sa question avait déstabilisé les deux jeunes garçons. A coup sur, ils ne s'attendaient pas à se faire questionner sur leurs cours d'histoire de la magie par leur professeur de Forces du Mal. Pourquoi aurait-il fait cela? William et Alix échangèrent quelques regards hésitants avant de répondre. Le rouquin fut le premier à prendre la parole et, d'une voix mal assurée commença à expliquer ce qu'était la guerre des Scrouts et en quelle année celle-ci avait eu lieu.
Intérieurement, Amycus blêmissait. Heureusement qu'il avait pensé à tourner correctement sa question, ou il serait passé pour le dernier des incultes. Ce qu'il était, après tout... Comment pouvait-il ignorer un fait historique si basique qu'un étudiant de cinquième année en connaissait l'existence? Pourquoi n'avait il pas prêté un peu plus d'attention à ses leçons, lorsqu'il usait ses robes sur ces mêmes bancs? Tâchant de ne rien montrer de son désarroi, Amycus écouta la fin de l'exposé de William Craig. La guerre des Croups? Mais ce n'était pas ce qu'il avait demandé! Le jeune élève s'en rendit compte également, puisque sa voix s'était affaiblie au moment de prononcer ses dernières paroles. Il s'en excusa aussitôt, maintes fois, tandis que son camarade prenait la parole.

La tentative de rattrapage d'Alix Yilan n'était pas fameuse mais rien que l'effort aurait mérité quelques points, s'il avait été de bonne humeur... ce qui n'était jamais le cas. Le professeur écouta à peine ce que le jeune Serpentard disait, occupé qu'il était à chercher une punition pour le jeune Gryffondor. Quelques points en moins? Un devoir supplémentaire? Ou carrément une retenue? Cependant, ses pensées furent interrompues par la dernière phrase d'Alix, qui mit quelques secondes avant d'arriver à son cerveau. La guerre des Scrouts n'existe pas. La guerre des Scrouts... La guerre des Scrouts n'existe pas?

Cette affirmation confirmait les doutes qu'il nourrissait depuis quelques temps. Ses élèves se moquaient de lui et de son ignorance. Il s'agissait à présent d'agir avec finesse, ce qui n'était pas la qualité principale du professeur. Doucement, il abaissa son visage vers le jeune Serpentard. Ses sourcils se froncèrent légèrement, son regard se fit encore plus noir que d'habitude. Il regarda le jeune homme droit dans les yeux durant quelques secondes, puis, de sa voix la plus mielleuse possible, il lui adressa la parole.

-La guerre des Scrouts n'existe pas? Comment ça elle n'existe pas? Pourquoi plusieurs de vos camarades l'ont ils mentionné dans leur dernier devoir, dans ce cas? Insinueriez vous que ces élèves sont ignorants? Ou qu'ils se moquent de moi? A moins que ce ne soit vous qui vous moquiez de moi, Monsieur Yilan?

[HJ : Désolé pour le retard et la longueur :/ ]

Le professeur était partagé entre la colère et l'amusement. Evidemment que ces minables de sixième année se moquaient de lui, bien sur qu'ils s'amusaient à truffer leurs copies de références toutes plus pointues ou inexistantes les unes que les autres. C'était bien le problème. Il ne savait jamais les différencier. En même temps, utiliser ce prétexte pour embêter ses élèves des années inférieures l'amusait beaucoup, et leurs tentatives désespérées pour se sortir de cette situation avec la punition la plus faible possible étaient d'une drôlerie incroyable. D'ailleurs, si le sentiment de fureur n'était pas autant présent, il n'aurait pas pu se retenir d'éclater de rire.

Le jeune Craig venait d'affirmer que ni les élèves plus âgés ni lui ne se moquaient de leur professeur. Amycus était au contraire certain que les plus âgés se moquaient de lui, mais vu les regards apeurés que lui lançaient les deux garçons à chaque fois qu'ils devaient prendre la parole, il était certain qu'eux deux ne souhaitaient absolument pas s'attirer ses foudres. Il ne résista cependant pas à l'envie de proférer une petite menace, histoire que les deux garçons n'oublient pas à qui ils avaient affaire.

-Vous ne vous moquez pas de moi Monsieur Craig? Mais je l'espère bien. Si vous vous moquiez de moi, de terribles conséquences pourraient avoir lieu. N'oubliez pas, par exemple, que nous vous avons fait une faveur en vous autorisant à recevoir votre courrier à nouveau.

Il termina sa phrase en lançant un petit sourire désolé au Gryffondor. Comme s'il ne prendrait pas énormément de plaisir à faire à nouveau intercepter tout le courrier du garçon et à lire ses lettres personnelles. On pouvait en apprendre tellement sur les gens, en lisant les lettres de leurs proches. Le professeur se tourna ensuite vers Alix et le fixa quelques instants avant de déclarer:

-Je ne sais pas très bien ce qui pourrait vous arriver à vous, Monsieur Yilan. Mais je suis sur qu'en en discutant un peu avec ma chère soeur, nous parviendrions à trouver une très bonne idée.

La très bonne idée vint à l'esprit du mangemort en même temps que William Craig s'empêtrait dans des déclarations sur l'intelligence et la connaissance de son professeur. Il ne se rendit donc absolument pas compte du double sens que la phrase pouvait avoir, ni des tentatives maladroites que le rouquin faisait pour rattraper le coup. C'est donc d'une voix légèrement absente qu'il répondit:

-Bien sur que je sais plus de choses que mes élèves, ça va de soi, sinon je n'aurai pas été nommé professeur...

Son visage s'illumina à nouveau. Son petit plan venait de prendre forme et il le trouvait absolument parfait. Il jeta un coup d'oeil circulaire et aperçut les membres de la Milice, un peu plus loin, qui avaient assisté à toute la scène. Il leur jeta un regard noir et les interpella, sans bouger d'un pouce:

-Vous, là! Vous n'avez pas des patrouilles à faire au lieu de ricaner bêtement?

Quasiment au garde à vous, les quelques élèves se détournèrent et s'empressèrent de retourner à leurs devoirs où à leur activité de surveillance. Satisfait, Amycus laissa apparaître un grand sourire sur ses lèvres. Il se tourna à nouveau vers les deux jeunes garçons et, sans changer d'attitude, leur parla une dernière fois.

-Et bien Messieurs, je crois qu'il est l'heure de vous laisser finir vos devoirs. Mais surtout, n'oubliez pas de venir en cours demain matin. Je tiens absolument à votre présence, à tous les deux. Passez une bonne soirée !

Sur ces mots, il se détourna et quitta la bibliothèque, d'un pas qu'on pouvait presque qualifier de guilleret.


[HJ : Vu que tu as placé ton message début Mars et avec cours de FdM le lendemain, ça correspond si on dit que c'est la veille du cours actuellement joué? Comme ça, ça fait une raison à ce qui va s'y passer. Si ça pose un problème j'éditerai]

-Mais tu vas dégager, oui ? Tu vas nous lâcher un peu les bavboules et aller te trouver d'autres victimes ? La partie de ton corps qu'on préfère voir, c'est ton dos, et encore si on pouvait ne plus te voir du tout, ce serait carrément le paradis... En tout cas, ta sale tronche de veracrasse putride, on l'a largement assez vue, tourne donc les talons et va polluer l'air ailleurs...

C'est envoyé, avouez ? Une belle tirade théâtrale, avec ce qu'il faut de mépris dans le ton pour que le débris d'humanité visé se ratatine misérablement sur place. Ladite tirade ne souffrait que d'une seule faiblesse, celle de n'être pas prononcée à haute voix. William avait beau être à Gryffondor, le courage chez lui ne virait pas à la témérité suicidaire, et il s'était contenté de penser cette petite série d'insultes, ainsi que quelques autres qu'il n'est pas indispensable de reproduire en texte intégral. Le roux avait au contraire adopté une attitude pleine d'humilité, la tête basse, ne levant que des regards craintifs vers l'épouvantail qui lui servait de professeur ; l'entretien semblait devoir se prolonger indéfiniment, et l'adolescent sentait une espèce de poids s'accentuer sur son estomac à mesure que les secondes passaient. D'ici la fin, vu la nausée qui s'installait, il allait vomir, en plein sur les pompes de Carrow... et là, autant dire qu'à côté, la Saint-Barthélémy, c'était un bain moussant... Un furieux de son espèce n'allait pas laisser le premier sang-de-bourbe venu lui dégobiller sur ses pieds de sang-pur sans réagir vigoureusement...

Tandis que William se forçait à respirer profondément pour combattre la nausée, Carrow trouva l'argument parfait pour l'achever. L'allusion aux lettres, à ce courrier dont il avait été privé plusieurs mois... D'autres élèves avaient subi ce châtiment, et la plupart étaient d'accord pour dire que c'était pire que les coups. William avait cru mourir d'inquiétude, sans nouvelles de son père et de sa soeur... et voilà qu'on le menaçait, à mots couverts, de renouveler l'expérience. L'adolescent eut comme un éblouissement (ce devait être la première fois qu'Amycus Carrow éblouissait quelqu'un, d'ailleurs) et dut se tenir à la table pour garder son équilibre. Dans le même temps, Alix tomba carrément sur le parquet, évanoui, sans que l'enseignant lui accorde la moindre attention. Carrow semblait plongé dans d'intenses réflexions, et il parlait d'une voix absente... William risqua un regard vers Alix, mais il se retint de se pencher sur lui ; en présence de Carrow, mieux valait ne pas bouger. D'autant qu'une expression de joie mauvaise venait de passer sur son vilain museau, et qu'en général ce genre de phénomène annonçait de très mauvaises choses pour les élèves. Sans doute ces mauvaises choses nécessitaient-elles une préparation, car l'affreux bonhomme quitta aussitôt la bibliothèque, non sans avoir recommandé aux deux garçons de se trouver à son cours le lendemain.

-Bonsoir, monsieur, fit William d'une voix morne, uniquement pour ne pas risquer en plus d'être puni pour impolitesse... Bon débarras, ajouta-t-il lorsque Carrow passa la porte de la bibliothèque.

Il s'agenouilla aussitôt auprès d'Alix et lui tapota doucement les joues :

-Alix... hé, Alix... ça va ? Il est parti, c'est bon...

Plus tard, lorsque le Serpentard serait remis, il lui répèterait les paroles de Carrow, porteuses d'une menace implicite, mais d'autant plus terrible. Pas tout de suite, il fallait lui laisser le temps de revenir à lui avant de l'épouvanter à nouveau...

[HJ : pas de souci pour moi, Amycus]

Un instant, William craignit que l'étourdissement de son camarade ne cache quelque chose de vraiment grave ; mais Alix battait des paupières, rouvrait les yeux, et sa première réaction, plutôt curieuse, était de s'excuser auprès de Carrow. On prenait de drôles d'habitudes, tout de même, sous le règne des affreux... s'évanouir de terreur, et demander pardon au bourreau. Le roux eut une pensée fugitive pour Dumbledore – comment ne pas regretter sa mort, lorsqu'on vivait dans un tel climat ? L'adolescent offrit son bras à Alix pour l'aider à se redresser, sans répondre tout de suite à sa question. Oui, il était parti, mais pas sans rien dire... Seulement, mieux valait ne pas raconter ça immédiatement à quelqu'un qui venait juste de tomber dans les pommes. Par simple précaution, mieux valait le laisser souffler deux minutes avant de porter le coup...

Comment lui rapporter les paroles du professeur, d'ailleurs, avec un minimum de tact ? William lui-même se sentait pris de panique lorsqu'il se les remémorait ; le “je tiens absolument à votre présence” surtout résonnait étrangement à ses oreilles... Depuis quelques séances, l'abominable Carrow lui avait à peu près fichu la paix en cours, mais apparemment, la trêve était bien finie. Le Gryffondor se laissa tomber sur sa chaise en soupirant, et fouilla un instant dans son sac, par terre, pour en tirer deux barres de chocolat de chez Honeydukes, ramenées de Pré-au-Lard par Mervin.

-Tiens, fit-il en posant l'une des barres devant Alix. Ça peut pas faire de mal... après tout, c'est un remède contre les détraqueurs, ça doit marcher aussi pour...

Sans achever sa phrase, il déchira le papier de sa propre barre, et croqua dans le chocolat avec soulagement. Leur table était hors de la vue de Madame Pince, les miliciens étaient partis, il n'y avait pas de risque d'être puni. La première bouchée de chocolat lui donna une impression de chaleur, et il se décida enfin à répondre :

-Il... Je sais pas s'il a vu que tu étais tombé. Il avait l'air tout bizarre, et puis... il a eu un grand sourire et il a dit qu'il était temps de nous laisser travailler... Et il a dit “n'oubliez surtout pas de venir en cours demain matin, je tiens beaucoup à votre présence”, conclut l'adolescent dans un murmure.

Incapable de croiser le regard d'Alix, il baissa les yeux, comme si les menaces qu'il avait répétées venaient de lui. Il regarda son parchemin, le début de réponse aux affreuses questions de Forces du Mal, et ferma le cahier d'un geste brusque. Pas la peine de perdre du temps avec ça ; de toute façon, devoirs faits ou pas, ce serait sa fête le lendemain. Une vague nausée l'empêcha de continuer à manger son chocolat, et il replia le papier en annonçant :

-Je vais aller prendre l'air... à chaque fois que je le vois, je me sens mal... j'ai le ventre noué... enfin, je suppose que tu comprends... Excuse-moi...

À gestes lents, il rassembla ses affaires, la voix de Carrow résonnant toujours à ses oreilles. Je tiens absolument à votre présence... cette phrase l'obsédait, et finissait par lui donner envie de quitter en courant cette école de malheur. D'un geste las, il jeta son sac sur son épaule, et murmura, sans y croire, en direction d'Alix :

-Eh bien... à demain. Passe une bonne soirée...

L'absurdité de ses propres paroles le fit soupirer. Une bonne soirée, lorsqu'on savait qu'on allait à l'abattoir le lendemain ! Il adressa un sourire penaud au Serpentard, et quitta en vitesse la bibliothèque, avec l'idée d'aller faire le tour du lac pour se changer les idées.