Lacey avait passé une journée minable. Ou tout du moins, c'était son avis sur la question. Rentré de bonne heure après avoir fini son travail plus rapidement que prévu -le dossier qu'il pensait long à étudier était surtout un amoncèlement de notes sans grande utilité-, il s'était retrouvé devant l'évidente conclusion qu'il ne pouvait se permettre de vaquer à ses anciens passe-temps. Sa chaine hifi moldue trafiquée était parti en miette à son retour du pays merveilleux des mangemorts. Il avait sauvé ses cds mais n'avait plus rien pour les mettre, et n'avait de toute façon pas envie de mettre la musique de sang magie dans son appartement. Adieu Deep Purple, plus de filles à emballer sur un bon Led Zeppelin en boite, adieu aussi les Judas Priest pour se finir la soirée en beauté avec quelques verres de whisky dans le cornet.
Le souci dans tout ça, c'était que la musique sorcière, sérieusement, elle craignait. Rien de novateur, ça s'agitait, ça utilisait trop les effets. Il n'y avait que les moldus pour faire de la musique qui dépotait. Seulement, ça allait pas trop, il avait du virer sa cuti, et il fallait qu'il assume le truc. Il avait rangé ses tee-shirt des Rolling Stones, Animals et autres groupes qu'il affectionnait d'habitude. Les avait mis dans un carton avec d'autres affaires dont il n'avait pas eu le courage de se débarrasser, les avait poussé dans un coin oublié de son esprit et de son grenier, sans plus y penser.
Avec l'impression d'être un enfant boudeur, Lacey cherchait comment occuper la fin de son après midi. Sans un bon morceau, tout lui semblait vide, sans un chapitre de Dickens pour parfumer sa soirée, le monde était sans couleur. Il reconnaissait au monde sorcier des trésors, mais pas ceux dans lequel sa vie jusque maintenant avait baigné. Il lui fallait quelque chose à faire, là maintenant tout de suite. Il refusait de penser et de s'acharner à courir après un passé impossible à attraper. L'auror remit sa veste de costume anglais, noua sa cravate et transplana au premier endroit qui lui venait à l'esprit.
Ce qui se révéla être la grande bibliothèque magique d'Angleterre, il rougit. Pour quelqu'un qui s'acharnait autant à passer pour un abruti, il y avait sans doute mieux que de s'amuser à visiter l'antre du savoir et de la culture, le lieu intenable où l'on avait la certitude de ressortir moins bête que l'on était avant d'entrer. Ô terrible destinée, cruel faste du destin. Il regarda autour de lui, sans voir grand monde à l'extérieur, les gens passaient sans trop paraître concerné par ce qu'il se passait dans ce repaire abominable, inconscient de la tentative de lavage de cerveaux, répétées par millions sous forme de lignes de caractères noirs écrit sur papier blanc. Lire, ça cultivait et c'était exécrable. Quoique. Cela dépendait du choix de lecture : à force de lire n'importe quoi, on pouvait finir par ne ressembler à rien, une parodie de soi-même, abreuvée de discours stupides et sans plus de personnalité, ni d'avis. Il en était beaucoup des imbéciles qui se croyaient originaux mais baignaient dans le conformisme vomissant le plus absolu.
L'homme tapa une cigarette contre le dos de sa main avant de la porter à sa bouche et de l'allumer. Il leva les yeux vers le ciel pour trouver une toile grise monochrome et triste. Un coup d'oeil à sa montre lui indiquait qu'il était trois heures et demi. Si c'était pas malheureux d'avoir un temps pareil à un si bonne heure de la journée. Où était passé le froid ciel d'hiver au soleil si blanc? Pris la poudre d'escampette apparemment. Finalement, l'enfer de Dante -pardonnez la moldusité de la chose- le tentait un peu plus finalement. Entre aller se cultiver et rester sous un ciel anthracite au milieu d'une bande d'imbéciles anonymes, le choix était dur. Mais le goût de l'aventure l'avait pris, il se sentait soudain l'âme d'un aventurier, près à affronter chaque danger intellectuel le menaçant au détour d'une page, d'un paragraphe.
… Et puis, dans un bibliothèque, il devait bien y avoir des livres d'images, non?
Une mince sourire apparut sur les lèvres du trentenaire alors qu'il prenait une bonne taffe de sa clope. La brave amie était presque fini et il l'écrasa sous sa chaussure avant de pénétrer dans le lieu, sa petite idée bien encrée dans la caboche. Quitte à refouler de la cafetière, autant y aller à fond et c'est avec l'innocence et la pudeur d'un bambin de cinq ans -mais pas la pointure- qu'il se dirigea au rayon pour enfant de la grande bibliothèque. Quitte à avoir l'air con, autant y aller à fond.
Ceci dit, force était de constater qu'après deux heures à s'infliger les aventures de Morgandra, l'elfe de maison, de Tidul le dragon et de Batafa le gobelin, il aspirait à autre chose. Après l'intense séance de lobotomie qu'il s'était lui-même imposé, la section de magipsychologie lui semblait une oasis dans le désert. A condition bien sûr de ne pas se faire surprendre par quelqu'un et de passer pour ce qu'il n'était pas : un homme cultivé.
...
Mais qu'est ce qu'il lui avait au dieu de la chance? S'acharner à ce point sur quelqu'un, on touchait le harcèlement là. Il avait été pris en flagrant délit, le sol s'ouvrait sous ses pieds pour l'engloutir tout entier. Si seulement. Le sorcier retint un grognement et rangea doucement l'arme du crime l'air de rien.
Il avait sursauté en se prenant une tape sur les fesses. Une main féminine pour couvrir ses arrières était toujours appréciable, mais ne manquait jamais de le surprendre. Peut être d'Ophelia cependant, il se tourna vers elle avec un sourire, s'adossant à la bibliothèque comme l'aurait fait un joueur de football américain se serait adossé au mur d'un diner pour draguer la capitaines des pompomgirl :
« Moi, jamais. Y a des livres, c'est juste pour regarder les images. »
Dit avec un air très sérieux, cela faisait tout de suite mieux. Le ton un peu pressé cependant de l'homme pris en faute et mal à l'aise, ce qu'il était exactement. Puis ça n'était pas comme si Ophelia n'avait pas l'habitude de son déni catégorique d'être capable de suivre un discours sans piquer du nez, de suivre très sérieusement un livre avec des mots de plus de quatre syllabes dedans, ou ne l'avait jamais vu cacher honteusement ses diplômes de linguiste. A quoi bon essayer d'avoir l'air bête si votre entourage n'y mettait du sien pour vous faciliter la tache?
Lacey prit soudain conscience de la tenue de sa collègue et le sourire se fit plus coquin. C'était une des choses qui lui avait le plus chez elle quand il l'avait rencontré. Cette fille était une gravure de mode et un appel à la tentation à elle toute seule. Certes Lacey était bien amoureux de son Elanor et n'avait en aucun cas l'intention de fauter ou d'être infidèle. Il devait malgré tout avouer que la miss Xantopoulos était une invitation vivante au délire des sens, l'envie de sentir le corps ferme sous le chemisier n'était probablement pas étrangère à la plupart des hommes qui croisaient son chemin. Elle n'était pas étrangère à Lacey en tout cas et il appréciait la façon que l'autre femme avait de porter le rose. La vision de son ex lui redonnait quelque assurance :
« Ceci dit, si c'est pour vous voir... » Il tendit la main vers les boucles rousses noires de la femme, les caressant rapidement avant de descendre sur la joue ronde et pleine. « Si, c'est pour profiter de votre compagnie, je suis près à revenir. Vous prendrez bien un café? »
Et bien malgré ses talents de comédien, l'oeil pétillant et le sourire de Lacey trahissaient le jeu de rôle d'une scène de drague classique, pour faire place à celui d'un ami heureux de voir quelqu'un qu'il appréciait.