Dix heures à peine, et la journée de cours de James était terminée. Il venait d'assister à ses deux heures d'Histoire de la Magie (une option en plus, c'est dire à quel point ce garçon-là était sérieux) et il descendait posément, dans le but d'aller prendre un café avant la suite des festivités. La suite en question, il ignorait encore en quoi elle consisterait ; aller à la bibliothèque pour y reprendre ses cours, au laboratoire de potions pour jeter un coup d'oeil au travail du moment, ou quitter le campus pour des activités moins intellectuelles mais plus ludiques ?....
Une petite virée dans Londres le tentait bien, et pour cause ; il s'était astreint à ne plus y retourner depuis le duel avec l'Auror sur le parvis de Fleury and Bott, estimant que son aimable minois avait dû être repéré par pas mal de témoins en ces lieux... C'était déjà un miracle, en y repensant, que personne ne soit encore venu l'interroger au sujet de ce sort impardonnable. Grim lui avait juré qu'il étoufferait l'affaire, et jusqu'à présent, il y parvenait à merveille.
James avait été raisonnable, donc, et s'était tenu loin de Londres ; mais il avait vingt ans et des fourmis dans les doigts, un argument qui peut vous changer le garçon le plus posé en tête brûlée... Et l'envie de retourner sur les lieux de son presque crime le tenaillait désormais très fort.

*Pas de blague, tu as du boulot. Les examens vont arriver très vite maintenant, tu as intérêt à assurer... Le Seigneur des Ténèbres t'a ordonné de poursuivre tes études avec succès, tu n'as pas droit à l'erreur. Plus droit à l'erreur.*

Poussant un soupir, James capitula. Il irait à la bibliothèque, et passerait la journée sur ses cours et ses bouquins... Après tout, il s'était plutôt fait remarquer par son sérieux jusque-là, autant continuer ; la couverture serait d'autant meilleure.
Le jeune homme alla rapidement prendre un café et une cigarette, deux éléments sans lesquels il ne pourrait fournir aucun effort en arrivant à la bibliothèque ; dix minutes de pause dans l'air frais, puis il rentra dans le bâtiment, bondé à cette heure.
Il était rentré par l'une des portes latérales, mais pour aller à la bibliothèque, il lui fallait repasser par le hall. La poisse, il n'y avait pas pensé tant qu'il était dehors et se retrouvait désormais à devoir traverser un couloir étroit grouillant d'une foule d'étudiants désoeuvrés (pardon pour le pléonasme).
À grand-peine, en écrasant quelques pieds que leurs propriétaires laissaient inconsidérément traîner, James remonta le couloir, enjambant de temps en temps un étudiant vautré en travers du couloir, épuisé de ne rien faire... Une moue méprisante sur le visage, le benjamin des Kirkby considéra un spécimen de déchet estudiantin particulièrement dégoûtant- couché, habillé à la décrochez-moi-ça, les cheveux sales : certainement un aspirant Auror... lorsqu'il s'entendit interpeller.
Vu le vocabulaire employé, ce n'était pas un étudiant qui lui parlait ; la personne utilisait des mots de plus de deux syllabes, un exploit dont la brillante jeunesse vautrée sur le parquet serait certainement incapable. Surpris, James jeta un regard à l'homme qui lui avait parlé ; un gars jeune, bien mis, propre sur lui, le genre de personne avec qui on pouvait parler, certainement, autrement que par monosyllabes.
Le bureau de Mr Harold, 304A ?... James se passa une main dans les cheveux et demanda :

-Vous êtes sûr du numéro ?... Je ne connais aucun bureau portant le numéro 304A, ici. On a dû vous donner un mauvais renseignement... Je crois que Mr Harold a son bureau au troisième, je peux vous y conduire si vous le souhaitez... Par ici, je me permets de vous précéder...

Souriant, en jeune homme bien élevé, il montra le chemin à l'homme, non sans éprouver une certaine curiosité. Que venait donc faire ici ce monsieur si bien mis, qui détonnait avec la faune peu reluisante de l'UMA ?... Profitant d'une portion de couloir un peu moins fréquentée, James ralentit l'allure, de façon à marcher aux côtés du visiteur à qui il demanda poliment :

-Vous venez ici... pour votre travail ? Pardonnez mon indiscrétion, mais comme je ne vous ai jamais vu et que je sais que les premiers séminaires vont avoir lieu assez vite...

D'un sourire, il s'excusa, tout en continuant à marcher. Il devait avoir l'air d'un jeune homme serviable et un peu intrigué, trop curieux peut-être, mais pas d'un Mangemort avide d'informations... du moins l'espérait-il...

Les couloirs bondés de l'UMA avaient toujours exaspéré James. Lui qui était plutôt solitaire, et dans tous les cas réfractaire à la présence trop compacte de ses semblables (si peu semblables), répugnait particulièrement à cette promiscuité. Jouer des coudes, côtoyer tout et n'importe quoi, toucher des gens pas forcément propres, se faire hurler aux oreilles par l'hystérique de service qui appelle sa copine, se prendre un sac en plein visage... chaque incident mineur dans son parcours se répercutait immédiatement sur l'humeur déjà pas commode du garçon, qui répondait à chaque fois par un implacable talion. On lui marchait dessus, il ne faisait aucun effort pour éviter les autres. On le bousculait, il rendait presque un coup. On lui glapissait aux oreilles, il lançait, les doigts crispés sur sa baguette, un sortilège de Mutisme informulé.
Il allait en venir à des sorts plus radicaux lorsque le couloir, Merlin sait par quel miracle, se dégagea, et il lui sembla aussitôt que sa respiration se faisait plus facile. La foule l'oppressait, et, chose étrange, lui donnait envie de lancer des Avada Kedavra à tout va pour dégager le passage. Mais dès que l'horizon se désencombrait, James redevenait le jeune homme poli et calme dont il renvoyait la lisse image.
Le visiteur l'avait rejoint, et expliquait les raisons de sa présence. Un Maître, donc... avocat, ou peut-être même un magistrat du Magenmagot. Avaient-ils droit au « Maître », ceux-là ? James l'ignorait ; par superstition peut-être, il s'était toujours refusé à aller assister à l'une des audiences publiques du tribunal sorcier... Et il était bien conscient d'y avoir échappé de peu, récemment, après ses prouesses du Chemin de Traverse.
Maître Hawkesworth, très courtois, lui demanda s'il ferait partie de l'auditoire. Le droit n'était pas la tasse de thé du jeune Mangemort- il ne connaissait que le droit du plus fort, c'est-à-dire de Lord Voldemort- mais il était un assidu des conférences, même facultatives. Il y trouvait l'occasion d'apprendre beaucoup, et de découvrir des personnages très intéressants, qui n'étaient pas les habituels professeurs de l'UMA... Sur un ton badin, l'étudiant répondit :

-Kirkby, James Kirkby. Je suis en filière académique, et le droit n'est donc pas une matière obligatoire pour moi, mais je pense tout de même venir vous écouter. Les séminaires sont une occasion de diversifier la formation, et je pense qu'un futur employé du Ministère doit avoir quelques compétences en droit, même si elles sont modestes...

Il tourna à droite, et désigna une porte donnant sur un couloir plus étroit à Maître Hawkesworth.

-Je pense que le bureau que vous cherchez, s'il existe, se trouve par ici... après vous, fit-il en s'effaçant pour laisser le visiteur s'engager le premier dans le passage.

Le couloir était plus sombre, moins fréquenté de toute évidence ; s'y alignaient les bureaux de l'administration, et les étudiants n'y venaient que rarement. Le jeune Mangemort contrôlait au passage toutes les plaques sur les portes, vérifiant qu'aucune ne portait le nom de Harold ; en vain. Le visiteur en faisait probablement autant de son côté. Ils passaient devant le bureau 54, « inscriptions aux stages en milieu professionnel, Magicosoins » lorsque l'étudiant reprit la parole :

-Pardonnez ma curiosité, monsieur... enfin, maître, rectifia James en souriant (comme il était étrange de donner ce titre à un autre que Lord Voldemort !)... mais avez-vous déjà une idée des thèmes que vous allez traiter ? Je pense- mais ce n'est que mon humble avis- qu'une réflexion sur le respect de la présomption d'innocence chez les sorciers serait intéressante... Notre système est très imparfait, si on le compare à ce qui a cours chez les Moldus, ne trouvez-vous pas ?

Il suffisait de voir comme les Aurors se croyaient tout permis pour en être convaincu. On était tranquillement en train d'acheter un livre, et on se faisait traiter comme un criminel... Jamais, chez ces dégénérés de Moldus, un gardien de l'ordre ne se serait permis une telle intervention. Et James ne supportait pas que les Moldus aient quelque chose de mieux que les sorciers.