- Arsène Vawdrey, c’est vraiment toi ?

Ses fins sourcils haussés, Mercedes contemplait d’un air surpris le jeune homme qu’elle avait failli percuter.

Aussi grand et svelte que la dernière fois qu’ils s’étaient vus, il avait conservé cette élégance racée qui le démarquait autrefois. Avec ce regard sombre et cet air de dandy qui ne le quittait jamais, il était presque impossible de ne pas le remarquer.

Pourtant, si elle n’avait pas failli lui rentrer dedans, elle aurait très certainement traversé le hall de Ste Mangouste sans même le voir.
Mercedes n’avait jamais aimé les hôpitaux. Ils sentaient la maladie, le désespoir et la mort. Déjà petite, elle ne pouvait pas supporter l’espèce d’aura de souffrance qui semblait épaissir et obscurcir l’atmosphère à chaque fois qu’elle allait voir un médicomage avec ses parents. Un malaise permanent que leur disparition brutale n’avait fait qu’intensifier jusqu’à son paroxysme.

Depuis, elle les avait toujours fuis comme la peste, s’arrangeant pour faire venir le guérisseur chez elle quand elle en avait besoin, et ne se rendant à Ste Mangouste que quand elle ne pouvait vraiment pas y couper. Mais quand elle y allait, nerveuse et distraite, elle perdait toujours de son aplomb et de sa superbe.

C’est pourquoi ce jour-là, même en sortant de sa consultation au deuxième étage, elle frissonnait légèrement et ne songeait qu’à une chose, sortir de ce lieu maudit le plus vite possible. Se pressant de traverser le hall vers la sortie en rangeant son porte-monnaie dans son sac à main T&B, elle avait évité de justesse la collision avec un grand jeune homme qui avançait dans sa direction, et avait haussé les sourcils en le reconnaissant.

Elle resserra son manteau de crin de licorne sur ses épaules et esquissa un sourire intrigué.

- Je te croyais mort...

Son regard émeraude et perçant fixé sur les traits du médicomage, Mercedes ressentit une intense et sombre satisfaction en le voyant rougir et perdre ses moyens. Bon. Même après toutes ces années, elle lui faisait toujours effet. C’était déjà ça de gagné.

L’espace d’un instant, elle quitta les murs oppressants de la clinique pour se retrouver dans les couloirs de Poudlard, debout face à un Arsène rougissant d’embarras devant la chemise blanche qu’elle avait légèrement déboutonnée exprès pour le convaincre plus facilement de lui faire son devoir d’astronomie.

Mais ce souvenir qui lui chatouillait agréablement l'égo fut vite chassé par le flot bouillonnant d'une rancune qu'elle gardait en elle depuis bien longtemps.

Le sourire léger et intrigué qu'elle affichait s'effaça brusquement.

Impassible, elle le regarda se gratter la tête sans rien dire, l’observant toujours des pieds à la tête comme pour l’évaluer.

- Vraiment, tout ce temps ? Je ne m'en étais pas rendue compte, rétorqua-t-elle d'un ton glacial.

Ca faisait des lustres...Non, sans blague ? Il avait remarqué ?

Mais elle se ferma totalement en le voyant lui sourire. Ah, alors comme ça il ne se sentait pas coupable ? Il n’avait donc rien à se reprocher ?

- J’aurais adoré rester là à bavarder, répliqua-t-elle en refermant son sac d’un coup sec, mais je risque d’être très occupée pendant très longtemps. On n’a qu’à se revoir dans quinze autres années ?

Et elle le dépassa de quelques pas d’un air décidé, les talons aiguilles de ses bottes de daim beige résonnant sur le dallage étincelant du hall qui se remplissait peu à peu.

En sentant la poigne ferme d’Arsène lui emprisonner le bras, Mercedes ferma les yeux et exhala un imperceptible soupir.

Etait-ce de l'exaspération ? Peut-être. Mais elle se sentait surtout soulagée. Qu’il l’ait rattrapée, qu’il n’ait pas voulu la laisser s’enfuir. D’abord parce qu’elle aurait eu l’air très bête s’il l’avait laissée partir sans rien faire pour la retenir, et ensuite parce que s’il l’avait rattrapée, c’était bien qu’il tenait encore à elle et ne voulait pas la perdre...

Pour la seconde fois en l'espace de quelques minutes, elle se retrouva loin d'ici, des années en arrière, quand ils se réfugiaient derrière des tentures ou dans des salles de classes vides pour échanger des baisers furieux et passionnés, et que, le coeur battant la chamade, elle le sentait la serrer dans ses bras jusqu'à lui faire mal.

Etait-il possible que maintenant encore, elle puisse à nouveau frissonner en l'entendant lui demander de rester, en le sentant resserer sa prise sur elle ?

Mais pour rien au monde, elle ne reconnaîtrait avoir retrouvé avec un doux transport ces émois d'antan.

Sans dire un mot, elle tourna la tête vers lui pour lui jeter un regard glacial, l’observant s’empêtrer dans ses justifications sans rien faire pour l’aider. Il le méritait bien.

Mais quand il mentionna le jeu, elle ne put conserver sa réserve.

- Le jeu ?, répéta-t-elle sans se soucier de chuchoter, indifférente aux regards réprobateurs qu’elle s’attirait, tu peux te le mettre où je pense !

Une exclamation scandalisée s’éleva non loin, et elle jeta un regard noir à la vieille sorcière qui l’avait poussée, assise sur le banc à côté d’une petite fille dont le nez grossissait à vue d’œil avant de se ratatiner et de recommencer de plus belle.

- Vous préférez peut-être qu’il vous le mette à vous ?, demanda-t-elle, sourcil haussé.

Voyant la vieille ouvrir une bouche striée de rides pour répondre une leçon de morale, elle haussa les épaules d’un air méprisant et s’en détourna pour reporter son regard flamboyant sur Arsène.

- Je suis presque sûre qu’aucune règle ne stipulait que tu doives disparaître de la surface de la terre pendant quinze ans, siffla-t-elle d'un air menaçant, mais tu ne t'es pas gêné. Alors tu peux oublier ce jeu stupide, et tout ce qui s'y rattachait.

Trop troublée par l’aura maladive du hall et par la poigne ferme d’Arsène pour résister ou même émettre la moindre protestation, Mercedes le laissa l’entraîner devant l’ascenseur dont les grilles métallisées s’ouvraient au même moment pour laisser passer une guérisseuse aussi large que haute qui aidait un vieux sorcier vêtu d’une blouse de patient à avancer.

La jeune femme regarda l’ancêtre passer devant elle d’un air profondément révulsé qu’elle ne chercha même pas à cacher. Cet endroit puait la vieillesse et la mort. Et magie ou pas, riche ou pauvre, elle finirait un jour dans le même état que ce vieux machin tout ratatiné qui avait besoin d’une parfaite inconnue pour arriver à mettre un pied devant l’autre.

Mais les paroles d’Arsène la tirèrent brusquement du méandres des rides de la peau parcheminée du vieillard qui l’aspirait indéniablement. Elle tourna la tête vers lui, son regard émeraude vrillant le sien, et se libéra de sa prise d’un coup sec.

- Ca peut mal tourner ?, répéta-t-elle d’un air incrédule, je le sais bien, j’étais là !

Elle se tut et inspira profondément, baissant les yeux d’un air presque craintif qui la surprit elle-même. Elle ne pouvait pas le regarder. C’était la première fois qu’elle en reparlait, et même après toutes ces années, la blessure était toujours aussi vive. Ce genre de plaie ne guérit jamais vraiment. Pas quand c’est l’âme qui est touchée.

Un silence lourd de souvenirs douloureux et de remords étouffés tomba sur eux, jusqu'à ce qu’elle redresse le menton de son air fier et flamboyant.

- Et je te demande pardon, reprit-elle d’un ton glacial, mais je ne cours pas après les gens. Tu n’avais clairement aucune envie d’entendre parler de moi, je n’allais pas te supplier de m’écrire ou de me rendre visite de temps en temps.

Comme si rien ne s’était passé..., continua une petite voix désagréable dans sa tête, celle qui faisait résonner son timbre agaçant quand elle sortait une bouteille de vin ou qu’elle se préparait à recevoir l’un de ses généreux amis chez elle.

Un son plus désagréable encore la tira de ses pensées, et elle tourna la tête vers le milieu du hall, où le vieillard en blouse de patient était pris d’une quinte de toux déchirante pendant que l’immense guérisseuse s’agitait autour de lui avec de grands moulinets de sa baguette magique.

Mercedes pâlit et recula d’un pas d’u air égaré, se retrouvant tout contre Arsène. Sans réfléchir, elle saisit sa main et la serra de toutes ses maigres forces de femme gâtée et indolente.

- Arsène je veux partir d’ici, murmura-t-elle d’une voix qui n’avait plus rien à voir avec ses hurlements hystériques.

« Je suis là »...ces simples mots murmurés à son oreille lui firent plus d’effet que toutes les déclarations passionnées de ses riches amants. Mercedes se sentit frissonner et ferma les yeux sans comprendre ce qui lui arrivait.

Etait-il possible qu’elle se laisse encore émouvoir, après tout ce temps ? Ce n’était pourtant pas la première fois qu’un homme la prenait dans ses bras, loin de là, alors pourquoi sentait-elle ses joues s’embraser et son cœur s’arrêter tout à coup ?

Même quand ils se volaient des baisers langoureux, dans le parc de Poudlard, ses jambes ne s’étaient jamais mises à trembler de cette façon. Que se passait-il ?

Terrifiée, sans même comprendre de quoi elle avait si peur, Mercedes se détacha brusquement de l’étreinte d’Arsène et le repoussa des deux mains contre la paroi derrière lui.

Une secousse brutale, un bruit de ferraille, et ils s’immobilisèrent soudain. Le dos d’Arsène avait dû presser contre le bouton d’arrêt de l’ascenseur.

- Qu’est-ce que tu as fait ?, demanda Mercedes, le souffle encore court, en regardant autour d’elle, on est bloqués maintenant !

Il aurait été simple d’appuyer de nouveau sur le bouton pour que l’ascenseur reparte. Mais bizarrement, au lieu de le faire, elle se contenta de reculer contre la paroi d'en face, les yeux fixés sur lui.

Bon. Là ça n’allait plus du tout. Il fallait absolument qu’elle fasse quelque chose.

Mais elle était paralysée. Acculée à la paroi sans aucune possibilité de retraite, les lèvres entrouvertes et déjà offertes, elle fixait Arsène comme la biche qui regarde rouler vers elle, clouée de stupeur, la voiture qui va l’écraser.

A la différence que Mercedes, elle, n’était pas clouée de stupeur. Une partie d’elle ne désirait qu’une chose, qu’il se jette sur elle sans façon. Mais était-ce ainsi qu’elle lui ferait payer sa longue absence et son inexplicable silence ? Tu n’as pas donné de nouvelles de toi depuis des années ? Pas grave ! Pelotons-nous outrageusement dans un ascenseur pour oublier ça ! Non, certainement pas.

Et puis aussi...son cœur se serra à cette pensée. Si le simple fait qu’il la prenne dans ses bras l’avait mise dans cet état, qu’adviendrait-il d’elle s’il s’avisait de l’embrasser ? Non, elle ne pouvait pas se permettre de se laisser émouvoir.

Réveille-toi bon sang, et remets ce fichu ascenseur en marche !

Mais c’est à cet instant précis qu’Arsène lui décocha son sourire de prédateur, arme absolue qui avait fait flancher tant de filles au collège. Et maintenant c’était son tour. Indifférente et moqueuse quand il lui sortait ce grand jeu au collège, elle se trouvait à présent prête à rendre les armes elle aussi. Mais que se passait-il ??

Soudain, alors qu’il s’avançait vers elle et que sa poitrine se soulevait de plus en plus sous les battements effrénés de son cœur, une mélodie se mit à jouer dans sa tête. Elvis s’était réveillé et sa voix chaude fredonnait « Fever », accompagnée de doigts inconnus qui claquaient en cadence.

Mercedes cilla. Elle devenait folle.

Mais réveille-toi espèce de cloche ! Fais quelque chose ! N’importe quoi ! Gifle-le, hurle, pète, fais ce que tu veux mais ne reste pas là comme ça ! Il va t’avoir !

- Pourquoi tu me regardes comme ça, demanda-t-elle d’un ton insolent en levant fièrement le menton pour le regarder dans les yeux, j'ai de la salade entre les dents ?

Pendant ce temps, Elvis continuait de chanter dans sa tête, ce qui ne l'aidait pas du tout à garder un semblant de sang-froid.

Et ce qui devait arriver arriva...Il lui prit les mains, elle ferma les yeux, et elle se sentit chavirer. C’était encore mieux qu’avant, encore mieux qu’avec les autres. Cette fois, elle cessa enfin de se demander ce qui lui arrivait. Une seule question se posait à présent dans son esprit : pourquoi avaient-ils attendu si longtemps ?

Pour autant, elle ne tenta rien pour retenir Arsène quand il remit l’ascenseur en marche. Et avec le bruit métallique du vieil appareil qui repartait péniblement, la réalité lui revint elle aussi. Elvis se tut brusquement, laissant place à un silence lourd.

C’était bien beau de faire le joli cœur, mais il croyait vraiment s’en tirer aussi facilement ? C’était la sous-estimer.

Ils s’arrêtèrent soudain, et les portes s’ouvrirent. Mais avant qu’Arsène ait pu faire deux pas hors de l’ascenseur, Mercedes le prit par la main et l’attira vers elle, à l’intérieur.

- Je n’ai pas bien compris, docteur, vous pouvez répéter ?, lui susurra-t-elle en appuyant le bouton de fermeture des portes avant de lui rendre son baiser avec une fougue rare.

Un moment de bonheur et de pur délice...jusqu’à ce qu’elle lui morde rageusement la lèvre, y mettant toute la hargne qu’elle lui vouait pour avoir réussi à lui faire perdre ses moyens aussi facilement. Elle se détacha de lui et lui lança un regard noir avant de se retourner vers les portes.

- Qu’est-ce qui s’est passé, Ars ?, demanda-t-elle d’un ton moqueur en les rouvrant, tu as perdu la main depuis le collège...

Cette fois, c’est elle qui le précéda dans le couloir, se retournant à son tour pour le regarder d’un air satisfait.

- Alors, c’est lequel ton bureau ? Le placard à balais dans le fond ?

Libérée du danger de l’ascenseur, elle paradait à nouveau. Elle n'était plus vulnérable.

Et de toute façon, même dans son bureau, il lui en voudrait sûrement trop de l'avoir mordu pour retenter quoi que ce soit.

Elle avait gagné.

Avant d’avoir le temps de réaliser ce qu’il se passait, il se vit projeter une nouvelle fois dans les bras de Mercedes et sentit son cœur s’écraser littéralement contre sa poitrine, ne lui laissant pas le temps de gérer l’imprévu de la situation.

- Je n’ai pas bien compris, docteur, vous pouvez répéter ?,

Sans comprendre ce qu’il lui arrivait et lui laisser le temps de répondre, elle l’embrassa avec fougue et spontanéité, ce qui fit perdre complètement les pédales à son pauvre cœur qui avait déjà de la peine à suivre le fil des événements. C’était sans compter que la tigresse le morde rageusement et résolument la lèvre jusqu’au sang. Complètement retourné, Arsène se laissa faire sans pouvoir maitriser la situation qui lui avait littéralement échappé et était à présent pleinement entre les mains de la brune.

- Qu’est-ce qui s’est passé, Ars ? tu as perdu la main depuis le collège...

Complètement prit au dépourvu, Arsène ouvrit la bouche mais ne dit rien. Mercedes était déjà partie devant, traquant avec férocité la porte de son bureau. Le noiraud s’appuya contre le battant de l’ascenseur, reprenant son souffle et ses esprits. Il passa son index de sa main gauche sur ses lèvres comme pour réaliser pleinement ce qui venait de se passer et surtout essuyer la goute de sang qui perlait, s’étalant sur ses dents blanches comme la neige.

Alors comme ça, elle voulait jouer ? Mais elle ne sera pas déçu la belle. Reprenant pleinement pieds et perdant ses couleurs pourpres, Arsène ricana au dos de la belle qui se déhanchait déjà dans le couloir, lui offrant un magnifique spectacle qu’il n’aurait raté pour rien au monde. Il n’allait pas laisser tomber la partie maintenant que celle-ci devenait enfin intéressante. Oh non, il ne lui donnerait pas se plaisir là.

- Alors, c’est lequel ton bureau ? Le placard à balais dans le fond ?

T’aimerais bien hein ? Plus c’est petit et plus on est proche… Mais désolée de te décevoir, c’est le plus grand de l’étage… Tu risque de le trouver trop à ton goût… Mais je suis sûr que t'es pas cap d'y entrer...

D’une démarche assurée et tel un paon, Arsène s’avança lentement en direction de la belle Mercedes qui se tenait quelque pas plus loin que la porte de son bureau. Il ouvrit la porte de sa main gauche et de la droite l’invita à y entrer un sourire féroce s’étalant sur ses lèvres meurtries.

Si elle pensait gagner la partie de cette manière, elle se trompait royalement. Il était loin le temps où le jeune sang-de-moldu était en extase devant elle et en bavait. Non, maintenant il avait apprit à se contenir et à être maitre de ses émotions. Alors qu’elle s’avançait pour entrer dans le bureau, il fit glisser imperceptiblement sa main sur ses hanches, frôlant la belle habilement.

Avec un petit ricanement de mépris, Mercedes entra dans le bureau, ignorant froidement la caresse d’Arsène, et s’arrêta au milieu de la pièce pour l’évaluer de quelques coups d’œil d’experte.

- Toi, un docteur..., lança-t-elle d’un ton moqueur en s’asseyant sur le rebord du bureau, ils prennent vraiment n’importe qui ici...

Elle scruta Arsène un instant et eut un petit sourire quand elle vit la trace de sa morsure sur ses lèvres. Ca lui apprendrait à se croire tout permis avec elle. Et il n’avait encore rien vu.

- Tu avais l’air impatient de m’expliquer « tes raisons », dans le hall, reprit-elle en tournant la tête vers l’arrière pour jeter un œil aux papiers étalés sur le bureau, je t’écoute.

Elle releva les yeux et le regarda à nouveau. Il l’avait cherché. Il avait remis cette vieille histoire de jeu stupide sur le tapis. Il voulait jouer ? Soit, qu’ils jouent. Mais il ne la battrait pas. Il pensait vraiment avoir la moindre petite chance ?

- Laisse-moi deviner, tu es parti pour une expédition dans la jungle, et tu t’es fait enlever par des cannibales qui t’ont pris pour leur dieu et t’ont gardé prisonnier dans un temple perdu pendant des années ?

D’un geste rageur, elle arracha plus qu’elle ne défit le nœud qui retenait sa cape, et la laissa glisser sur le bureau sans plus s’en occuper.

- Tu penses vraiment que tu peux m’ignorer pendant dix ans et venir me jouer un petit numéro de charme à la con pour que tout redevienne comme avant ? Je croyais que tu me connaissais mieux que ça...

Petit haussement d'épaules.

- Tu n'as pas dû fréquenter beaucoup de femmes, en fait...

Arsène s’échauffait de plus en plus, et Mercedes l’observait avec un plaisir non dissimulé. Encore quelques minutes et il serait cuit à point.

Ca faisait tellement de bien de le mettre en colère, lui aussi ! Après tout, le calme et la décontraction qu’il avait affichés dans le hall avaient été plus qu’insultants. Comme si sa conduite envers elle avait été normale. Qu’est-ce qu’il croyait ?

Mais c’est quand il explosa que ses yeux de chat se mirent à briller d’excitation. En lui faisant perdre ses moyens, elle se vengeait de l’inquiétude qu’elle avait ressentie les premières semaines sans nouvelles de lui...de la colère qui avait suivi quand elle avait compris qu’il l’avait tout simplement oubliée...et surtout, et surtout...de ce qui venait de se passer dans l’ascenseur.

C’était presque trop facile, mais elle n’allait pas arrêter de s’amuser pour autant. C’était lui qui avait voulu recommencer à jouer, après tout.

- Tu as bientôt fini de crier ?, demanda Mercedes sans se départir de son sourire, quand il se tut enfin.

Elle s’accroupit pour ramasser sa cape, et, se redressant lentement, se retrouva à quelques centimètres des traits furieux d’Arsène.

- Tu t’es mis à saigner, murmura-t-elle en s’approchant encore, pour lui tapoter la lèvre avec un pan de sa cape.

Elle s’immobilisa un instant, le temps de le regarder comme si elle avait voulu retenir le détail de ses traits par cœur. La vérité, c’est qu’elle les connaissait déjà, depuis bien longtemps.

Posant délibérément la main sur sa cuisse, elle s’approcha encore un peu, assez pour qu’il sente son souffle dans son cou quand elle lui parla dans l’oreille.

- Et en fait...oui...vus tes piètres talents en matière de baiser, je suis même sûre d’être la seule.

Elle eut un petit rire et s’écarta brusquement pour le coup de grâce.

- Mais pour avoir réussi à me faire un enfant, il faut bien que tu sois doué quelque part.

Ah, tout de même, il cédait enfin ! Avec un sourire de triomphe, Mercedes regarda Arsène craquer complètement en apprenant qu’il avait un enfant.

Au fur et à mesure qu’il perdait pied, elle sentait les vieilles blessures qu’il lui avait infligées se refermer peu à peu. Elle lui devait bien ça. A son tour d’angoisser. De passer des nuits entières à se retourner dans son lit, la tête pleine de questions sans réponses. De devoir supporter cette souffrance tout seul.

Car Mercedes en était sûre : Arsène n’irait jamais confier à personne qu’il avait un enfant, pas plus qu’elle n’avait avoué à aucune de ses amies d’enfance qu’elle pensait tout le temps à lui et ne comprenait pas pourquoi il ne lui écrivait pas.

Pour elle, si les femmes redoutaient par-dessus tout d’être abandonnées, les hommes, eux, ne craignaient rien tant que d’apprendre qu’ils avaient un bébé. Elle était bien placée pour le savoir. A plus forte raison quand on leur apprenait la nouvelle avec onze ans de retard.

L’équilibre était donc rétabli. La rage qui bouillonnait en elle depuis qu’ils avaient failli se percuter dans le hall s’évaporait petit à petit.

Elle lui caressa légèrement la joue, comme il l’avait fait sur sa hanche quand elle était entrée, et l’y embrassa furtivement.

- J’en ai deux, reprit-elle en sortant sa baguette de son sac, la première est de toi.

Elle pointa sa baguette sur sa cape pour la nettoyer des petites tâches de sang que la lèvre d’Arsène y avait laissées, puis s’en revêtit prestement.

- Mais ne t’attends pas à recevoir une carte pour la fête des pères, continua-t-elle en prenant son sac, je lui ai dit que tu étais mort. Bonnet blanc, blanc bonnet.

Elle se dirigea vers la porte, et l’ouvrit d’un coup sec avant de se retourner vers lui.

- Et pour la belle Natacha, j’aurais été ravie d’aller parler de tes prouesses avec elle, mais elle pourrait peut-être te faire une scène après. Je m’en voudrais terriblement de te gâcher ta journée...