Persona non grata (libre)

L'Allée des Embrumes comptait peu de bars, et tous plus mal famés les uns que les autres. James avait jeté son dévolu sur le plus petit et le plus sombre, qui répondait au poétique nom de "Chez Choléra". Dans une salle grande comme un débarras, on avait serré cinq tables, chichement éclairées par un unique chandelier pendant du plafond. Une seule table était occupée lorsque le jeune Mangemort, tête couverte, pénétra dans l'établissement. Il pouvait être huit heures du soir, un vague creux à l'estomac plaidait en ce sens, mais James ignorait tout de l'heure véritable. Il avait passé la journée chez Grim, et venait d'en partir précipitamment après que son amant l'eut fichu à la porte.

-Une bouteille de whisky Pur Feu, commanda le brun au barman, une réplique des gargouilles des cathédrales gothiques.

L'homme hocha trois fois la tête, et se déplaça lentement vers sa réserve de bouteilles. Tout aussi lentement, il regagna la table de James, déposa devant lui la bouteille, un verre à fond épais, hocha trois fois la tête, et repartit. Drôle de bonhomme... Le jeune Mangemort l'observa quelques instants en sirotant son premier verre ; l'homme avait l'air d'un sorcier diminué, ayant perdu une bonne partie de ses facultés à la suite d'un accident magique. Il ne cessait de hocher la tête, et ses lèvres remuaient silencieusement tandis qu'il essuyait ses verres... James s'amusa à essayer de deviner la nature de l'accident, mais son humeur sombre ne tarda pas à reprendre le dessus.
Le matin même, il s'était battu en duel contre un Auror, avait lancé un sortilège Impardonnable, tout cela à visage découvert. Il avait laissé un morceau de sa cuisse au champ d'honneur, mais Grim avait rapidement réparé cela ; l'ennui avait été que le Russe avait deviné que quelque chose clochait, et qu'il avait fait avouer à son jeune amant le détail de ses exploits. Bien sûr, il avait très mal pris le récit des âneries de James, et lui avait lancé toute une série de reproches parfaitement fondés. Le brun se rendait très bien compte, à présent, de la sottise de son geste, de l'inconscience dont il avait fait preuve, mais c'était un peu tard... C'était fait... Il avait fini d'exaspérer Grim en lui exposant cette théorie du "c'est trop tard" ; le Russe lui avait expédie une solide mandale pour lui exprimer son opinion, lui avait promis une sévère explication "la prochaine fois" et avait fini par lâcher :

-Dégage. Je t'ai assez vu. Rentre chez toi.

James avait transplané, mais à peine arrivé chez lui, il en était reparti ; l'idée de rester seul à ruminer l'incommodait, et surtout- chose affreuse- sa réserve de whisky faisait triste mine. Evitant le Chemin de Traverse, il avait choisi l'allée des Embrumes, en prenant la précaution d'emporter une petite fiole de Polynectar au cas où. Il éprouvait tout de même une certaine curiosité ; parlait-on de cette bagarre, de ce type qui avait osé jeter un sortilège mortel à un Auror ? Il irait voir, le lendemain sans doute, sous une autre identité ; il était entré, tout spécialement, chez un coiffeur moldu pour hommes, et avait récupéré une mèche de cheveux qui lui permettraient de compléter son Polynectar.
Pour l'heure, un malaise lui nouait les tripes. La réaction de Grim avait été brutale, mais son compagnon lui avait bien fait remarquer qu'il faisait des efforts pour se calmer et ne pas le réduire en charpie ; mais il lui avait promis de ne pas en rester là. James entendait encore la voix menaçante du blond, et se demandait ce qu'il entendait par "ne pas en rester là". Il avait bien quelques idées, pas vraiment rassurantes, et redoutait sa prochaine entrevue avec celui qui lui avait affirmé, sans ambages, qu'il avait tout pouvoir sur lui.
Les deuxième et troisième verres avaient filé sans que James s'en rende compte, et il s'en versa un quatrième, à gestes un peu plus lents, rendus un peu maladroits par l'ivresse naissante. Le jeune homme alluma une cigarette et reboucha la bouteille ; pas envie de boire davantage, l'estomac était trop réfractaire à toute coopération... Par prudence, il commanda une autre bouteilles, paya le tout et quitta le pub, un peu éméché, mais pas suffisamment pour tituber.
Parmi les rares passants de l'Allée, il ne déparait pas, avec sa démarche lourde et sa capuche sur les yeux. Indifférent aux autres sorciers présents, il fit quelques pas, observant les vitrines d'un oeil torve, en égrenant silencieusement un chapelet de malédictions contre l'Auror du matin.

Mescaline venait de transplaner silencieusement sur le Chemin de Traverse, pratiquement désert à cette heure là de la soirée. L'avenue était éclairée. Dans quelques magasins subsistaient encore quelques lampes à huile et les lueurs de quelques feux de cheminées filtraient à travers les carreaux des maisons. Elle se rendit d'un pas certain vers l'Allée des Embrumes, avec la ferme intention de passer dire un petit bonjour à Cheyko, à 'La Tête de Sanglier'. Mais lorsqu'elle arriva devant la boutique, elle fit une pause, et continua dans l'allée. Assurée, la tête recouverte de sa capuche, elle poursuivit sa route, passa sous une espèce de pont, et arriva sur une petite place où elle n'était encore jamais venue. Elle se dirigea vers un bar dont elle n'avait jamais entendu parler non plus, poussa la porte et entra discrètement 'Chez Choléra'. Elle remarqua tout de suite le barman, qui n'avait rien de rassurant. Mescaline se racla la gorge, et, avec une voix rauque, demanda qu'on lui apporte un verre de rhum tiède. Une voix d'homme était nécessaire. Personne ne pouvait remarquer qu'elle était une femme tant qu'elle ne le montrait pas. Les femmes étaient mal vues dans ce genre d'endroits - sauf à 'La Tête de Sanglier', où Cheyko et elle passaient des heures à discuter au bar. Elle alla s'installer au fond du bar, s'alluma une cigarette et donna trois noises à l'étrange créature qui la servait. Elle avala son rhum d'un trait, et en redemanda un. C'est alors qu'une personne entra à son tour dans l'antre ~~de Golum~~. Mescaline prit une bouffée sur la cigarette et la cracha doucement quand elle s'aperçut qu'il n'y avait personne d'autre que le barman et eux deux. Cette espèce de brasserie puait le rat mort, la clope, l'alcool et le vomi. La Belle savoura son deuxième rhum après s'être assurée que le verre ne contenait pas de cracha. Elle eut un frisson, but et termina sa cigarette. Elle s'apprêtait à partir, lorsqu'elle remarqua que la personne qui venait d'entrer était un jeune homme - chose intéressante pour Mescaline - qui avait commandé une bouteille et qui attaquait déjà son quatrième ou son cinquième verre. Elle ne pouvait pas le décrire physiquement. Tout comme elle, il portait de quoi recouvrir sa tête et son visage.

La jeune femme jeta une autre noise au serveur en tant que pourboire et sortit de la taverne en faisant clinquer deux casseroles au dessus de la porte d'entrée. Elle s'appuya contre le mur en face du pub et décida de s'en griller une autre. Elle fumait beaucoup trop, elle le savait bien, mais à vrai dire, au point où elle se trouvait... A toutes les personnes qui avaient critiqué son mode de vie infect elle avait répondu qu'elle ne vieillirait certainement pas assez pour se voir mourir dans un fauteuil. La déprime la gagnait de plus en plus chaque jour à présent, si bien qu'elle s'était déjà dit que lors de la prochaine mission, de la prochaine bataille, elle les laisserait la tuer. C'était un acte lâche, irréversible. Mais des journées comme les journées qu'elle passait en ces temps, elle n'en voulait pas davantage. Elle était fatiguée. Elle dormait tous les soirs dans sa chambre du repère ou au dessus de son échoppe de pseudo chocolatière. Cela faisait à présent deux mois qu'elle n'avait plus de nouvelles de sa mère et de ses frères. Elle l'avait bien cherché, et c'était ce qu'elle désirait au début, mais cela commençait à lui manquer terriblement. Elle avait tellement été peste et arrogante, une vraie ado en pleine crise. Elle ne voulait plus y retourner, cela aurait été un échec de plus que de céder à sa traînée de mère.

Le jeune homme sortit enfin du bar, commença à déambuler, apparemment sans aucun but, dans la ruelle sombre. Mescaline ne le lâcha pas du regard, et lorsqu'il fut presque caché par les quelques passants, elle entama la marche. Elle ne voulait pas spécialement le suivre, non, mais elle n'avait rien trouvé de mieux à faire pour l'instant. Elle repéra sa capuche noire et prit soin de ne pas le perdre de vue, pour ensuite prendre la cadence de ses foulées.

Prudence est mère de sûreté, le premier moldu venu vous le dira. Et James en était, d'ordinaire, plus conscient que quiconque ; la Marque qu'il portait dans sa chair l'obligeait à plus de vigilance que d'autres, et il n'avait encore jamais dérogé à cette règle d'or. Jamais, jusqu'à aujourd'hui, où il accumulait les bourdes. Le duel contre l'Auror avait été la première, et la plus spectaculaire ; mais James n'avait pas, pour autant, renoué avec la sagesse. Cette virée dans l'Allée des Embrumes le prouvait ; ne risquait-il pas de tomber sur un témoin qui courrait donner son signalement et sa position exacte aux forces de police ? Entrer dans un pub n'était pas vraiment la meilleure chose à faire ; chacun sait que les bistrotiers sont par nature d'excellents indicateurs, chez les sorciers comme ailleurs ; en plus, ce détail lui revenait à présent qu'il déambulait dans la rue, Grim lui avait ordonné de rentrer chez lui, et il était fichu de mal prendre son escapade. Désobéissance, manque de respect, qui sait ce que l'ombrageux Slave allait inventer s'il venait à apprendre que son amant n'était pas sagement rentré chez lui pour y attendre ses ordres...
Furieux, James s'arrêta, et alluma une de ses cigarettes moldues. L'idée d'être ainsi contrôlé par Grim, de devoir lui rendre des comptes, lui déplaisait singulièrement ce soir. Il devrait reprendre son indépendance assez vite, sous peine de très mal vivre cette sujétion. Grim n'avait aucun droit sur lui, quoi qu'il en dise, et il le lui ferait comprendre...
Fort de cette résolution, le jeune homme reprit sa promenade, la démarche lente, sans trop faire attention à la silhouette encapuchonnée qui le suivait. Les capuches étaient monnaie courante dans cette rue, et rien ne prouvait que la personne le suivait... la rue étant rectiligne, il était normal que la personne en question suive la même trajectoire que lui.
Enfin... rien ne le prouvait, jusqu'à ce que James se rende compte que la personne calquait son allure sur la sienne. Il accéléra, sans parvenir à la distancer. Il s'arrêta- et, bien qu'il ne la voie pas, il était certain qu'elle s'était arrêtée aussi. Le coeur du brun se mit à cogner frénétiquement. Il avait, devant témoins, lancé un sortilège impardonnable à un Auror, il était donc passible de la prison d'Azkaban... autant dire que le suivre n'était pas la meilleur façon de le mettre à l'aise. Le jeune homme retrouva d'un seul coup ses capacités de réflexion ; un sortilège chuchoté expédia les bouteilles de whisky chez lui, il aurait ainsi les mains libres pour la suite des réjouissances ; reprenant une cadence rapide, il s'engouffra dans une espèce de venelle sans issue entre deux immeubles noirâtres, et se retourna, baguette en main, pour voir arriver celui qui le suivait.
Comme il s'y attendait, le suiveur ne tarda pas à montrer le bout de son nez, dépassant d'une capuche sombre. L'obscurité empêchait James de discerner les traits de la personne, et même de voir qu'il avait affaire à une femme. Sans perdre de temps, il lança, d'une voix sourde :

-Qu'est-ce que vous avez à me suivre ?

S'il fallait se battre, s'il se trouvait face à un membre de la police magique, autant attaquer directement les hostilités. La baguette de James était pointée droit sur la poitrine de son vis-à-vis, et la main du jeune homme ne tremblait pas. Tous le monde n'avait pas un chien magique pour le sauver de la mort.

[Désolée pour le long retard. Embarassed

]

Tout en regardant par dessus les capuches et les têtes, et sans trop exagérer ses gestes, Mescaline tira une dernière bouffée sur sa cigarette, pensant que c'était ce qui allait la faire repérer. Le jeune commença apparemment à avoir des doutes sur sa sécurité. Il ne cessait de jeter des coups d'oeil derrière lui et se comportait, d'après ce la Belle pouvait voir, comme une proie traquée. Que c'était jouissif de voir comment un homme viril pouvait paniquer. Si seulement c'était un homme, car ce comportement était tout à fait acceptable chez une femme. Dans son cas à elle, c'était totalement innadmissible.

Ainsi la jeune femme ralentit l'allure quand elle pensa qu'il l'avait vue. Elle prit même le temps de s'arrêter contre un mur, de regarder ses chaussures et de fumer encore un peu sur le bâton mortel avant d'en jeter la fin. L'avait-il vraiment remarquée ? Ou était-il juste complètement paranoïaque ? Peut-être les deux, ce qui n'allait rien arranger, loin de là. Elle pencha la tête légèrement de côté, juste pour voir s'il la regardait ou alors s'il avait profité de son innattention pour se carapater. Mais non. De là où il était, elle pouvait toujours le voir et pas lui, ce qui amplifiait chez Mescaline cette impression de chasser un gibier. Elle continua d'avancer vers, plus lentement cette fois-ci, faisant semblant de ne pas s'intéresser à lui. Mais l'adorable petite gazelle qu'elle suivait s'engouffra soudain, sans prévenir, dans une des nombreuses impasses de l'Allée des Embrumes. La Belle faillit laisser tomber et faire demi-tour, mais aimait simplement pimenter sa vie. Cet individu allait certainement se sentir mal, très mal à l'aise. Du moins la jeune femme l'espérait-elle.

Elle suivit la tête encapuchonnée dans la sombre ruelle. Apparemment, des gens vivaient dans ce sordide endroit. Il y avait des paliers d'appartements, et des numéros. Dont le 2 : un chiffre qui lui portait toujours bonheur. Dans l'allée, il y avait au moins un peu de lumière. Mais ici, c'était tellement noir qu'on n'y voyait pas à deux mètres. Le pauvre gars devait mourir de peur. D'abord il se faisait suivre ; maintenant, il allait savoir ce qu'on lui voulait. Mon Dieu, mon Dieu...

Alors qu'elle se dirigeait vers lui, sans se cacher à présent, il lui lança :

Qu'est-ce que vous avez à me suivre ?

La Belle sourit dans l'obscurité sans qu'il puisse la voir. Elle ne répondit rien, pensant bien qu'il allait finir par insister et par perdre ses moyens. Elle resta debout, face à lui, sans broncher alors que lui paraissait tout à fait prêt à attaquer si jamais elle venait à le menacer. Elle ne lui voulait aucun mal. Si elle était tombée là un autre soir, peut-être aurait-elle eu envie de tuer quelqu'un. Mais cette personne avait une sacrée chance, ce n'était pas le cas dans l'immédiat.

Au bout d'un moment, elle dégaina son paquet de Pall Mall, y prit une cigarette et le montra au type.

- Vous en voulez une ?

Elle avait prononcé ces quelques mots avec la même voix rauque et masculine qu'elle adoptait dans ces endroits-là. Il ne saurait certainement pas qu'elle était une femme, excepté s'il possédait une ouïe vraiment fine.

Un rayon de lune opportun vint éclairer la scène, mais sa clarté n'était pas assez vive pour que James distingue la personne qui lui faisait face. Il put voir un vêtement sombre, une silhouette d'allure jeune, et rien de plus... Si, un mouvement ; le type- appelons-le comme ça- se rapprochait tranquillement, d'un pas nonchalant qui agaça James. D'ordinaire, c'était le genre de démarche que lui-même adoptait, lorsqu'il se sentait l'esprit tranquille, c'est-à-dire pas ce soir ; ce soir, il était trop nerveux, trop bouillonnant de pensées contradictoires pour déambuler de ce pas de roi fainéant qu'il affectionnait.
Bref. La personne passa pile dans le rayon de lune qui tombait presque verticalement, et James l'observa attentivement ; mais un nuage malvenu voila la faible lumière, de sorte que le jeune homme ne put identifier son vis-à-vis.
Le jeune Mangemort pointait sa baguette sans trembler, d'une main ferme ; il n'avait pas peur, et se sentait simplement irrité d'être suivi. Bien sûr, être ainsi filé, en pleine nuit, dans l'Allée des Embrumes, avait de quoi donner des sueurs froides à n'importe qui ; mais James n'était pas "n'importe qui", il portait la Marque de l'élite de ce monde et avait déjà lancé un Avada Kedavra ce jour-là... autant dire que ce n'était pas le premier pimpin venu qui allait lui faire peur. Il espérait même un duel, un bon vieux combat qui lui permettrait de se passer les nerfs sur quelqu'un... et tant pis pour ce que dirait Grim !
Toujours avec cette lenteur exaspérante, le type vint se planter devant lui, et plongea sa main dans sa poche. James se raidit, prêt à attaquer... Mais c'est un paquet de cigarettes que le type tira de sa poche, et- détail à noter- des cigarettes moldues. Sans se démonter, l'inconnu tendit le paquet à James, très civilement. Le jeune homme ne put s'empêcher de ricaner :

-Vous suivez des inconnus en pleine nuit pour leur offrir des clopes. Intéressant...

Il accepta malgré tout la cigarette offerte ; une sèche, ça ne se refuse pas, surtout lorsqu'on est nerveux, à la limite de la démence. Un instant, il détourna sa baguette, pour allumer la Pall Mall, mais dès qu'il rejeta sa première bouffée de fumée, il pointa à nouveau sa baguette sur... sur qui, d'ailleurs ? le type ? il avait une drôle de voix pour un gars... la femme ? même remarque, elle avait une voix vraiment étrange... Perplexe, James essaya de discerner les traits de son interlocuteur-trice, mais la personne semblai esquiver toute lumière.
Sans paniquer, James tira une nouvelle bouffée de tabac et, en recrachant la fumée, il insista :

-Alors, que me voulez-vous ? vous allez vous décider ?

Il avait parlé très calmement, sans la moindre crainte, mais soudain, il se sentit comme enragé, prêt à en découdre. Il jeta sa cigarette à peine entamée sur le sol, la piétina avec une violence injustifiée et lança, hargneux :

-Alors ? va falloir causer un peu plus, camarade...