« Vas te préparer, gamine ! C'est bientôt l'heure ! Et c'est pas trop tôt d'ailleurs... Je m'occupe pas de pensionnaire à temps complet moi... »

Aely jeta un coup d’œil furieux à l'infirmière qui sortait de la pièce et se retint de justesse de lui balancer la nuée d'injures toutes plus grossières les unes que les autres qu'elle avait en tête. Cette bonne femme avait le don de lui mettre les nerfs en pelote. Depuis vendredi soir, la fillette logeait à l'infirmerie, et cela devait devait lui sembler trop pour une si petite malédiction. Bon. La rouquine exagérait peut-être un peu. La vieille était plutôt gentille au début. Les sautes d'humeur de sa patiente avaient dû l’agacer, car elle avait passer tout le week-end enfermée dans son bureau, ne se déplaçant que pur faire avaler à la petite une nourriture qu'elle trouvait infâme et qu'elle vomissait dans les heures qui suivaient.

Le début du mois, depuis la rentrée, c'était plutôt bien passé. Aely s'était rendue en cours, et avait mené sa petite vie tranquille sans que quiconque ne puisse se rendre compte de son changement intérieur. Seulement, la pleine lune s'était rapprochée à grands pas et la fillette avait enchaîné les symptômes désagréables auxquels elle ne s'attendait pas. Elle avait tenu le plus longtemps possible, puis s'était réfugiée à l'infirmerie, Madame Pomfresh prétextant une allergie alimentaire qu'elle voulait surveiller de près pour tenir éloignés ses camarades. Et le lundi était arrivé. Le jour fatidique que la rouquine attendait en tremblant.

On ne pouvait pourtant pas dire qu'elle ne l'avait pas senti. Aely ne mangeait plus, vomissait ce qu'on la forçait à avaler, dormait peu et d'un sommeil agité, tremblait constamment de froid malgré les goûtes de sueur qui perlaient sur son front et était d'une humeur on ne peut plus... lunatique. Puis la peur. Presque dérisoire par rapport à ses autres maux, puisqu'elle s'était habituée à vivre avec. Finalement, une seule chose l'avait vraiment bouleversé. C'était la souffrance. Elle lui montait dans la gorge comme un grondement sourd. L'infirmière avait essayé de la rassurer, lui disant que c'était toujours comme ça la première fois. Mais qu'en savait cette vieille bique ? Et c'était toujours sympa de lui rappeler qu'il y aurait des autres fois, des centaines d'autres fois.

Aely descendit de son lit et se rendit dans la petite salle de bain adjacente à la pièce principale de l'infirmerie. La fillette se déshabilla et entra sous la douche, faisait couler aussi longtemps que possible l'eau brûlante sur sa peau nue. Lorsqu'elle fut propre, elle s'enroula dans une serviette rêche et se regarda dans le miroir. Elle n'avait plus rien à voir avec la fillette qui était entrée à l'école un an plus tôt. Son visage, fin, était pâle à faire peur et de grosses cernes noires cerclaient ses yeux verts. Ses joues étaient légèrement creuses, mais ses cicatrices avaient disparus. Seules restaient celles de son dos et de sa cuisse, ainsi que les marques de crocs sur son bras droit.

La rouquine cessa sa contemplation et piocha dans l'armoire qu'on avait mis à sa disposition pour ranger ses affaires. Il ne s'agissait pas de se rendre à un défilé de mode, mais il faisait super froid et la petite ne savait pas où Natalee comptait l'emmener. Natalee. Heureusement qu'elle était là. Elle l'aidait, sûrement sans s'en rendre compte, et la fillette pensait souvent à elle...

Aely sortit de la salle de bain vêtue d'un jean bleu clair, de ses converses bousillées mais porte-bonheur, d'un pull en coton noir qui était tellement long qu'il lui descendait au milieu des cuisses, d'une veste en cuir bleu marine et d'une grosse écharpe en laine noire. Et elle avait attaché ses cheveux roux encore humides en un chignon, pour plus de liberté. La fillette s'assit sur son lit et attendit anxieusement que quelqu'un daigne venir la chercher pendant un petit quart d'heure.

C'est le professeur McGonagall, la directrice de l'école, qui se présenta à la porte.

« Bonsoir Miss Strange. Vous êtes prête ? Je crois que Natalee vous attend déjà dans le hall. »

La jeune fille la suivit dans le couloir, un peu gênée. Elle n'avait jamais vraiment adressé la parole à sa directrice, et ne l'avait vu d'aussi près que pour la cérémonie de la répartition. Comme elle n'avait jamais fait de bêtises susceptibles d’attirer son attention, elle ne la connaissait pas trop. Le professeur, loin d'être vexée par son silence, lui parla gentiment.

« Vous savez, vous n'êtes pas la première élève à se retrouver dans une pareille situation, il ne faut pas vous inquiéter. »

Aely émit inconsciemment un rire sans joie.

« Je sais. Mais ça ne me réconforte pas, si vous voulez savoir. »

McGonagall hocha la tête et elles poursuivirent leur chemin en silence, sans prêter attention aux élèves qui les regardaient passer en regagnant leurs dortoirs. La rouquine fut la première à apercevoir Natalee Shevelin au détour d'un couloir. Elle se sentie immédiatement soulagée et courut les quelques mètres qui les séparaient, semant sans plus de question la directrice. La fillette s'arrêta devant l'Auror puis la serra dans ses bras, juste un instant. Elle se recula et lui adresse un petit sourire.

« Je suis contente que tu soies là. Merci d'être venue. »

Aely sourit à Natalee. C'était fou comme l'Auror pouvait la mettre en confiance. Elle se sentait instinctivement protégée, comme si plus rien ne pouvait lui arriver. La jeune femme souhaita une bonne soirée à McGonagall et la rouquine attrapa la main qu'elle lui tendait. Elles sortirent du château et bavardèrent de tout et de rien. La petite se sentie soulagée de ne pas être obligée de parler de sa métamorphose à venir toute de suite. Lee lui demanda si elle avait déjà pratiqué le transplanage d'escorte et la fillette hocha la tête.

« Oui, quand j'ai été en vacances chez Hayden. C'est comme ça que Edgar nous a emmené chez elle après qu'on soit descendu du train. »

Elle s'accrocha bien fort au bras de l'auror et ferma les yeux en serrant les dents. Le résultat fut moins pire que la première fois, mais il lui fallut tout de même quelques instants pour retrouver ses esprits. Elles se trouvaient à l'entrée d'un village et Natalee lui fit traverser plusieurs rues avant de s'arrêter devant une belle maison blanche. Elles remontèrent la petite cour et Natalee laissa entrer son invitée. Elle lui expliqua l'absence d'un certain Jared et lui proposa un côte de bœuf qui lui fit monter l'eau à la bouche sans qu'elle ne s'en rende compte. Elle était plus préoccupée par la première information.

« Ah ah ! Jared est donc ton fameux amoureux ! »

Rigola-t-elle en faisant référence à leur rencontre, à l'hôpital. Mais son cerveau tournait à toute allure. À quoi ressemblait-il ? Était-il gentil ? Oui, sans doute, ou Lee ne serait pas avec lui. Puis... Et s'il ne l'aimait pas ? Cette question fut chassée par une autre, encore plus importante. Est-ce que Natalee et Jared avaient des enfants ? Un vague éclair de jalousie traversa Aely, mais elle se rassura. Non. L'Auror en aurait parlé sinon. Non pas que cela l'aurait dérangé, finalement. Mais juste, elle préférait être toute seule avec Lee. Pas par égoïsme. Quoique... Enfin. C'était juste mieux qu'elles ne soient que toutes les deux. Entre lycanes.

Natalee l'interrompit dans sa dissertation mentale en lui proposant de poser ses affaires. Pendant que la jeune femme allumait la cheminée d'un mouvement de baguette, Aely se débarrassa de sa veste et de son écharpe, les posant avec le cuir de Lee, sur l'accoudoir du canapé. L'auror partit chercher deux bièreaubeurres puis l'invita à la rejoindre sur le divan. La rouquine bût une gorgé de la boisson et soupira avec délice. Elle fit courir le bout de sa langue sur le pourtour de ses lèvres pour enlever les moustaches qu'avaient laissé la mousse puis regarda Natalee.

« Alors, comment ça s'est passé, à l'école ? »

La fillette fronça les sourcils et essaya de se remémorer tout ce qui s'était passé depuis deux semaine qu'elle était rentrée à Poudlard. Enfin. Seulement les choses la concernant, elle et sa nouvelle vie de loup-garou. Elle se doutait bien que ce n'était pas vraiment le fait qu'elle allait être obligée de faire son TP de Potion avec cet abruti d'Apollon Oaken ou le fait que Gabriel Schwarz ne lui ait pas encore adressé la parole qui intéressait Natalee, hein !

« Alors... Bon, je commence par ce qui s'est bien passé... Mes blessures ont cicatrisé super vite, et j'ai même plus mal ! Et je vois très bien dans le noir ! Et je cours plus vite et plus longtemps qu'avant ! Et aussi, mes affaires me semblant moins lourdes. Et pour ce qui s'est mal passé... Ben, les cauchemars. Et je ne mange pas beaucoup. Et j'ai souvent peur pour rien. Enfin, rien qui ne soit concret, tu vois ? Et cette semaine j'ai eu mal. Comme si un truc voulait sortir de moi... Et sinon, personne ne s'est rendu compte de rien, enfin je crois. Sauf Akiko, mais comme elle a... euh. Je lui fais confiance et elle a promit de le dire à personne. »

Aely avait parlé rapidement, du ton le plus détaché possible, évitant de s'attarder sur ce qui, justement, lui faisait le plus peur. Elle avait failli avouer à Natalee le secret d'Akiko, la préfète des Serdaigles, mais s'était reprise. Elle savait que Lee aurait comprit, mais si elle commençait à trahir sa propre parole, elle ne pourrait plus exiger que son amie tienne la sienne. Elle s'en voulait un peu de ne pas tout raconter à la jeune femme, mais il y avait sans doute des choses qu'elle ne lui disait pas, même si la petite ne voyait pas vraiment quoi.

La rouquine reprit une goulée de Bièraubeurre et soupira. Si elle ne commençait pas à parler maintenant de sa métamorphose, elle ne le ferait jamais. Et c'était tout de même à elle de lancer la conversation. Déjà que Natalee avait prit des jours de congés juste pour elle et pour sa première pleine lune, si elle n'y mettait pas un peu de bonne volonté... Aely tria la multitude de question qu'elle avait à poser, puis se lança.

« Dis, Lee... On va aller où, pour... ma, enfin tu vois quoi. Elle se mordit la langue avant de reprendre d'un ton plus assuré. Pour ma métamorphose ? … Je crois que ce qui me fais le plus peur, en fait, c'est toi. Enfin non. Mais si jamais je te fais du mal ? Ou si je te considère comme une ennemie ? »

Aely disait vrai. Elle s’inquiétait moins de savoir qu'elle allait se transformer en montre, ce qui était, d'après ses informations, très douloureux, que de se dire qu'elle pouvait blesser Natalee. C'était le pire des scénarios catastrophes qu'elle avait imaginé, avec celui où elles rencontraient par mégarde un groupe d'humain et où elles les dévoraient toutes les deux...

« Comment ça va se passer, en fait ? »

« Je sais ! Je viendrais travailler sous tes ordres quand tu seras la chef ! »

Aely laissa échapper un rire enfantin. Elle ne savait pas du tout ce qu'elle voulait faire plus tard, mais travailler avec Natalee lui semblait super cool. Mais seulement sous ses ordres à elle, hein ! Pas question d’obéir à un vieux grincheux qui restait toute la journée à glander dans son fauteuil par exemple ! La petite plaignait sincèrement tous les septièmes années de Poudlard qui devait quitter cette école qui était comme leur seconde maison. Ou leur maison tout court, dans le cas d'Aely. Elle espérait que le moment de faire les choix qui s'imposaient arriverait le plus tard possible... Mais ce n'était absolument pas le sujet de la soirée.

La rouquine écouta attentivement Natalee. Elle avait tout à fait raison concernant les amis. Combien de fois la petite avait-elle vu des gens se vanter d'avoir des tonnes d'amis, puis finalement, dans les moments les plus difficiles, se retrouver seuls ? Aely n'avait eu qu'une longue discussion avec Akiko, mais elle ne doutait pas d'elle. Elle était sûre qu'elle pouvait lui faire confiance et espérait qu'une solide amitié naîtrait entre elles. Parfois, elle se sentait coupable de mentir à Hayden, qui était vraiment une amie confirmée et qui tenait quasiment un rôle de grande sœur... Elle l'apprendrait sans doute un jour, mais la gamine appréhendait déjà sa réaction. Que des gens qu'elle ne connaissait pas la prenne pour un monstre, cela ne la gênait pas. Qu'elle fasse fuir ses amis à cause de sa nouvelle condition en revanche... Mieux valait garder le secret pour elle tout compte fait.

« Je m'en rend compte. Ça fait vraiment du bien de parler à quelqu'un qui nous écoute vraiment. Surtout dans les moments où on en a vraiment besoin. »

La fillette haussa les sourcils de surprise devant l'histoire de Lee. Le loup-garou qui avait reçu la compagnie de ses amis pendant ses transformations avait vraiment beaucoup de chance. Cela devait être plus facile de rester dans la Cabane Hurlante. Où elle même irait sans doute passer les pleines lunes à venir... Le fait de savoir qu'elle n’essaierait pas d'égorger l'auror pendant la nuit suivante la rassura un peu. En plus, si Nat' prenait le tue-loup, tout irait bien.

« Tant mieux. Je ne m'en remettrais pas si je te faisais du mal... »

La pensée d'une Natalee sanglante fit tressaillir la fillette qui chassa l'image d'un mouvement de tête. Elles allaient aller dans l'ancienne maison des parents de la lycane et Aely se demanda où ils étaient maintenant. Elle savait très bien que les relations familiales n'étaient pas facile – une chance qu'elle n'ai pas eu de frères et sœurs ! Pas de moldus aux alentours, très bien, ce n'était pas le moment de faire la une des journaux télévisés pour avoir dévorer quelqu'un... La rouquine sourit à Lee.

« Moi ça me dérange pas d'aller faire du lèche-vitrine tous les mois ! »

En même temps, mieux valait le savoir, surtout qu'Aely ne tenait pas à voir ses précieuses converses réduites en bouillie – enfin, plus qu'elles ne l'étaient déjà !
Natalee aborda la question sérieuse et décrivit de son mieux la métamorphose. Pour la rouquine, laisser le loup prendre le dessus ne serait pas un problème, elle sentait bien qu'il n'attendait que ça.

« Non, quand j'étais à l'hôpital, on me donnait du tue-loup par toutes petites doses pour que mon corps s’habitue, mais je le supportais très mal. Madame Pomfresh en aura bientôt, d'après ce que j'ai compris, mais il faut attendre la première pleine lune avant de pouvoir avoir un vrai traitement. Et ça met longtemps à agir, je crois. »

Au moins, son séjour à l'infirmerie avait servir à quelque chose. La fillette avait tout sauf envie d'être obligée de boire une potion immonde, mais il le faudrait bien. En temps que passionnée des potions, elle avait été lire la recette à la bibliothèque... Cela faisait peur à voir. Sauf si on aimait les sangsues vivantes ! La gamine se tourna vers l'auror et entraperçu une lueur inquiète dans ses yeux mordorés. Elle lui adressa un sourire.

« Tu sais, ça va en fait. Je veux dire, je pense que c'est moins dur pour moi que ça ne l'a été pour toi. Tu n'avais pas de super Lee pour t'aider, je suppose. Enfin, tu vois, je ne me dis pas que ma vie est fichue. C'est peut-être parce que je suis née moldue. À la base, ça n’existait pas pour moi, les loups-garous. Je pense que ça va aller. J'en suis sûre même ! »

Un gargouillis ponctua sa tirade et Aely posa ses deux mains sur son ventre bruyant et affamé en rougissant. On ne lui avait pas parlé d'une côte de bœuf bien saignante, par hasard ?

Aely se retournait dans son lit, encore et encore. Si hier soir, après avoir mangé avec un appétit qu'elle n'avait pas eu depuis longtemps, et après s'être attardée à bavarder avec Natalee, elle était tombée de sommeil dès qu'elle avait rejoint son lit, ce n'était plus le cas à présent. Elle ne savait pas vraiment quelle heure il était, sûrement très tôt, en tous les cas, puisque l'aube n'avait même pas l'air de se lever. Mais cela faisait bien longtemps qu'elle était réveillée. La petite avait dormi d'un sommeil agité de rêves étranges. Sans aucun doute liés à sa métamorphose prochaine, même si elle n'arrivait pas à distinguer quoi quoi ce soit de très net. C'était comme si on avait assailli ses sens d'odeur, de bruit, de goût et d'image et qu'on lui avait demandé de tout démêler... La rouquine s'agita encore quelques instants sous les draps, puis, encore fatiguée, finit par se rendormir...

***

Aely s'assit en silence sur le sol gris et poussiéreux. Leur arrivée, à Lee et elle, dans ce lieu sinistre, jetait un froid sur la journée magnifique qu'elles avaient passé ensemble. Les deux lycanes avaient déambulé sur le Chemin de Traverse en bavardant, s'arrêtant continuellement pour coller leurs nez à telle ou telle vitrine, mangeant des glaces plus grosses qu'elles. Jamais la petite ne s'était autant amusée depuis... très longtemps. Elle en aurait presque oublié la nuit qui l'attendait si l'auror, après un dîner au Chaudron Baveur, ne l'avait pas emmenée dans une petite ruelle pour transplaner.

L'ancienne maison des parents de Natalee ressemblait un peu à celle où elle avait habité plus jeune avec ses parents, en plus vieux et plus lugubre. Elle sourit tristement en pensant à sa chambre, sous les combles. Elle y avait inventé des tonnes d'histoires fabuleuses, et il y avait toujours sur les murs les papillons qu'elle avait attrapé. Dans une boîte à chaussure, il y avait son trésor secret, où étaient empilés cailloux brillant, boutons dorés et même, une aile de libellule, qu'elle avait longtemps prit pour une aile de fée. Le champs était l'endroit qui lui manquait le plus. Il lui appartenait entièrement, puisque personne ne s'y risquait, sous peine de finir dans un de ses pièges à trolls...
Seulement, il n'y avait plus rien de tout cela. Ses jouets avaient déserté la maison, remplacés par ceux d'autres enfants. Ses parents étaient en Afrique pour une raison inconnue. Et elle habitait maintenant à Londres, dans une maison qui sentait trop le neuf pour être à elle. Finalement, sa véritable maison était Poudlard maintenant. Cette constatation fit sourire la fillette qui se redressa un peu pour ménager ses fesses.

« Voilà...Il n'y a plus qu'à attendre... J'espère que tu n'as pas peur des araignées ! Comment tu te sens ? »

La voix morne de Natalee ramena la fillette à la réalité et fit disparaître son sourire. C'était si terrible que ça ? Pour Aely, rien n'était pire que d'attendre sans rien faire de monter à l'échafaud. Elle aurait presque voulut accélérer le temps pour pouvoir passer ce mauvais moment plus vite. Presque. Elle serra ses bras autour de sa poitrine, essayant de se pelotonner dans le vieux sweat à fourrure bleu marine qu'elle avait choisis pour l'occasion. Elle n'y tenait pas, pas plus d'ailleurs que son pantalon de jogging gris foncé troué ou que ses ballerines noires élimées. Aely adressa son sourire le plus rassurant à Lee, qui ne reçut qu'une pauvre grimace tremblotante.

« T'inquiètes, je tiens le coup. Les araignées n'ont qu'à bien se tenir, je vais les réduire en chair à pâté ! »

Sa vague tentative d'humour mourut en même temps que sa voix et la rouquine décida d'attendre en silence.

Elle ne savait pas vraiment combien de temps elle était restée dans le noir, et combien de temps elle allait y rester encore. La fillette avait une vague boule dans la gorge, transpirait à grosses gouttes et, paradoxalement, grelottait de la tête aux pieds. Elle se traîna jusqu'à Natalee et posa sa tête contre son bras en serrant les dents pour arrêter les tremblements. Puis elle ferma les yeux.

***

Aely sursauta. Elle s’accroupit, et tendit l'oreille pour essayer de distinguer se qui l'avait fait sortir de sa torpeur. Une main serrée dans celle de l'auror, elle écarta les longues boucles rousses qui lui tombaient devant les yeux. Elle ne tremblait plus, n'avait ni froid ni chaud. Se sentait presque bien. C'était pire.

La gamine lâcha Natalee et se mit sur ses deux pieds en silence. Elle épousseta machinalement le derrière de son pantalon et traversa la pièce à petits pas. Doucement, elle s'approcha de la fenêtre et jeta un coup d’œil au dehors. Se qu'elle vit la terrifia. Une belle lune ronde et argentée. Bien en vue dans le ciel. Aely fit volte face et plongea ses yeux émeraudes terrifiés dans ceux, mordorés, de sa compagne.

« Lee... Je crois que c'est maintenant... »

La fillette avait murmuré, instinctivement, tout en essayant de prendre un ton courageux pour montrer à l'autre lycane qu'elle n'avait pas peur. Le résultat fut pitoyable. À mi-chemin entre le glapissement aphone et le gémissement d'agonie.

Elle n'eut pourtant pas le temps de se reprendre, car un éclair de douleur foudroyante lui traversa la poitrine et elle s’effondra à terre en se recroquevillant sur elle-même, juste sous le clair de lune.

Menteuse. Menteuse. Menteuse !
Recroquevillée sur elle-même, la douleur montant doucement mais sûrement au creux de son estomac, c'était le seul mot auquel Aely se raccrochait. Elle s'y accrochait de toutes ses forces. Parce qu'elle ne voulait plus. Elle ne voulait pas. Elle avait envie de sortir du halo de lumière crue qui lui brûlait la peau. Mais elle ne pouvait pas. La lune la maintenait prisonnière, sous les feux de la douleur. La fillette serait les dents. Elle sentait la Louve en elle qui se battait pour prendre le contrôle de son corps. Mais elle même se battait pour le garder. Ne pas céder un millimètre de terrain. Garder son humanité à tous prix. La rouquine, les yeux crispés et le visage collé au sol, avait essayé de penser à un souvenir heureux. Mais dans ces moments-là, seuls les sentiments les plus forts persistaient, et la joie n'en faisait manifestement pas partie. Menteuse. Menteuse. Menteuse. Elle lui avait menti. Natalee lui avait menti. Alors qu'elle lui faisait confiance. Quels avaient été ses derniers mots avant la douleur ? « Ça va aller, Aely. Je suis là. » Mais c'était faux. C'était complètement faux. Aely était seule. Et ça n'allait pas. Rien n'allait... La douleur monta d'un cran, tout comme la terreur de la gamine qui s'agrippa encore un peu plus à sa colère.

Tout à son combat, la petite ne remarqua pas la transformation de Lee qui venait d'ouvrir la porte pour laisser pénétrer la lumière dans la bâtisse. La lune la brûlait. Elle haletait. Les larmes roulaient sur ses joues poussiéreuses sans discontinuer. Elle savait. Elle savait qu'elle avait perdu d'avance. Elle ne pouvait se battre contre sa malédiction. Une malédiction qui coulait en elle et qui, depuis un mois, attendait patiemment son heure. La Louve avait attendue. À quoi bon torturer son hôte plus que permit ? La fillette ne pourrait pas empêcher la lune de monter dans le ciel. Seulement, maintenant que les rayons inondaient le petit corps pâle, l'Animal ne pouvait plus attendre. Elle voulait sortir. Pourquoi la gamine lui refusait-elle ce plaisir immédiat ? Elle se faisait du mal pour rien ! La Louve ne pouvait que gagner ! Et à l'intérieure, la malédiction pulsait, cherchant la faille.

Plus loin, tout près, une autre Louve, sans vraiment le savoir, enclencha le processus d'auto-destruction. Natalee, ou plutôt la bête qu'elle était devenue, hurla. Aely ferma ses yeux encore plus fort, tremblante de terreur, alors que la bête en elle redoublait d'effort pour sortir. Lee s'approcha et la fillette pu sentir le souffle chaud de la Louve contre son visage. Juste là. Elle releva la tête et entrouvrit ses paupières. Un gémissement lui échappa lorsqu'elle reconnut un éclat mordoré qu'elle avait appris à aimer dans le regard de l'énorme Louve grise qui se trouvait au dessus d'elle. Et sous un dernier assaut, la malédiction fit tomber ses défenses...

Aely roula sur le dos et écarquilla ses yeux émeraudes. La lune était là. Elle la fixa un instant, consciente du fait que c'était là dernière fois qu'elle la voyait aussi ronde. Puis la métamorphose commença. La petite fut prise de tremblements et ses yeux se révulsèrent tandis qu'elle hurlait de douleur. Un os dans son dos craqua et elle se convulsa sur le sol. Toutes les autres vertèbres de sa colonne vertébrale suivirent, propageant des ondes de souffrance dans ce demi-corps qui supportait mal la transformation. La rouquine prit son visage entre ses mains et eut l'impression qu'on lui arrachait la peau. Son nez se changea en un museau fin, sa bouche disparut pour laisser place à de longs crocs acérés. Ses yeux s'agrandirent et sa vision se fit plus nette. N'étant plus qu'à-demi consciente de ce qu'il se passait en elle, le corps d'Aely se couvrit de longs poils, ses mains craquèrent à leur tour, remplacées par de lourdes pattes aux griffes tranchantes.

La créature qui avait prit la place d'Aely Strange se mit debout sur ses pattes et sans attendre, pointa son museau vers le ciel en poussant un hurlement déchirant de souffrance. La bête était là. Plus petite que celle lui faisant face, mais néanmoins plus imposante que n'importe quel loup traditionnel, couverte de poils noirs aux reflets feu, vestiges de l'humaine qu'elle avait été, les babines retroussées sur ses crocs blancs dans un grondement sourd et ses yeux verts sombres parés de reflets argentés scrutant la Louve qui, en face d'elle, le lui rendait bien. Un instant, la Petite Louve faillit approfondir la connaissance de sa consœur, mais un éclair douloureux la ramena à ses priorités. La Faim. L'animal bondit vers la porte et, immédiatement, commença sa traque.