- Lou ? Lou, réveille-toi mon petit cœur...allez, viens...je vous emmène en vacances, toi et Hector...juste tous les trois...viens...debout...

Lentement, Lou se redressa et se tint toute droite dans son lit, yeux grands ouverts. La voix de sa mère flottait encore quelque part à côté d’elle.

Sans un mot, elle sortit ses jambes fines de la lourde couverture qui les recouvrait, et descendit du lit.

Il fallait qu’elle fasse son sac. Elle allait partir en vacances avec sa mère.

Elle glissa ses petits pieds dans ses chaussons et se mit en quête de la large besace en peau de crocodile qu’elle avait reçue à son anniversaire.

- Dépêche-toi mon petit cœur, Hector est déjà prêt...imagine, juste nous trois, sans qu’aucun de mes amis ne viennent nous embêter...est-ce que tu n’en as pas toujours rêvé ?

Avec des gestes précipités mais silencieux, Lou fourra les premiers vêtements de sa penderie qui lui tombaient sous la main dans sa besace, avant de la refermer.

- Je ne suis pas souvent là, mon petit cœur, mais je t’aime tellement...j’ai tellement de choses à rattraper avec vous...

Les yeux toujours grands ouverts, sa lourde besace passée à l’épaule, Lou sortit de la pièce sans un bruit.

Il fallait qu’elle sorte. Il ne fallait surtout pas qu’elle fasse trop attendre sa mère, ou elle partirait sans elle...encore...

- Viens là que je te prenne dans mes bras, tu es tellement belle, je t’aime si fort...mon petit bébé...

Après avoir traversé une large pièce qu’elle ne reconnaissait pas, Lou se retrouva dans un long couloir sombre et froid. Elle savait où aller.

Mais il fallait qu’elle se dépêche. Sa mère l’attendait, là-bas.
Des marches, encore des marches, toujours des marches...

- J’ai promis à Hector que je ne boirais pas une goutte d’alcool, là-bas...je ne veux surtout pas gâcher nos vacances...

Un immense hall illuminé...là, sur la gauche, une porte gigantesque...Lou savait où aller...

- Dépêche-toi mon petit cœur, on va rater l’avion...

Ses petits pieds se pressaient sur le sol dallé. Elle poussa la lourde porte, et sentit un froid intense l’assaillir. Elle frissonnait dans sa petite chemise de nuit de flanelle bleu sombre, mais il fallait qu’elle se dépêche.

Sa mère ne l’attendrait pas...

Encore une volée de marches...qui descendaient, cette fois...
Le gravier commença à crisser sous ses petits chaussons.

- Vous ne pouvez pas transplaner, il va falloir qu’on voyage comme les Moldus, mais ça en vaut la peine...

Le vent de décembre soulevait ses longs cheveux bruns...son souffle glacé lui mordait les joues et s’insinuait sournoisement sous les replis de sa chemise qui lui tombait sur les genoux...dans l’herbe, des grillons chantaient.

- Viens, mon petit cœur, allez...on est déjà à l’enregistrement...il va falloir que tu traverses tout l’aéroport pour nous retrouver...

D’un geste presque mécanique, les yeux toujours écarquillés, Lou redressa l’anse de la lourde besace qui lui glissait de l’épaule.

Mais elle ne put pas l’empêcher de percuter quelque chose.

- Maman, je suis là, dit-elle avec un sourire en tournant la tête vers Page qu’elle venait de cogner sans la voir.

A part ses yeux qui s’écarquillèrent un peu plus, rien ne pouvait laisser croire que Lou avait seulement senti que Page venait de la secouer par les épaules. Elle se contenta de remonter l’anse de sa besace qui lui glissait encore sur le bras, en tournant légèrement la tête de gauche à droite pour essayer d’entendre sa mère.

Elle ne remarqua rien non plus quand la Gryffondor lui plaqua sa main sur la bouche.

Mais la douleur aigue et fulgurante qui lui traversa le bras en un éclair, elle, la réveilla d’un seul coup.

- Grrooiummmmppph, voulut-elle hurler, sa bouche toujours fermée de force.

Elle commença par se débattre comme un diable, furieuse d’être ainsi réveillée.

Il lui fallut une bonne seconde pour se rendre compte qu’elle n’était ni dans son lit, ni pelotonnée dans un fauteuil de sa salle commune, ni même dans le château. Clignant des yeux, elle fixa un instant les troncs sombres de la Forêt Interdite qui s’étendaient par centaines devant elle, et prit conscience du vent qui lui écorchait les mollets.

Son cœur s’arrêta. C’était quoi cette blague ? Qu’est-ce qu’elle fichait ici ? Elle s’était endormie dans son lit, elle en était sûre. Alors qu’est-ce qu’elle fichait ici ?

Du bout des doigts, elle tripota le tissu léger qui la recouvrait. Elle était en chemise de nuit. Elle remarqua enfin la main qui lui recouvrait la bouche et sentit son cœur se remettre à battre follement. On l’avait kidnappée. Elle était prisonnière. Comment expliquer autrement qu’elle se réveille devant la Forêt Interdite en chemise de nuit et en chaussons ?

Elle n’entendit même pas les paroles qu’on lui chuchotait dans l’oreille, ou, plutôt, ne les comprit pas. La peur et l’incompréhension les déformaient.

Paniquée, ne voulant même pas savoir qui l’avait emportée de son dortoir au parc sans la réveiller, elle mordit les doigts qui la faisaient taire de toute sa force et envoya un grand coup de coude vers l’arrière, sans bien réaliser si elle avait réussi à atteindre le ravisseur ou pas.

- Assassin !, tenta-t-elle de crier, mais sa gorge asséchée par l’angoisse ne réussit qu’à produire un faible grondement.

Mais un bruit étrange l’immobilisa. Un craquement, quelque part, là, devant elle. Même en proie aux affres de l’angoisse, Lou sut d’instinct qu’elle ne devait surtout plus bouger.

Qu’est-ce que c’était que cette histoire ? Et qui l’avait kidnappée ? Elle n’osa même pas tourner la tête pour voir qui se trouvait derrière elle.

Le traitement infligé à la première année par son aînée eut assurément un effet, mais pas vraiment celui escompté. Car à aucun moment la rousse ne s'était attendue à une réaction si violente.

Les dents se refermèrent sur ses doigts, mordant avec toute l'énergie du désespoir. Page écarquilla des yeux de surprise et retira instinctivement sa main en s'écartant de la petite teigne.

- Aaaaïïemmmmfffff...

La fin de son cri de douleur mourut dans un grognement, le coup de coude que venait de lui asséner la brunette l'étouffant quelque peu. Fort heureusement pour la gosse, le petit écart qu'elle avait mis avec la Verte et Argent avait suffi à lui épargner le gros du coup, mais le coude avait tout de même atteint son flanc. La gosse serra les dents, sentant les larmes monter, regardant, incrédule, la Vipère recroquevillée qui n'osait se retourner vers elle. Elle l'avait mordu au sang la peste !

*Craaaac*

Page se figea à son tour. Un bref instant, leur altercation lui avait fait oublier que quelque chose rôdait. Mais ce "quelque chose" venait de se rappeler à son bon souvenir. La petite irlandaise maudit intérieurement la première année. Pourquoi avait-il fallu qu'elle complique tout ? Maintenant, la chose ne devait plus douter de leur présence, la chose devait simplement se chercher un angle d'approche... Un angle d'attaque ?

La gamine frémit. La peut commençait à la gagner. Elle avait beau regarder frénétiquement autour d'elles, plus rien ne bougeait, seuls les grands arbres nus oscillaient lentement dans la pénombre, entrechoquant leurs branches dans des claquements sinistres.

Page avait retenu sa respiration. Mais rien ne semblait venir. Et Lou qui ne bougeait pas, comme traumatisée... Le trouillomètre à zéro, la lionçonne décida de passer outre son énervement dû au comportement stupide de la gosse et fit un pas dans sa direction. Il fallait qu'elles rentrent, ça ne sentait pas bon de s'attarder dans les parages.

Le deuxième pas ne vint jamais.

Bloody Hell.

Une immense silhouette sombre se détacha de l'ombre, comme si une montagne émergeait des bois. Deux petits yeux perçants. Une espèce de croûte mousseuse en lieu et place de peau. Un gros tas de muscles.

Merlin les protège. Un putain de troll des forêts.

Page pâlit. Elle était tétanisée. Le monstre s'avança vers les deux jeunes, faisant trembler la terre à chaque pas. Il s'arrêta à deux mètres des fillettes. Il était énorme et monstrueux et dégageait une odeur répugnante.

La jeune préfète déglutit. La chose les fixait tour à tour, semblant hésiter. A quelle sauce allait-il les manger ? Puis il se pencha et le cœur de Page sembla s'arrêter. Inspirant profondément, le troll poussa un mugissement à faire trembler les fondations du château, postillonnant sur les deux fillettes, qui étaient bien trop terrorisées pour réfléchir à la teneur des fluides qui leur arrivaient en pleine figure.

Et puis, sans crier gare, alors même que la deuxième année espérait que l'immobilité pouvait peut-être leur assurer le salut, la créature leva son énorme main qui tenait d'ailleurs plus du battoir avec une rapidité surprenante et, d'un beau revers, retourna une rouste magistrale à la préfète qui vint percuter la première année. Emportées par la force du coup, les deux gamines furent projetées au sol, atterrissant sans ménagement entre ronces et pierres.

Page était complètement sonnée. Entre deux brouillages de sa vision et de son esprit, elle ne cessait de se répéter qu'il fallait qu'elle attrape sa baguette, mais elle ne parvenait pas à le faire.

Il le faudrait pourtant.

Une immense silhouette sombre se détacha de l'ombre, comme si le gros Slughorn émergeait des bois. Un nez énorme, en forme de concombre. Des bras gros comme des troncs d'arbres. Une puanteur épouvantable, mélange de poissons pourris et de toilettes bouchées. Un gros tas de muscles.

Oh My Fucking Salazar. Un putain de putain de salopard de troll des forêts.

Arrêt sur image.
Voix Off : Une croyance populaire et très largement répandue veut qu'à nos derniers instants, notre vie entière nous défile devant les yeux en accéléré.

Petit zoom sur Lou.
Voix Off : Comme vous pouvez le constater, le sujet de cette expérience a la bouche grande ouverte, les cheveux dressés sur la tête, et les yeux qui lui sortent des orbites. Et si vous zoomez encore un peu sur ses yeux, justement, vous y verrez le reflet des moments importants de son existence qui repassent en sens inverse. D'ailleurs...ah oui...la pauvre enfant est tellement effrayée qu'elle repart jusqu'à l'apparition de la Vie.

Mode normal.

Sa besace tomba lourdement dans l'herbe.

Elle allait mourir. Et cette fois ce n'était pas pour de faux, dans un stupide "On joue aux Aurors et aux Mangemorts !".
Non, c'était bien réel. Elle allait se faire exploser la tronche par un troll.

Malade de terreur, Lou sentit son coeur lui remonter dans la gorge et poussa un long hurlement aigu, venu du tréfonds de ses entrailles qui s'étaient glacées sous le choc.
Blanche comme un linge, elle vit le troll s'avancer et trouva, on ne sait où, la force d'arracher son pied devenu de plomb du sol pour reculer d'un pas.

Elle n'était même pas indisposée par l'odeur putride qu'il dégageait : elle aurait été prête à le laisser la prendre dans ses bras s'il n'avait pas eu l'intention manifeste de les transformer en pop corn, elle et la personne qu'elle devinait auprès d'elle.

A peine eut-elle le temps de tourner la tête vers Page et de reconnaître l'espèce d'idiote qui avait fait léviter sa trousse en cours de sortilèges – comme c'était loin à présent – que le monstre se pencha vers elles pour pousser un rugissement assourdissant qui la fit défaillir.

Elle hurla à nouveau mais n'eut plus la force de reculer, pas plus qu'elle ne songea à essuyer l'amas visqueux qu'elle s'était pris dans la gueule. Ses bras et ses jambes ne répondaient plus, et de toute façon, son épouvante était telle qu'il aurait tout aussi bien pu leur faire pipi dessus.

Elles allaient mourir. Elles allaient mourir. Là, dans l'herbe, comme des chiens. En face du château où tous les autres dormaient comme des masses, sans se douter que deux de leurs camarades étaient en train de se faire dérouiller la gueule.

POOOOOOOOOONNNNNNNNNNGGGGGG

Lou ne chercha même pas à comprendre. Une main de la taille d'un chaudron s'était élevée dans les airs. La masse de cheveux roux de la Gryffondor lui avait atterri dessus, elle s'était sentie projetée dans les airs avant de sentir une branche pointue lui érafler la jambe.

Ca fait rien. On va mourir de toute façon, on s'en fout. On fait comme si on l'avait pas vu, ça va être rapide.

Mais le goût métallique qui se propageait dans sa bouche à la lèvre fendue la sortit de son indifférence inappropriée. Les picotements qu'elle sentait le long de sa jambe la réveillèrent.

Elle se redressa sur un coude, indifférente aux trente-six chandelles qu'elle voyait danser joyeusement devant ses yeux, et regarda la rousse qui avait l'air complètement capoute.

Poussant sur ses genoux éraflés et endoloris, elle se releva en tremblant, les yeux fous de terreur, et tourna un regard plein d'espoir vers le château.

Il fallait qu'elle parte d'ici, vite.

Un nouveau mugissement de minotaure la fit gémir de désespoir. Qu'est-ce qu'elle espérait, elle allait mourir ici. Autant prendre une pose héroïque, et qu'on en finisse.

Elle regarda le troll, sans remarquer qu'elle ne le voyait plus que brouillé par les larmes.

Il rugit à la mort en se cognant la poitrine des deux mains, et elle retomba à genoux près de Page, incapable de contrôler ses tremblements.

Et puis, sans prévenir, elle se releva une seconde fois, en lui tirant le bras. Elle n'avait pas le temps d'analyser ce geste, ni de se demander ce que Mira, Ange et les autres penseraient d'elle – de toute façon ils seraient sûrement trop occupés à préparer son enterrement pour philosopher – elle ne comprit pas elle-même pourquoi elle tirait avec tant d'acharnement pour aider la préfète assommée à se relever elle aussi, des larmes de terreur coulant de ses yeux qui roulaient dans leurs orbites.

- Debout !, hurla-t-elle, la voix brisée par les sanglots, debout !

La terre tremblait de plus belle. Il s'approchait. Du coin de l'oeil, Lou crut remarquer un bout de bois enfoncé dans le buisson de ronces qui les avait aimablement accueillies en leur labourant le dos.

Sans lâcher Page, dont il lui semblait que la main était le seul contact qui lui restât avec la réalité avant qu'elle ne sombre dans la folie, elle se baissa pour arracher la baguette des épines noires qui l'emprisonnaient.

Mais le monstre n'était pas décidé à laisser ses nouveaux jouets s'amuser sans lui. Une douleur insupportable, au sommet de son crâne, indiqua à Lou, qui hurla de plus belle, qu'il venait de la saisir par les cheveux. Elle eut le temps de remarquer distraitement que ses pieds ne touchaient plus le sol avant que le troll ne l'envoie valdinguer contre un arbre.

Le nez en sang, elle glissa et se retrouva affalée par terre, les doigts miraculeusement toujours serrés sur la baguette de Page.

Elle la brandit d'un bras saignant et tremblant.

- Inc...incen...incendio, marmonna-t-elle désespérément en pointant le troll qui s'avançait en penchant la tête d'un air stupide.

Que ça s'arrête. Pitié. Qu'il les tue ou qu'ils s'en aille, mais que ça s'arrête...

La baguette fermement pointée sur le cœur du monstre qui tremblait d’effroi et d’impuissance face à ce pouvoir hautement supérieur, les yeux plissés dans une concentration extrême et le cerveau en ébullition tandis qu’elle fouillait sa mémoire pour se rappeler du sort spécial anti-Troll qu’elle avait déjà tant de fois utilisé dans ses aventures de sorcière de l’espace, SuperLou s’apprêtait à pulvériser ce misérable déchet et à débarrasser la terre de sa présence abjecte.

Oui, mais non...

En réalité, le bras de Lou tremblait tellement que c’était un miracle qu’il ne se soit pas encore détaché de son épaule pour aller danser la gigue avec la baguette un peu plus loin – notons également que le monstre censé trembler d’effroi et d’impuissance n’en avait strictement rien à carrer, et avait même plutôt l’air de bien se marrer.

Ses yeux, grands ouverts, étaient brouillés de larmes dont le picotement, en d’autres circonstances, l’auraient poussée à baisser les paupières et dormir. Mais pour parvenir à s’endormir alors qu’on était en train de se faire mettre la pâtée du siècle par un gros troll qui devait crever la dalle depuis dix jours, il fallait avoir un sacré sang-froid – ou être vraiment con.

Quant à son cerveau, il s’était tout simplement arrêté de fonctionner quand le troll s’était remis à marcher vers elle. Faux contact, plombs pétés, le disjoncteur qui explose, tout ce que vous voudrez, mais elle était complètement hors service.

Pour la simple et bonne raison qu’elle était dans sa happy place. Vous savez, cet endroit rien qu’à nous, ce jardin secret que personne ne connaît, où l’on se rend pour échapper à la dure réalité du quotidien ?

Pendant qu’on reçoit une Beuglante, ou que l’infirmière nous force à boire de la Pimentine, ou qu’on sèche lamentablement devant notre copie d’histoire de la magie pendant que la fayotte assise derrière gratte sur sa feuille depuis une heure et demie...

La happy place, c’est pour les moments difficiles. Et s’il fallait établir un hit parade des moments les plus difficiles, le tête à tête au clair de lune avec un troll déchaîné occuperait certainement une place de choix.

Donc, pour le moment, Lou était étendue sur une plage ensoleillée, au bord d’une mer de corail qui étincelait de mille feux sous le ciel azur.
Un esclave lui tenait son parasol, pendant qu’un autre l’éventait avec un immense écran de plumes d’autruche, qu’un troisième lui offrait une immense choppe de Bierraubeurre bien fraîche et que le quatrième, à genoux comme les autres, lui présentait un large plateau argenté couvert d’appétissants churros. Le cinquième, un peu plus loin derrière elle, dirigeait une chorale qui chantait « Lou, tu es la plus beeelllle, Lou, tu es la plus intelligeeeeente, Lou, tu es la plus coooool... ».
Un autre serviteur s’approcha d’elle en tremblant, pour lui annoncer que « Monsieur Harry Potter est là et désire vous demander votre main ».
Mais au moment où Harry allait arriver, des cris la ramenèrent brutalement à la triste réalité.

Oui, c’est pour quoi ? Ah, oui. Le troll.

Ah ben non, en fait il regardait la rousse maintenant. Qui semblait avoir quelques réclamations sur son haleine fétide.

Lou se relevait en s’appuyant d’une main à l’arbre, quand une pensée lui traversa l’esprit. Le monstre était occupé avec l’autre. Qu’est-ce qui l’empêchait de se ruer vers le château pour aller se cacher sous ses couvertur...euh je voulais dire chercher de l’aide ?

Peu importait qu’elle coure vite (en fait si quand même beaucoup), tant qu’elle courait plus vite que Page...

Mais ces nobles et honorables réflexions s’interrompirent d’un coup quand elle vit Page se balader dans les airs, brandie par le troll comme un sinistre trophée.

Quelque part dans son ventre, quelque chose se noua.

- Heeeey toi !

Elle s’avança en claudiquant, ignorant du mieux qu’elle pouvait la large éraflure qui lui meurtrissait la jambe droite.

Mais, apparemment bien décidé à voir si la pulpe restait en bas, le troll continuait à secouer Page sans lui prêter la moindre attention.

Lou se mordit la lèvre en s’arrêtant à une distance prudente – même si en fait elles avaient dépassé le stade du prudent depuis bien longtemps – et leva la tête vers lui.

- Hey tu pues d’la gueule !, cria-t-elle, se souvenant que le monstre n’avait pas été très content quand Page avait fait allusion à ce petit détail, dont il devait sûrement être le premier gêné.

En fait, il devait vraiment grave complexer sur son haleine, parce qu’à peine Lou refermait-elle la bouche qu’il arrêtait de secouer Page comme un prunier et tournait maintenant ses petits yeux stupides vers elle.

Désespérée, Lou trépigna sur place, ses yeux allant du troll à Page.
Et maintenant, quoi ? Il allait se mettre à pleurer en racontant que tout le monde le lui disait depuis tout petit, et leur avouer que s’il était aussi méchant c’était juste parce que les autres trolls se moquaient de lui et qu’il avait une épine enfoncée dans le pied et qu’il n’arrivait pas à l’enlever ?

Apparemment l’épine devait être enfoncée très profond, parce que le monstre s’énerva de plus belle et commença à agiter Page dans tous les sens.

« Il est bête comme un troll. »

Lou ne comprit pas comment cette phrase, prononcée par Hector des mois auparavant, lui revenait en mémoire aussi clairement et aussi soudainement que s’il la lui avait gueulée dans les oreilles.
Mais elle se mit à sautiller sur place (ma jaaaaambe !) et à crier de plus belle pour couvrir les grognements du troll, prête à dégainer l’ultime arme fatale et mortelle contre ce gros tas de fientes de veracrasses.

- Hey toi, pue d’la gueule ! Qu’est-ce qui est petit et marron ?

Et comment jt’ai cassé !

Le troll s’immobilisa, comme pétrifié (ah ouais ça c’était le bon plan, mais il est jamais là quand on a besoin de lui ce foutu Basilic), et la regarda bouche grande ouverte, ce qui lui donnait un air encore plus débile qu’avant.

- Qu’est-ce qui est petit, et marron ?, répéta Lou en reculant d’un pas en le voyant faire mine d’avancer.

Le troll continuait de la fixer comme une poule qui a pondu un couteau, apparemment trop occupé avec cette énigme digne des esprits les plus profonds pour s’intéresser plus longtemps à poupée Page contre le troll qui lui pendait dans la main.

D’ailleurs, il la lâcha.

Avec un petit cri, Lou ferma brusquement les yeux en se bouchant les oreilles. Elle ne voulait pas entendre de craquement, ni voir des membres cassés. C’était marrant dans Mortal Kombat, mais ça devenait nettement moins drôle quand on y participait soi-même.

Mais elle ne pouvait pas la laisser comme ça.

- Qu’est-ce qui est petit et marron, gros débile ? Tu sais même pas ça ?, cria-t-elle en rejoignant Page en boitillant.

Elle essaya de ne pas s’évanouir en entendant le gros débile recommencer à s’agiter, la cervelle apparemment en surchauffe après tout cet exercice cérébral.

Elle secoua Page d’une main, l’autre toujours serrée sur la baguette qui ne lui servait pas à grand-chose d’ailleurs. Elle n’était déjà pas très brillante en classe de sortilèges, alors elle ne voyait pas très bien comment elle pourrait mettre la misère à un troll avec des formules qu’elle maîtrisait à peine. Autant le menacer avec un coton-tige.

- Dégage, urgea-t-elle Page en la secouant, va chercher de l’aide, fais vite !

Devant elles, le monstre commençait à sérieusement s’énerver de ne pas être fichu de trouver ce qui était petit et marron. C’était pas compliqué pourtant.

HJ : Non c'est parfait comme ça, par contre si toi y a quelque chose qui te convient pas je le change de suite

Gloooria in excelsis Deeeeeeoooo !!
Alleluia !
Victoire !
Longue vie au Roi !
La coupe aux Verts !
Hourra !
Vive les vacances !

Une véritable cacophonie de divers cris de joie et de chants de victoire s’éleva dans la tête de Lou, pétrifiée sur place, quand elle vit le troll s’écraser au sol comme une vieille crêpe.

Elles avaient réussi ! Elles avaient réussi ! Dans l’euphorie du moment, elle en oublia même la douleur brûlante qui lui mordait la jambe depuis qu’une grosse ronce l’avait lacérée.

Elle allait sûrement recevoir une médaille pour services rendus à l’Ecole...et une vraie cette fois, pas comme celle en chocolat que Mira et Ange lui avaient offerte quand elle s’était enfin décidée à arrêter de chanter sous la douche...

Et Dumbledore l’appellerait devant tout le monde dans la Grande Salle, dès le petit-déjeuner...il ferait un long discours émouvant pour expliquer qu’elle avait sauvé l’Ecole des griffes d’un gros troll tout moche...les gens auraient les yeux rouges et lèveraient leurs verres en son honneur...et pis on lui donnerait sa médaille, et tout le monde applaudirait en disant qu’elle était vraiment trop cool cette Lou alors !

Elle imaginait déjà ce qu’elle ferait écrire sur la carte de chocogrenouille qui lui serait consacrée quand la voix de Page la ramena brusquement vers la réalité.
Là où il faisait froid et où elles saignaient de partout.
Là où le troll n’était pas mort, mais commençait déjà à se débattre contre les cordes qui auraient tôt fait de céder.
Là où elles restaient plantées devant lui comme des idiotes à attendre qu’il ait réussi à se libérer pour qu’il puisse continuer sa partie de ping pong.

- Deboooout !, chuchota désespérément Lou en tirant sur Page pour qu’elle se relève.

Sinon, les médailles, on les enverrait à leurs familles à titre posthume.

La terre se mit à trembler sous les efforts du troll qui luttait de plus en plus violemment contre les cordes qui le retenaient.

Au moment où Page se levait, il poussa un rugissement enragé, vite suivi par le hurlement de terreur de Lou, qui se mit à courir aussi vite que le lui permettait sa jambe blessée.

Il y a des tas de moments appropriés pour se fouler la cheville.
A la veille d’un devoir par exemple, sauf si on a la bêtise d’aller se faire soigner chez madame Pomfresh, parce qu’elle guérit ça en un tournemain et qu’on est quand même obligé de se pointer en classe.
Ou bien à quelques jours de Noël, si on veut se faire dorloter pendant des heures et recevoir quarante fois plus de cadeaux que son petit-frère.
Même quand on ne veut pas aller rendre visite à la cousine Doris dans sa maison qui pue le chat et la cannelle, c’est le bon plan.

Mais en aucun cas, en aucun cas, il n’est recommandé de se tordre la cheville pendant qu’on essaie d’échapper à un troll déchaîné. Même s’il est encore attaché par des cordes. Surtout si l’une des cordes craque soudainement.

Mais pour qu’elles se retrouvent toutes les deux en vadrouille devant la Forêt Interdite justement la nuit où un troll décidait de venir visiter le parc de Poudlard, on pouvait dire, sans risque de se tromper, que Lou et Page n’étaient pas très en veine. Et ça allait continuer.

- Aïïïïïïee !

Lou n’avait pas fait dix pas qu’un creux dans l’herbe, du genre de ceux qui viennent toujours faire tomber l’héroïne au moment crucial où elle se fait poursuivre par un tueur fou armé d’une tronçonneuse/un tueur fou vêtu d’une longue robe noire et couvert d’un masque blanc/un tueur fou armé du dernier album de Lorie, surgissait de nulle part et qu’elle se prenait le pied dedans et s’effondrait au sol.

Elle leva des yeux fous de terreur sur Page qui courait près d’elle et essaya de se relever, mais une douleur fulgurante dans sa cheville lui fit pousser un nouveau hurlement déchirant. Oui bon elle s’était pété la cheville quoi.

- Je suis coincée, je suis coincée, répéta-t-elle avec des sanglots de désespoir dans sa voix enrouée à force de hurlements.

Pour ajouter à la bonne ambiance, le troll avait déjà fait céder la moitié des liens qui le retenaient et mugissait plus fort que jamais.

Sur le coup, Lou ne sut pas vraiment ce qui l’angoissa le plus : les cris du troll qui se rapprochaient, Page qui lui annonçait joyeusement qu’elle ne pouvait pas utiliser sa baguette, ou Page qui lui proposait tout aussi joyeusement de prendre la fameuse baguette pour jeter des sorts à sa place.

Son cœur, qui battait violemment contre ses côtes, s’arrêta soudainement, et elle lança un regard d’incrédulité mêlé d’effroi à la rousse.

Des avis ? Des croche-pattes ? Elle se croyait où ? Y avait pas écrit Merlin l’Enchanteur là !

- T’es folle ????, cria-t-elle d’une voix suraiguë, je suis en pre-mi-è-re année !!!!

Tout ce qu’on lui avait appris jusqu’à présent, c’était comment bien agiter les bras pour faire voler une plume. Et à moins que le monstre soit beaaaaaauuuuuuucoooooouuuup plus léger qu’il n’en avait l’air, elle ne voyait pas bien à quoi ce stupide Wingaaaaardium Levioooooosa pouvait bien servir.

Un nouveau rugissement, beaucoup plus fort que les autres, la fit sursauter et tourner la tête. Et ce qu’elle vit lui arracha un hurlement de détresse. Le troll était là, à une dizaine de mètres encore, mais complètement libre.

Les vagues restes des cris de joie qui s’étaient élevés dans sa tête quelques minutes plus tôt s’évanouirent comme la flamme vacillante d’une bougie soufflée par le vent, bien vite remplacés par une sinistre marche funèbre.

Sans plus songer à taper la causette, Lou se pencha brusquement pour arracher la baguette de la main inerte de Page et la brandit sur le troll sans bien savoir ce qu’elle allait pouvoir en faire.
A aucun moment, dans ses stupides bavardages sur les combats entre sorciers et trolls, le professeur Binns ne leur avait expliqué comment les sorciers s’en étaient débarrassés. C’aurait certainement été bien plus utile que de savoir que tel troll s'était exilé dans les montagnes.

Mais elle se décida enfin en voyant le monstre avancer vers elles d’un air déterminé.

Elle ne connaissait aucun sort capable de lui exploser sa grosse tête, mais après tout, ça, il était pas censé le savoir.

- Abracadabraaa tarabistarabistarabiscota hocuspocus trollus desintegretus, hurla-t-elle en pointant fermement la baguette de Page sur la tête du monstre.

Il s’arrêta alors en penchant la tête sur le côté.

- On booouuuuge !, chuchota-t-elle à Page en essayant d’avancer sur sa jambe valide.

Le temps cet idiot se rende compte qu’il n’avait rien et qu’il ne s’était d’ailleurs rien passé du tout, elles auraient refait la décoration du château.

Assise dans l’herbe aux tiges cassantes et pleine de terre, tremblante comme une feuille, Lou regarda, comme dans un rêve, Page brandir sa baguette sur le troll et hurler une incantation.

Dès lors, le temps se figea. Les hurlements du vent glacial qui lui cinglait les joues se turent d’un coup. La lune et les étoiles, qui éclairaient faiblement la scène, s’éteignirent brusquement. La douleur qui lui tordait la cheville et vrillait sa jambe comme une décharge électrique disparut soudainement. Son cœur lui-même, qui cognait violemment contre ses côtes comme pour s’en libérer, s’arrêta dans un battement affolé.

Il n’y avait plus que la rousse, le monstre, et les flammes bleutées qui se dirigeaient sur lui.

Ses contours rendus flous par un brouillard de désespoir, Lou le vit reposer l’énorme pied qu’il avançait d’un air menaçant. Le cri de guerre que poussa Page, assourdi, résonna à ses oreilles.

Soudain, sans crier gare, elle reprit conscience de son cœur qui battait comme un dément dans le silence assourdissant qui semblait l’entourer tandis que le troll les contemplait d’un air indécis...et il fit demi-tour.

D’un seul coup, toutes ses sensations lui revinrent, depuis le vent qui lui sifflait aux oreilles jusqu’à sa cheville qui lui faisait mal à mourir.
Il était parti. Il était parti. Elles étaient sauvées. Des larmes brûlantes roulèrent sur ses joues écorchées.

Il lui fallut du temps pour assimiler ce qui venait de se passer, et elle n’avait toujours pas desserré les dents quand Page lui donna son sweat abîmé.

Elle releva la tête vers elle, les yeux toujours écarquillés de terreur.

- M...merci..., balbutia-t-elle en serrant le sweat autour de ses épaules.

Il était parti. Elles n’allaient pas mourir. Elle avait mal à la cheville et à la jambe. Ce n’était pas un rêve.

Petit à petit, les battements de son cœur reprirent un rythme normal, et les larmes qui luisaient sur ses joues rougies séchèrent.

Elle prit machinalement le bandage que lui tendit Page et en couvrit sa longue écorchure. Elle était vivante. Elle ne s’était pas fait manger toute crue, et le reste lui était bien égal. Bien au contraire...
Après tout, on disait que Binns ne s’était jamais rendu compte qu’il était mort. Seuls la douleur qui lui arrachait des grimaces de douleur et le froid mordant qui la faisait grelotter lui prouvaient qu’elle était bien en vie.

Elle eut un faible ricanement en entendant la question de la rousse.

- C’est évident. Un marron.

Sentant des flocons humides lui tomber sur le front, elle releva le nez.

- Ah bah c’est bête qu’il soit parti, on aurait pu faire une bataille de boules de neige, dit-elle d'un air narquois en rebaissant la tête pour regarder Page.

Ce n’est que là que son regard accrocha l’espèce de marque sur son avant-bras. Elle la désigna du menton.

- C’est quoi ça ?

Même si la marque qu'elle distinguait à peine la faisait penser à la fameuse Marque dont tout le monde parlait avec terreur, il n’y avait que de la curiosité dans sa voix.

Page était en deuxième année, elle ne voyait pas bien comment elle aurait pu être pote avec Celui-dont-on-ne-devait-pas-prononcer-le-nom. Et puis de toute façon, après avoir affronté un troll, elle se sentait emplie d’une bravoure à toute épreuve, alors la rousse aurait tout aussi bien pu se balader avec VOLDEMORT POWAAAA écrit en lettres fluo sur son front que ç’aurait été pareil.

Lou commença par froncer les sourcils en entendant Page lui sortir qu’elle ne voulait pas parler de sa cicatrice. Ah et alors quoi ? Parce qu’elles avaient eu envie de se battre contre un troll peut-être ? Elles venaient de frôler une mort que même elle n’aurait pas pu supporter dans un film d’horreur, alors ce n’était pas le moment de faire la mijaurée. Et puis d’abord elle voulait savoir, là. Ce n’était quand même pas bien compliqué de raconter une histoire. Elle ne voyait vraiment pas ce qu’elle pouvait avoir connu de si dramatique.

Légèrement agacée par toute cette mise en scène qu’elle jugeait inutile, elle étouffa une exclamation quand la rousse lui demanda de ne rien dire à personne. Mais oui, mais oui...tu parles d’un secret ! Elle devait juste s’être ouvert le bras après avoir glissé sur une peau de banane. On fait tous ça après tout : se donner des airs de héros survivants d’une bataille alors qu’en fait on avait juste trébuché dans ses lacets.

Mais ses sarcasmes muets s’étranglèrent d’eux-mêmes dans sa gorge irritée par le froid quand elle entendit le mot Sombrals. Quelque part dans sa mémoire, quelque chose venait de remuer. Elle connaissait ce mot. Elle en était sûre.

- Des Sombrals..., répéta-t-elle à mi-voix quand Page eût fini son récit, j’ai déjà entendu ça quelque part...Sombrals...

Plus elle y repensait, se massant doucement sa cheville endolorie d’un air concentré, et plus elle était convaincue de savoir ce qu’étaient les Sombrals. Et à en juger par la sourde angoisse qui l’envahissait lentement, ce n’était pas quelque chose de très joyeux.

Soudain, aussi brusquement que les paroles d’Hector lui étaient revenues en mémoire quand elle tremblait face au troll, la bouille ronde et inquiète de Conchita lui apparut devant les yeux. La lumière se fit aussitôt dans son esprit encore embrumé.

- Je sais ! Les Sombrals c’est des...

Le reste de la phrase s’évanouit dans les hurlements du vent, tandis qu’elle revoyait Conchita leur raconter, à elle et à Hector, que les Sombrals étaient d’affreux chevaux volants que seules les personnes ayant vu quelqu’un mourir pouvaient voir.

Sans plus songer à se moquer de ses hésitations, Lou lança un regard accablé à Page. Elle ne la connaissait pas bien, et même pas du tout, si ce n’est par ce qu’elle avait entendu dire par les autres, mais pour une petite fille qui avait assisté à la mort de quelqu’un, elle avait l’air de plutôt bien tenir le coup. Si cette horreur lui était arrivée à elle, elle aurait certainement fini chez les fous.

Lou frissonna, mal à l’aise. Elle ne savait pas trop quoi dire. Elle n’avait pas pour habitude d’écouter les confidences des gens : en général, c’était elle qui parlait. Bien sûr, elle était très curieuse et se mêlait souvent de ce qui ne la regardait pas. Mais quand elle avait cherché à savoir d’où venait cette marque, elle s’était attendue à entendre une histoire drôle et légèrement embarrassante, le genre de truc qu’on répète ensuite dans des éclats de rire joyeux. Pas à une affreuse tragédie impliquant des cadavres et des clones de Vous-Savez-Qui. Parce qu’elle s’en souvenait, maintenant.

Quand, au tout début de l’année, ils avaient fait la leçon sur les épouvantards en Défense Contre les Forces du Mal, la première personne à être passée s’était faite remarquer quand une grande silhouette encapuchonnée et sans visage avait soudain surgi devant elle. Beaucoup avaient d’abord cru voir se matérialiser devant eux le Seigneur des Ténèbres, et, même en sachant que ça n’était rien de plus qu’un épouvantard, avaient brusquement pâli en le voyant. Cette personne, c’était Page.

Lou leva les yeux vers le ciel tacheté d’étoiles, sans même essayer de la réconforter.

D’abord, elle ne savait pas comment s’y prendre. Si elle n’arrivait même pas à calmer Hector quand il passait ses nerfs sur les coussins du canapé après avoir perdu une partie de bavboules, elle voyait mal comment elle pourrait consoler quelqu’un qui avait été confronté à la mort à onze ans et en avait été marqué à vie.

Et puis de toute façon, elle n’en avait pas envie. Tout ce qu’elle voulait maintenant, c’était rentrer se débarrasser de toute cette terre et dormir. Elle ne voulut même pas penser au sang qui la maculait.

Elle s’était déjà pris de sales coups en se battant à peu près tous les deux jours, mais ça n’était jamais allé pas plus loin qu’une lèvre fendue ou qu’un coude profondément écorché. Là, on aurait tout simplement dit Carrie revenant du bal de promo après s’être retrouvée couverte de sang de cochon. C’était morbide, vraiment, et le fait que Page ait mentionné les Sombrals aggravait encore la panique qui la saisissait quand elle baissait les yeux pour évaluer les dégâts.

Mais sa cheville lui faisait bien trop mal, et même avec toute la volonté du monde, elle ne pourrait pas rentrer au château si Page restait là à regarder la neige tomber au lieu de l’aider à marcher.

En fait, elle ne comprenait déjà pas pourquoi elles s’étaient tranquillement assises là à papoter dans la nuit noire et glaciale au lieu de se ruer vers la chaleur et la lumière bienfaisantes du hall. Le temps de réaliser ce qui venait de se passer, sans doute.
Mais il faisait vraiment trop froid, et si le troll décidait de revenir, elles auraient l’air vraiment malin.

Il fallait secouer Page.

- Au fait, lança Lou d’une voix moins tremblante et en lui jetant un regard perçant, on peut savoir ce qu'on foutait là à la base ? Parce que c’est un peu ta faute tout ça hein.

Booooon. Allez, c’est bien Page. On pousse sur les mains, on fléchit les genoux, et on se lève.

Sans vraiment écouter ses protestations indignées, Lou la regarda se relever, bien trop fatiguée pour masquer l’air de profonde satisfaction qui se dessina sur ses traits écorchés et maculés de boue.

Tendant une main rougie par le froid et les coups, elle s’appuya sur elle et se redressa à son tour en gémissant sourdement.

- Tu crois qu’il faudrait qu’on rentre ?, répéta-t-elle d’un ton railleur mais qui ne portait aucune trace de méchanceté, on va pas rester là à se transformer en glaçons ? Oh nooooon...

Soudain, alors qu’elle repliait sa jambe meurtrie pour avancer à cloche-pied, appuyée sur Page, quelque chose qu’elle venait de dire la frappa brusquement. Elle cilla et tourna la tête vers elle.

- De quoi, mode zombie ?, demanda-t-elle sourcils froncés, indifférente au vent qui hurlait dans leurs oreilles et leur cinglait les lèvres, parce que c’est pas ta faute si je me suis retrouvée là peut-être ?

Elle était folle ou quoi ?

- De toute façon, reprit-elle en se mettant à avancer à cloche-pied, je sais pas ce que tu vas dire si on se fait pincer, mais moi j’y suis pour rien.

Oui parce que péter les dents aux trolls fous ensemble, c’était très cool, mais elle au départ elle avait rien à voir là-dedans. Elle ne savait déjà même pas comment elle s’était retrouvée là, mais elle était certaine que c’était la faute de Page.

Comment expliquer autrement qu’elle se soit réveillée emprisonnée entre ses bras ?

Sans écouter la petite voix agaçante qui lui demandait comment Page aurait pu s'y prendre pour la faire sortir de son lit, de son dortoir et de sa salle commune sans se faire repérer ni la réveiller, Lou laissa la petite teigne en elle, qui ne dormait jamais vraiment mais qui s'était montrée singulièrement discrète depuis l'apparition du troll, se réveiller.

Et puis de toute façon, si ce n'était pas la faute de Page, alors qui ? Comment aurait-elle pu se retrouver dans la Forêt sans même s'en apercevoir ?

- Et c'était quoi ton idée ? M'emmener de force dans la Forêt Interdite pour qu'on aille couper du bois ?