Mardi matin, 8h30

Une petite main s’avança de quelques centimètres pour se saisir du plat d’œufs brouillés, puis retomba mollement, accompagnée d’un soupir de découragement.
Comme beaucoup d’autres représentants de son espèce, Lou appartenait à la noble race des Lève-Tard. Un peuple si nombreux mais pourtant si méconnu…

L’expression lève-tard se compose de deux mots : lève et tard. Je vous sens choqués par cette révélation. En d’autres termes, un lève-tard est quelqu’un qui se lève tard. On peut pas faire plus simple hein.

Ravi et dans d’excellentes dispositions quand il peut paresser dans sa tanière toute la matinée, le lève-tard se révèle d’une humeur massacrante quand il doit se réveiller plus tôt, avec le lever du soleil, ou pire, la douce mélodie des oiseaux qui piaillent comme des imbéciles.

Le lève-tard est un animal féroce.
Si quelqu’un a été assez idiot/malchanceux/inconscient/les trois à la fois pour venir le tirer (volontairement ou pas) de son sommeil, ce pauvre individu se voit exposé à de terribles représailles. Des hurlements sans fin, des morsures, des coups, des yeux arrachés,...la liste n’est malheureusement pas exhaustive.

Le lève-tard n’est pas très expansif.
Après sa toilette habituelle, et après avoir débarrassé son repaire du cadavre de l’abruti qui l’a réveillé, l’animal part vaquer à ses activités. Sur sa route, quand il rencontre un autre lève-tard, bien reconnaissable à sa crinière en désordre et à sa mine patibulaire, il ne communique qu’en poussant quelques grognements de mauvais augure.
Par contre les mabouls qui se hasardent bêtement à lui tourner autour en ayant l'air heureux et en voulant à tout prix établir le contact - "Bonjour, ça va ?" - peuvent souvent lui servir de gibier. En même temps, ils l’ont bien cherché.

En plus d’afficher un air de bouledogue et d’aboyer sur tout ce qui bouge, le lève-tard peut aussi être déprimé, quand il pense à ce qui l’attend dans la journée.
Ecouter de vieux singes bavarder sans relâche pendant des heures pour faire partager à une bande d’arriérés - qui n'y comprennent rien de toute façon - le savoir approximatif dont ils semblent si fiers est souvent désespérant pour le lève-tard, surtout quand il songe avec tristesse que c’est pour ça qu’il a dû quitter sa litière bien chaude.

Pour se donner du courage, le lève-tard a besoin d'une quantité appréciable d’un liquide sombre au goût amer.
Les petits lève-tard se voient souvent déconseiller ce breuvage aux vertus salvatrices par leurs parents, qui affirment que « ce n’est pas pour les enfants ». Pourtant, dès que le petit lève-tard se retrouve livré à lui-même, il se dépêche de désobéir pour goûter lui aussi aux bienfaits de la potion miraculeuse.

C’est pour cette raison que Lou, plutôt que de se servir des œufs brouillés, arrêta son choix sur la belle cafetière en argent qui trônait un peu plus loin à droite. Son humeur était à l’image du temps qui se reflétait dans le plafond magique : massacrante.

- S*loperie…., grommela-t-elle en voyant que sa pauvre petite main était loin d’atteindre la terre promise cafetière.

Il n’y avait personne à sa droite, mais ce matin-là, elle était bien décidée à ne pas lever le plus petit doigt pour avoir ce qu’elle voulait. Et pis quoi encore !

- Quelqu’un pourrait me passer le café ?, demanda-t-elle d’une voix enrouée.

Super. En plus elle avait chopé la crève.

Lou se vautrait encore lamentablement dans son pâté matinal quand un drôle de bruit la tira brusquement de sa torpeur. Une sorte de ronronnement…non, plus un grondement…c’était bien des mots ?...oui…à y écouter de plus près, on aurait vraiment dit que quelqu’un parlait…Elle tourna la tête vers le bavard en haussant un sourcil, retenant son énième bâillement de la matinée.

Génial…à chaque fois que vous êtes à -2 de tension, il y a toujours un abruti pour venir vous embêter avec ses bavardages inutiles et insipides.

Elle ne fit même pas l’effort de capter un seul mot de ce qu’il racontait. Miss Cobra…? Un griffon en plumes…? Quelqu’un qui se noyait avec des chaînes…? Une poupée barbie ????!!!!!!!

Nan mais pourquoi il venait lui casser les pruneaux avec ça, hein ? Elle avait une tête à encore jouer à la barbie, d’abord ?
Bon d’accord elle y jouait encore, mais c’était pas à lui de le dire !!!! D’ailleurs il était même pas censé être au courant !!!!

Nan mais sérieux et puis et c’était qui d’abord cet imbécile ?

Elle se redressa complètement pour toiser l’intrus des pieds à la tête, pendant qu’il se prenait tranquillement une tasse de café. Elle eut ainsi tout le loisir d’examiner sa cravate. Un bouffondor. A côté d’elle. Qui lui parlait. Pour le coup, elle était tout à fait réveillée.

- Tu t’es perdu ?, demanda-t-elle sèchement pendant qu’il vidait la petite tasse d’une traite.

Et c’est là que l’horreur se produisit. L’imbécile trouva, on ne sait où, le courage et le culot de lui serrer la main. Elle la retira d’un mouvement brusque et la contempla d’un air furieux. Comment osait-il la toucher, avec sa main de Gryffondor ? Tout le monde savait que leur saleté de tour grouillait d’enfants de Moldus.

Et il partait en plus ? C’est ce qu’on allait voir !

Elle pivota sur le banc et tendit la jambe pour lui faire un croche-patte.

- Et tu crois aller où comme ça, Dutroll ?, cracha-t-elle en s’essuyant sa main souillée avec une serviette.

Programme interdit aux moins de dix ans, possibilité de scènes d’une violence physique et morale insoutenable.

Chers téléspectateurs, nous vous avons précédemment expliqué que les lève-tard (oui j’y tiens à ma petit histoire pourrie) ne sont en général pas très expansifs. Que quand ils se croisent entre eux, ils se contentent de grognements significatifs.

Mais il arrive parfois que deux lève-tard irascibles se rentrent dedans, et alors là, ça donne ça :

Lou cilla en entendant une autre voix s’élever tout près d’elle. La cervelle encore un peu dans les chaussons, elle n’entendit pas tout, mais le « chiure » et le « bouse de dragon » résumaient assez bien l’idée générale du discours. Et ça lui suffisait amplement.

Elle se retourna une nouvelle fois pour regarder le fou qui avait osé l’aborder ainsi. Et le reconnut. Le gars du cours de sortilèges, celui qui avait failli s’étouffer avec son sarcasme en passant devant sa table.

Cette nuit, elle avait fait un rêve. Elle avait rêvé d’un monde meilleur. D’un monde où les Gryffondor seraient jetés hors du château et condamnés à vivre à l’état sauvage dans la Forêt Interdite. Et où tous les après-midis, les Serpentard, main dans la main, massue à l'épaule, iraient à la chasse au bouffon.

Hélas, les mentalités n’étaient pas encore assez évoluées.

Faisant mine d’ignorer superbement ce beau monument de sottise, elle se leva pour prendre son café (enfin), et, ce faisant, marcha au passage sur son pied, veillant à bien lui écraser les orteils.

- Chiure de bouse de dragon hein ?, répéta-t-elle avec un sourire mauvais en se rasseyant, c’est le nom de ton parfum c’est ça ?

Elle se versa une toute petite gorgée pour goûter, et la vida d’un trait. Beeeeuuuuaaaah c’était quoi ce truc ? Dégoûtant. Pire que l’huile de foie de serpent des mers. C’était peut-être pour ça que sa mère mettait toujours quelques gouttes de Pur Feu dedans, pour que ça ait meilleur goût ? Bon en fait c’était l’inverse : elle mettait quelques gouttes de café dans le whisky...

Tout en se demandant ce qui lui arriverait si les profs la voyaient tranquillement sortir une bouteille de whisky en plein petit-déjeuner, elle jeta un coup d’oeil torve à Seth avant de poser les yeux sur Alexeï. Qu’est-ce qu’ils avaient tous à venir l’embêter ? Ils avaient perdu un pari c’est ça ? Ils croyaient que parce que c’était bientôt Noël, ça y est c’était la fête et qu'on pouvait venir montrer sa sale tronche à la table des Serpentard ?

- Les Attardés Anonymes c’est pas ici, c’est à la table avec la nappe rouge, lança-t-elle sans même regarder Seth, alors tu dégages.

Sous l’effet de la caféine, l’esprit embrumé de Seth commença à retrouver ses attaches avec la Terre. La naine venait de l’insulter mais l’important n’était pas ici, ni dans le fait qu’elle lui ait écrasé les orteils en ayant vraisemblablement fait exprès. Non le problème n’était pas la. Le problème était qu’il se trouvait actuellement devant la table de ces guignols de vert et argent. Ouvrant des yeux grands comme des soucoupes, avant de se les frotter pour s’assurer qu’il ne rêvait pas, il dut se rendre à l’évidence : il venait d’aller chercher un café à la table des Serpentards…

*Non mais c’est quoi ce délire…*

Il observa d’un œil nouveau la table aux couleurs des serpents, avant de refaire le chemin jusqu’à sa table. Il avait loupé un embranchement apparemment et pas des moindres vu l’endroit où il se trouvait actuellement. Puis se passant une main dans les cheveux, il s’exclama à haute voix, les yeux allant de part et d’autre de la table :

-Mais qu’est ce que je fous à côté de cette table de puants…

Puis son regard redevint fixe. Leur cible ? La petite Lou qui faisait mine de ne pas le voir. Un sourire endormi barra alors le visage du jeune Gryffondor. Il était temps de prendre une revanche amplement mérité sur la petite Serpentarde qui c’était amusée à l’insulter par deux fois. Avec un empressement tout à fait innocent, il prit place aux côtés de Lou sur le banc de Serpentard, un air innocent devant les regards hostiles que lui lançaient les Serpentards de la table. D’une voix plus forte qu’à l’ordinaire, pour que la totalité de la table l’entendent, il s’exclama avec entrain :

-Merci Lou de m‘avoir invité à ta table ! C’est très gentil de ta part !

Les regards se déplaçaient à présent de Lou vers Seth, qui sourit devant son stratagème pour rendre chèvre cette brave petite verte et argent…
Souriant férocement à Lou, il lui murmura pour qu’elle seul entende :

-Je commence à bien aimer cette table de…

Il leva les yeux, scruta la totalité des regards fixés sur lui, avant de reprendre sur un ton badin et d’une voix bien plus forte :

-… ratés.

Il repoussa les cheveux lui tombant devant les yeux de sa main droite, avant de se lever comme une fleur et de dire à la jeune Serpentarde avec un sourire goguenard :

-J’aime bien le côté puant de ta table Simplet, mais ne crois pas que ce soit une raison qui t’autorises à me parler. A la revoyure !

Sans un regard en arrière, Seth entama la marche vers son plus grand rêve en ce matin d’automne : la Table des Gryffondors et leurs magnifiques éclairs au chocolat !

[A toi de me rattraper si tu le souhaite ! ]

Le seul avantage de la ridicule comédie de ce concentré d’imbécilité était qu’il avait réussi, à lui tout seul et en moins de dix minutes, ce que ni sa mère et ses hurlements désespérés de stade terminal de gueule de bois, ni Conchita et son affreux cor de chasse, et encore moins Hector et ses stupides jeux vidéos de samouraïs qui se battaient avec des bâtons de bambou (non mais franchement) en hurlant comme des porcs, n’avaient pu faire, en dix ans de tentatives : sortir Lou de son brouillard du matin.

Son regard vague redevint perçant, son teint brouillon retrouva tout son éclat et ses joues prirent même une légère couleur rosée quand le Déchet osa s’asseoir à côté d’elle.

Pas d’embarras, non, mais de colère. Cet abruti venait poser son gros derrière de babouin sur son banc à elle ! Et pour lui raconter des idioties dans l’oreille !

Et il osait la traiter de...quoi ???? Simplet ????

- Crève, rétorqua-t-elle quand il se leva.

Sentant encore quelques regards s’attarder sur elle, elle foudroya sur place tous ceux qui la contemplaient d’un air surpris et intrigué.

- Quoi ?, lança-t-elle froidement, vous croyez toujours ce que le premier imbécile venu vous raconte ?

- Ah mais on a rien dit c’est bon hein..., marmonna un garçon de sa classe qui se dépêcha de replonger dans son bol de chocolat.

- Ouais..., renchérit son copain assis à côté de lui.

Sans les écouter plus, Lou tourna la tête vers Seth qui s’en allait fièrement à sa table.

Il croyait vraiment qu’il avait réussi quelque chose celui-là. S’il pensait vraiment qu’il pourrait clouer le bec à Lou la terreur des cours de récré, il se foutait le doigt dans le c*l.

Elle jeta un coup d’œil dans la Grande Salle.

Les gens étaient soit endormis dans leurs tasses, soit trop occupés à finir leurs devoirs en retard ou à comparer les catalogues dans lesquels ils comptaient commander leur robe de bal...bref, avec toute cette agitation de marché, personne ne penserait à regarder dans sa direction pile poil au moment où elle jetait un sort...

Elle prit sa baguette posée à côté de sa tasse, tira un peu la longue manche de sa robe noire pour qu’on ne la voie pas, puis croisa les bras en pointant le dos de Seth.

- Cracbadabum, murmura-t-elle.

[ Alors mon petit Seth, choisis si le sort te touche, et si oui s’il frappe ta robe, ou ton sac à dos si t’en as un ]