L'impasse

Visiblement, son rapport, même incomplet, avait plu au Seigneur des Ténèbres. James avait pris bonne note des recherches complémentaires à effectuer sans retard, mais il était sorti de l'entretien galvanisé par quatre mots lâchés par son maître : "Tu me plais, James". Combien de fois Lord Voldemort avait-il prononcé ces quelques mots, sachant bien quel effet ils avaient sur les esprits fanatiques comme celui du jeune homme ? Cela, James n'y avait pas songé. Si le Maître lui avait dit cela, c'est qu'il le pensait... naïf jeune Mangemort. Il aurait bien le temps de se rendre compte de son insignifiance aux yeux du Lord, et de perdre toutes ses illusions. Pour l'heure, il avait dix-neuf ans, son maître l'avait complimenté, et il pensait tenir une piste sérieuse pour la recherche du Parchemin : que demander de mieux ? L'avenir lui appartenait. Juste le temps de confirmer les intuitions qu'il avait eues, rassembler les preuves exigées par le Maître, et il pourrait demander audience.
Gonflé par cette réjouissante perspective- il s'imaginait déjà tendant une liasse de parchemins au Mage noir, et recueillant les fruits de son travail- il se présenta dès l'ouverture à la Bibliothèque Magique de Grande-Bretagne. Il n'avait pas beaucoup fréquenté l'imposante institution, mais il aimait son ambiance studieuse, l'obscurité dans laquelle on conservait les documents, les chercheurs affairés parcourant les rayons... Les seuls bruits étaient le froissement du parchemin, le grattement des plumes, les chuchotements... Cela rappelait la salle commune de Serdaigle la veille des examens.
James s'installa à une des longues tables de bois sombre, posa toutes ses affaires, et entreprit d'explorer les rayons. Selon le plan affiché à l'entrée, la section concernant l'alchimie n'était pas loin... Silencieusement, le jeune Mangemort se glissa vers le rayon opportun, et consulta les tranches des ouvrages. John Dee avait droit à plusieurs livres à lui tout seul, et James en sélectionna deux, pour commencer, avant de regagner sa place. Pour faire bonne mesure, il prit aussi une Biographie générale de l'alchimie (V°-X° siècles, XI°-XV° siècles ; le dernier volume avait déjà été emprunté).
La bibliothèque se remplissait rapidement, et le jeune homme remarqua qu'un autre sorcier s'était installé à la même table que lui. Préoccupé par ses recherches, il ne prêta guère attention à cette personne qui lisait, la tête baissée sur son grimoire. Il déposa ses livres entre lui et son voisin, ouvrit son cahier de notes, et s'attaqua à la lecture.

Camille Lilau, dit Lil'

Lil' était arrivé tôt à la bibliothèque, ce matin là. Passionné d'histoire de la magie, il avait décidé, deux ans plus tôt en quittant Poudlard, de ne pas poursuivre ses études à l'UMA mais de compléter par lui même ses connaissances. Il venait donc régulièrement à la bibliothèque et commençait à avoir une culture très développée en la matière. Pour parfaire ses connaissances, il avait même eu l'occasion de rencontrer le fils de Lasornette et de lire les essais qu'il n'avait pas eu le temps de finir avant de décéder. C'était le prof qui avait remplacé quelques temps Binns, il y a quelques années, qui lui avait donné un tel amour pour l'histoire de la magie et la magie théorique.

Depuis trois mois, Lil' avait décidé de s'intéresser à l'histoire de l'alchimie magique. C'était le décès de Nicolas Flamel qui l'avait poussé dans cette direction et finalement il n'en avait pas été déçu. Le plus souvent, les textes étaient folklorique et il faillait être très critique pour pouvoir discerner le vrai du mythe mais c'était ce qui rendait cette étude encore plus intéressante. Mais cette partie de son apprentissage touchait aussi à sa fin puisqu'il avait dévoré (et retenu pour la plus grande partie) presque tous les ouvrages sur le sujet présents dans la bibliothèque. Il terminerait certainement dans deux semaines le dernier ouvrage de l'histoire de l'alchimie et devrait changer de sujet. Il envisageait d'ailleurs de s'intéresser aux artefacts magiques car il les avait beaucoup croisés au détour de ses lectures.

Alors qu'il prenait des notes sur un parchemin, il remarqua les livres posés près de lui. C'était deux ouvrages sur John Dee. Il eut une grimace à la lecture de l'un des deux titres et observa un instant son voisin. Finalement, il se décida et se pencha vers lui. C'est une voix douce mais masculine malgré son apparence efféminée qui murmura alors :

"Celui-ci c'est qu'un ramassis de rumeurs, vous auriez du prendre celui avec la tranche verte. Par contre, celui-là est bien."

Il adressa au jeune homme un sourire complice puis poursuivi avec assurance :

"Si vous vous intéressez à Dee, je peux vous laisser le livre que je consulte, c'est le dernier volet de la biographie générale de l'alchimie, le passage sur Dee est assez précis, j'ai trouvé."

Il pointa son propre livre et plongea son regard dans celui de l'inconnu.

[HJ : en espérant que tu as assez d'ouvertures ^^]

James s'était rassis, sans faire attention à l'homme qui partageait désormais sa table. Peu lui importait ce voisin, pourvu qu'il soit silencieux et qu'il n'ait pas la manie exaspérante de renifler sans cesse. Le jeune homme avait subi la compagnie d'un renifleur quelques jours auparavant à la bibliothèque de l'UMA, et il en était arrivé à la conclusion qu'on devrait tout simplement exécuter ces gens-là. Il semblait que le nouveau voisin de table de James ne faisait pas partie de cette lamentable catégorie de la population, et le jeune homme s'installa, d'un peu meilleure humeur- ou d'humeur à peine moins massacrante, plus exactement. L'absence du volume de la Biographie générale traitant du XVI° siècle l'avait contrarié ; ces bouquins étaient bien faits, et il aurait peut-être trouvé quelque chose d'intéressant pour débuter. Bref, il n'y était pas, et la bibliothèque n'en possédait, bien sûr, qu'un seul exemplaire. Foutu grimoire...
Convaincu que l'absence de ce livre augurait d'une mauvaise journée, James ouvrit un peu brutalement son carnet de notes, saisit sa plume, et s'apprêta à la tremper dans l'encre, lorsque son voisin lui adressa la parole. Interdit, le Mangemort leva les yeux et détailla enfin le sorcier. Un jeune homme pas beaucoup plus vieux que lui, qui souriait, et qui désignait ses livres d'un geste un peu maniéré.
James ne sut que répondre, et il se contenta, dans un premier temps, de mettre de côté le livre qui suscitait les critiques du jeune homme. Puis il se décida à demander :

-Celui avec la tranche verte... Vous voulez dire celui de Chilperic Macfarlane ?

Oui, sans doute, c'était le seul avec une tranche verte, pour autant qu'il s'en souvienne. Il cocha le titre de l'ouvrage dans sa bibliographie avant d'adresser un sourire à l'homme qui venait de faire une proposition particulièrement alléchante :

-Je veux bien, merci beaucoup. J'ai cherché ce volume dans le rayon, et j'étais assez contrarié de ne pas le trouver... Je vous remercie.

Il prit l'ouvrage que lui tendait son voisin, mais sans l'ouvrir. Ses yeux bleus fixés sur le visage du jeune homme, il expliqua :

-J'étudie à l'UMA, j'ai une recherche à faire sur John Dee... je n'ai pas trouvé grand-chose à la bibliothèque universitaire, mais je pense que j'aurai plus de chance ici. Vous avez l'air d'être un connaisseur... si vous permettez que je vous pose une question... Dans quel ouvrage, d'après vous, ai-je une chance de trouver la liste la plus complète des artefacts ramenés par Dee à son retour en Grande-Bretagne ?

« A vrai dire, je pensais plus à l’ouvrage de Xavier Evilfoe mais il est vrai que celui de MacFarlane possède également une tranche verte. Le problème de MacFarlane c’est qu’il s’interroge beaucoup sur la signification de la prétendue visite de l’ange Uriel que Dee à décrit à plusieurs reprises. Il était persuadé qu’il s’agissait d’une image quelconque et en néglige un peu le reste des travaux de Dee. L’œuvre d’Evilfoe est une approche plus mathématique des recherches de l’alchimiste et est donc basée sur des sources plus solides. Cela dépend beaucoup de ce que vous cherchez. »

Il avait reposé ses coudes sur la table et poussa simplement son volume vers son camarade, écartant les remerciements de ce dernier d’un haussement d’épaule à peine esquissé.

John Dee avait été un alchimiste passionnant. Un des hommes les plus cultivés de son temps et un intime de la reine Elizabeth II. Il avait beaucoup fait parler de lui dans le monde moldu comme dans le monde sorcier. Son fils aîné, Arthur, était bien moins connu mais tout aussi doué et avait reprit les recherches de son père. Il était d’ailleurs assez dommage que les recherches du fils aient été si secrètes et que peu d’ouvrages en relatent les découvertes. Mais ce n’était finalement qu’un alchimiste parmi d’autres. Certes, il était sa clef pour bifurquer vers l’étude des artéfact dans le mémoire qu’il se promettait d’écrire un jour mais cela pouvait attendre. Il n’était pas à un jour près. Son but à lui était l’œuvre de toute une vie.

« Cela dépend de ce que vous entendez par « retour en Angleterre ». John Dee aimant de s’entourer de mystère, il voyagea beaucoup. Mais je suppose que vous voulez parler de son tout premier retour, en 1548. On n’a malheureusement pas la liste exacte de toutes ses trouvailles mais beaucoup de livres en font état. Si vous cherchez à comprendre ses œuvres mathématiques je pense que le « Science et Magie dans l’Histoire » de Gregor Trazesky vous sera utile. »

Il s’interrompit alors le temps de chercher dans sa pile le parchemin sur lequel il avait noté les artéfacts les plus importants que Dee avait possédés. C’était l’abondance de ces objets qui avait décidé Lil’ de faire de cet illustre méconnu, la source principale de son début d’étude. Et puis au fur et à mesure qu’il avancerait dans ses recherches, il se diversifierait.

« Vous le trouverez dans l’allée des mathématiques appliquées à la magie. En ce qui concerne l’astronomie et la navigation c’est « L’Empire Britannique » de Trevor Less. Pour les artefacts plus « surnaturels » comme ceux que lui auraient donné les anges je pense que le Macfarlane devrait suffire. Enfin, ses plus célèbres comme le Sigillum Aeifmeth, la Tabula Sancta et cet étrange parchemin dont j’ai oublié le nom, les listes se trouvent si ma mémoire est bonne, dans la bibliothèque magique du British Museum mais je ne pense pas qu’elle soit accessible au public. J’ai peur qu’il vous faille demander à votre professeur de vous procurer un accès. »

Combien de fois s’était-il heurté au refus du Conservateur du Musée alors qu’il voulait simplement étudier de plus près certains vieux parchemins dont la traduction lui paraissait plus que douteuse. Il avait d’ailleurs fait une demande auprès du ministère de la magie pour être reconnu comme Etudiant Libre et avoir ainsi les mêmes droits que les étudiants de l’UMA. Ses études n’étaient pas moins importantes à ses yeux que celles des autres étudiants.

A mesure que l'homme parlait, James notait frénétiquement ce qu'il disait, sa main courant littéralement sur le parchemin. L'érudition d'un homme aussi jeune l'impressionnait, et lui donnait confiance ; ce type-là savait de quoi il parlait, c'était évident. Bientôt, la bibliographie constituée par Kirkby fut largement annotée, les commentaires de son voisin reportés en face de chaque titre, et l'ouvrage manquant dans cette bibliographie (L'Empire britannique de Trevor Less) fut ajouté en fin de liste. Voilà qui permettrait au jeune Mangemort de progresser sur la piste John Dee...
La prise de notes achevée, il s'était mis à feuilleter, machinalement, l'ouvrage prêté par son voisin de table, non sans écouter attentivement les éclaircissements donnés par l'érudit au sujet du "retour en Angleterre" de Dee. La plupart des livres étaient avares d'éléments concernant la vie de l'alchimiste, et ils n'évoquaient en général qu'un seul retour en Angleterre : celui de 1548. James hocha la tête en entendant la date, stupéfait que les livres omettent de signaler des choses aussi importantes. Car cela changeait énormément de choses ; plusieurs retours en Angleterre, cela signifiait plusieurs occasions de rapatrier des objets intéressants... et peut-être le parchemin...
Le jeune homme évoquait à présent les objets et artefacts importants possédés par Dee. Il en dressa succinctement la liste, indiqua qu'elle se trouvait au British Museum, et posa une réserve que James écouta à peine. Il venait de prononcer le mot de parchemin... enfin, on y était.
L'étudiant devait soigneusement cacher son jeu, ne pas paraître trop avide d'informations au sujet de ce parchemin. Il était censé travailler sur John Dee, pas sur le parchemin. James dut faire un effort pour ravaler son excitation ; pour gagner du temps, il nota quelques mots sur son parchemin, en demandant à voix haute :

-Tabula Sancta... Sigillum Aeifmeth... J'ai aussi entendu parler d'une dague qui aurait trempé dans le Grand Elixir, mais cette théorie manque d'arguments... Quant au parchemin dont vous parlez, s'agit-il du dénommé parchemin d'Alexandre qui défraie la chronique depuis quelques mois ? Vous savez, la Gazette du sorcier en a parlé... ou bien est-ce un autre parchemin ?

Voilà qui n'était pas mal ; le ton détaché, le catalogue des artefacts de Dee dressé d'une voix sans passion, le parchemin relié aux articles de la Gazette qui avaient paru depuis quelque temps... Il n'avait pas fait preuve d'excitation, de la moindre convoitise au sujet du parchemin d'Alexandre. Il jouait finalement assez bien son rôle d'étudiant sérieux...
En attendant la réponse du jeune homme, il repensait au British Museum. Un musée moldu, certainement mal protégé contre les intrusions d'un sorcier. Il lui serait facile de s'y introduire et d'y consulter les listes- et peut-être même d'y voler quelque objet.

Un doux sourire apparut sur le visage du jeune homme en le regardant noter avec passion tout ce qu’il disait. Il connaissait cet état de fébrilité, quand les connaissances trouvées s’imbriquaient parfaitement dans votre théorie. Cette impression de frôler la vérité du bout de ses doigts avant qu’elle ne s’échappe, inexorablement, au détour d’une incohérence. Visiblement l’adolescent avait encore du mal à séparer mythes et faits.

« Je ne suis pas convaincu par ce couteau. En effet, Dee a disparu du monde des moldus entre 1608 et 1609 et est mort en mendiant vers 1619, dans la misère la plus totale. C’est un âge très jeune pour un sorcier. Vous ne pensez pas que s’il avait pu ne serait-ce qu’approcher le Grand Elexir, il en aurait profité pour rallonger son espérance de vie ou au moins ne pas terminer dans la rue ? »

James jouait en effet parfaitement son rôle. Lil’ pensait avoir à faire à un collègue ou tout du moins à un esprit aussi curieux que le sien, cherchant lui aussi entre mythes et légendes pour retrouver la vérité. Pas une seule fois il ne soupçonna le véritable but de ses recherches, pas même lorsqu’il posa sa question sur le parchemin d’Alexandre.

Surprit, Lil prit quelques minutes pour réfléchir à ce parallélisme incongru. Il n’avait suivit que de très loin les articles sur ledit parchemin. D’abord parce qu’historiquement parlant, la Gazette du Sorcier était loin d’être une source fiable, ensuite parce qu’Alexandre ne touchait pas vraiment à sa période. Il était plus calé renaissance qu’antiquité.

« Je ne pense pas… »

Laissa-t-il échapper, pensif, parlant plus à lui-même qu’à son collègue.

« Le Parchemin de Dee était un artefact Cabbalistique. Alexandre vécu bien avant la révélation ou création de la Bible. Et puis cela m’aurait frappé je suppose. Le seul rapport que je vois entre les deux est qu’aucun des deux n’a probablement quitté l’Angleterre. Non, le parchemin avait un nom latin, j’en mettrais ma main à couper.»

Toujours aussi élégant dans ses gestes, Lil’ prit le verre d’eau à sa droite et le porta à ses lèvres, pensif. Il n’avait jamais pensé à chercher l’origine de la Bible même. Le livre saint pouvait-il être considéré comme un artefact ? Devait-il de nouveau donner un tour à ses recherches ? Non. Ce n’était pas sérieux, il ne devait pas se laisser emporter par l’enthousiasme. Rester rigoureux était la clef. Pourtant cette association entre Dee et le parchemin d’Alexandre était intéressante, osée même.

James sentit son estomac se nouer. John Dee n'aurait jamais eu en sa possession le Parchemin d'Alexandre... Voilà qui contrariait toutes les théories échafaudées par le jeune sorcier- et inconsidérément livrées au Seigneur des Ténèbres. Quelques sources parlaient d'un parchemin fameux possédé par l'alchimiste, et James avait relevé suffisamment d'indices pour identifier ce parchemin à celui d'Alexandre. Et voilà que ce garçon lui affirmait que Dee n'avait pas été le propriétaire de cet objet... L'homme semblait suffisamment calé sur le sujet pour que son opinion soit prise en considération ; il ne lançait pas cette affirmation à la légère, et d'ailleurs il l'étaya immédiatement par des arguments convaincants. A mesure qu'il parlait, James sentait une sorte de malaise s'emparer de lui ; tout s'emboîtait si bien dans sa démonstration...
Un point positif, un seul : d'après ce garçon, le Parchemin n'avait pas quitté l'Angleterre. L'île était vaste, certes, mais cela limitait tout de même considérablement le champ de recherches... Restait à voir comment le Seigneur des Ténèbres prendrait cette optimiste conclusion.
Le jeune Kirkby eut besoin de quelques instants pour reprendre ses esprits. La révélation de son voisin l'avait beaucoup affecté, et plongé dans un abîme de perplexité- et bientôt, de désespoir. Il fallut une bonne poignée de secondes pour que l'étudiant puisse desserrer ses mâchoires crispées et reprendre, d'une voix aussi naturelle que possible :

-Vous êtes sceptique au sujet du couteau... Cela vous pose en contradicteur de la plupart des auteurs... En général, ils sont convaincus que le couteau a appartenu à Dee... Mais quels artefacts indiscutables peuvent être attribués à Dee ? Le couteau est généralement présenté comme l'un des plus sûrs, mais vos arguments sont très sensés...

Il était tout à fait possible que l'homme eût raison, et que le fameux couteau n'eût rien à voir avec Dee. L'explication était convaincante, même si elle n'arrangeait pas James. Le jeune homme réfléchit un instant et reprit :

-D'ailleurs, ôtez-moi d'un doute : je crois que le couteau attribué à Dee est exposé au British Museum... Ce couteau n'a-t-il pas été examiné et analysé par des spécialistes sorciers ? Eux pourraient facilement dire si l'objet est un artefact... et sans doute, pourraient-ils savoir s'il a ou non été en contact avec l'Elixir...

Qu'il ait appartenu ou non à Dee n'avait guère d'importance : l'essentiel était de savoir s'il avait été en contact avec l'Elixir- une substance magique hautement puissante. S'il avait touché cette substance, ce couteau intéresserait forcément le Seigneur des Ténèbres- et au diable l'alchimiste.

L’adolescent avait l’air totalement dévasté par la destruction de sa théorie. Quelle qu’elle soit puisque jamais Lil n’aurait poussé l’indélicatesse jusqu’à lui demander de la lui exposer. Une théorie, pour un chercheur, c’était une possible clé vers la compréhension, le savoir, voire pour certain la célébrité et la fortune. On gardait précieusement une théorie, on ne l’exposait pas comme ça au premier inconnu qui passait. Même en échange de quelques renseignements. Cela faisait partie de l’Ethique des Chercheurs que de ne jamais voler les recherches de l’autre.

Cherchant visiblement à retomber sur ses pattes, James posa de nombreuses questions sur le couteau. Bien qu’il mette visiblement sa parole et son raisonnement en doute, Lil’ laissa son compagnon parler jusqu’au bout. Il fit bien d’ailleurs puisque le jeune homme termina en avouant son trouble et son incapacité à se décider entre les arguments qu’il venait de poser et ceux qu’il avait avancés.

« En vérité, je n’avais pas l’intention de vous troubler. Il est évident que ce couteau a été en contact avec l’Elixir, de nombreux documents et expertises le prouvent. Il est également notoire qu’il a appartenu à Dee. Comme il me semble impossible que ce dernier ai eut accès audit élixir, je pense simplement que Dee s’est procuré le couteau après son immersion dans le fameux élixir. »

En tout cas c’était ce que lui en avait conclu. Il lui paraissait en effet hors de question que les experts du British Museum (et d’ailleurs) se soient à ce point fourvoyés. D’ailleurs ce couteau n’était pas sans intérêt.

« Ce qui rend ce couteau vraiment passionnant, c’est qu’il comporte à ce qu’on dit une inscription sur la lame et que le sens de ladite inscription change radicalement à l’endroit trempé dans l’Elixir. Dee soutenait que c’était la magie d’Uriel qui l’avait transformé mais il est fort possible qu’il y ait d’autres explications. »

Sans attendre, il se leva et saisit l’un des livres qui trônait autour de James. Il le feuilleta rapidement, en homme qui sait parfaitement ce qu’il cherche et tomba sur une reproduction en couleur d’une photo dudit couteau.

« C’est presque invisible sur cette image mais avec un sort de loupe, on peut apercevoir quelques détails. Tenez, regardez ici. »

Toujours élégant, il posa son doigt blanc sur ce qui ressemblait vaguement à une tâche sur la photographie.

Un peu étourdi, James avait du mal à recoller à la réalité. Sa théorie, sa belle théorie venait de s'effondrer comme un château de cartes, simplement avec quelques mots... Le jeune homme près de lui ne se doutait certainement pas qu'il venait d'anéantir James, en quelques phrases élégamment tournées ; le Mangemort observait d'un oeil vide la croisée d'une fenêtre en face de lui, repensant à sa théorie, et à son inconscience... Il avait été raconter tout ce qu'il avait échafaudé à Lord Voldemort, persuadé qu'il avait un véritable indice, et il s'apercevait qu'il avait fait fausse route... Ce n'était pas un fiasco, c'était un acte de décès.
Le léger déplacement d'air causé par son voisin ramena James à la réalité ; le jeune érudit venait de prendre l'un des livres posés près du Mangemort, pour y chercher une illustration qu'il se mit à expliquer, posément. James se força à revenir à la conversation, et observa le grimoire. L'image que le jeune homme lui désignait représentait le fameux couteau de John Dee.. Du déjà vu, déjà beaucoup vu, estima James ; mais la précision apportée par son voisin l'intéressa au plus haut point, et il se pencha sur l'illustration, sa baguette en main, après avoir murmuré le sort conseillé par l'érudit.

-Effectivement... Vous avez raison, on peut lire quelques mots à l'endroit où l'Elixir a touché la lame... mais il s'agit d'une langue qui m'est inconnue...

Il fixait attentivement l'image, passionément, comme s'il pouvait forcer le reste du texte à se dévoiler. Voilà quelque chose de positif, ces quelques mots... Au moins, le couteau de Dee possédait des pouvoirs très intéressants, il suffisait de voir les mots révélés par l'élixir pour s'en convaincre. D'un air songeur, James reprit :

-Visiblement, il suffirait de tremper toute la lame dans l'élixir pour pouvoir lire toute l'inscription... Mais je suppose que cet élixir est introuvable actuellement, sinon les experts auraient déjà trempé la lame du couteau pour déchiffrer l'inscription... Cela permettrait peut-être de savoir si Dee a vraiment été en contact avec Uriel....

Le jeune Kirkby eut un sourire désabusé en regardant son voisin ; il fallait bien se raccrocher à quelque chose, alors pourquoi pas à ce couteau... Peut-être, en ramenant cet objet manifestement puissant au Lord, le Mangemort sauverait-il sa peau... Mais encore faudrait-il savoir ce que racontait l'inscription ; s'il était inscrit "merde à celui qui lira" en runes ou en araméen, Kirkby ajouterait l'offense à l'inconscience, et ce n'était plus la mort qu'il devrait redouter, mais l'agonie.

La recherche en histoire était une maîtresse souvent ingrate, toujours exigeante, qui ne supportait ni l’inexactitude, ni le mensonge. Se remettre de la destruction d’une théorie était comme remonter à cheval après une chute. Il fallait le faire tout de suite ou le doute s’installait dans votre cœur et créait une rancœur qui dévorait toute passion. Aussi Lil’ fut soulagé de voir son cadet s’intéresser au couteau. La lumière brilla de nouveau dans ce beau regard si clair et la tristesse sembla en disparaître. Maintenant il fallait que le jeune étudiant se renseigne un peu tout seul. On ne pouvait apprendre en étant toujours guidé.

« Je ne crois pas qu’elle ai jamais été traduite mais je ne suis pas expert en la matière. Si le sujet vous intéresse, je vous incite fortement à faire des recherches dessus. Qui sait, peut-être trouverez-vous LE détail manquant. »

Il ne se moquait pas, au contraire. Après tout, les outsiders avaient souvent un esprit plus critique que les historiens déjà bien formatés. C’était un autre des dangers des études d’histoire. Perdre son regard neuf au milieu des théories de ses aînés.

« Nicolas Flamel est le seul sorcier connu à avoir eu l’élixir en main. Et le seul détenteur de la pierre philosophale. J’ignore ce qu’elle est devenue à présent. Quand à Uriel c’est un mystère qui reste entier. Dee l’a-t-il réellement aperçu ? Qui était-ce ? Un ange ? Un imposteur ? Une créature magique pensante encore inconnue de nos services ? Une farce ? Je n’ai jamais rien trouvé qui puisse prouver son existence mais cela ne veut rien dire. »

Il sourit avec sa douceur habituelle et commença tranquillement à ranger ses affaires dans son sac. Puis, il se leva, les livres à ranger sous le bras et reprit comme si de rien n’était.

« Vous découvrez qu’en Histoire, une question en appelle souvent une bonne dizaine d’autre. Je vous conseille de vous concentrer d’abord sur le couteau. Il sera toujours temps de passer à Uriel ensuite si ces questions vous perturbent toujours. »

D’un geste tranquille, il remonta sur son épaule le sac bourré de livre qui, bien qu’enchanté pour ne pas être trop lourd glissait sur le bras fin de l’étudiant puis inclina poliment la tête.

« Je dois vous quitter mais continuez à chercher, il serait dommage d’abandonner maintenant. J’ai été heureux de croiser votre chemin. Bonne soirée »

Et sur ces paroles, il posa ses livres sur le chariot des retours, descendit dans le hall et transplana.