Des bruits de pas. Enfin. Cela ne pouvait qu'être Kate car les gens du village était si naïfs que jamais ils n'oseraient s'aventurer, encore aujourd'hui, dans cette vieille maison délabrée. Seul un Serpentard, et à plus forte raison un Black, aurait osé braver le tabou entourant la Cabane hurlante. Il était temps. Alshaïn avait failli attendre. La porte derrière elle se mit à grincer sournoisement et un sourire se profila sur les lèvres d'Alshaïn. Elle n'ouvrit la bouche que lorsque la porte se tut complètement, étant désormais certaine que la jeune adolescente avait pénétrée dans la pièce lugubre qui semblait avoir servi autrefois de boudoir. Ce dernier donnait sur un balcon, mais la porte avait été bloquée de planches mises en place de l'intérieur par quelque procédé magique, comme si l'ancien propriétaire avait voulu se barricader pour s'éclipser à jamais aux yeux du monde extérieur. La voix d'Alshaïn s'éleva, étonnamment calme parmi ce décor sinistre, et tandis que les mots coulaient, la jeune femme se retourna et tendit elle aussi sa baguette qu'elle agita légèrement pour faire apparaître deux fauteuils en cuir brun. Puis, pour montrer à Kate ne lui voulait aucun mal, elle rangea lentement sa baguette.

"Tu ressembles tellement à ton père que tes actes en sont presque prévisibles. Lui aussi était fasciné par la Cabane hurlante depuis que son frère lui avait raconté d'horribles contes à dormir debout pour essayer de lui faire peur. Mais ce que Sirius oubliait, c'est qu'un Black n'a pas peur. N'est-ce pas Kate ?"

Alshaïn ne parlait pas ici de la téméraire hardiesse des Gryffondor, loin de là. Elle faisait référence à la capacité de dompter ses pulsions de peur et d'être capable d'affronter ses pires cauchemars à tel point qu'ils n'en sont plus, de sorte que les Épouvantards croisés ne sachent plus en quoi se transformer. Et ça, ça pouvait mériter de porter le nom de courage. Cependant, l'Empoisonneuse n'était pas venue ici pour philosopher sur le courage ou encore pour ressasser des souvenirs de Regulus et elle était pratiquement certaine que sa fille non plus. Non. Quelque chose devait la tirailler jusqu'au fond de son âme pour qu'elle veuille s'isoler des autres dans un endroit aussi reculé. Et Alshaïn avait peut-être sa petite idée de la cause de ce tiraillement. Si cette idée s'avérait vraie (ce dont elle était pratiquement certaine), alors elle pourrait élaborer de grands projets pour cette enfant devenue arme redoutable.

La Mangemort fit alors signe à Kate de s'asseoir d'un geste éloquent de la main. Il était encore tôt. Peut-être avait-elle faim ?

Un sourire étrange s’installa sur les lèvres d’Alshaïn lorsque le vase explosa. Un sourire empreint de victoire et d’une sorte de jouissance… Comme si elle était ravie que le vase se soit ainsi brisé. Deuxième signe, se dit-elle, incapacité à contrôler ses émotions. Parfait. Tout était parfait. Il faudrait maintenant tâcher d’aiguillonner la conversation sur les autres « symptômes, » faute de meilleur terme. Si les autres indices étaient présents, alors Alshaïn se dépêcherait d’envoyer un hibou au Seigneur des Ténèbres pour lui annoncer la nouvelle. Mais pour l’instant, patience, une vertu qu’Alshaïn possédait en quantité industrielle, puisqu’elle était essentielle à la création des poisons les plus rares, les plus fins et les plus subtils. Il ne fallait pas crier victoire trop vite.

La jeune femme croisa alors le regard de sa fille et pour une rare fois dans sa vie, elle ressentit une forme de regret à ne pas être Legilimens. Ce qu’elle aurait aimé savoir à cet instant précis les pensées intimes de sa fille. Peut-être y aurait-elle décelé une grande haine à son égard, ou alors un profond désarroi… Ou encore une puissante colère, une curiosité maladive, le doute, tout simplement ? Tout ce qu’elle ne pouvait déceler dans le sombre regard calme de l’adolescente, qui répondit bien étrangement à sa question sur la peur. Alshaïn en fut d’abord surprise et elle rompit sans le vouloir le contact visuel, puis elle détourna le regard vers la porte condamnée du balcon, un sourire vague sur les lèvres, et ses cheveux cachaient cette drôle d’expression lointaine et… tendre tout à coup, aux yeux de sa fille. Regulus… Naïf… Oui peut-être l’avait-il été un peu, beaucoup… Mais ce n’était guère ce que l’Empoisonneuse avait voulu montrer du caractère de ce vieil ami.

Revenue de ce petit voyage dans le passé, Alshaïn haussa un sourcil interrogateur en se retournant vers Kate. Leurs regards se recroisèrent.

La petite était nerveuse, ses mains tremblaient et jouaient après ses cheveux et après ce… ce… mais qu’avait sa fille sur le nez ? La main d’Alshaïn se serra sur sa baguette bien à l’abri dans sa poche et elle dut se faire violence pour ne pas la brandir afin d’enlever ce truc absurde. Comment Kate osait-elle porter une telle horreur ? Pour se calmer, Alshaïn préféra sortir sa baguette pour faire apparaître une table et la nourriture qu’elle avait demandées à Coline de lui préparer. Une théière remplie de thé vert du Japon, deux tasses et leur soucoupe de porcelaine et des chocolatines bien chaudes et bien moelleuses disposées sur une assiette.

« Ou presque ? » releva-t-elle de la précédente réplique de sa fille. « Il y a donc quelque chose qui te tracasse ? »

Elle lui présenta alors le petit déjeuner, lui signifiant clairement qu’elle pouvait se servir. La baguette toujours en main, Alshaïn fit léviter la théière pour remplir les deux tasses. Elle n’avait fait venir ni lait ni sucre. De toute façon, elle détestait cela.

Alshaïn jubilait. La peur de faire du mal à ses proches… Troisième signe, et le plus révélateur d'ailleurs. Les traits tirés et les cernes de Kate étaient un signe flagrant de ses insomnies. Mais peut-être se trompait-elle ? Peut-être était-elle simplement fatiguée à cause des travaux scolaires ? Hmm… à vérifier.

Alshaïn rompit un morceau de chocolatine et le porta à ses lèvres en signifiant par un hochement de tête qu'elle comprenait parfaitement ce que sa fille avait voulu dire. Elle fit passer le morceau de pâtisserie à l'aide d'une gorgée de thé, puis esquissa un léger sourire en relevant les yeux vers l'adolescente, tâchant d'éviter de porter son regard sur… sur le « bijou, » faute de meilleur terme, car autrement, elle n'aurait pas pu se retenir de le faire disparaître d'un coup de sa baguette de chêne.

« Mais dis-moi, mis à part ces quelques tracas, dors-tu bien ? J'ai remarqué que tu avais l'air fatigué, » demanda alors Alshaïn en se donnant un air feint de sollicitude. Mais au fond d'elle, elle espérait ardemment que la réponse soit positive, car si elle l'était, alors… alors ce serait merveilleux, grandiose. Avoir porté cette enfant durant neuf mois en son sein n'aurait pas été vain, inutile, et les souffrances de l'enfantement auraient valu la peine d'être endurées.

Vous l'aurez compris, Alshaïn n'avait pas du tout en tête le même genre d'avenir pour sa progéniture que la moyenne des parents. Tout au plus, Kate était une arme, un outil au service des noirs desseins d'Alshaïn et, plus spécialement, du Seigneur des Ténèbres. Au pire des cas, elle était le médium à utiliser pour transmettre ses nombreuses connaissances à propos des poisons, bien mieux encore que ne le ferait le livre que l'Empoisonneuse était sur le point de publier., car diffuser ces informations était impersonnel; elle ne pouvait se permettre de dévoiler tous ses secrets dans un bouquin, aussi élitiste soit-il.