A présent, il regrettait.

Il regrettait amèrement d'avoir osé s'aventurer dans ces lieux sordides. Que diable, il était un rat de bibliothèque, lui ! Et même au temps de l'Ordre du Phénix, il n'avait pas osé traîner ses guêtres vers l'Allée des Embrumes, laissant les missions musclées de ce genre aux Aurors et autres bagarreurs de la troupe. Lui n'était vraiment pas armé pour cela. En plus, avec cette vague de meurtres inexpliqués ces derniers temps... Certes, il n'avait sans doute rien à craindre de ce côté là, puisque toutes les victimes étaient d'anciens partisans du Lord noir mais tout de même. Savoir que l'on pouvait toujours tuer impunément malgré le changement de gouvernement lui fichait les foies.
Même s'il s'efforçait d'avoir l'air de quelqu'un d'assuré, l'Oubliator sursautait au moindre bruit, tremblait à la moindre ombre mouvante, et se retournait régulièrement pour vérifier s'il n'était pas suivi. Oui, en réalité, il transpirait la crainte. Mais il n'y pouvait rien. Ce n'était pas son élément naturel. Il se sentait aussi à l'aise qu'un strangulot hors de l'eau. Et avec sa canne et sa claudication, le tableau de la cible parfaite était dressé.

Alors Edward se hâtait. Il fallait absolument qu'il trouve cette fichue boutique d'objets rares. Il savait qu' "objet rares" était très certainement le synonyme d' "artefacts maléfiques", mais son réseau de contacts dans le milieu universitaire et de la recherche lui avait permis d'apprendre qu'un manuscrit du quatorzième siècle traitant de recherches mémorielles avait été acquis à ladite boutique. Ed' avait refusé de savoir comment le premier contact de la chaîne avait pu obtenir une telle information en provenance d'un lieu si déplaisant. Il s'était contenté de prendre note, et avait immédiatement décidé de s'y rendre : cela ne pourrait que faire avancer son travail, qui avait pris une nouvelle direction depuis son retour de voyage.

Mais maintenant, oui, il regrettait. Cela faisait plusieurs minutes qu'il louvoyait dans les ruelles, et même s'il savait exactement comment faire pour retourner sur ses pas (merci la bonne mémoire), il se sentait suivi, et avait donc pressé le pas. Le battement de sa cane résonnait de manière sinistre sur les pavés humides. C'était la fin d'après-midi, et la lumière déclinait déjà... Autant dire que dans l'allée des embrumes, il faisait presque nuit, et la bruine ambiante diffusait chichement l'éclairage fourni par quelques rares lampadaires. Edward regarda une quarantième fois derrière lui, inquiet, en déglutissant. Personne pourtant.
Mais lorsqu'il se retourna pour reprendre son chemin, cette fois, il n'était plus seul. Comme par magie, une silhouette était brusquement apparue devant lui, sombre, maigre, menaçante.
L'oubliator poussa un cri où se mêlaient la surprise et la peur. Essayant de reculer pour s'éloigner de l'homme qui était apparu devant lui (si seulement il s'agissait d'un homme !), l'anglais glissa sur les pavés humides et son genou se fit sentir violemment. Le brun poussa un nouveau cri, de douleur cette fois, et tomba en arrière, tandis que la silhouette, comme si elle n'avait attendu qu'un faux pas pour se décider, bondit sur le binoclard.

En une fraction de seconde, Edward était sur le dos, à terre, la silhouette menaçante jugée sur lui, une main tordue et sale ayant attrapé sa cravate tandis que l'autre filait vers la capuche de l'agresseur.

- Alors mon mignon, on s'est perdu ? cracha l'homme qui révéla un visage haineux, sale et émacié, dans lequel roulaient deux yeux comme fous.
Il avait une haleine fétide et des chicots presque noirs, et Edward eut un mouvement de recul, alors que la panique le gagnait. Il essayait de se débattre, mais l'homme avait bloqué l'une de ses mains sous ses genoux, et celle qui restait libre était à l'opposé de sa poche à baguette et bien trop occupée à éloigner le visage de l'inconnu du nez de l'Oubliator. Quant à faire basculer son agresseur, même si celui-ci ne semblait pas bien épais, c'était tâche insurmontable pour la crevette qu'était l'employé du ministère.

- A moi ! A l'aide ! cria-t-il avec l'énergie du désespoir. Mais vu le lieu, personne ne l'entendrait. Ou personne ne lui répondrait. Et l'homme en noir le savait également, car il éclata de rire avant d'asséner un bon coup de poing dans les gencives à sa victime.

Il avait presque oublié le goût que ça avait... Le sang dans sa bouche. Les flashs explosèrent dans la tête de l'Oubliator. Vawdrey, dans la ruelle. L'armoire à glace, lors de sa mission avec les Cadell. Ou le réveil, au manoir McLipswitch après le tragique Nouvel An.

Mais il n'avait plus le temps de regretter à présent. La panique s'était emparée du brun, et le temps semblait s'être emballé. Il ne sentait presque pas la douleur tant il avait peur. Seul le goût du sang lui faisait prendre conscience qu'il avait pris un bon coup, et qu'il s'était sans doute ouvert la gencive ou mordu la langue sous la force du coup de son agresseur. Sans compter que la beigne avait envoyé valser ses lunettes et que Mole était d'autant plus désemparé. Mais pourquoi diable était-il venu dans cette ruelle ! Et pourquoi diable n'était-il pas capable de se défendre, comme tout bon membre de l'Ordre ?
Et puis soudain, des bruits de pas qui accouraient, l'échalas qui se levait... Sans calculer quoi que ce soit, Mole, essoufflé et terrorisé, attrapa d'une main sa baguette tandis que l'autre tâtonnait pour trouver ses lunettes. Un affrontement venait d'avoir lieu, il l'avait entendu, mais sans ses précieuses binocles, il n'y voyait strictement rien !
Avant qu'il ait pu les retrouver, la silhouette sombre était de nouveau sur lui, repoussant du pied l'Oubliator qui cherchait sa monture, à trois pattes sur les pavés humides - il était incapable de poser son genou meurtri au sol. Edward glissa à nouveau et sentit sa dernière heure arriver.

Une violente lueur rouge illumina la ruelle, et Edward reçut un choc qui l'aplatit dans la boue immonde de l'allée des embrumes. Sauf que, contre toute attente, il ne venait pas d'encaisser un puissant sortilège maléfique. Il venait simplement de recevoir le corps de son agresseur inanimé sur le coin de la figure !

Le brun mit plusieurs secondes à réaliser qu'il était toujours vivant et que l'odeur nauséabonde qui emplissait les narines était celle de son agresseur inconscient. Dans un gémissement, il repoussa le corps pour se dégager, lança un sortilège de pétrification en complément pour être certain que celui-ci ne se relèverait pas de sitôt, et s'assit tant bien que mal tout en continuant à chercher ses lunettes à tâtons, le souffle court. Tant qu'il ne verrait pas correctement la situation, son cœur et ses tripes refuseraient de se calmer et se croiraient toujours en danger.

- Qui est là ? croassa-t-il d'une voix rauque en brandissant sa baguette devant lui au hasard.

Le coup de poing dans le ventre n'était pas une si mauvaise idée, finalement. James était tombé à genoux, le souffle coupé, mais au moins, il n'avait plus à subir l'odeur pestilentielle du malfrat ; avec cette odeur dans les narines, il aurait probablement été incapable de tirer sa baguette magique et de lancer le sort qui neutralisa l'homme. Un bref éclair de lumière rouge illumina les façades lépreuses de l'Allée des Embrumes, et le grand échalas malodorant s'effondra lourdement. Encore affaibli par le coup de poing, James ne remarqua pas immédiatement qu'il était tombé sur sa première victime ; les mains pressées sur son ventre, il retrouvait lentement sa respiration, sans vraiment se soucier de l'autre homme qui bougeait péniblement sous leur agresseur.

L'odeur vint à nouveau titiller les narines de James, signe que l'effet du coup était passé ; la douleur s'était estompée, et le repenti, la démarche pataude, put se lever. Il se sentait un peu confus de n'avoir pas aidé l'homme à se dégager ; à présent, il voyait que le malfaiteur s'était attaqué à une personne handicapée, dont la canne traînait au sol, et qui tâtonnait en cherchant quelque chose par terre – sans doute la canne en question, à quelques dizaines de centimètres, pour pouvoir se relever. Pourquoi n'utilisait-il pas sa baguette magique pour lancer un sort d'attraction, au lieu de tâter le sol à l'aveuglette ? James, décidément très obligeant, songea qu'il serait courtois de ramasser la canne de l'homme, et de l'aider à se remettre à la verticale. Sans répondre à la question proférée par une voix vaguement familière, il déclara, en avançant vers la canne :

-Ne vous inquiétez pas, je vais vous aider. Voici votre canne...

Il s'interrompit en sentant quelque chose se briser sous son pied dans un bruit de verre – des lunettes, désormais réduites à l'état de bouillie, comme le repenti le constata en se baissant. Quel idiot ! Il n'avait pas imaginé un instant que l'homme pût chercher des lunettes, auquel cas il aurait pris la précaution d'éclairer l'endroit avant d'avancer... Confus de sa maladresse, il lança un Lumos de façon à ce que les lunettes défuntes – et les visages des deux hommes – se trouvent en pleine lumière, et il balbutia sans vraiment y croire :

-J'espère que... heu... ce n'était pas cela que vous cherchiez...

Un genou en terre, il ramassa les débris des lunettes – du bon matériel, probablement ensorcelé spécialement, le verre était brisé en étoile mais restait attaché à la monture, elle-même passablement tordue, mais tous ces éléments demeuraient solidaires... Avec des précautions désormais inutiles, James tendit les lunettes brisées à l'homme en s'excusant :

-Tenez... Je suis désolé, je suis terriblement maladroit... J'espère que vous ne m'en voudrez pas trop, monsieur... monsieur Mole, ajouta-t-il d'une voix blanche en reconnaissant, malgré l'absence des besicles, le visage de l'Oubliator.

Mole... L'homme avec qui il avait eu une pénible discussion au Ministère... Il se rappelait avoir fui, sous le regard glacial de Mole, après avoir vainement tenté de s'expliquer... Peut-être pourrait-il à nouveau prendre la poudre d'escampette, à la faveur de l'obscurité, et laisser Mole se débrouiller seul... après tout, l'agresseur était hors d'état de nuire, hormis sur le plan olfactif... L'Oubliator n'avait plus besoin qu'on l'aide – d'ailleurs, il était stupéfiant qu'il en ait eu besoin à un moment. L'air de rien, James se redressa, la baguette toujours serrée entre ses doigts, hésitant à transplaner pour fuir Edward Mole.

[Toutes mes excuses pour ce retard ]

Continuant à tâtonner de la main gauche sans y penser, l'Oubliator brandissait sa baguette devant lui, prêt à lancer un sortilège bien senti au moindre mouvement suspect qui se dirigerait à nouveau vers lui. Il avait beau être meurtri, le postérieur dans l'infâme gadoue de l'allée, et quasiment aveugle, il n'en demeurait pas moins excellent en sortilèges, et même en visant au hasard, il était capable de faire du dégât maintenant qu'il était sur ses gardes. Même mort de trouille.

La voix qu'il entendit le tranquillisa un peu, et il abaissa sa baguette, lentement. L'homme ne semblait pas hostile, bien au contraire. En revanche, le crissement qui avait ponctué la phrase de l'inconnu l'inquiétait plus. Il s'était crispé sans le faire exprès, car il savait bien à quoi il correspondait, l'ayant entendu bien trop souvent. Quel idiot aussi ! Pourquoi n'avait-il pas simplement lancé un sortilège d'attraction ! Mais la frousse qui s'était emparée de lui l'avait fait réagir tout autrement, sans qu'il s'en rendre compte. Il avait recherché le contact immédiat avec ses précieux bésicles, sans réfléchir plus avant... Et maintenant, voilà ce qui lui en coûtait.

Trop perturbé par tout ce qui lui arrivait en cascade, Mole ne prêta que peu d'attention à la voix qui lui semblait vaguement familière. Il avait pour le moment des problèmes bien plus urgents que mettre un visage sur ces mots : il avait été agressé, avait un mal de chien à la mâchoire, était toujours au sol, et allait sans nul doute récupérer des lunettes détruites.
Un lumos vint éclairer la ruelle, obligeant l'Oubliator à cligner des yeux tandis que son sauveur lui tendait ses lunettes, qu'il attrapa maladroitement. Ce fut pile au moment où il chaussa ces dernières que son vis-à-vis lâcha son nom. Son propre nom.
Et qu'Edward le reconnut, malgré la fissure en étoile qui barrait son oeil droit.

- Par Merlin. Vous.

Le regard de l'anglais se durcît, et il attrapa sa canne avec empressement pour se relever de manière pataude, pressé de se retrouver à la hauteur de celui qu'il venait d'identifier.
Kirkby. Le repenti. L'homme de la soirée au Ministère.
La surprise avait chassé les restes de peur qui avaient étreint le ventre du brun, et avait à présent laissé place à un mélange de ressentiment et de perplexité. Il n'aimait pas cet homme. Mais le hasard l'avait remis en travers de son chemin. Et aujourd'hui, il lui devait une fière chandelle. La vie, sans doute, s'il fallait être tout à fait exact.

Le jeune homme semblait tout aussi méfiant que lui, et tout, dans son attitude, trahissait son désir de fuir.
Mole inspira profondément. Le destin les réunissait à nouveau. Dans des circonstances tout à fait particulières. Il ne pouvait laisser passer cela ainsi.

- Je... merci, laissa échapper l'employé du ministère sans quitter l'ancien mangemort des yeux.

C'était bref mais suffisamment étonnant au vu des relations des deux hommes pour sans doute inciter Kirkby à ne pas prendre la poudre d'escampette dans la seconde. Edward profita de ce court instant pour ranger temporairement sa baguette et toiser son sauveur. Le jeune homme l'avait sauvé. Il avait été courageux de s'interposer dans un tel quartier. Se pouvait-il qu'il...

- Je... vous suis reconnaissant d'être intervenu.

Effort suprême, Edward surpassa même ses a priori pour tendre la main vers le jeune homme, lui offrant de la serrer pour le remercier.

C'était tout ? Drôle de bonhomme que ce Mole ; la question lui tenait à coeur – c'était compréhensible – mais il ne cherchait pas à pousser plus avant ses investigations ; il demandait à James si oui ou non il était le meurtrier de ses parents, et se contentait de sa réponse... Le jeune homme songea qu'à sa place, il lui en aurait fallu un peu plus ; une bonne lampée de Veritaserum, par exemple, pour ne laisser au mensonge aucune chance de s'infiltrer... ou, tout simplement, un de ces petits sorts qui délieraient la langue d'un mort... il en existait tant qu'on n'avait que l'embarras du choix, et ils donnaient généralement toute satisfaction. N'importe qui, pourvu qu'il ait un peu de jugeote, aurait répondu par la négative ; l'esprit humain est si prévisible ! Lorsqu'on avait soi-même interrogé quelques-uns de ses contemporains, on connaissait les réactions classiques – la première consistant à dire ce qui mécontenterait le moins le poseur de questions, et ce qui aurait les conséquences les moins néfastes. Non, monsieur, je n'ai pas tué vos parents... c'était l'exemple type. Les poings serrés au fond de ses poches, James attendit donc la suite, quelle qu'elle fût; l'Oubliator ne pouvait pas en rester là, c'était impensable...

Et pourtant, il ne semblait pas vouloir poursuivre. Dans le halo du réverbère, James vit le visage de Mole changer d'expression ; du mépris, il passa à une sorte de douceur triste, pas forcément plus agréable à voir. Il le croyait donc, sur la simple foi de sa réponse, ou peut-être se réservait-il la possibilité de vérifier plus tard ? Tout le monde ne se promène pas avec du Veritaserum, et la rue était encore trop fréquentée pour un interrogatoire musclé que Mole, d'ailleurs, ne semblait pas vraiment capable de mener. James resta muet lorsque l'Oubliator lui confia d'une voix blanche que “c'était bien” ; il avait un peu de mal à voir en quoi c'était bien, mais si l'autre le disait... Une vague fatigue le prit, et il fut tenté de s'asseoir sur le perron, près de Mole ; craignant de commettre un impair, il préféra simplement s'appuyer d'une épaule au mur, de façon à soulager sa jambe gauche de son poids. Elle fatiguait vite, malgré l'opération, mais le jeune homme refusait jusqu'à l'idée de reprendre sa canne – coquetterie ou superstition ? Le simple fait d'apercevoir l'objet rangé derrière une porte, au hasard de ses activités quotidiennes, suffisait souvent à le mettre mal à l'aise. La canne appartenait à un passé bien révolu – tout comme le nom de Campbell, que Mole utilisa de façon inattendue. James fixa son interlocuteur d'un air surpris ; comment pouvait-il se souvenir de ça ? Ce n'était qu'un détail sans importance... Un peu abruptement, il répondit au simulacre d'excuses formulées par l'Oubliator :

-Ce n'est rien, monsieur Mole. Je comprends.

L'autre enchaînait, osait une question plus personnelle. Pourquoi ? Le repenti avait du mal à croire aux questions innocentes, et suspectait partout une intention cachée. Il répondit cependant, sans se faire prier :

-Je travaille comme apprenti chez Ollivander depuis cet été. J'ai abandonné mes études, sans trop de regrets. Et j'ai repris mon vrai nom, ajouta-t-il après un temps d'hésitation. Paul Campbell n'a pas existé bien longtemps.

Quelques semaines, tout au plus, et il avait été identifié par trop de gens pour continuer à utiliser ce faux passeport. De toute façon, il avait toujours eu quelques réticences à se cacher derrière ce nom d'emprunt ; sans doute était-ce là une attitude stupide de défi, sand doute était-il contrarié d'avoir englouti ses économies dans l'achat de faux papiers – mais finalement, il préférait garder son vrai nom, avec tout ce que cela comportait de risques.

Mole hocha la tête à l'explication du jeune homme. C'était sans doute la meilleure position à adopter : ne pas mentir. Mais ne pas tout dire. Edward savait Ollivander intelligent. Très intelligent. Et la manière dont il avait visiblement agi avec Kirkby prouvait une fois de plus sa sagesse. Le vieil homme maintenait un statu quo qui, s'il était fragile, n'en restait pas moins la meilleure solution pour tous. Kirkby avait de la chance de travailler chez le maître. Sans doute était-il l'une des seules personnes susceptibles d'employer encore le jeune homme, et ainsi de lui offrir la chance de reconstruire sa vie.

Tandis que le repenti répondait à la question qu'il lui avait posée, Edward étendit sa jambe. La petite échauffourée de tout à l'heure avait mené la vie rude à son genou et il lui semblait que le sang tapait contre son articulation. Maudite blessure.

Ainsi Kirkby avait-il peur. Une petite voix au fond du brun semblait crier victoire. L'ancien partisan des ténèbres payait le prix de sa trahison. Mais Mole ne parvenait plus à détester son vis-à-vis aussi cordialement que lors de leur rencontre au Ministère. Sa peur était fondée. S'il débarquait comme une fleur au Ministère en expliquant sa situation, il serait immédiatement pointé par une armada de baguettes avant d'être jeté au cahot, en préventif. Ed' avait beau croire en l'humain, au pardon et à la droiture, il n'en était pour autant pas naïf. Les derniers mois lui avaient appris à regarder la réalité en face.

- Je le crois, oui... Mais... Pas n'importe comment. Car il est évident que vous encourrez Azkaban. Il serait stupide de le nier.

Edward poussa un soupir et plongea son regard dans celui du jeune homme. Quel âge avait-il ? Vingt, peut-être vingt deux ans ? C'était à peine s'il sortait de l'enfance. Et pour mauvais qu'aient été ses choix passés, il avait la vie devant lui. Ce devait être horrible d'imaginer qu'on puisse passer le restant de sa longue vie dans la lugubre prison pour sorciers. Surtout pour un repenti.

- Vous devez payer pour vos fautes. Vous devez expier vos erreurs. Vis-à-vis de la société. Mais aussi vis-à-vis de vous-même. Vous ne pourrez vous reconstruire si vous n'acceptez pas ce que vous avez fait. Et si vous payez, alors vous serez, en partie, sûrement, libéré de ce lourd fardeau.

Quelle ironie. Les mots étaient durs, mais sonnaient néanmoins comme un conseil. Le résistant qui aidait son ancien adversaire...

- Vous méritez une seconde chance. Nous en méritons tous une. Je... Je pourrais me renseigner. Au moins prendre la température. Se rendre sans savoir comment serait accueilli votre déclaration serait suicidaire. Mais si vous me jurez de considérer cette option si jamais le prix à payer s'avérait... juste... je pourrais essayer de vous... aider.

C'était dit. Le mot lui avait brûlé les lèvres. Mais il était sincère. Mole plongea à nouveau son regard dans celui de l'ancien étudiant. La notion de justesse de la peine serait bien évidemment toute relative. Mais l'Oubliator était convaincu que payer pour ses fautes permettait de les oublier en partie...

Le visage de Mole ne laissait transparaître aucune émotion tandis qu'il écoutait la réponse de James. Que pensait-il ? Quelles opinions pouvaient bien s'agiter derrière cette façade paisible et attentive ? Était-il content de voir un ancien Mangemort réduit à l'angoisse perpétuelle, tremblant d'être pris et condamné ? Regrettait-il qu'un garçon aussi jeune ait pu appartenir aux rangs des serviteurs du Lord noir ? Méditait-il une manière discrète d'embarquer son vis-à-vis jusqu'au Ministère où, toutes promesses oubliées, on gonflerait les chiffres en expédiant un criminel de plus derrière les murs d'Azkaban ? Pensait-il simplement à la douleur de la jambe qu'il venait d'étendre, sans trop faire attention à ce qu'on llui disait ? Après tout, tout était possible. James répondit toutefois avec franchise, fixant l'Oubliator pour essayer de saisir un indice quant à son état d'esprit.

L'idée d'aller se livrer au Ministère le hérissait. Il n'aurait pas fini sa première phrase qu'il serait saisi, menotté, veritaserumé, interrogé, et pour finir mis à l'ombre pour les quatre-vingts prochaines années. Il y avait là trop d'Aurors de seconde zone et de résistants de la dernière heure qui seraient heureux de pouvoir redorer un peu leur blason en arrêtant un Mangemort – fût-il venu se rendre de son propre chef ; l'essentiel était de pouvoir s'attribuer le mérite d'une arrestation... Et alors, même le soutien d'Ophelia ne lui servirait plus à rien. Il serait trop compromettant pour elle de venir en aide à un type assez idiot pour aller se faire connaître comme Mangemort. Sans compter Xenophius, le directeur de la Coopération magique internationale, qui s'arrangerait probablement pour réduire son cher filleul au silence – des fois que son nom arrive sur le tapis à la faveur d'un interrogatoire... La haute position de Xenophius lui permettrait d'agir en toute discrétion, de faire supprimer le témoin gênant, ou de le faire embrasser par un Détraqueur, de manière à préserver sa tranquillité...

Tout le scénario se montait dans la tête de James, les éléments s'ajoutaient les uns aux autres à une vitesse effarante, et rien ne venait tempérer son inquiétude. Il n'y avait que Mole pour croire à une peine juste, à la clémence de la justice envers un repenti... Ses propos idéalistes sonnaient comme des fadaises, mais le repenti préféra ne pas repousser d'emblée la proposition ; finalement, cela ne coûtait rien de se renseigner, et il aimait mieux avoir Mole avec lui que le rebuter par un refus. Très embarrassé, il murmura :

-Je... je veux bien, monsieur Mole... même si tout cela me semble difficile... La justice n'a pas vraiment fait dans le détail, depuis le mois de mai, et pour être franc je me demande ce qui pourrait l'engager à plus de discernement.

Presque toutes les condamnations prononcées depuis la chute du Lord avaient été des condamnations à perpétuité, sans distinction ; des sous-fifres qui n'avaient même jamais tué payaient le même prix que les plus fidèles lieutenants de Lord Voldemort, sans possibilité de revoir la lumière du jour puisque les condamnations étaient sans appel. On n'avait pas réuni des tribunaux, mais des machines à broyer ; James avait le souvenir de quelques photos vues dans la presse, particulièrement celle d'un gamin perdu de dix-huit ans à peine, Mangemort novice et pas encore marqué, mais aussi lourdement condamné qu'un Amycus Carrow...

Si seulement les tribunaux étaient peuplés de gens comme Edward Mole... la perspective de se rendre serait moins terrifiante, si on était certain de ne pas être automatiquement condamné à la peine maximale. L'homme faisait manifestement un effort pour surmonter sa répugnance, et venir en aide à un ancien ennemi ; il tenait un discours raisonnable, mais ultra-minoritaire au moment où d'autres réclamaient la peine de mort pour vider Azkaban... Anéanti par ces pensées, James observa quelques instants le pavé luisant de pluie de la rue ; brusquement, il releva la tête et plongea son regard dans celui de Mole pour lui dire, très sincèrement cette fois :

-Je vous suis très reconnaissant, monsieur Mole. Je n'aurais jamais cru...

Il n'acheva pas, mais adressa un sourire à son vis-à-vis. Son opinion au sujet de Mole changeait à toute allure, au fil de la conversation. Et il n'était pas loin d'éprouver une véritable estime pour cet homme.