Mathias venait de mordre dans une tartine où une dose généreuse de confiture avait été étalée lorsqu'une nouvelle petite Serdaigle vint s'installer juste devant lui. Comme il ne la connaissait pas, il se doutait qu'elle devait être en première ou deuxième année, son absence de l'année passée lui ayant fait raté l'arrivée des nouveaux. Cependant, un examen rapide de la fillette lui fit se rappeler qu'il l'avait vue quelques jours auparavant: Mathias l'avait en effet applaudi lorsque le Choixpeau avait crié "SERDAIGLE!" lors de la cérémonie de la Répartition. Plutôt surpris qu'elle n'aille pas rejoindre les élèves de son année, Mathias répondit à la salutation polie de la jeune fille par un mouvement de la tête. Ne jamais parler la bouche pleine, lui avait trop souvent répété sa mère, on ne te comprendra pas et tu auras des ennuis... La petite Serdaigle laissa son regard dériver vers les premières années que Mathias avait aperçu en arrivant. Le sourire presque triste qui anima un temps son visage toucha beaucoup son aîné de cinq ans: il devinait qu'il avait face à lui le parfait archétype de la nouvelle timide qui n'avait pas réussi à nouer des liens aussi vite que ses camarades. Mathias se remémora son tout premier repas, juste après la répartition: s'il avait réussi à échanger quelques mots avec les nouveaux répartis de l'époque, les vraies amitiés avaient tardé à cause du caractère timide du jeune Serdaigle. Il eut un petit sourire en se rappelant sa première conversation avec Trevor Chimaera, qu'il avait pendant un moment considéré comme son rival à cause de sa grande habileté en Sortilèges. Qu'était-il devenu, depuis? Le sourire du Français s'effaça cependant quand il se rappela de ses premières vraies amitiés: Ambre, qui était depuis restée sa meilleure amie, et Nervia... Ah, Nervia... L'histoire entre les deux aiglons était assez rocambolesque, mais quelqu'un ou quelque chose semblait ne pas vouloir y mettre de point final: les amoureux ne s'étaient pas encore recroisés, pas plus que Mathias n'avait retrouvé la jeune indienne.

Tu n'as pas l'air ravi: d'habitude les premières années s'extasie toujours un peu plus à chaque jour qu'ils passent à Poudlard, dit-il en réponse à la remarque de la fillette, formulée presque à voix basse. Tu es d'origine moldue peut-être, non? Ça doit faire beaucoup de choses à avaler en très peu de temps.

Mathias ne se voulait pas curieux, son ton était rassurant dans le but de mettre la jeune fille à l'aise. S'il ne pouvait masquer son accent français, il tentait de se faire le plus prévenant possible. Il était toujours bon de faire du bien autour de soi, en particulier aux nouveaux arrivants qui, souvent, ne manquaient pas de question. Du temps où Mathias était Préfet, il s'en rendait bien compte. Il était d'ailleurs très gênant de devoir répondre comme un expert à des élèves qui n'avaient qu'un an de moins que vous! Quelle idée était donc passée par la tête de Dumbledore pour le nommer en deuxième année... Les yeux marrons du Français était à présent fixés sur la petite Serdaigle, son visage affichant un sourire qui se voulait rassurant.

Les vacances d'été s'étaient achevées, enfin. L'Ordre du Phoenix avait gagné, Voldemort avait été anéanti pour de bon et les ténèbres définitivement écartées d'après les autorités. Il y avait de quoi se réjouir, et c'était ce que tout le monde s'employait à faire avec entrain. Mais pas au cottage. Océane ne se remettait pas du départ de son mangemort de cousin, Josh et Will pansaient leurs blessures de leur mieux, impuissants devant la souffrance de leur fille. Quant à Lilian et Clarisse... le frère et la sœur s'étaient sérieusement disputés pour la première fois de leur vie. Ça avait été rude, chacun campant sur ses positions. Les deux adolescents s'étaient évités depuis. Le Gryffondor avait pris un portoloin pour Dublin où il avait rejoint ses cousins tandis que la Serdaigle avait préféré passer ses journées au grand air, faisant de brèves apparitions pour le petit déjeuné et le dîner. Autant dire que l'ambiance avait été glaciale. C'est donc avec un certain soulagement que la rousse avait bouclé sa malle pour le château.

Et voilà qu'elle était de retour à Poudlard pour une nouvelle année. Poudlard, sa seule vraie maison. Un lieu ou la jeune fille s'était toujours sentie en sécurité. Même s'il y avait eu des loups dans la bergerie l'année précédente, le risque de se f aire couper la tête avait été bien moindre que dehors. Le château respirait la magie. Ici elle se sentait simplement à sa place. C'était comme si tout rentrait dans l'ordre dès qu'elle passait les grilles du parc, comme si ses soucis s'envolaient. Pourtant Sayannel était toujours en fuite, sa mère toujours aussi désespérée et son père toujours aussi mort et allongé six pieds sous terre dans ce petit cimetière de campagne. Mais le fait d'être ici lui permettait de penser à autre chose. Non pas d'oublier, ça c'était bien impossible, simplement se changer un peu les idées et cesser de se torturer l'esprit.

Elle se leva donc relativement tôt en ce premier dimanche de septembre, heureuse et impatiente de profiter de sa journée. Elle n'avait pas encore croisé ses amis, ayant préféré s'asseoir dans le premier compartiment disponible qu'elle avait trouvé plutôt que de parcourir tout le train à la recherche de Lynn, June, Nils ou encore Pissenlit. Ce ne seraient pas les occasions qui manqueraient de les voir après la rentrée, ni de passer du temps en leur compagnie. Et avant de les rejoindre, notre Rouge-Gorge avait quelques projets. Ça commençait par une étape incontournable: celle du petit déjeuné. Inutile d'espérer faire quoi que ce soit le ventre vide. Ensuite, elle irait se balader un peu au petit bonheur la chance à travers le château et le parc, elle rentrerait pour le repas et l'après-midi s'en irait paresser sur son perchoir favori: la tour d'astronomie. Un programme parfait en tous points. Personne ne viendrait la déranger, les uns occupés à se raconter leurs vacances à l'abri de leurs salles communes, les autres trop timides pour oser aller se perdre dans le labyrinthe que formaient les couloirs avant même le début des cours.

C'est donc d'excellente humeur -pour une fois- que la rousse descendit les escaliers jusqu'à la grande salle, impatiente de passer de la théorie à la pratique, mais aussi et surtout attirée par la bonne odeur de muffin chaud qui s'en dégageait. La seule chose qu'elle n'avait pas prévue, c'est que son regard accrocherait une silhouette nouvelle assise à la table des aigles. C'était de notoriété publique, elle ne faisait jamais attention aux autres, alors comment aurait-elle pu remarquer un nouvel élève? En fait, c'était plus compliqué. Un peu comme un berger qui compte ses moutons. Et puis elle avait toujours eu une bonne mémoire visuelle. Inconsciemment, la jeune fille s'était arrêtée au passage, à quelques mètres de l'élément perturbateur. En fait, il s'agissait d'un jeune homme brun aux yeux marrons qui devait avoir à peu près son âge. Rien d'extraordinaire, pourtant elle ne parvenait pas fixer son regard sur autre chose que lui. C'était comme si... vous savez quand on a un mot sur le bout de la langue. Et bien là, c'était pareil, elle ne parvenait pas à mettre le doigt sur ce qui la gênait dans la vision de ce garçon normalement attablé et prenant tranquillement son petit-déjeuné.

Son cerveau tournant à plein régime ne tarda pas à lui fournir un début de réponse: il n'aurait pas dû être là. Il n'y était pas l'année précédente. Malgré tout, son visage lui était familier, comme quelqu'un qu'elle aurait connu plus jeune... Et soudain, la lumière se fit. Sans s'en rendre compte, elle marcha jusqu'à se trouver en face de lui.

« Mathias? » Demanda-t-elle à la fois surprise et intriguée.

Un sourire lui échappa tandis que tout se remettait en place dans sa tête. Le garçon timide qu'elle avait connu s'était effacé au profil d'un jeune homme qui avait de l'allure, même tôt le matin alors qu'il beurrait sa tartine. Il avait beaucoup changé en quoi... deux ans? Deux ans déjà qu'il n'avait pas mis les pieds à Poudlard. On ne pouvait pas dire qu'il lui avait manqué, leurs rapports étant plutôt tendus pour ne pas dire carrément inamicaux. Tout ça à cause d'histoires de gamins stupides. Histoires qui avaient tout de même été assez loin et dont la Serdaigle n'était pas particulièrement fière avec le recul. C'était suite à tout ça qu'elle s'était éloigné de ses première amitiés et avait fui Nervia, William et les autres. Ca semblait tellement loin et idiot aujourd'hui...
Mais bizarrement, elle se surprit à être contente de ce retour.

Et puis, sur la fin, ils s'étaient plus ou moins réconciliés non?
Non?