Le Celte mit quelques secondes à se rendre compte qu'il n'était pas seul. Et même, qu'il ne chantait pas seul. Se redressant, il vit Eternity s'approcher de lui. Il accueillit cette présence avec un sourire, et tous deux poursuivirent la chanson. Quelques paroles plus tard, le silence revint. Eternity prit place dans le fauteuil face à lui. Il était surpris qu'elle soit encore là, il devait être bien tard. Mais il était content, également. A y réfléchir, il ne s'était jamais trouvé seul, en tête-en-tête avec elle. Il aurait très bien pu se sentir mal à l'aise que cela arrive ainsi, maintenant, sans qu'il s'y soit attendu, mais non. Au contraire, il accueillait ce moment plus intime avec plaisir, après sa journée. Combien de fois s'étaient-ils parlés, dans un autre contexte, à échafauder des plans, à penser à un avenir meilleur, sans Rogue et les Carrow ? Kael n'aurait su le dire. Là, la situation n'avait rien à voir. Ils étaient seuls, et les chances d'être dérangés étaient plus que minces. Elle étaient quasiment inexistantes.

Ce fut Eternity qui brisa la première le silence, en lui demandant ce qu'il faisait là. Quelle réponse donner ? Humour, sincérité ? Les deux à la fois ? Et puis, pourquoi se poser la question ? Il ne servait à rien de réflechir avant de répondre. Même si son esprit était clair, s'il ne ressentait pas la fatigue habituelle de cette toute fin de soirée, il n'avait pas envie de penser. Aussi, ce fut simplement qu'il dit :

"Pas sommeil, non. J'ai fait une sieste improvisée cet aprèm, après la botanique, du coup, je suis en forme. Pas très malin... mais rien ne m'en empêche, donc bon..."

Il n'aurait plus manqué que le nouveau régime interdise de veiller, même dans les salles communes, jusqu'à des heures impossibles, ou de se reposer en dehors des heures de cours. Certes, il y avait les devoirs, mais le règlement n'imposait pas d'horaires pour qu'ils soient faits, heureusement.

"Et puis, c'est le week end, alors..."

Même si son esprit était clair, il ne lui permettait pas de terminer ses phrases. Tant pis, le ton employé induisait le sens, et Eternity comprenait très bien ce qu'il voulait dire. Du moins il l'espérait. Il aurait eu l'air bien malin, là, à débiter des paroles sans queue ni tête.

"J'ai pas l'habitude de rester si tard, normalement... Ca change, et c'est plutôt sympa, en fait. Je croyais que j'étais seul... Mais c'est mieux d'être avec quelqu'un."

Là, d'un coup, il sentait que ce qu'il disait perdait du sens, d'un coup.

"Enfin, je veux dire... c'est sympa d'être là, avec toi."

Là, il se rendit compte de ce que sa phrase pouvait signifier. Et il rougit. Heureusement qu'il faisait sombre, que le feu de la cheminée perdait de l'intensité, aussi son brusque changement de couleur pouvait passer inaperçu.

"Hum... Et toi, pas sommeil non plus ?"

Il se demandait si elle, contrairement à lui, restait à veiller, le soir, avant d'aller se coucher. Et se rendit compte qu'en fait, il ne la connaissait pas plus que ça. Jamais ils ne s'étaient parlés l'un de l'autre, de leurs vies respectives en dehors de Poudlard. Et pourtant, ils étaient en Septième Année. Peut-être l'insouciance des premières années les avait-elle gardés éloignés de ces préoccupations. Possible.

"C'est une habitude, de rester tard ici ?" ajouta-t-il.

Puisqu'il y était, autant demander. Ca n'allait pas le tuer de lancer la conversation. Peut-être en viendrait-il à poser d'autres questions, plus personnelles. Peut-être. Tout dépendrait de l'attitude d'Eternity. Lui, en tout cas, se sentait suffisamment à l'aise pour parler, parler de lui.

Il se passa un temps, assez court, avant qu'Eternity ne réponde. Avait-elle eu l'esprit ailleurs, pendant quelques secondes ? Peu importait, en fait, puisqu'elle finit par parler. Ses paroles furent assez paradoxales, mais il comprenait ce qu'elle voulait dire. Avoir sommeil mais pas envie de dormir. Ca aurait pu faire penser à une attitude de rebelle, refusant de se plier au système qui veut qu'on dorme la nuit. Chassant cette idée débile, le Celte se reconcentra sur Eternity, qui poursuivait. Ainsi, si elle était là, en même temps que lui, c'était dû au hasard. Le hasard faisait-il bien les choses ? Etait-ce plus qu'une coïncidence s'ils se retrouvaient là, tous les deux, seuls ? Possible. C'était en tout cas l'occasion de faire plus ample connaissance. Après tant d'années.

La suite fut... moins précise. Eternity sembla adopter la manière de construire ses phrases de Kael, ce qui le fit sourire. Après quelques essais, ponctués par des "euh" allongés, elle finit par dire que c'était dommage. Et oui, c'est ce qu'il pensait aussi. Il était dommage qu'ils ne se connaissent pas plus. Au moins, la conversation irait dans une seule direction. Enfin, pour le moment. Il y eut encore un léger temps, durant lequel le Celte commença à enlever ses chaussures. Il s'interrompit lorsqu'il entendit le nom de Jemiah. Pourquoi Eternity parlait-elle soudain de son ex-petite amie ? La jeune femme se rendit compte que le sujet abordé n'était pas forcément bien choisi. Il la vit s'enfoncer dans le fauteuil.

Jemiah. Leur histoire avait été compliquée. En plusieurs étapes, mais finalement, malgré leur jeune âge, ils s'étaient aimés. Et on la lui avait brutalement arrachée. Sans qu'il ait eu le temps de lui dire au revoir, de lui dire ce qu'il ressentait. Et avec le temps, il s'était efforcé d'oublier sa douleur, d'aller de l'avant, parce qu'il savait qu'elle aurait voulu qu'il continue à vivre. Aussi, même s'il ressentait de la tristesse à cette évocation, ça n'irait pas plus loin. Jemiah serait une flamme dans sa mémoire et dans son coeur pour toujours. Mais il y avait de la place pour d'autres.

"Ne t'inquiète pas." fit-il, après un temps, avant de terminer d'enlever ses chaussures.

Il se mit en tailleur dans son fauteuil, le regard fixé sur la forme indistincte de la jeune femme.

"Oui, je pense à elle. Bien sûr. Mais différemment. Avant, j'étais triste, parce que j'ai perdu la fille que j'aimais. Mais maintenant, j'éprouve... un désir de... de me battre, pour elle, pour ce qu'elle représentait. Comme Dumbledore. Ils ont tous les deux été éliminés par Tu-Sais-Qui et ses Mangemorts. Comme d'autres. Pour des raisons que je ne comprends pas."

Rien que l'idée de tuer... Le camp du bien tuait-il ? Non. Maugrey l'avait peut-être fait, mais lui était une exception. La prison était une punition bien pire pour ceux qui la subissait. La mort, c'était une souffrance pour ceux qui restaient, pas ceux qui partaient.

"Alors ne sois pas... gênée, ou je ne sais quoi. Ce n'est pas grave."

Il sourit. Ca, au moins, la lumière permettrait à Eternity de le voir. C'était la première fois qu'il parlait ainsi. Il venait d'ouvrir son coeur. Il lui faisait confiance, il savait qu'elle ne le jugerait pas, qu'elle le comprendrait.

"C'est ce que tu ferais, toi, te battre, pour la personne que tu aimes, ou que tu as aimée, non ?"

Les paroles du Celte parurent rassurer la jeune femme, puisque celle-ci lui rendit son sourire. Il se rendit compte alors qu'il aimait bien la voir sourire. Elle prit la parole et, au fur à mesure, son ton devenait plus enflammé, plus assuré, au point qu'elle dut s'interrompre en s'apercevant qu'elle allait réveiller tous les Blaireaux. Ils partageaient les mêmes convictions. Tous deux nés-moldus, ils devaient faire face à l'injustice du nouveau système. Kael pensa à sa famille, que son parrain Erwan protégeait. Où pouvait-il être ? En tant que Membre de l'Ordre du Phénix, il aurait pu se cacher, bien sûr, mais sa couverture n'avait pas été révélée, encore. Aussi continuait-il à travailler, en toute discrétion, pour le Ministère. Pourquoi y avait-il si peu de gens comme lui, prêts à se dresser, même à leur insu, face aux détenteurs d'un pouvoir usurpé ?

La suite fit hausser les sourcils à Kael. Elle se battait... parce qu'elle aimait ça. Cette simple phrase était lourde de sous-entendus. Elle aimait se battre. Pour le Celte, se battre n'était qu'un moyen, parfois inévitable, d'atteindre leurs objectifs, dans la lutte contre les Forces du mal. Mais pas au moins d'aimer ça. Et pourtant, il aurait pu apprécier, prendre du plaisir à se venger de ceux qui lui avaient pris Jemiah, de Rogue, qui avait tué Dumbledore, des Carrow, qui faisaient régner la terreur. Et quelque part, il comprenait ce qu'elle voulait dire, finalement.

Puis elle ajouta qu'elle... avait peur de ce qu'elle était. Que répondre ? Pour sa défense, il pouvait dire que c'était la situation qui voulait ça, que dès que tout cela serait fini, elle changerait. On ne pouvait lui en vouloir de désirer défendre ses idéaux, même si ça devait passer par la violence... L'ennemi l'utilisait bien, la violence, sans remords.

"Il ne faut pas... Ce sont les circonstances... Tu te bats pour la justice... comme moi."

Puis elle passa à autre chose. Bonne idée, il fallait se tourner vers des choses plus légères. La discussion s'était assombrie, l'atmosphère l'était déjà suffisamment. Eternity sortit sa baguette et, d'un mouvement du poignet, fit apparaître une bouteille de jus de citrouille. Ah, en voilà une idée, qu'elle était bonne ! Dans la continuité, elle attira à elle deux verres, qu'elle nettoya, puis elle proposa à Kael de boire un coup avec elle.

"Ah, avec plaisir !" s'exclama-t-il, en quittant sa position tailleur.

Puis il s'arrêta, et leva l'index. Il se mit debout et prit sa propre baguette, qu'il pointa sur son fauteuil. Ce dernier s'éleva de quelques centimètres au-dessus du sol, et il le dirigea vers celui d'Eternity, le collant presque, face à face.

"Merci !" fit-il, en prenant le verre qu'elle lui tendait, après avoir repris sa position.

Ainsi, ça faisait plus intime, c'était mieux que de se parler à quelques mètres l'un de l'autre.

"Euh... A la justice et un monde meilleur ? Et puis à nous aussi !" annonça-t-il, après une courte hésitation.

Par le 'à nous', il entendait bien sûr leur action, pour leurs convictions. Sur ce, il but une bonne gorgée de son verre, qu'il... Ah, il n'y avait pas de table à proximité. Employant le même sortilège que pour son fauteuil, il fit s'approcher une table basse, et put y poser le verre.

"Tu sais, c'est... j'aime bien être avec toi. Même si on se connait pas plus que ça, enfin, un peu plus maintenant... mais y a peu de gens avec qui je pourrais rester seul sans... enfin, sans être mal à l'aise, ou pas savoir quoi dire... ou..."

Vite, une bouée de sauvetage, un homme à la mer !

"T'as dix-huit ans, toi, ou pas encore ?"

Ou l'art de passer du phénix à l'hippogriffe en un claquement de doigts. Merci la bouée...

Que dire, dans ce genre de situation ? A cet âge-là, dire "je t'aime" ne prenait pas vraiment de sens, on pouvait le dire à beaucoup de monde, sans vraiment savoir ce qu'était l'amour... Le Celte pouvait-il dire "je t'aime" à Eternity ? Non. Il ne pouvait sincèrement affirmer qu'il avait devant lui la fille qu'il aimait. Pas au sens du... grand amour. En revanche, il y avait de l'attirance. Une attirance physique, magnétique. Leurs regards, plongés l'un dans l'autre, appelaient à bien plus... Non, il ne pouvait dire "je t'aime". Ce qu'il voulait vraiment dire, ce qu'il pouvait dire, et pourtant, il n'était pas assez sûr de lui pour que cette simple phrase, lourde de sens, franchissent ses lèvres. "Je te désire". Oui, il y avait du désir, il aurait voulu, là...

Il sembla qu'une gêne s'était installée. La bulle se brisa au moment où la jeune fille annonça qu'elle... allait se coucher. La lueur au fond des yeux océan de Kael perdit de sa force. Le charme était rompu. Le silence avait laissé suggérer tellement de choses... Mais c'était peut-être mieux ainsi. Tant de choses s'étaient bousculées dans l'esprit vulnérable du Jaune et Noir. L'avait-elle compris ? Etait-ce instinctif de sa part ? Avait-elle ressenti exactement la même chose ? Car elle l'embrassa, furtivement, avant de lui tourner le dos pour rejoindre son dortoir. Ce contact physique, leurs bouches se joignant momentanément, raviva la flamme qui s'était allumée dans le coeur du Celte. Peut-être pas de l'amour. Mais du désir, oui.

"Attends..." souffla-t-il, presque inaudiblement.

Etait-ce le fait que le silence était, hormis les derniers crépitements dans la cheminée, total, qui avait permis à Eternity de l'entendre ? Où s'était-elle attendue à ce qu'il l'arrête, l'avait-elle tellement espéré qu'il aurait pu le penser, elle l'aurait entendu ? Il suivit le même chemin qu'elle, se retrouvant dans son dos. Il glissa ses mains sur les hanches de son amie, son visage dans ses cheveux, respirant son odeur... Puis il l'embrassa dans le cou, avant de la faire pivoter vers lui. Le temps semblait comme suspendu. Ils se regardèrent, les yeux dans les yeux, pendant des heures, des heures. Leurs visages se rapprochèrent, ils purent bientôt sentir le souffle de l'autre, leurs lèvres, à nouveau, se touchèrent. Et le temps reprit son cours. Ce fut un déferlement, un baiser passionné, langoureux.

Quelle plus belle récompense pour eux, résistant contre le régime injuste, autoritaire, dictatorial de Rogue et ses deux acolytes, ses pitbulls, les Carrow ? Les trois Mangemorts ne pouvaient les empêcher de s'embrasser, d'échanger charnellement. Les dernières lueurs dans l'âtre s'éteignirent, les braises rendirent l'âme, plongeant le couple dans l'obscurité totale. Mais il n'en avaient cure... En cet instant, ils étaient libres.