Au remerciement de Lawrence, la jeune femme se contenta acquiescer poliment, le sourire aux lèvres. Il n'était pas non plus utile de se répandre en formules de politesse, elle n'était d'ailleurs pas là pour ça, même si elle savait pertinemment que son comportement pourrait grandement influencer la tournure de la conversation. C'était une raison de plus pour ne pas paraître parfaitement mielleuse, ça n'était de toute façon pas dans ses habitudes.

« Oui, en effet, je répondrais d'ailleurs à cet inspecteur. Mais je tenais d'abord à me référer à vous, concernant certains... points de l'affaire. »

Chuchota-t-elle presque, l'air un peu moins assurée qu'un instant auparavant. Introduire une telle conversation n'était pas ce qu'il y avait de plus simple, surtout pour Natalee. Mais elle devait se lancer coûte que coûte, ne pouvant de toute façon plus faire marche arrière. Afin d'évacuer sa gêne passagère, la jeune femme glissa une main dans ses cheveux, lâchement attachés par une pince à l'arrière de son crâne, tandis que son directeur reposait la tasse de café dans sa coupelle. Leur regard se croisèrent, et une nouvelle fois, la lycane eut l'impression que celui-ci pouvait lire plus clairement en elle qu'elle ne le désirait. Il fallait dire que cet homme semblait être doué pour cerner les intentions des gens, certainement par expérience professionnelle. N'y avait-il rien de plus normal pour un ancien avocat ? Néanmoins, ce regard demeurait déstabilisant. Elle n'en laissa rien paraître.

« C'est bien pour cela que je viens à votre rencontre. Pour vous dire la vérité, si certaines informations dont je dispose s'apprenaient, elles risqueraient de jeter le discrédit non seulement sur moi, mais aussi sur vous qui vous êtes porté garant de ma capacité à exercer ma profession. »

Ce fut seulement lorsqu'elle laissa tomber cette vérité que l'auror se décida à s'assoir, doucement, comme pour éviter que sa lassitude ne se lise sur sa gestuelle. Avec cette déclaration, elle devait porter quelques appréhension chez son supérieur, mais il était inutile de lui cacher la vérité. Elle était là, au contraire, pour la lui révéler. Aussi dangereux cela pouvait-il être, elle avait le choix de faire confiance à Lawrence Hawkesworth, ou de se livrer qu'à elle-même, ce qui conduirait certainement à laisser tomber son frère car, seule, elle n'avait pas les moyens de faire quoi que se soit pour l'extraire de la situation périlleuse dans laquelle il se trouvait.

« Monsieur Hawkesworth, avant de vous expliquer la situation, je voudrais mettre au clair une chose. Jamais de ma vie je ne permettrais de laisser s'échapper des criminels et des terroristes. Je respecte le Ministère et sa loi, et si je suis Auror, c'est parce que je crois en certaines valeurs, et que j'estime nécessaire de préserver la sécurité et la liberté de chaque sorcier vivant au Royaume-Uni. En revanche, condamner des innocents m'est impossible. Qu'ils soient de ma famille ou non, j'estime que mon travail est aussi de protéger les personnes minoritaires et brimées. Un Auror ne peut pas aller contre sa nature. »

Sa tirade achevée, la lycane posa ses yeux d'ambre dans ceux de son directeur de département, l'air plus convaincue que jamais de ce qu'elle disait. Ses mains, en revanche, nerveusement serrées l'une contre l'autre trahissait l'angoisse qu'elle éprouvait de parler aussi franchement à un homme qui pouvait se révéler être un sang-pur convaincu à la « Cause ». Mais l'espoir demeurait que Lawrence, à l'exemple de son frère, soutienne non pas l'ennemi mais le Ministère tel qu'il était avant de tomber, au moins, et au mieux la cause des nés-moldus. Elle estimait qu'il ne l'ait pas éjecté de son bureau immédiatement comme un bon point vers ce sens-là.

« On ne sait plus qui se cache réellement derrière les masques au Ministère, mais j'ai l'espoir que vous, vous m'écouteriez et me laisseriez une chance de ne pas être condamnée pour avoir fait mon travail en faisant fit de lois injustes et dangereuses pour notre communauté... »

Natalee reprit sa respiration par le nez, et expira discrètement par la bouche afin d'évacuer le stress que ces paroles à double tranchant instillaient en elle. Connaissant Lacey, elle ne pouvait imaginer que son frère était affilié d'une manière ou d'une autre aux mangemorts, mais le doute, toujours, subsistait. N'était-elle pas elle-même née de parents servant la cause de celui dont on ne devait pas prononcer le nom ? Alors qu'aujourd'hui, elle combattait ces criminels...

« Si vous voulez bien m'écouter, je vous dirais la stricte réalité des choses. Autrement, je partirais, et libre à vous de réprimer ma démarche. Moi, je n'ai plus beaucoup à perdre. »

Malgré ses propos, le ton n'avait guère gagné en agressivité. Seulement, elle était certaine que Lawrence saisirait que le fait de jeter l'opprobre sur une employée qu'il avait protégé lui coûterait, plus qu'à elle qui avait perdu la seule famille qui lui restait dans le monde sorcier. Des parents d'adoption avec lesquels elle n'avaient guère plus de contacts que les réunions de famille annuelles, un métier qui la forçait à « collaborer » au risque, autrement, de mettre à bas sa couverture, il ne lui restait guère plus que l'Ordre du Phénix, qui de son côté était persécuté de toutes parts. Non, il ne restait plus grand chose à lui retirer, si ça n'était sa liberté. Et dans sa situation, elle la trouvait toute relative.

Le silence s'était rétablit après la sentence de Lawrence, lourd, profond. La tension de la jeune femme flottait dans l'air, à peine discernable, comme un parfum vaguement soupçonné. Ses yeux d'ambre était rivés dans ceux de son supérieur, empreints d'une note de défaitisme et de désespoir. Malgré tout, à travers cette ombre qui gravitait dans les limbes de ses iris, se profilaient le désir profond de parvenir à ses fins. Cette ambition durcissait son regard, le rendait fixe, dénué du moindre clignement. Doucement, elle glissa ses doigts le long du bureau de Hawkesworth, puis se pencha en avant, pointant son nez droit et fin droit sur son vis-à-vis.

« Parce que mon instinct me dit que vous n'êtes pas étranger aux crainte que l'on peut éprouver vis-à-vis de sa famille. »

Une mèche de cheveux auburn tomba sur son oeil, qu'elle ne prit pas la peine de dégager. Lacey avait fait parti de l'Ordre du Phénix, et pourtant, alors qu'il paraissait toujours au QG des Aurors, Natalee ne l'avait plus revu au sein de l'Ordre. Le groupe doutait à présent de ce dernier, soupçonnait qu'il avait eu quelques déboires dont l'origine n'était pas clarifiée. On ne savait ce qui avait conduit Lacey au plus inquiétant des silences, et on craignait de le comprendre. Lawrence était-il au courant de ce revirement soudain, savait-il que son frère avait été un membre de la Résistance ? Natalee l'ignorait, mais elle tentait le coup.

« Erin a été en contact indirect avec l'Ordre du Phénix. Il ne pourra vous donner d'informations à son sujet. Mais moi je le peux. Si vous doutez de leurs motivations, je peux vous les confirmer. Et si la vie de mon frère a un prix, je veux bien payer celui de vous dire ce que je sais. C'est tout ce que j'ai à offrir. »

L'Auror se glissa à nouveau dans son siège et s'ancra au dossier, comme pour se soutenir. Elle était totalement folle d'oser se glisser sur un terrain si cahoteux, mais au moins en avait-elle conscience.

« Et je vous donne ma confiance pour agir en conséquences des informations que je vous donnerais sur un plateau d'argent, comme vous l'avez fait pour moi il y a déjà plusieurs mois. Je pense que vous êtes assez noble pour discerner le bien du mal, et le vrai du faux. Sûrement mieux que moi, compte tenu de votre importance et de vos connaissances politiques. J'expérimente chaque jour sur le terrain la nature humaine, vous, ici. Mais je ne pense pas que cela change grandement les conclusions de nos jugements respectifs, en réalité. »

L'humain de la rue et des bureaux sont tous deux des requins. Sûrement Lawrence en était un lui aussi, sans trop de scrupules. Peut-être oui. Mais elle avait aussi eut ouïe des traitements qu'on faisait aux nés-moldus dans le département d'Ombrage, et de celui qu'on réservait dans celui de Hawkesworth, bien plus tolérant. Elle savait que la torture et la présence des détraqueurs y étaient bannies, et grâce à cela, elle pensait pouvoir affirmer que Lawrence suivait le système sans le cautionner pour autant. Elle s'accrochait aussi fermement à cet espoir qu'à la barre d'un navire livré à la tempête.

« L'Ordre du phénix n'est pas un ennemi du Ministère et c'est pourquoi il n'a jamais attenté contre ce dernier, exception faite de ce jour où des né-moldus ont été libérés des prisons de Mademoiselle Ombrage, et encore, ça n'était pas une initiative de ce dernier. Les seuls faits dont on peut les blâmer sont de chercher et de tenter de mettre hors d'état de nuire les Mangemorts qui rôdent en Angleterre et qui instille la peur et la mort partout où ils passent. D'ailleurs, l'un d'eux est actuellement sous surveillance. L'Ordre attend le moment oppportun pour lui faire révéler ce qu'il sait sur les plans du Seigneur des Ténèbres. Peut-être parviendront-ils même à lui tirer des noms. »

Natalee récupara sa mèche de cheveux vagabonde et la glissa derrière son oreille, avant d'aviser d'un regard Lawrence. Sa main tremblait légèrement, et elle sentait que ce détail renforcerait l'idée qui, peut-être, germait dans l'esprit du sorcier tandis qu'elle lui apprenait la dernière et la plus glorieuse des actions de l'Ordre du Phénix : elle en faisait elle-même parti, et elle se trahissait elle-même par ses mots, mais aussi par ce geste anodin, qui révélait toute la tension qui s'abritait en elle et lui accrochait les tripes.