Lukasz marchait tranquillement dans la rue, écoutant le crissement de ses pas dans la neige et les quelques bruits de conversation lointaine qui troublaient le silence ambiant. Il s'arrêta un instant, et inspira un grand coup. Le nuage de vapeur se perdit dans l'air, et il laissa ses yeux d'un bleu électrique parcourir les environs, fronçant les sourcils. Il était pourtant certain que la librairie était proche d'ici. Il hésita un instant à accoster un des passants pour lui poser la question, mais les quelques uns à proximité avaient la tête baissée ou le regard fuyant, et de toute façon il avait tout son temps. Autant en profiter pour se promener un peu.

Il rajusta le col de son manteau et continua à avancer, passant devant la vitrine d'une des boutiques. Des accessoires de Quidditch... Le polonais eut une légère moue. Voler sur un balai n'avait jamais été sa tasse de thé, et il avait toujours le sentiment assez désagréable d'être sur le point de se tuer quand c'était le cas. Peu après, il remarqua le panneau affichant un livre barré d'une plume, et il sourit. Il accéléra le pas, et poussa la porte, qui grinça avec une mélodie de quelques notes. Si bémol majeur, pensa-t-il en plaisantant. Il secoua sa cape, faisant voleter les quelques flocons qui s'y étaient accroché, et regarda autour de lui. Il y avait peu de monde à l'intérieur, et le gérant était en discussion avec l'un des clients.

Il s'avança tranquillement au milieu des étagères, cherchant le panneau indiquant la section des livres scolaires avancés. Depuis qu'il avait rencontré son futur professeur de potions, Lukasz s'était intéressé au personnage, tout en respectant son désir de discrétion. S'il ne voulait pas que sa nomination s'ébruite, le slave ne ferait rien pour que cela change. Question de respect, of course. Surtout vis à vis d'un enseignant. Mais il voulait tout de même trouver l'un de ses ouvrages, afin d'y jeter un coup d'œil. Cela lui donnerait peut-être une vision d'ensemble de ce qu'ils étudieraient à la rentrée, ainsi qu'une petite idée du professeur. Non pas qu'il était studieux, mais surtout d'une curiosité débordante.

Il finit par trouver ce qu'il cherchait, une étude sur les potions de Killian Osk. Sourire en coin, il prit le livre et examina le prix, plus par principe que par manque de moyens. Satisfait, il se dirigea vers le comptoir, et paya l'ouvrage, avec à peine un regard de la part du vendeur. Rangeant le livre dans sa sacoche, il se retourna et vit alors un coin où étaient disposés quelques fauteuils pour la lecture. Une femme était élégamment installée sur l'un d'entre eux, et Lukasz ne put s'empêcher de s'arrêter pour l'examiner. Il fallait avouer qu'elle attirait les yeux, pensa-t-il pour s'excuser lui-même. Son regard s'arrêta sur ses jambes croisées, à peine cachées par la courte robe, mais il se reprit et regarda le livre sur lequel étaient fixés avec attention ses yeux d'un bleu profond. "Dracula". Il ne put s'empêcher d'avoir un léger sourire ; le livre lui convenait parfaitement, avec son teint pâle et son rouge à lèvres écarlate.

Il se souvint alors du week-end qu'il avait passé avec les étudiants de l'UMA en Roumanie, et de la visite du château du comte Dracula. Assez touristique, la balade avait été malgré tout dépaysante, et les anecdotes croustillantes du guide sur le comte et ses habitudes n'y avaient pas été pour rien. Son sourire s'élargit et il s'approcha timidement, les yeux rieurs. Il montra discrètement le livre du doigt.

" Vous devriez plutôt visiter son Château, vous en apprendrez beaucoup plus sur lui qu'avec ce livre. Et croyez-moi, tout voir de ses propres yeux est nettement plus intéressant."

Lukasz se demanda alors s'il n'aurait pas tout simplement l'air de trouver un simple prétexte pour l'aborder. Mais de toute façon il était trop tard ; et au moins son accent rajouterait un peu de crédibilité à ses dires...

La jeune femme ne pouvait pas détacher son regard des lettres qui défilaient devant ses yeux. Elle était captivée, enserrée, incarcérée par le charme de la plume de cet auteur irlandais qui, mieux que quiconque, avait su tirer l'essence même du mal de son noyau pour l'étaler sur les pages jaunies d'un parchemin. Il réussissait à nous faire frémir de dégoût ou d'inconfort, à faire accélérer notre rythme cardiaque. La lecture était bien meilleure que n'importe quelle autre drogue. La Grecque s'était totalement échappée de ses soucis, de son amertume et avait calmé le feu qui régnait depuis quelques jours au creux de sa cage thoracique. Aucune drogue moldue n'aurait pu avoir un effet supérieur à l'impact des mots du romancier. Elle en oublia même la douleur dans son dos et sur le haut de ses cuisses, celle-ci devenue presque chronique.

Le sang de la brune se glaça à même ses veines, ses yeux d'océan fixés un instant sur la page du roman. On lui adressait la parole. James l'avait retrouvée, il allait l'achever, la faire brûler, la faire souffrir, lui planter un pieu entre les omoplates, comme il l'avait fait quelques jours auparavant.

Peut-être qu'elle était sortie de chez elle un peu trop hâtivement.

L'Auror sentit ses poumons s'emplir à nouveau d'oxygène, ses paupières battant presque frénétiquement tandis qu'elle voyait, devant ses yeux, ses doigts trembler violemment contre les pages du livre. Elle leva les yeux vers son interlocuteur, examinant à la fois curieusement et doucement son visage. Elle en avait fait un cas pour strictement rien, il avait l'air tout à fait charmant. Elle prit quelque secondes pour bien enregistrer ce que le jeune homme venait tout juste de dire.

« Vous... vous avez visité le château du comte Dracula? Quelle chance, tout de même!... Cela doit être absolument magnifique. »

Elle pausa, replaçant ses idées. Non, il n'y avait pas de risque. Si quelque chose venait qu'à se produire, elle était prête, alerte. D'une façon ou d'une autre, elle devrait confronter le Mangemort un jour. Son esprit apaisé par son raisonnement, la jeune femme se redressa gracieusement, laissa son bouquin sur le siège, et adressa un sourire sincère à l'inconnu qui, si ses oreilles ne la trompaient pas, était slave.

« Milles excuses, vous m'avez réellement surprise, j'étais absolument absorbée par ce livre. » Elle lui tendit la main. « Ophelia Xantopoulos, ravie de vous rencontrer... ».

* Respire, Ophelia... *

Elle espérait seulement ne pas avoir l'air complètement mésadaptée. La Grecque prenait conscience, à mesure que son regard s'ancrait dans celui de son interlocuteur, que ses réactions initiales avaient été totalement inappropriées; de quoi faire fuir n'importe qui. Ces comportements lui étaient tellement étrangers qu'elle s'en vit elle-même déstabilisée. En temps normal, Ophelia était parfaitement à son aise en situations sociales, toujours prête à converser, à rire avec les gens. Mais à l'instant où le slave lui avait adressé la parole, elle s'était sentie comme un animal blessé, comme un enfant maltraité, effrayé. C'est donc sans surprise que l'Auror perçu une pointe de scepticisme sur le visage du jeune homme, suivie d'un certain soulagement lorsqu'elle lui sourit. Il avait vu son malaise et juste cela embarrassait atrocement la demoiselle.

La brune serra la main chaude du slave, ses yeux bleus détaillant un peu plus précisément les traits de son visage tandis que, encore et encore, elle répétait son nom dans sa tête.  Łukasz... C'était presque aussi joli que celui qui le portait.

« Oh non, je vous en prie, monsieur Pajzderski*. Vous avez bien fait de me libérer de l'étau de ce roman, je n'aurais pas su m'en sortir seule. »

L'auror écouta attentivement le slave, remarquant tout de suite que son regard déjà clair s'illuminait en parlant de son voyage, comme celui d'un enfant qui entrait dans un magasin de jouet. Elle voulait tant y aller, elle aussi. La jeune femme avait lu cette oeuvre littéraire au moins six fois et, alors qu'elle percevait l'émerveillement de son compagnon de lecture, elle souhaitait plus que jamais rejoindre les murs de pierre froids du château de Vlad Tepes. Un jour, elle irait.

« Je compte bien l'avoir un jour, cette occasion. »,dit-elle d'un air légèrement rêveur.

Toujours debout, la brune regarda brièvement autour d'elle; il y avait plusieurs sièges libres à côté du sien, elle pouvait bien l'inviter à s'asseoir... D'un signe de la main, la Grecque désigna un siège à la gauche du sien et dit:

« Asseyez-vous, je vous prie. Il me fait plaisir de discuter avec vous. Je vais payer ce livre et je vous reviens tout de suite. »

La jeune femme esquissa un fin sourire au jeune homme puis se tourna vers le porte-manteau où elle avait laissé sa bourse. Elle en retira quelques pièces et se dirigea d'un pas presque paisible vers le comptior. La jeune femme paya la somme due pour le livre et revint sur ses pas, entendant la voix lointaine du propriétaire lui dire que l'établissement fermait dans quarante-cinq minutes. Elle hocha la tête, lui faisant ainsi savoir qu'elle avait bel et bien compris puis se rassied à sa place. Lentement... Avec précaution. Elle appuya son dos au coussin du dossier en retenant une plainte de douleur d'un mordillement de lèvre.

Puis elle recommença sa lecture, après avoir croisé discrètement le regard du slave.

Elle lui sourit, plaçant une mèche de ses cheveux foncés derrière son oreille.


[* Hj: Notons qu'elle parvient tout de même à prononcer son nom d'une façon correcte, mais ça se voit qu'elle n'est pas slave]

« À vrai dire, Lukasz, je peux retrouver mon tendre comte comme bon me semble. Et si ça se trouve, vous, je ne vous verrais probablement qu'une seule fois dans ma vie. Autant en profiter un peu... N'est-ce pas? »

Les sourcils du slave se relevèrent légèrement dans une mimique étonnée, mais nullement gênée. L'incarnation du "Really ?" typiquement british. En profiter un peu ? Même beaucoup, voir passionnément si elle insistait. Il crut un instant qu'elle n'avait pas saisi la portée de ses mots, mais le sourire de la jeune femme s'agrandit et elle se leva, refermant son livre. Elle alla mettre son manteau et se tourna de nouveau vers lui.

« Je peux vous inviter à venir prendre un verre, Lukasz ? »

Lukasz resta bloqué quelques secondes, ses yeux bleus toujours fixés sur l'élégante et attirante silhouette. Le magnifique sourire qu'elle affichait était plus qu'engageant. Et bien apparemment, il avait saisi de la même manière qu'elle ses propos. C'était vraiment déstabilisant ; à croire qu'elle lisait dans ses pensées... Le polonais avait l'étrange impression de s'être fait lentement enserré par une douce étreinte sans le remarquer. Alors qu'il avait été persuadé d'être libre de ses mouvements. D'un autre côté, il aurait recherché cette étreinte même si elle n'était pas venue d'elle même... Cela ne devrait même pas le déranger, pensa Lukasz avec humour. Seulement il ressentait une curieuse déception à se faire prendre de court.

Il se rendit compte d'ailleurs qu'il devait avoir l'air assez stupide, avec sa tête de gentil garçon surpris. Ophelia se pencha vers lui, et lui prit l'ouvrage qu'il avait à peine eut le temps d'examiner. Le slave put discrètement sentir son parfum, simple et enivrant. Il la laissa ranger ses affaires, la tête lui tournant légèrement. Il était conquis.

« À moins que vous y teniez...? »

Son regard plongea dans le sien, et Lukasz se laissa envoûter par ces deux saphirs. C'était tout simplement impossible de résister. Un sourire en coin, à la fois charmeur et amusé, s'étira sur son visage. Et dire que c'est un simple livre qui l'avait amené dans cette situation... Le futur professeur Osk ne saurait jamais combien il devait le remercier pour cette rencontre. Il se releva lentement, sans la quitter des yeux.

" Oula non, pour le moment je tiens surtout à prendre ce verre avec vous. Et c'est à moi de vous inviter, miss Ophelia, ce ne serait pas respectueux de ma part de laisser une si jolie femme prendre cette initiative."

Le polonais avait le sentiment que peu de doutes subsistaient sur leurs intentions respectives, de son côté comme du sien. Pour sa part, il s'avouait déjà vaincu. Il avait esquivé avec tact la prononciation du nom de famille, ayant peur de tout gâcher sur une simple erreur de consonne. Mieux valait être prudent. Il ramassa sa sacoche, et l'invita à sortir, lui tenant galamment la porte.
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