Quels triste temps. La grise ambiance du monde, tant chez les Sorciers que chez les Moldus, était palpable alors que Londres somnolait tranquillement sous la couche de neige qui n'en était déjà plus. Indifférent aux passants et leurs têtes d'enterrements emmitouflées sous des bonnets et des écharpes, Mathias marchait sur le trottoir couvert de cette mixture à la consistance boueuse, piétinée et piétinée. Comme lorsqu'il sortait ces derniers temps, il portait une large cape noire et une chapeau haut-de-forme. Il avançait presque tête baissée, dans ses pensées. Personne ne prêtait attention à lui, et ça lui était égal. Si, de temps à autre, il croisait un regard, immédiatement détourné. Le tatouage sur son oeil inquiétait en cette période troublée, même les Moldus.

N'ayant rien à faire en ce jour, le Langue-de-Plomb avait décidé de marcher jusqu'au Chemin de Traverse. Il n'y trouverait rien, mais la promenade depuis St-James' Square lui faisait du bien. C'était l'occasion pour lui de se renfermer sur lui-même, pour penser, réfléchir, tout en ne restant pas cloîtré dans son appartement. Ses pas le menèrent presque machinalement devant la vieille enseigne que lui seul dans la rue semblait voir. Pas un individu ne remarqua la disparition de l'homme à l'accoutrement pour le moins étrange. Tout en étant relativement sobre, la tenue vestimentaire de Mathias n'était pas non plus courante.

L'aîné des Sullivan referma la porte du Chaudron Baveur derrière lui. Il balaya la salle du regard, sans s'attarder sur chaque personne présente, et se dirigea vers le comptoir. Finalement, il faisait bon dans le pub, il allait rester ici. L'endroit était calme. Il commanda une Bièraubeurre à Tom, le barman, et s'installa sur un des hauts tabourets. Il fut servi et commença à siroter sa boisson. Ses pensées se tournèrent vers Poudlard, et Nils. Comment le Préfet vivait-il la situation, en ce moment ? Etait-il sage, comme son grand frère ? Rebelle, comme les supporters de Potter ? Ou lèche-bottes ? Ces questions, Mathias se les était posées avant Noël et les retrouvailles entre frères. Aujourd'hui, il savait que Nils ne prenait pas de risque face aux Carrow ou Rogue.

L'attention du Langue-de-Plomb fut détournée par une altercation. Un client exécrable, pourtant visiblement fautif, se permit d'insulter un jeune homme. Etudiant, probablement. Ce dernier s'excusa, ce qui ne calma pas pour autant le crétin à la canne. Mathias soupira. Le jeune ne répondit pas et se détourna, certainement pour éviter de déclencher des hostilités ouvertes. Reportant son attention sur sa choppe, l'homme au tatouage n'entendit pas arriver celui à la canne, qui s'adressa à Tom :

- Hey, Tom, offre-moi à boire. Pour me dédommager de ce crétin.

Mathias suivit la direction indiquée par le pouce. C'était le jeune homme qui avait trébuché. Le barman sembla vouloir dire quelque chose.

- Allez ! Tout de suite !

Après un nouveau soupir, bruyamment agacé, Mathias s'adressa directement à lui :

"Quand on ne tient pas l'alcool, Monsieur, on ne boit pas. Et puisque vous êtes aussi aimable qu'un chartier, je vous suggère de rentrer chez vous et d'aller ruminer votre misérable vie."

L'autre parut totalement pris au dépourvu devant cette soudaine prise de parole, qui lui était directement adressée.

"Je vais prendre une autre choppe." commanda le Langue-de-Plomb, sans plus accorder un regard à l'homme.

Tom lui en donna une, et Mathias la prit, en même temps que la sienne, pour aller vers la table où était assis l'étudiant. Sans demander, il s'y installa, et poussa la choppe pleine vers celui qui était la victime dans cette affaire.

"Cadeau. En l'honneur de toute la connerie de ce monde."

Joignant le geste à la parole, il leva sa choppe et but une longue gorgée. Après l'avoir reposée, il demanda :

"Alors, nouveau à Londres ?"

Il ne s'était pas encore présenté, non. Mais en tant que Sullivan, il faisait rarement les choses comme tout le monde ! A noter que l'homme et sa canne n'avaient pas encore quitté le comptoir...

- Hey, Tom, offre-moi à boire. Pour me dédommager de ce crétin.

Antheo releva la tête en entendant les mots du vieillard, dardant sur lui un regard noir, mais ne releva pas. Il n'avait vraiment pas la tête à ça, et voulait éviter au maximum de se faire remarquer... Après tout, si son visage était inconnu, ou presque, dans Londres, son nom l'était bien moins, et nul n'ignorait quelles étaient les idées politiques de la famille Lewis. Oui, s'il voulait lutter aux côtés de l'Ordre du Phénix un jour, mieux valait se faire oublier.

- Allez ! Tout de suite !

Pfff. C'était pathétique. Ce vieux poivrot ne tenait même plus debout, quasiment avachi sur le comptoir tout en étant appuyé sur sa canne. Un instant, un sourire naquit sur les lèvres du jeune homme : il venait d'avoir une idée. Sortant discrètement sa baguette de sa poche, il laissa sa main cachée sous la table, mais l'intervention de l'inconnu interrompit sa puérile vengeance.

- Quand on ne tient pas l'alcool, Monsieur, on ne boit pas. Et puisque vous êtes aussi aimable qu'un charretier, je vous suggère de rentrer chez vous et d'aller ruminer votre misérable vie.

Aux paroles de l'homme, le regard d'Antheo se mit à briller de satisfaction : finalement, il n'avait pas besoin de se venger. Pas besoin de se faire remarquer. Après tout, l'intervention de cet inconnu lui donnait raison, que pouvait-il espérer de mieux ? A cette pensée, il sourit. Il y quelques années de cela, il se serait empressé de faire tomber la canne d'un coup de baguette, faisant probablement perdre son équilibre au vieillard, par la même occasion. Malgré ce que lui répétait Pete, qu'il était toujours le gamin inconséquent et puéril qui faisait les pires blagues à Poudlard, et souvent les plus drôles, aussi, Antheo n'était pas tout à fait d'accord. Il avait mûri, quoi qu'on en pense. Pas énormément, mais tout de même... Si ça n'avait pas été le cas, il ne serait même jamais retourné s'asseoir bien sagement, mais se serait empressé de corriger le vieillard. Enfin, cela importait peu.
perdu dans ses pensées, il n'avait pas vu l'inconnu s'approcher de lui, une choppe pleine à la main, et sursauta légèrement lorsqu'il s'installa devant lui en posant la Bièraubeurre devant lui.

- Cadeau. En l'honneur de toute la connerie de ce monde.

Antheo resta immobile pendant quelques secondes, fixant l'inconnu. Qui était-il ? Il l'avait défendu, certes, mais était-il pour autant un allié ? Rien n'était moins sûr... Enfin... S'il commençait comme ça, il allait finir parano avant même d'avoir croisé l'ombre d'un Mangemort... Finalement, il répondit en riant :

" Il en faudrait un plein fût, alors..."

Et, sans plus attendre, il porta la choppe à ses lèvres, buvant une longue gorgée, comme pour montrer à cet inconnu que, qui, ou quoi qu'il soit, il n'avait pas peur.

- Alors, nouveau à Londres ?

Antheo haussa les épaules, ne sachant réellement que répondre. La vérité, bien entendu, mais jusqu'à quel point pouvait-il la révéler ?

" Nouveau, pas vraiment, je suis né ici... Je suis simplement... De retour."

Il s'interrompit quelques secondes, hésitant, avant de se dire que sa réponse suffisait, surtout tant que son interlocuteur ne s'était pas présenté. Lui tendant une main amicale, il ajouta en souriant :

" Je suis Antheo... Antheo O'Connors... Merci pour la choppe ! "

Rien ne laissait présager qu'il avait caché son véritable nom à l'inconnu, et pourtant, c'était bien le cas. Mais il avait utilisé ce nom d'emprunt tellement souvent, au cours de l'année précédente, qu'il était maintenant un peu le sien... Après tout, même si on venait à le suivre, le nom de O'Connors figurait bien sur sa porte, puisqu'il s'agissait du nom de Pete... Et même s'il n'avait en apparence aucune raison de se méfier de cet inconnu, mieux valait être prudent, ils n'étaient pas seuls dans le bar, et iul ne tenait pas à ce que sa famille apprenne qu'il était de retour à Londres, et bien décidé à venger Eleäh. Officiellement, il était Antheo O'Connors, l'un des nombreux frères de Pete. Et ce mensonge avait l'air de fonctionner, pourquoi ne pas en profiter ?

Mathias eut un léger sourire à la remarque du jeune homme. En effet, il faudrait plus qu'une seule choppe pour faire honneur à la connerie du monde. On se contenterait donc de la connerie en Grande-Bretagne. Et encore, ça resterait un peu juste pour vraiment lui rendre justice, à la connerie. L'autre haussa les épaules. Ne savait-il quoi répondre ? Ne voulait-il pas répondre ? Finalement, il sembla se contenter d'une réponse évasive, mais qui demeurait une réponse. Ainsi, il était né à Londres. Et avait dû quitter la ville puisqu'il était de retour. Mathias ne demanderait pas plus de détails. Du moins, pas pour le moment. Les deux hommes ne se connaissaient pas encore.

Et puis, ce fut le plus jeune des deux qui prit l'initiative, main tendue, de se présenter. Antheo O'Connors. Le prénom était étrange, le nom plutôt commun. Même si ça n'était pas son vrai nom, Mathias n'en avait rien à faire. Il venait de trouver l'occasion de bavarder un peu avec quelqu'un de civilisé, il n'allait pas s'arrêter aux détails. Antheo en profita d'ailleurs pour le remercier. Mathias ôta son chapeau et serra la main tendue. Le tatouage, ces deux barres parallèles sur son oeil, étaient à présent plus visibles, malgré ses lunettes.

"Mathias Sullivan." se présenta-t-il simplement.

Aucune raison de mentir sur son nom. Il n'était certes pas réputé dans le monde magique, mais il travaillait au Ministère, et il était difficile d'être discret dans ces conditions.

"Mais je t'en prie." ajouta-t-il, sans fioritures, sans justification.

Parce qu'il jugeait qu'il n'avait pas à le faire. Un peu de solidarité ne faisait de mal à personne. Le Langue-de-Plomb jeta un oeil à l'homme à la canne, qui l'observait avec un oeil mauvais. Tom, derrière son comptoir, semblait inquiet. Il paraissait craindre que la situation dégénère. La tension de son côté était presque palpable. Mathias, lui, était parfaitement détendu.

- Tu vas voir, toi ! s'exclama alors l'homme à la canne, en marchant vers la table, plus ou moins droit.

Mathias soupira.

"Je m'en occupe." glissa-t-il à Antheo, avant de se tourner vers l'importun.

Celui-ci semblait chercher sa baguette magique.

"Vous n'avez pas envie de faire ça. Je pourrais vous dénoncer. Vous n'avez pas envie que le Ministère fouille dans votre généalogie ?"

L'homme s'arrêta net. Son expression se fit soudain... apeurée. Tous les regards s'étaient tournés vers Mathias. Après quelques secondes, le vieil ivrogne fit volte-face et se dirigea droit vers la porte. Un courant d'air froid plus tard, il avait disparu dans la rue. Le jeune homme au tatouage regarda chaque personne présente, puis se réinstalla tranquillement sur sa chaise. Il attrapa sa choppe, en but une gorgée, et parla :

"Ne t'inquiète pas, je n'ai rien à voir avec le Contrôle des Nés-Moldus. C'était simplement pour lui faire peur. Et ça a marché, il devait avoir des choses à se reprocher."

Mathias but une nouvelle gorgée, puis posa la choppe.

"Je suis Langue-de-Plomb. Et toi, étudiant ?"

Oui, il tutoyait, ça lui avait semblé naturel, sur le coup. Après tout, Antheo était plus jeune que lui, il devait avoir 19 ou 20 ans.