Avant même d'être arrivé en bas, James crut pouvoir identifier son visiteur ; celui-ci ne prenait pas la peine de se faire discret, et le claquement régulier d'une canne sur le sol de l'entrée permettait de reconnaître la présence de Griffin Irons. L'Ordre pouvait bien comporter d'autres boiteux, mais le Mangemort n'en connaissait qu'un, et il ne voyait pas pourquoi un autre serait venu le voir. Il ne s'expliquait pas d'ailleurs mieux la visite d'Irons, si ce n'était pour lui annoncer son prochain transfert vers une autre cachette ; il espérait fermement que c'était bien cette bonne nouvelle qui amenait Griffin, car cette maison délabrée commençait vraiment à le déprimer. La précédente planque n'était pas des plus réjouissantes, mais au moins il y avait du passage, et il faisait un peu moins froid...

James eut un sourire en voyant que c'était bien Griffin qui se tenait dans l'entrée ; à tout prendre, il préférait avoir affaire à une tête connue. La visite ne lui faisait pas vraiment plaisir, mais mieux valait Irons qu'Ophelia... L'expression moqueuse de son visiteur ne lui échappa pas, et il répondit sur le même ton narquois, en désignant son cou dépourvu de noeud papillon :

Bien sûr que je suis ravi de vous voir, Irons... J'espère que vous me pardonnerez, je n'ai pas eu le temps de mettre mon smoking pour fêter dignement cet événement...

Griffin fit une remarque sur la température ambiante – James avait fini par ne plus y penser – et alluma un feu dans la cheminée ; l'occupant de la maison suivit son geste du regard, avant de l'informer :

-J'ai essayé, au début, mais ça ne chauffe pas bien. Si vous voulez avoir chaud, vous avez intérêt à vous asseoir à vingt centimètres de la cheminée. C'est plus simple de se couvrir comme en plein hiver... J'espère qu'on ne va pas me laisser moisir là trop longtemps.

Son transfert n'était « pas une priorité » de l'Ordre, lui avait-on dit ; il était en parfaite sécurité, il avait un toit, de quoi manger et des sorts de protection à revendre, il n'avait pas à se plaindre. Le jeune homme promena un regard désabusé sur la pièce vieillotte, mais son visiteur ne semblait pas vouloir répondre ; il se borna à demander du thé. James déposa contre un mur la canne inutile qu'il continuait à promener par habitude, et passa à la cuisine pour y prendre deux tasses, la bouilloire pleine, et du sucre.

-Vous avez de la chance, il me reste un vieux sachet pas encore moisi... Par contre, soyez gentil, faites-moi chauffer l'eau, j'ai laissé ma baguette en haut. De toute façon, je vais finir par oublier à quoi peut bien servir ce bout de bois, avoua-t-il en disposant les sachets dans les tasses. J'espère que vous ne prenez pas de lait dans votre thé ?

Le lait était fini depuis deux jours, et la livraison de vivres prenait du retard. Bien entendu, l'Ordre du Phénix avait énormément de choses à faire, et nourrir un Mangemort terré dans une vieille bicoque ne devait pas être la priorité absolue ; James devait pourtant avouer qu'un peu de pain frais ne lui aurait pas fait de peine... Il aurait cependant été mal venu de se plaindre, et il se contenta de demander, en versant l'eau chaude dans les tasses :

-Eh bien, Griffin, qu'est-ce qui me vaut l'honneur de cette visite ? Je commençais à me demander si quelqu'un se souvenait encore de mon existence.

Griffin l'avait rejoint à la cuisine en protestant contre le thé en sachets, et James adressa un regard d'excuse à son visiteur. Si les choses n'avaient tenu qu'à lui, il lui aurait proposé un thé digne de ce nom, en feuilles, un thé susceptible d'être apprécié par un amateur ; en bon Anglais, le jeune Kirkby faisait une grosse consommation de ce breuvage, et le thé en sachets lui donnait l'impression détestable de boire de l'eau chaude vaguement colorée. Depuis quelques jours qu'il habitait cette maison, il devait bien se satisfaire de cet ersatz de thé sans goût, mais c'était probablement l'une des choses qui lui manquaient le plus ; il s'habituait doucement à la solitude et à l'enfermement, songeant parfois que l'Ordre devait considérer sa mise à l'isolement comme une forme de punition ; après tout, sa place était à Azkaban, et il avait au moins la chance d'avoir une prison relativement confortable.

La remarque d'Irons sur le fait qu'il ne savait pas prendre soin de lui agaça le jeune homme, qui ravala avec peine la réplique qui lui brûlait les lèvres. Croyait-il que c'était par plaisir qu'il vivait dans ce taudis, avec des placards désespérément vides ? Il préféra cependant ne rien dire, de crainte que son visiteur ne s'offense de cette réflexion et en prenne prétexte pour retarder son transfert. Car Griffin venait lui annoncer ce transfert, c'était certain.

Le doute s'insinua dans l'esprit de James lorsqu'Irons appela son elfe de maison, et lui ordonna de faire le ménage. À quoi bon mettre de l'ordre s'il devait quitter les lieux ? Ça ne collait pas. D'un geste lent, le garçon posa sa bouilloire, et suivit l'Auror au salon en lui lançant :

-Quelqu'un pour s'occuper de moi ? Faut-il vous rappeler que je suis au secret ? Aucun contact avec l'extérieur, les consignes sont claires... Je ne vais pas passer une annonce pour trouver une gouvernante...

Le froid commençait à le gagner, et il rejoignit son visiteur devant la cheminée tout en reboutonnant sa chemise. La suite des propos de Griffin confirmait ses craintes ; il ne venait pas lui annoncer son transfert, mais l'interroger, une fois de plus. James soupira et lâcha, sur un ton las :

-Monsieur est trop bon...

Irons se tourna vers lui, mais, par réflexe, il se détourna au même instant, peu soucieux de faire étalage de sa déception devant ce type. Il n'avait aucune envie de subir des sarcasmes, ou même de croiser son regard. À mi-voix, il fit :

-Encore des questions... Moi qui pensais justement que vous veniez m'apporter quelques réponses... Eh bien, reprit-il plus fort en reposant son regard sur Griffin, que voulez-vous savoir cette fois-ci ? Je croyais que mon interrogatoire avait été complet...

L'Ordre du Phénix l'avait déjà interrogé plusieurs fois, tandis qu'il était dans sa première cachette, et on ne l'avait transféré ici, sans surveillance directe, que lorsqu'on avait jugé qu'il avait tout dit. James se souvenait de séances de questions longues, assez fastidieuses, passées à énumérer des détails qui lui semblaient de peu d'importance, mais que ses gardiens consignaient soigneusement par écrit. Qu'avait-on bien pu oublier de lui demander ? Toutes les questions avaient été posées deux fois, trois fois, pour voir, sans doute, si les réponses variaient ; on ne lui avait pas systématiquement administré de Veritaserum, “pour lui laisser une chance de prouver, par sa sincérité, sa bonne volonté” ; de fait, il avait livré des aveux aussi complets que possible, trahissant la Cause sans même en éprouver de remords.

-Je vous écoute, monsieur Irons, déclara le Mangemort sur un ton conciliant, en donnant sans s'en rendre compte du Monsieur à son visiteur - et posant ainsi clairement les termes de l'entretien.

En attendant que Griffin pose ses questions, James s'était remis à regarder le feu, avec l'intérêt qu'il aurait pu manifester devant un phénomène tout à fait nouveau ; d'un oeil attentif, il suivait chaque évolution des flammes, chaque jet d'étincelles, comme devant un spectacle passionnant. De fait, le feu avait toujours exercé une certaine fascination sur le jeune homme et, dans sa position, la moindre distraction était la bienvenue. Tout occupé à admirer le feu, il ne remarqua ni les gestes, ni les expressions de son visiteur ; c'était le prix à payer pour cacher son propre visage où la déception devait se lire sans peine. Le léger froissement d'un parchemin fit tourner la tête à James qui avait écouté l'Auror sans le regarder ; d'ailleurs, celui-ci n'avait-il pas parlé de récompense ? Le mot sonnait étrangement dans cette pièce sinistre... Il y avait largement de quoi susciter l'attention du repenti. Tant de choses auraient été les bienvenues ! Un peu d'air frais, pour commencer, un peu de compagnie masculine ou féminine, ou les deux, de la bectance convenable, ou bien... Griffin jouait avec un parchemin, le tournait entre ses doigts, et James eut un coup au coeur en reconnaissant l'écriture... Isaac ! Depuis la lamentable nuit du Nouvel An, l'adolescent s'était montré distant, chose parfaitement compréhensible ; apprendre qu'il avait fait confiance à un Mangemort l'avait certainement perturbé, et il n'était pas facile de pardonner ce tatouage sur le bras de James... Mais c'était chose faite, visiblement, puisqu'il écrivait ! Le jeune homme fit un geste pour prendre la lettre, mais Irons la garda encore un instant, faisant durer la tension avant de la lui tendre.
L'enveloppe déjà ouverte se retrouva par terre en une seconde, tandis que le repenti dévorait la missive. Isaac ne pouvait pas s'exprimer librement à cause de la censure des Carrow, mais le ton qu'il employait était encourageant. Il pardonnait peu à peu la trahison, s'appliquait à trouver des formules qui permettent de le comprendre... Durant les quelques instants que Griffin lui laissa, le jeune homme trouva le temps de lire deux fois et demie la lettre, en regrettant encore de ne pas pouvoir la lire plus vite.

À regret, au signal de l'Auror, James replia la lettre qu'il glissa dans la poche arrière de son pantalon. Il aurait préféré continuer à lire, mais il y avait tout à gagner à se montrer coopératif avec Irons – la preuve, il parlait déjà d'autres lettres. Il redressa donc la tête, donnant tous les signes d'attention, prêt à fournir tous les renseignements qu'on lui demanderait, si cela pouvait lui donner d'autres récompenses de ce genre. À l'énoncé de la question, le jeune homme baissa les yeux, puis alla s'asseoir sur le canapé délavé, les sourcils froncés. Il avait déjà entendu le nom, mais où ?

-Cummings... Izlaya Cummings... Ah, mais oui, je vois, s'écria-t-il soudain. Elle est étudiante, pas vrai ? Une jolie fille, le genre que je ne mettrais pas à la porte si elle se pointait ici... j'en ferais mes beaux dimanches ! ajouta-t-il d'un air sournois, avec le geste d'apprécier des courbes plantureuses.

Ça, c'était juste pour faire attendre Griffin, et pour le plaisir de manquer de respect à son amie. Ce point essentiel étant rempli, James poursuivit en vitesse, craignant une réaction musclée de l'Auror :

-Ecoutez, je ne vais pas avoir grand-chose à vous dire. Mais sans vouloir vous inquiéter, les gens qui ont une raison de vouloir se venger des Mangemorts sont particulièrement surveillés. Prudence, vous comprenez... Je ne serais pas surpris qu'il y ait tout un dossier à son nom au Repaire, avec son adresse, ses petites habitudes et même ses mensurations...

Les bruits de vaisselle en provenance de la cuisine s'étaient faits plus discrets, plus précis aussi : de toute évidence, l'elfe avait fini de laver toute la vaisselle sale, et il s'affairait à la préparation du petit déjeuner. James, mis en appétit, s'efforçait de ne pas jeter des regards trop fréquents vers la porte, mais il espérait à chaque instant voir apparaître la créature chargée d'un plateau qu'il imaginait abondamment garni. Inconsciemment, il revoyait le petit déjeuner pantagruélique partagé avec Griffin sur le Chemin de Traverse – comme tout cela lui semblait loin désormais... Son visiteur enfonça le clou en répliquant à ses provocations par un rappel cinglant de sa nouvelle condition : il était enfermé dans cette cahute, qu'il le veuille ou non, et dépendait entièrement du bon vouloir de ses geôliers, ou de ses protecteurs, question de point de vue. James baissa les yeux, soudain penaud, mais l'auror ne poussa pas plus loin le rappel à l'ordre. Même, fidèle à sa parole, il tendit à James une autre lettre, avec un sourire moqueur qui agaça le jeune homme.

Ça, l'Ordre du Phénix avait dû se marrer en lisant la lettre. Un Mangemort appelé « mon chéri » par sa maman folle d'inquiétude, ils avaient dû apprécier... D'où le sourire railleurs de Griffin. James avait envie de lui faire une réflexion, mais dans le fond, lui-même trouvait exaspérante sa manie de sa mère de le bombarder de petits surnoms mignons comme quand il avait quatre ans. Il lut en vitesse la missive – plus toute récente – avec une pensée émue pour Alba ; sa mère était à peu près la seule personne de la famille qui lui manquât. Elle, il l'avait toujours cru, le comprendrait et l'aimerait quoi qu'il fasse... Puis Griffin parla de la Beuglante. Il s'était donc trompé sur sa mère aussi ? Pourquoi une Beuglante, d'ailleurs ? La réponse évidente sortit de la poche de l'Auror : un avis de recherche. James, soudain accablé, en prit connaissance en vitesse, puis leva un regard terne vers Irons en recommandant :

-Vous direz à Lupin de faire attention... La prochaine fois, ça risque d'être plus musclé qu'une simple beuglante.

Il se leva nerveusement, pris du besoin de se dégourdir les jambes, mais aussi de consommer sa trahison ; quand la potion est tirée, il faut la boire... Il fit quelques allées et venues dans la pièce, sous le regard de son visiteur, avant de venir se planter devant lui pour lui demander brusquement :

-Est-ce que vous avez pu entrer dans l'appartement de votre amie ?

Griffin confirma ce qu'il pensait en répondant négativement, et le repenti se rassit sur le canapé, près de l'Auror, pour reprendre plus calmement, une légère nuance de regret dans la voix :

-Dans ce cas, je suis désolé mais je pense que des Mangemorts sont entrés. Ils ont jeté le sort de Muraille Magique, un nouveau sort, qui empêche d'entrer si on ne connaît pas soi-même le sortilège... Vous savez, on a... enfin ils ont (il ne s'habituait pas encore à ne plus s'inclure dans les encagoulés) des gens qui travaillent uniquement à la mise au point de sorts... Celui-là est assez récent, et je crois que l'antisort n'a pas encore été trouvé par l'autre camp. Mais moi, je le connais, ajouta-t-il avec l'ombre d'un sourire. Vous voulez bien me faire arriver ma baguette ? Je l'ai laissée là-haut et je n'ai pas très envie de monter la prendre... Peut-être que pouvoir entrer chez elle vous aidera à avancer dans vos recherches ? C'est malheureusement tout ce que je peux faire pour vous aider...

Le regret était sincère. La certitude que même sa mère rejetait le traître qu'il était devenu était insoutenable, et lui donnait le désir ardent de trahir encore plus, de se faire au maximum le complice, et même le larbin s'il fallait, de l'Ordre du Phénix. Autant être pendu pour un mouton que pour un agneau... Les derniers scrupules qui lui restaient vis-à-vis de sa famille s'étaient envolés. Si sa mère en était aux Beuglantes, son père et son grand-père devaient lui mijoter des choses autrement plus saignantes. Il posa un regard loyal sur Griffin, désireux de lui montrer qu'il venait de franchir un nouveau pas dans la coopération.