Le bois de son bureau ne le voyait plus travailler, il n'était qu'un auror assis sur son plan de travail, surveillant du regard les derniers de ses collègues à s'escrimer sur des dossiers qui s'embourbaient. Colin avait réussi à mettre un polichinelle dans le tiroir de sa digne épousée et n'avait que peu la tête à jouer les justiciers sans peur et sans reproche. Sa femme, une autre auror, avait plus la tête à se démener sur le terrain et Russel commentait encore que cela ferait rapidement un nom de plus sur la liste des orphelins. Lacey avait haussé les épaules, sans grande émotion, il était vrai qu'être l'enfant de deux aurors n'était un statut évident. Il suffisait de voir les Londubat et leur fils Neville, Russel avait ajouté qu'il espérait que ces deux là avaient encore des parents, au cas où, que le petit – ou la petite- ait des grands parents comme autre foyer possible.

Cela lui avait valu le poing dans le nez de la part de Lacey, qui n'avait strictement aucune envie de prévoir un autre enterrement, auquel il aurait du se rendre. Monsieur et Madame Silkness, ainsi que Polichinelle premier, allaient lui faire l'immense honneur de rester tous les trois en vie, quitte à les coller à leurs sièges pour les dix prochaines années. Au moins et sans exagération. Mise à part ça, l'homme était resté les fesses posés sur sa table pendant deux bonnes heures et l'horloge affichait à présent vingt et une heure. Il pouvait élégamment quitté le ministère sans qu'on l'accuse d'avoir chaumé ou de voler son salaire.

La brise fraiche de la rue l'accueillit comme une morsure agréable. L'homme déglutit et ré-ajusta le foulard qu'il portait à présent en permanence autour du cou. Un LV n'était pas un signe explicite d'une appartenance aux mangemorts, mais c'était suffisant selon lui pour éveiller quelques soupçons et faire naître des commentaires indésirables. Lacey avait repassé ses premières semaines au ministère, où deux sentiments tout à fait distincts l'avaient balayé avec violence, comme la mer se jouerait d'un coquillage. Le sorcier avait d'abord été persuadé que tout les employés cachaient sous leur manche la marque des ténèbres et qu'il était entouré de mages noirs. Cette pensée avait ensuite fait place à celle que tout le monde savait. Il était impossible que tout le ministère soit composé de mangemorts, mais tous savaient qu'il était coupable. Que c'était lui l'assassin ! Que tous le regardait et murmurait derrière son dos, que cela n'aurait étonné personne s'il s'était rendu dans le hall principal pour hurler que c'était son œuvre et qu'il y avait d'ores et déjà une cellule à Azkaban qui l'attendait joliment avec son nom dessus.

Finalement, comme au bout de quelques temps, personne n'était venu l'arrêter, il avait du se rendre à l'évidence. Il portait sa croix seul, à l'exception de trois hommes : Le Seigneur Sombre, un certain Grim Wolkoff, puis son frère Lawrence. Et le fait que cette dernière personne soit au courant ne faisait qu'en alourdir le poids. Le semi-irlandais eut du mal à réprimer un frisson au souvenir du russe nommé plus tôt : la façon dont cet étranger l'avait regardé pendant qu'il... s'occupait de Scrimgeour n'était pas un instant sorti de sa tête. Comme l'impression tenace et dégradante d'être la souris de laboratoire d'un scientifique un peu trop motivé, qui vous regarderait faire tourner la roue jusqu'à vous essouffler, puis tomber.

Il était vingt-et-une heure-trente, Lacey n'avait pas bougé du parvis du ministère, Russel lui était passé devant et avait fait comme s'il ne l'avait pas reconnu, puis avait transplané. Lacey restait seul, il ne voulait pas rentrer. Elanor était à l'UMA, il évitait ses contacts et amis de l'Ordre -qui de toute façon devaient être occupés-, Lawrence était où il était et il valait mieux l'éviter. Décidément, la perspective de soirée s'annonçait excellente. L'homme au regard vert pointa son museau vers le ciel pour y guetter un nuage, trop sombre mais les étoiles au dessus de la métropole laissait à présager que le soir se passerait de pluie. Dommage, il n'aurait pas été contre pour une fois. Pourquoi était-ce toujours le bon coté des clichés qui lui faisait défaut?

Tant pis, s'il s'agissait de ne pas voir passer la soirée, c'était encore un art où il était passé maître. Pas question de se trouver une fille, la seule qui l'intéressait était Elanor. Restait alors la bonne vieille solution qui arrache au matin : boire tellement que l'on ne se souvenait plus de rien le lendemain matin ! L'auror fit claquer son palais : excellente idée qui allait parfaitement avec le pitoyable personnage qu'il était. Allongeant le pas jusqu'à un troquet inconnu, l'auror commençait bien sa soirée.

~~~ ~~ ~~~

Mouais, la réputation du Crabe De Feu était un peu surfaite. Surtout à minuit passé. L'alcool coulait à flot et le service était rapide, le lieu était propre, la musique convenable mais cela coutait tout de même beaucoup plus cher qu'un bar normal. Après cinq verres, on se fichait pas mal de la serveuse qui venait passer un coup de serpillère et s'assurer que tout était propre. Au final, l'homme avait fini par aller se trouver une autre quincaillerie qui sonnait bien au nom de La Chope du Dragon. Là, les tables étaient en bois, on se prenait des échardes dans les fesses si l'on restait assis trop longtemps et l'établissement sentait l'alcool et d'autres liquides moins dignes, mais les prix étaient raisonnables et tous les clients se payaient à peu près la même gueule de panouilles.

Au bout du compte, et en marchant toujours droit -à regret-, le sorcier se décida à s'aventurer dans un dernier bar. L'homme réajusta inutilement son trench-coat beige à entrer dans le premier bar qui lui passait sous la main, voir si l'air lui convenait. De la fumée partout, des vapeurs d'alcool, un air moite et une serveuse le cul sur la table qui n'avait pas l'air mécontente de se faire peloter par un entonnoir à pattes. Oui, ce lieu était digne d'accueillir sa personne. L'homme s'avança un peu pour sentir un accoue contre sa manche et se retourna, les sourcils froncés et le poing près à tomber contre l'importun qui osait venir le déranger dans sa soirée de méditation alcoolisée.

Josh Hepburn, rangé le poing, gentil le poing. Pas de tatanage, même si le bonhomme lui filait généralement l'envie de jouer des doigts. Et comment ça trinquer avec lui? Comment il avait quelque chose à fêter? Et comment il voulait que Lacey Hawkesworth-je-te-brise-le-coeur-et-je-saute-dessus-à-pieds-joints-en-chantant-les-Bizarr'-sister l'accompagne pour boire? Le monde avait-il explosé? Et pourquoi Merlin, l'ancien gryffondor se sentait-il toujours aussi coupable et mal à l'aise bien des années après? La raison manqua de lui faucher les jambes et il remercia l'alcool déjà ingurgité d'amoindrir en partie ses capacités intellectuels et la seule chose que l'auror parvint à articuler ressemblait vaguement à :

« Oh? C'est vrai? »

L'homme laissa couler un court instant pour digérer ce qu'il venait d'entendre et de dire :

*Non, il dit ça pour plaisanter, du con...*

« Pardon... Je veux dire... Qu'est ce que je veux dire d'ailleurs?... Y a-t-il seulement quelque chose à dire...  »

S'asseoir. Impératif numéro, réalisé. Lacey avait à présent le cul sur une chaise et la possibilité d'analyser la situation. Josh Hepburn, archiviste du ministère et personne avec qui les tentions perduraient depuis Poudlard l'invitait à boire pour fêter la mort de son père, en semblait ravi. Tout cela lui paraissait parfaitement douteux et totalement étrange, mais tant qu'à faire : Josh était déjà un peu imbibé, il l'était pas mal lui-même, avec de la chance : ils auraient tous les deux une telle gueule de bois le lendemain matin qu'ils ne se souviendraient même plus de s'être parlé.

« … Alors, tu bois quoi? »

Question la plus essentielle, en définitive.

Du Scotch? Alcool de traître ! Alcool de ces bons à rien d'écossais... franchement excellent, il fallait l'avouer. Ces infâmes savaient rendre la trahison tentante. Toutefois, lorsque l'on était irlandais, l'on ne se commettait avec ces gens là. Hors de question de faire de tel impair, on l'y prendrait pas. On allait voir plus loin, et l'on détournait pudiquement le nez de cette table déloyale. Ou plutôt, on fixait son vis-à-vis pour avoir l'air à peu près correct et l'on détaillait des traits que l'on n'avait pas regardé avec attention depuis des années. Pas même les fois où il était passé aux archives pour rapporter subrepticement des dossiers « empruntés » sans l'accord de l'archiviste. Ce n'était pas toujours évident de se faufiler et de trouver un créneaux horaires où l'autre aurait cru bon de ne pas travailler. Pire, le sorcier en face de lui était un adepte des heures sup'. La guigne, n'est-ce-pas?

Enfin, l'alcool excusait toutes les dérives, même celles qui consistaient à considérer la personne qui buvait avec vous. L'auror avait multiplié les bourdes avec le type depuis un certain événement à Poudlard. Il avait fait dans le divers et le varié, sans faire preuve de trop de violence. Comme de bruler des photos dans un dossier des archives. Un léger petit écart, que l'ancien serdaigle n'avait semble-t-il, pas gouté. Et Lacey s'était bien gardé de lui expliquer que de trouver un ensemble de photos où l'on présentait le cadavre de sa mère répandu dans plusieurs pièces avait généralement l'effet de lui faire perdre un peu les pédales. Apparemment, les criminels avaient trouvé malin de vérifier jusqu'où on pouvait dérouler l'appareil digestif d'un être humain. Des jambes battues et pleines d'ecchymoses jusqu'au bassin coupé de façon mal propre, puis les intestins dévidés et posés proprement jusqu'au torse ouvert en deux pour que l'on puisse bien voir la fin. Lacey pouvait donc confirmer que c'était une mort particulièrement sale et que sa mère biologique devait avoir beaucoup souffert dans le procédé. Alors non, il ne s'était pas excusé et ne s'excuserait pas du sort qu'il avait fait subir au dossier. Que Josh s'estime déjà chanceux qu'il lui ai déjà rendu. Il ne voyait pas en quoi les photos auraient pu constituer des preuves de toute façon. Hormis si l'on tentait à prouver la cruauté des mangemorts, mais ça c'était un fait acquis.

Et un fait que Lacey avait du revoir un peu, pour mettre la culpabilité sur le dos de son père. Quelle idée d'engrosser une moldue et de la faire parader jusqu'à ce qu'ils se fassent tous les deux descendre lamentablement. Son père avait eu une mort plus digne. Un bon vieil avada kedavra, une mort de Sang-Pur, pour Lacey, c'était lui qui méritait le sort réservé à sa génitrice. Même si c'était une honte d'avoir un tel sang dans les veines. L'auror se força à se changer les pensées : dans un autre registre, il avait un foutu archiviste dont le père n'avait rien trouvé de mieux que de mourir :


« Il a clamsé comment ton paternel? »

Certes, ça manquait de finesse et ça ne répondait pas à la question de Josh. Et Lacey se fichait pas mal de répondre à la question de son vis-à-vis. Est-ce qu'il avait bu? Pardi oui. Faudrait être masochiste pour échouer directement ici sans s'être rempli le gosier autre part avant. Ou alors, juste avoir une case en moins, ça pouvait arriver aussi, mais ça n'était pas le cas de l'auror. Ceci dit, il fallait au moins faire l'effort d'être correct :

« Ouais, j'ai fait la tournée des bars avant d'échouer ici. »

Il ne commenterait même pas, ni ne chercherait à comprendre ce qui avait poussé l'autre homme à rire peu avant. Le drôle de la situation semblait lui échapper totalement. Mais bref passons, Josh Hepburn, frais comme un gardon et aimable, ça n'était pas possible, il était évident que l'homme avait déjà un peu bu de son coté. De toute façon, son verre était encore rempli, il n'avait pas à se soucier de le recharger. Lacey appela rapidement un serveur de la main pendant que l'autre lui demandait ce qu'il voulait prendre. Le serveur le repéra et lui indiqua qu'il finissait sa tournée avant de passer prendre les commandes. L'auror hocha positivement la tête. Quel établissement pourri, même pas une nana pour vous faire le service. Tu parlais d'un tripot qui craignait :

« Ce que je fais ici? 'Chui venu à assister à un récital de poésie, ça me paraît évident. »

Le ton, un brin désabusé, n'était pas pour se moquer de Josh. Il se demandait malgré tout l'intérêt d'une telle question. Pour quelle raison venait-on dans un endroit pareil? Pour fêter la mort de son paternel, certes. Mais si Lacey voulait entrer dans des détails aussi personnels, des choses pas très jolies sortiraient et il préférait laisser ça pour un autre lieu et pour une autre audience. Qui et où ? Il n'en avait pas la moindre idée. L'homme porta à nouveau la main à son foulard, quoiqu'il dise, le Lord pourrait l'entendre. Ce n'était pas le temps des confessions, il tenait trop à la vie de son prochain, et même Josh Hepburn ne méritait pas de mourir dans d'horribles souffrances pour avoir ouvert ses esgourdes à la mauvaise personne. Le serveur arrivait et le sorcier commanda une bouteille de Rakia, le plus fort degré qu'ils avaient.

[Classe de Lacey : -50 ]

Sur le fait que le sieur Hepburn était féminin, l'avis de Lacey ne changeait guère en fonction de son degré d'imbibition. Tout comme son avis que tous les homosexuels du ministère -qu'il ne s'amusait pas à compter- avaient forcément une connaissance plus ou moins intime les uns des autres. Certains préjugés avaient la vie dure, et ça n'était pas avec un type comme Russel Monteith, policier et ami de l'auror, que son jugement en la matière allait changer. Quant à prendre en compte que le manque d'amabilité forcé dont faisait preuve Josh Hepburn à son égard, l'auror n'était pas prêt de passer à l'étape révision. Voir l'archiviste comme un type aigre, prétentieux, acerbe et pénible ; et bien, cela lui allait parfaitement.

Mais que faisait-il assis avec lui alors?

Ah ! C'était vrai : le père de monsieur était mort. Ça obligeait à des politesses, des concessions. On faisait dans le délicat. Enfin, dans l'aussi délicat qu'on pouvait faire avec trois grammes dans le sang. Josh semblait trouver son réconfort au fond de son propre verre, alors que son compagnon se resservait. Lacey avala une nouvelle lampée de rakia et reposa son verre plutôt bruyamment. Pour un peu, il en aurait presque voulu à l'autre homme : comme si cet idiot n'avait rien de mieux à faire que d'arrêter les braves gens pour tenter de les faire culpabiliser et de porter avec lui par compassion, le fardeau de la tristesse et du deuil. Mais non, Josh n'était pas le genre à cuver gentiment dans son coin, il fallait qu'il fasse appel au premier péquin pour lui tenir compagnie, et par un extraordinaire concours de circonstances, il avait fallu que ça tombe sur lui. Franchement, la déesse de la chance se moquait de sa trogne. Une autre gorgée ferait mieux passer la pilule, l'homme leva encore le coude.

« C'est débile cette méto... métafra... métaphore. A moins de se faire exploser dans le ciel et ben on y monte pas...et encore... on redescends après. Sauf si on part en morceaux. »

Ouais d'ailleurs, c'était juste tellement évident, qu'il ponctua sa phrase d'un haussement d'épaules désinvolte, comme si ce qu'il racontait était le bon sens le plus élémentaire. Ceux qui ont l'expérience sauront néanmoins qu'il ne faut pas contrarier un type saoul dans ses digressions. Puis à la réflexion, si son vis-à-vis n'avait rien à rajouter sur personne, ça serait parfait : Josh Hepburn qui admettait qu'il n'avait rien à dire, c'est un spectacle suffisamment exceptionnel pour être savouré. Cela valait même la peine de rester et de lui tenir compagnie.

« Et pourquoi ton daron l'irait pas squatter là haut? Il a fait d'trucs rep... réhén... répre... pffff » Une autre gorgée l'aiderait peut être? Ah oui ! Trop fort ! « d'trucs pas bien, quoi.. »

Boire, c'était fantastique. Cela vous réapprenait la vie, à voir les choses sous un nouvel angle, plus simple, et à ne pas s'écorcher la gueule à chercher des termes barbares pour avoir l'air intelligent. De toute façon, avoir l'air intelligent ne servait à rien. Cela n'était qu'une source d'ennui, il fallait mieux paraître idiot et se savoir intelligent, supérieur à toute masse. Oui, l'alcool, c'était le bien. D'ailleurs, tous les grands héros étaient potentiellement des ivrognes ; sinon comment expliquer les combats sans queue, ni tête qu'il menait. Les situations sans issue, sans espoir, ces vaillants héros ne pourraient pas s'y lancer en étant dans leur état normal. Deux solutions : soit ils étaient fous, soient ils étaient ivres. Et comme la proportion de fous ne pouvaient logiquement pas dépasser celles des ivrognes ( il suffisait de s'intéresser à n'importe quelles statistiques sur le sujet pour s'en convaincre... mais de toute façon, statistique, c'était déjà un mot trop compliqué ), il était évident que quasiment tous les héros partaient au combat complètement faits. Brillant syllogisme, non?

De quoi? Syllogisme : une majeure, une mineure et la conclusion. Un bon dictionnaire ferait l'affaire aussi, même si dans un bar, c'était un objet qu'il était difficile de se procurer. Cela prouvait encore une fois d'ailleurs la nécessité de boire. Boire permettait d'oublier, d'oublier ce que l'on voulait, et surtout d'oublier que la vie était mal faite. Vérité irréfragable puisque l'on n'avait jamais les choses dont on avait besoin au moment où on en avait besoin. Prenez le type chez lui, bloqué seul, sans ami, sans chat, ni poisson rouge ou autre animal inutile mais mignon, sans télévision moldue, sans radio sorcière, avec pour seul compagnon son dictionnaire : que n'aurait-il pas donné pour avoir un verre d'alcool. Et vous, dans votre bar avec votre verre d'alcool, que n'auriez vous pas donner pour avoir un dictionnaire pour chercher la signification de irréfragable? Hein, je vous le demande...

Et puisqu'il voulait parler d'autre chose...

« Tu sais ce que veux dire irréfragable, toi par exemple? »

Ben quoi? C'était un sujet comme un autre. Et puis quand on était ivre, tout nous allait, non? Suffisait de voir parfois avec quoi on se réveillait dans le lit le matin pour se convaincre qu'être bourré comme une cantine vous rendait moins exigeant.