Estelle entra dans le dortoir, épuisée par une nouvelle journée de cours. Décidément, elle ne s'habituerait jamais aux formules magiques, vols sur balais et autres activités extravagantes de tout sorcier qui se respecte. Ni aux innombrables escaliers capricieux... La petite fille sentait déjà les courbatures se former dans ses mollets... Elle salua rapidement les filles qui se trouvaient déjà dans la pièce, se traîna jusqu'à son lit et s'y affala en laissant lourdement tomber son sac sur le plancher. Des manuels scolaires et tout un fouillis de parchemins profitèrent de l'occasion pour s'étendre sur le sol, et la fillette soupira. Elle s'allongea sur le ventre et entama une longue contemplation de son oreiller, se remémorant les catastrophes de sa journée.

Jusqu'au petit déjeuner, tout s'était parfaitement déroulé : Estelle avait pris un œuf brouillé tout ce qu'il y a de plus banal, puis elle s'était préparée pour aller à son premiers cours : sortilèges et enchantements. Il n'y avait pas grand chose à dire là dessus, si ce n'est qu'elle s'était montrée incapable de jeter quelque sort que ce soit. Elle s'était ensuite retrouvée pleine de terre de la tête aux pieds à l'occasion du cours de botanique ; elle avait répandu la moitié du contenu de son chaudron sur le sol en potions et, par la même occasion, éclaboussé ses voisines d'une solution corrosive. En défense contre les forces du mal, elle serait morte par deux fois s'il ne s'agissait pas d'un simple entrainement, vu qu'elle n'avait pu jeter de sorts pour se protéger. Pour finir, elle avait été incapable de faire décoller son balai pendant la séance de vol -et heureusement pour elle, car avec sa maladresse, elle serait certainement tombée afin de se casser le maximum d'os possible.
Bref, cette journée avait été un désastre. Et chaque jour, c'était la même chose et ce depuis septembre. Elle n'avait jamais lancé de sorts, et depuis qu'elle était à Poudlard, elle se demandait si ce n'était pas une quelconque erreur. Elle n'avait jamais manifesté de don pour la magie depuis sa naissance, et elle ne voyait pas ce que son admission à l'école de magie pourrait y changer, à part la ridiculiser face à ses camarades.

Estelle soupira de nouveau et se redressa sur les coudes pour regarder à travers la fenêtre. Il allait bientôt faire nuit... Et demain, la même journée recommencerait, agrémentée de nouvelles catastrophes de miss Lapworth. A ce rythme là, elle allait devenir célèbre pour ses incapacités...

La petite fille se retourna sur le dos et observa ses voisines de chambre qui s'afféraient à diverses activités : l'une écrivait une lettre, certainement pour ses parents. Deux autres mangeaient des friandises en bavardant gaiement sur les nouveaux sortilèges qu'elles étaient capables de jeter.

* Je devrai p't être envoyer une lettre à Papa pour lui demander de venir me chercher... Ça se voit que je ne suis pas une sorcière, je réussit rien... *

Lorsque Estelle entendit la question de sa camarade, elle ouvrit de grands yeux ronds, étonnée. Elle se redressa et s'assit en tailleurs sur son lit -après avoir retiré ses chaussures, évidemment- tout en examinant la fillette qui lui avait adressé la parole. Elle connaissait son nom puisque les deux petites assistaient aux mêmes cours : Victoire Edens. Malgré qu'elle soit en première année comme Estelle, elle devait faire au moins dix centimètres de plus qu'elle, ce qui était assez intimidant. Et Estelle n'avait jamais trouvé l'occasion de lui adresser la parole, par timidité sans doute. Elle se rappelait que lors du cours de potions, le jour même, sa camarade de dortoir avait, elle aussi, fait des misères avec son chaudron. Cette pensée la fit sourire, et elle répondit à Victoire sans pouvoir s'empêcher d'entamer la conversation :

Oui oui, seulement mes parents me manquent... et p'is comme t'as pu le voir, j'suis assez nulle en magie. En fait, je crois que ma baguette marche pas... elle marqua une pause, lançant un regard courroucé vers cette foutue baguette qui trainait sur le sol au milieu de ses manuels scolaires, puis poursuivit malicieusement, mais bon j'ai vu que toi aussi tu es fan des cours de potions, hihihi !

Estelle lui fit un clin d'œil et délia ses jambes, pris son pied droit dans ses mains et le tordit dans tous les sens. Parfois, les enfants ont des activités assez étranges, mais ce qui est magique chez eux, est qu'ils ne se soucient ni des conséquences de leurs actions, ni du regard des autres. Ils vivent dans leur bulle imaginaire, croyant que tout le monde acquiesce à leurs univers... et ils ne s'en portent pas plus mal, faisant envie aux adultes, incapables de se laisser aller. Ainsi, dans un nouvel éclat d'insouciance, Estelle fourra son peton sous le nez de Victoire et lui demanda innocemment ce qu'elle pensait de sa nouvelle chaussette.

C'est ma grande sœur qui me les a données à mon anniversaire et en plus, elles sont magiques, enchaîna-t-elle. C'est mes chaussettes préférées !

En effet, les bandes de tissus avaient tous les critères pour figurer sur le podium des accessoires favoris de la fillette : bleues claires sur les mollets et les chevilles, les orteils avaient la couleur de l'herbe grasse des prés. Sur la partie supérieure du pied et sur les tibias broutaient plusieurs licornes multicolores, la crinière au vent, animées grâce un sort similaire à ceux qu'on jette aux tableaux pour leur donner vie.
Toute fière d'avoir exhibé son petit trésor, Estelle affichait une mine triomphante en attendant le verdict de Victoire.

Estelle écouta distraitement sa camarade de dortoir, se remémorant tous les cours auxquels elle assistait depuis le début de l'année.
En réalité, Estelle aimait bien le cours de potions : mélanger une mixture magique, c'était un peu comme faire de la cuisine. Sauf qu'il fallait éviter de plonger les doigts dans la « pâte » ? pour goûter... au risque de se retrouver dans de piteux états. Estelle avait déjà pu constater les effets dévastateurs de certains bonbons comestibles sur quelques élèves de Poudlard, alors elle n'osait pas imaginer les conséquence de l'ingestion d'une potion à moitié terminée.
La fillette appréciait également les séances de Soins aux Créatures Magiques, l'une des seules matières où elle parvenait tant bien que mal à des résultat satisfaisants. En revanche, tous les autres cours étaient désastreux, malgré tous les efforts qu'elle déployait.
Mais la petite fille atteignait le summum de l'incapacité lors de Défense Contre les Forces du Mal. Le plus souvent paralysée par la peur, elle était agitée de tremblements incontrôlés et blême comme si elle avait vu un fantôme -ce qui arrivait parfois, lors d'une visite surprise du Moine Gras pour le petit déjeuner. Cette matière était donc la seule que la pauvre Estelle détestait réellement, car elle était forcée de se confronter à toutes ses peurs.
La petite fille informa donc Victoire de son point de vue sur les différentes matières étudiées à l'école de magie, puis revint au sujet familial :

Ouais, avec ma grande sœur on s'entend super bien ! Elle s'appelle Laura et elle a 15 ans, affirma-t-elle solennellement. Mais Papa a dit que c'était pas une sorcière, alors elle a pas pu aller à Poudlard. Maman non plus n'est pas une sorcière. C'est une Marru... Mowru... Maddu ? Rho, je sais plus comment on dit les gens qui sont pas magiques.

La fillette s'arrêta de parler, essayant de retrouver le mot « Moldu » qu'elle n'entendait pas souvent et avait beaucoup de mal à retenir.
Au bout de quelques instants de réflexion intense, elle haussa les épaules et se mit à ronger minutieusement ses petits ongles roses pâle, repensant soudainement à sa meilleure amie Lucy, qui n'avait pas de don pour la magie et que la petite Poufsouffle avait dû laisser toute seule à Londres. M. Lapworth avait formellement interdit à Estelle de révéler le secret des sorciers à sa meilleure amie, mais la fillette n'en avait fait qu'à sa tête et Lucy avait passé les dernières semaines des vacances d'été à jalouser sa meilleure amie.