Criiiic criic criiiic...

La nuit était particulièrement froide, l’air cinglant, les reflets de la lune scintillants doucement sur la neige , celle-ci raffermie par les pas des gens qui allaient et venaient en ces rues. Il n’était pas très tard, vingt heures sans doute, mais le soleil était déjà couché depuis quelques heures, l’air s’étant bien rafraîchi. Et rien de tel pour se réchauffer qu’un Whisky Pur Feu de chez Rosmerta. Le sourire aux lèvres et les mains dans les poches, Emmanuel Perks se dirigeait vers le bar en faisant bien exprès de faire crisser la neige sous ses pas. Il adorait ce bruit, l’hiver étant l’une de ses deux saisons favorites. Il portait ce soir-là un simple jean et son manteau de cuir brun doublé, ainsi qu’une simple chemise noire en dessous. Le gallois s’intégrait bien au sein de sa plus très nouvelle école, sa relation familiale s’était un peu améliorée, surtout depuis qu’il n’avait plus Sally-Anne aux fesses pour se plaindre de ses agissements à leurs parents puisqu’ils n’étaient plus dans la même école.

Bref, tout allait pour le mieux!

Le jeune homme leva les yeux et aperçu le bar à quelques mètres, toujours aussi bruyant et chaleureux. Dans les fenêtre, Manu apercevait quelques visages familiers. Il sourit de plus belle et s’approcha d’un pas plus rapide avant de franchir la porte, saluant ses connaissances au passage. Une fois son manteau accroché avec ceux des autres, il s’accouda au bar et sourit à la patronne.

«Un whisky, je vous en prie, madame Rosmerta»

Ce soir, il n’attendait personne. Il était originalement venu pour réfléchir de tout et de rien. La famille, l’école, l’avenir, Lucy-Ann...

Mais une fois sur le siège, entouré de gens fêtards, de musique, de lumière, il n’avait envie que de s’amuser avec eux. Il observa les gens autour de lui, sourire toujours aux lèvres puis baissa ses yeux d’émeraude.

Peut-être que quelqu’un viendrait lui tenir compagnie?

La patronne du bar lui tendit finalement son whisky, le jeune homme la remerciant d’un clin d’œil taquin et provocateur à la fois. Ses habitudes ne changeraient jamais, il faut croire. Avant de toucher au verre, le gallois voyagea son attention vers la fenêtre; dehors, les flocons de neige dansaient avec entrain, virevoltants au rythme des bourrasques de vent froid. L’hiver était pour lui synonyme de bonshommes de neige, d’anges, de Noël et de nourriture délicieuse. Toutes des choses qu’il chérissait encore aujourd’hui, essayant malgré l’emploi du temps chargé de profiter de la saison froide. Il esquissa un sourire et se retourna face au bar, ses doigts rudes venant enlacer la surface du verre.

Alors qu’il se retournait face au bar, il sentit à ses côtés une présence qui n’était pas là auparavant. Peut-être était-elle arrivée alors qu’il regardait à l’extérieur, mais sa torpeur l’avait empêché de remarquer cette présence féminine si près de lui. Près, car ils étaient nombreux dans cet endroit où la température était inversement proportionnelle à celle à l’extérieur. Il lui jeta un regard discret en buvant cul sec son whisky, visiblement habitué à ce genre de boisson. Manny buvait beaucoup, peut-être même un peu trop souvent. Non, il n’était clairement pas alcoolique, mais disons qu’il appréciait beaucoup le goût de l’alcool ainsi que ses effets intéressants.

Son regard d’émeraude vint se poser à nouveau sur le visage fin de la belle à ses côtés. Car belle elle l’était. Sombre, mystérieuse, tout pour captiver, en fait.

Il réfléchit un instant. Le jeune homme ne voulait pas hypothéquer sa relation solide avec sa Lucy-Ann qu’il fréquentait déjà depuis deux mois environ. En fait, il envisageait déjà rester avec elle encore longtemps. Mais il devait bien se divertir un peu, et la seule compagnie qui s’offrait à lui était cette ténébreuse inconnue. Certes, de l’autre côté, il y avait quelqu’un d’autre, mais il n’était pas intéressé à entretenir une conversation avec l’un des saoulons de la place.

Alors qu’il l’entendit choisir ce qu’elle voulait à boire, le jeune homme intervint et indiqua à Madame Rosmerta, tout en adressant un fin sourire à la ravissante femme à ses côtés :

«Je lui offre, Rosmerta, merci beaucoup. Et puis la même chose pour moi, je t’en prie.»

Aussitôt dit, aussitôt fait. La patronne de l’endroit apporta aux jeunes gens les consommations commandées. Emmanuel la remercia et pris son verre entre ses doigts, le levant discrètement vers la belle inconnue, attendant qu’elle face de même, ce même sourire des plus charmeurs accroché aux lèvres. Ils ne faisaient pas du tout un spectacle d’eux-mêmes, c’était même très discret, juste assez pour qu’eux deux le remarquent.

Le jeune homme souri de plus belle : C’était exactement la réaction qu’il voulu arracher à la délicieuse demoiselle à ses côtés. Emmanuel avait toujours été un Don Juan hors pair, mais depuis les deux dernières années, il s’était assagi pour laisser place à un homme charismatique, respectueux et un brin taquin, lorsque c’était de circonstance. Il était devenu alerte aux réactions des gens qu’il côtoyait et celle qu’il voyait en ce moment n’était que bonne. Grand sourire, yeux brillants, voix ne serait-ce qu’un peu fébrile…

«Ce n’est que naturel, ma chère…» ajouta-t-il en la scrutant du regard.

Elle aussi, il lui semblait, tentait de lui arracher quelques regards, et cela fonctionnait. Captivé par chaque geste qu’elle posait, il lui vint à l’esprit qu’il devait faire attention. Flirter ne faisait pas de mal à personne, même que cela resterait très formel, qu’une rencontre. Il ne devait toutefois pas se laisser emporter. Car même si les yeux de celle qu’il regardait en ce moment l’attiraient, il savait qu’il retrouverait le réconfort et la sécurité qu’il désirait que chez Lucy-Ann.

Emmanuel bu son verre à son tour, mais d’une façon peut-être plus masculine, le vidant encore une fois d’une seule gorgée. Cette rencontre était des plus spontanées, et c’est ce qui plaisait au jeune homme. Lui qui n’était pas d’un naturel timide aimait bien partager avec les autres et ce soir, il sentait qu’il devait le faire avec cette demoiselle.

Le Gallois souri à nouveau alors qu’elle se présenta, venant glisser sa main sous la sienne afin de la supporter.

«Enchanté, mademoiselle Sin», répondit-il en regardant la demoiselle dans les yeux

Sans défaire l’étreinte de leur regard, l’étudiant porta la main de la jeune femme à ses lèvres tout en se penchant un peu le haut du corps. Après y avoir déposé un délicat baiser, il relâcha ses doigts. Le goût de sa peau nacrée restait encore sur ses lèvres...

«Emmanuel Perks…»

Il regarda brièvement Rosmerta , lui indiqua d’un simple hochement de tête qu’il désirait avoir la même chose, pour eux deux encore une fois, puis retourna son attention vers Mescaline…

«Que cherchez-vous ici ce soir, mademoiselle Sin?»

[Bien sûr! ^-^]

Comme une brise des moins bienvenues, un froid vint s’installer entre les deux jeunes gens. Emmanuel le sentit jusqu’à ses tripes. Quelque chose n’était plus tout à fait pareil. Se faisait-il seulement des idées, ou est-ce que le regard de la Belle avait changé? S’était-il crispé? Était-il devenu plus sévère, plus ferme? Son regard voulait lui dire tant de choses qu’Emmanuel ne pu le comprendre, et cela le déstabilisa un peu. Les gens étaient, normalement, des livres ouverts pour lui. Il pouvait décrypter n’importe quel haussement de sourcils. Mais les yeux de Mescaline semblaient eux-mêmes confus, perdus, que le jeune Gallois ne pouvait pas y lire quoique ce soit. Sauf peut-être cela, de la confusion. Son propre regard changea, ses traits s’alourdissant. Il abordait maintenant un air concerné. Était-il la cause de cette confusion? Pourtant, il n’avait que baiser sa main. Normalement, les femmes trouvaient ça très charmant, peut-être que c’était un peu rapide...

«Euh... Merci!», dit-il, hésitant, avant de sourire à la demoiselle

Le regard de la jeune femme changea alors presque brusquement. Il en rougit même un peu, guère habitué qu’une autre femme que sa bien-aimée lui adresse ce genre d’attention. Un regard doux, chaleureux, invitant et provoquant à la fois. Manu avait toujours été désireux d’attention, et d’en avoir lui faisait toujours plaisir. L’expression nébuleuse de Mescaline le troublait encore, mais il décida qu’il était plus sage de laisser passer cette embûche à leur soirée.

Emmanuel ne réagit point à la rectification que la jeune femme apporta à sa commande placée auprès de Madame Rosmerta, trouvant bien normal qu’elle voulait peut-être boire autre chose que du Whisky pendant la soirée. Il lui sourit simplement avant d’ajouter.

«Une femme qui sais ce qu’elle veut, c’est bien... C‘est rafraîchissant, plutôt.»

Car si quelque chose puait au nez d’Emmanuel Perks, c’était les gens qui ne savaient pas ce qu’ils voulaient dans la vie. Surtout les filles qu’il fréquentait, en fait. Il n’aimait pas toujours décider, et il avait eu à le faire tant de fois dans sa vie. Ysis, Julie, Margaret, Wendy, Amelia, Annabelle... Juste de penser à ses filles le faisait frissonner de dégoût. “Non Manu, décide!” “J’sais pas, décide!”. Bien sur, on devait bien s’accorder quelque part, mais quand c’était à l’excès, c’était très très déplaisant.

La patronne vint bien vite déposer les verres devant les deux jeunes gens. Manu sourit et pris son verre entre ses doigts avant d’en prendre un petit gorgée. Il allait le savourer, celui-là. Du coin de l’oeil, il vit deux personnes se lever, laissant un table vide dans un coin de la place, à côté d’une fenêtre. Ne disant même pas un mot, le Gallois pris la main de Mescaline dans la sienne et l’entraîna jusqu’à la table, question que personne d’autre ne la prenne. Ils y arrivèrent, triomphants de la course à la place assise, Emmanuel prenant toutefois le temps de tirer la chaise de sa nouvelle connaissance. Il s’assied à son tour, s’assurant qu’ils avaient tous les deux leurs breuvages, et afficha un sourire au coin des lèvres.

«Je suis bien heureux de vous avoir rencontrée ici, je croyais passer la soirée seul... J’aime bien être seul de temps à autres, mais dans un ambiance comme celle-ci, je préfère toujours être accompagné.», dit-il simplement en regardant Mescaline dans le blanc des yeux, sirotant son whisky en même temps.

Son regard la perçait.

« Ce que je fais dans la vie…? Tout ce qu’il y a de plus banal, mademoiselle Sin. Je suis étudiant à l’université, Filière Académique formation Théorique, si cela vous intéresse, avec l’intention d’un jour devenir Langue de Plomb. Sinon, je suis musicien, cuisinier et clown de première lorsque je m’y mets. J’ai cependant l’impression que j’ai très peu à raconter… Si j’ose m’avancer là-dessus, je crois que vous avez plus à dire. »

Le Gallois pris une autre timide gorgée de son breuvage, ponctuant ainsi sa phrase avant d’adresser un sourire à Mescaline. Oui, il pouvait sentir que Mescaline n’était pas comme les autres, quelque chose la démarquait de la populace. Il aurait aimé lire dans les pensées des gens à ce moment-là. Certes, il pouvait sonder son regard captivant pendant des heures, il sentait qu’avec elle, ne n’était pas aussi facile. Tout d’elle était un secret. Un secret qui donnait envie d’en savoir toujours plus. Ses lèvres, ses joues, sa mâchoire…

«Je n’ose pas vous demander la même chose, ce serait indiscret de ma part. »

Le jeune homme détacha un instant son regard d’émeraude de celui de Mescaline, scrutant l’endroit comme il le faisait toujours. Emmanuel avait cette manie de tout éplucher sans omettre un seul détail. C’était sa nature curieuse, passionnée. Car oui, c’était l’une des caractéristiques qu’il avait oublié de mentionner à sa compagne pour la soirée. L’étudiant vint reposer son regard sur la belle, observant discrètement les traits de son corps. Il était passionné, dans tout ce qu’il faisait. Et, assez particulièrement, ce qui le passionnait ce soir là, c’était de connaître Mescaline.

Il s’en voulait un peu, en fait…

Elle était partie si brusquement. Même si cela faisait déjà un mois, elle ressurgissait parfois au bout de ses doigts ou de ses lèvres. Un souffle dans son cou, ses dents dans son épaule, un gémissement étouffé. Elle lui manquait. Était-il là pour combler un vide, pour oublier, pour trouver une source de réconfort ou de douleur ? Probablement.

Un pincement, un nœud dans la gorge. Puis un fin sourire, adressé à Mescaline.

« J’ai tendance à me laisser aller dans la vie. Malheureusement, j’ai trop peu souvent l’impression de contrôler mon sort. Je crois que mon choix de métier est influencé par mon état d’âme de questionnement perpétuel…»

Emmanuel termina son verre de Whisky, sentant le liquide glisser dans son œsophage, amenant un peu de chaleur à son cœur. Il déposa le verre sur la table et soupira, s’étirant vers l’arrière, les yeux fermés. Il se redressa après un instant et glissa sa main dans sa chevelure.

Pourquoi était-elle partie ?

Le Gallois se mordit la lèvre du bas un instant et hésita tout haut :

« Boire ou ne pas boire, telle est la question… »

Il regarda la sombre beauté un instant, comme s’il lui demandait son avis.