Kidnapping nocturne (BR- Libre, conditions)

Un peu nerveux, William se retourna dans son lit et regarda l'heure, pour la vingtième fois depuis qu'il s'était couché. Cette nuit verrait une nouvelle action des BR, et non des moindres... Page et lui avaient passé des heures à en discuter, dans leurs fauteuils de la Salle sur Demande. Faisable ? pas faisable ? A force de discussions à bâtons rompus, ils avaient, apparemment, imaginé tous les problèmes possibles, et une solution pour chacun. Bien sûr, il restait toujours la possibilité de la tuile imprévue, du coup dur impossible à parer. Mais cela faisait partie des risques du métier... En créant les BR, ils avaient accepté ce risque, et l'éventualité d'un renvoi du collège. Il n'était pas certain que leurs familles acceptent cette éventualité avec autant de philosophie, mais on n'en était pas là.
Bref ; l'action de ce soir promettait d'être particulièrement ardue, et c'est avec un noeud à l'estomac que William s'était couché. Incapable de dormir, il avait lu la moitié du livre qu'il avait emprunté à la bibliothèque ; un gros pavé consacré à la préparation des potions, discipline dans laquelle le rouquin avait des lacunes à rattraper. Ce soir-là, la concentration n'était pas forcément au rendez-vous, et il avait lu machinalement, sans trop faire attention au sens de ce qu'il lisait.
Au bout d'un moment, il avait posé le livre et éteint la lumière ; pas question d'éveiller les soupçons de ses camarades... et donc, officiellement, il dormait à présent du sommeil du juste... simplement avec une attention particulière pour son réveil.
Deux heures quarante-cinq. Il était temps de se lever. William se leva silencieusement, s'habilla en prenant garde de ne pas réveiller ses camarades de dortoir- à force, il commençait à avoir l'habitude. Les habituels pantalon et T-shirt noir, des baskets sombres aux semelles qui ne grinçaient pas, sa baguette magique, les quelques accessoires préparés avec Page, et il était paré.
Le préfet se glissa furtivement hors du dortoir, traversa la salle commune déserte, et s'avança d'un pas vif dans le couloir, en direction du lieu de rendez-vous.
Quelques étages plus bas, le rouquin s'arrêta en face d'une tapisserie représentant le célèbre combat entre la fée Clochette et l'hippogriffe fou. L'endroit choisi par les activistes...
Le préfet se rencogna contre le mur, et retint son souffle en attendant sa complice.

Cette fois, on passait la vitesse supérieure. Il ne s'agissait plus de lancer quelques pétards à retardement. Il ne s'agissait plus de préparer quelques avions, aussi magiques fussent-il. Il ne s'agissait plus non plus d'aller placarder en catimini un faux décret.

Là, ils prenaient plus de risques. Il s'attaquaient à un être vivant et dangereux. Un être cruel et sanguinaire. Un être... Oui, bon, il ne fallait pas exagérer non plus.

Toujours était-il qu'ils n'étaient pas les premiers à s'attaquer à la Bête. Ni les derniers. Mais il fallait vraiment qu'ils gardent leur anonymat, plus encore que les autres fois. Et ce ne serait pas vraiment une partie de plaisir.
Page avait donc soigneusement noué ses cheveux, qu'elle avait ensuite cachés sous un foulard sombre, laissant seulement filtrer son regard perçant. Toujours le même attirail côté vêtements, mais cette fois-ci, son sac était rempli d'autres sortes d'accessoires.

Trois heures du matin. Le tableau de la fée Clochette et l'hippogriffe fou. Son complice était là, fidèle au rendez-vous, bien sûr.

Un bref salut, et ils se mirent au travail, silencieusement. La première chose, c'était d'attirer la Créature sans son maître. Pour cela, il fallait une diversion. Mais pas trop bruyante, histoire de ne pas attirer tout le château non plus. Les deux complices avaient convenu d'un plan. Page, rapide et petite, devrait essayer d'attirer au loin Rusard, tandis que Will s'occuperait du Monstre. Car, oui, c'était bien Miss Teigne qui était la cible ce soir. En sa qualité de subalterne au plus fervent exécuteur des basses œuvres de l'Ennemi.

Tandis que Will s'occupait d'appâter la bête donc, la petite irlandaise fila comme une ombre dans les couloirs. Où pouvait bien se terrer le concierge ? Il dormait ? Non, impossible. En ces temps de couvre feu et d'actions terroristes, le bonhomme devait forcément patrouiller dans les couloirs. Ne serait-ce que pour se faire bien voir de la grosse dondon. Et Page soupçonnait qu'en plus, il y prenait un plaisir sadique. Il n'y avait qu'à voir son sourire édenté.

Des pas. Une lueur. Enfin, il était là. Page se terra au ras du sol et sortit sa baguette. Epiant par derrière une armure, la fillette lança un rapide "Nox !" pour éteindre la lanterne de l'homme aux cheveux filasse. Elle entendit un juron et déguerpit rapidement, sans demander son reste. Ses chaussettes lui assuraient un silence relatif durant sa course. Au fur et à mesure de sa progression, la fillette lançait des "Lumos!" et "Nox!" à répétition à l'opposé de sa course dans le couloir, pour diriger le concierge dans l'autre direction. Miss Teigne, quant à elle, ne se laissa pas berner et prit le bon chemin. Page croisa les doigts pour que le concierge ne la suive pas et, dans le feu de l'action, se concentre sur les phénomènes les plus visibles. Un "Avis" bien placé acheva de perturber Rusard pour qu'il ne prête plus trop attention à sa chatte.

Celle-ci en revanche ne perdait pas de vue sa proie, et Page sentait la sueur commencer à dégouliner dans son dos... S'ils venaient à se faire prendre ? Avaient-ils été trop présomptueux ce soir ?

Plutôt que d'y penser, elle continua de courir le plus rapidement possible, le félin teigneux sur ses traces, vers le piège qu'avait tendu Will... Elle grimpa les marches quatre à quatre... Comment un si vieil animal pouvait-il être aussi rapide ?

Enfin, elle arrivait près de l'endroit convenu. La petite irlandaise tourna le coin à toute allure...

Sans un mot, les deux adolescents s'étaient donné le signal du début des opérations... William se sentait parfaitement réveillé, à présent, malgré la fatigue qui commençait à lui picoter les yeux... mais il n'était plus temps de dormir, à présent. Comme toujours dans les moments d'action des BR, le préfet se sentait plus vif, plus aux aguets, plus lucide, en quelque sorte, que d'habitude. Jamais, en temps normal, il ne percevait ainsi les sons, les moindres formes, les plus minces détails...
Page avait filé en silence, à peine visible dans l'obscurité des couloirs, ses chaussettes noires lui permettant de glisser sans bruit sur la pierre. William la regarda disparaître et, à son tour, se mit au travail.
De son sac, il se mit à sortir différents appâts pour félin joueur et affamé : de petits morceaux de viande, du pâté pour chat et- le summum- six souris blanches dans une boîte. Un petit coup de baguette avant de lâcher les rongeurs ; victimes d'un sortilège de Confusion, elles ne s'échappèrent pas mais restèrent là où William les avait posées, poussant de petits couinements affolés. Très vite, le préfet fila, ses morceaux de viande en main, et alla jouer au Petit Poucet dans les couloirs... en dix minutes, le chemin était magistralement balisé. Si l'affreuse chatte du concierge n'arrivait pas directement devant la tapisserie de la fée Clochette, c'était à désespérer de tout.
William se tapit contre le mur, et attendit.
Quelques minutes seulement, et un miaulement de convoitise retentit au bout du couloir. La sale bête avait dû sentir les six souris blanches qui étaient à présent occupées à jouer à saute-mouton au beau milieu du couloir.
La chatte s'avança, avec mille précautions, en direction des rongeurs qui l'ignoraient superbement. Dans son coin, le préfet des Lions avait presque cessé de respirer, de crainte d'alerter Miss Teigne. Mais la bête avait oublié toute conscience professionnelle ; elle avait devant elle un élève en plein délit, mais elle ne cherchait même pas à le coincer pour permettre à son cher maître de se saisir du délinquant. Comme tout chat normalement constitué, elle n'avait plus d'yeux que pour les souris...
Tout se passa en un éclair. William plongea sur Miss Teigne et la plaqua au sol, pointant sa baguette vers la bestiole. Les souris blanches observaient la scène avec un intérêt non dissimulé ; voir l'ennemi héréditaire ridiculisé était toujours réjouissant. La formule du sort fusa dans un murmure, et Will fila comme un rugbyman qui part marquer un essai, Miss Teigne, sous son bras, dans le rôle du ballon.
Un placard, à quelques couloirs de là, ne demandait qu'à accueillir la bête.

C'est avec soulagement que la fillette avait rejoint son complice, l'infernal animal collé aux basques. Mais leur ruse semblait avoir fonctionné. Aussitôt tourné le coin, la Créature fut complètement désorientée par tous les appâts qu'ils avaient installés, et c'est avec une satisfaction non dissimulée que Page avait regardé Will écraser Miss Teigne comme une crêpe. Vengeance tout de même. Bien sûr, le félin hargneux était depuis cette année l'un des agents de la rosâtre, mais tout de même, elle en avait entendu de belles à propos de l'animal, et Page estimait qu'au delà d'être coupable de collaboration avec l'Ennemi, ce chat était vraiment une saleté et méritait un petit rappel de temps à autres.

Toutefois, l'animal ne se laissait pas faire, et gigotait en tous sens pour se libérer de l'étreinte du préfet en feulant sauvagement. Les deux compères esquivèrent plusieurs coups de griffe et finirent par réussir à l'enfermer dans le placard. Leur plan avait fonctionné ! Le sort était parti, et Page imaginait déjà la scène demain, lorsque Rusard retrouverait son âme damnée... ROSE !

Spoiler:

Ca allait être magnifique. C'en était presque dommage de ne pas pouvoir assister à la scène. Mais ils avaient au moins la satisfaction de l'avoir fait.

Sans traîner plus, les deux complices filèrent. Les grognements de Rusard ne tarderaient plus, et ils feraient mieux d'être au lit pour éviter les embrouilles...