La flemme du samedi après-midi. Quoi de plus banal ? Surtout pour ce cher Daneel qui, sans examens de fin d’année ni cours à réviser, profitait surtout es beaux jours d’avril et de ses temps libre pour traîner un peu partout, s’amuser de hors et ne rien faire. Ce jour-là, par contre, il pleuvait. Le jeune sorcier n’irait donc pas jouer au football ou au rugby avec les copains qu’il s’était fait et qui adhéraient à ces sports « moldus ». Il faisait frais et ça faisait du bien mais c’était surtout l’occasion parfaite pour s’installer près d’une fenêtre et de lire un vieux manuel avancé de défense contre les forces du mal en écoutant la pluie, après un bon repas.

Un bon repas. Poudlard offrait tout ce qu’il y avait de meilleur à manger… et à boire ! Du jus de citrouille glacé et du sirop de cerise soda, il avait bu beaucoup, au repas. Il tourna une page du vieux livre lorsqu’il réalisa que sa jambe branlait d’une manière incontrôlable, nerveusement. Depuis combien de temps ? Impossible de le dire. Par contre, Daneel savait qu’il avait très envie et c’était là que ça le frappait, au moment critique.

Le jeune Poufsouffle décida donc de délaisser la description plus qu’intéressante du Lethifold et des façons de s’en protéger pour se diriger vers les toilettes, l’épais manuel sous le bras.

Où se trouvait-il, déjà ? Il avait cherché un coin tranquille mais il ne se souvenait plus précisément de où il l’avait trouvé, tellement il avait été absorbé dans sa lecture.

- Ah ! C’est la classe d’Histoire de la Magie, dit-il pour lui-même alors qu’il reconnaissait le fameux local.

Premier étage, hein ? Cinq à parcourir avant d’atteindre les toilettes des garçons. Daneel se dirigea vers l’escalier le plus près, pas très chaud à l’idée d’emprunter les escaliers vivants. Il ne mit qu’une minute à finalement arriver au deuxième étage, cherchant un autre escalier ordinaire. Chaque nouvelle marche qu’il avait gravie avait été un nouveau coup dur sur sa vessie, sur son estomac qui faisait pression dessus et l’envie se faisait plus urgente.
Peut-être devrait-il employer les autres, finalement ? Après tout, il ne se laissait plus vraiment avoir par ces damnés escaliers suite à ces mois de pratique quant à remarquer et à esquiver une traîtrise des affreux engins.

Pas le temps de réfléchir, toutes les pensées se précipitaient trop rapidement dans sa tête et sa vessie commandait son cerveau. C’était embarrassant comme situation, quand même… peu glorieux. Mais bon, quand il faut y aller, il faut y aller ! On ne peut combattre la nature !

C’est alors qu’il passa de lourdes portes sur lesquelles on avait soigneusement indiqué « Toilette des FILLES ». Toilette des filles ? Toilette quand même ! C’était mieux ça que de parcourir encore quatre étages et quelques couloirs de trop pour trouver un cabinet.

Daneel jeta des regards inquiets tout autour de lui. Il n’y avait personne… Évidement ! Bon, c’était le moment ou jamais et pis il n’avait pas vraiment d’autre choix. Le Poufsouffle inspira profondément, ce qui lui donna encore plus envie et il poussa l’une des portes. Une fois les portes franchie, il jeta négligemment son livre de défenses contre les forces du mal avancé et se dirigea vers le premier cabinet qu’il aperçut et régla son compte une bonne fois pour toute avec cette envie pressante qui l’avait dérangé depuis déjà trop longtemps.

La pluie battait sur les fenêtres de la salle de bain et le bruit ne le dérangeait même plus. C’était même agréable, il avait toujours adoré la pluie. Quel soulagement. Il s’arrêta en direction du lavabo pour observer les toilettes : elles étaient pareil que celles des garçons, hormis les urinoirs absents et le fait que celle-ci était un brin plus propre… et il y avait une genre de bonne odeur. Ça faisait différent mais il ne voyait pas tout le « big deal » autour de la chose.

Il poursuivit son chemin en direction du lavabo et remarqua alors une fille qu’il avait déjà aperçue dans quelques cours, notamment au cours de duel. Daneel lui adressa un sourire un peu gêné, hocha doucement de la tête en guise de salut et continua vers l’évier. Il tourna les poignées et entreprit de se laver les mains.

- Salut... euh... Ça va ? … Vos toilettes sont plus sympas que les nôtres…

Il acheva de rincer le savon de ses mains et coupa le jet d’eau pour s’essuyer les mains.

- Je pouvais quand même pas finir l’année sans essayer celles-ci, dit-il avec un doux rire pour détendre l’atmosphère au cas ou son interlocutrice serait du genre « aisément choquable ».

La porte de Shelly produisit un son étrange. Un grincement qui indiquait qu’elle allait lui rester dans les mains et qu’elle ferait mieux de s’extraire du cabinet avant que ça ne lui arrive. Parfois un peu lente à réagir, la jeune fille actionna par deux fois la porte sur ses gonds sans retrouver le bruit cataclysmique d’un duo d’avalanche. C’est alors qu’un léger écoulement monta jusqu’à ses oreilles. Un très subtil clapotement qui se confondait avec la pluie heurtant les carreaux, mais la lionçonne ne pouvait en douter : il y avait une fuite. La fillette se pencha au dessus de la tinette des toilettes, regarda derrière le bidet, remua légèrement la chasse d’eau, mais resta bredouille quant à la découverte de la grande infiltration qu’elle pensait venir de ses propres latrines. Son regard soupçonneux se posa sur la paroi verdâtre qui la séparait du WC d’à côté. La fuite était d’origine humaine. Sa camarade avait dû entrer au moment où elle sortait, ce qui expliquait le bruit inquiétant des deux portes conjuguées. Marrant, ces coïncidences.

*Ch’uis sûre que c’est Bullstrode pour faire autant sa sans-gêne !*

La jeune fille marcha jusqu’aux lavabos en continuant de fixer la porte dans le large miroir qui occupait toute la surface du mur. Inconsciemment ou non, elle faisait durer le lavage et l’essorage en règle de ses mimines juste pour jeter un œil à la demoiselle si peu délicate. Sa main tourna le robinet dans le mauvais sens, les yeux fixés sur la rangée de porte identique avec un air rieur….Et ce fut le drame.

Un jet d’eau partit droit dans son œil chafouin pistonné par elle ne savait qu’elle force, bientôt rejoint par un autre et un autre, qui formèrent tous ensemble un véritable jaillissement. Surprise, la Gryffondor voulut pousser un cri, appel étouffé par un remplissage d’eau de sa cavité buccal qui lui valut une séance de gargarismes. Attrapant la première chose qui lui tombait sous les mains pour se faire un bouclier avant de finir liquéfier, la petite s’empara du livre laissé traîné là et boucha le trou par lequel s’échappait toute cette eau tandis qu’elle tournait le robinet en sens inverse.

L’irruption maîtrisée, des mèches de cheveux trempées, l’adolescente put admirer son œuvre. Le livre qu’elle avait utilisé comme un pare-jet se retrouvait en bien plus piteuse état que la demoiselle en Rouge et Or. Interdite, la gamine retourna l’ouvrage dans ses mains, le tint par un coin de sa couverture pour en égoutter les pages aux mots illisibles à certains endroits trop humides quand la porte du cabinet clapoteur s’ouvrit.

D’un seul mouvement, la petite reposa le livre où elle l’avait trouvé et s’assit par-dessus. Certes, ses fesses n’étaient pas assez larges pour recouvrir tout le bouquin, mais sa jupe ferait le reste. La jeune fille se ratatina dans son coin en constatant qu’il ne s’agissait pas de Bullstrode ni d’une autre tourte de Serpentard, mais…d’un jeune homme. Un jeune homme qu’elle avait déjà croisé en plus. C’était l’autre Pouffy optimiste, qu’avait l’air de porter son cœur en bandoulière et qui respirait la franchise comme d’autres le tabac. Pauvre lui.

La fillette répondit à son hochement de tête par la première chose qui lui passa au travers du crâne, sans plus se soucier du livre qu’elle était en train de couver :

-J’me disais aussi: elle est pas bien discrète celle-là ! C’tait pas très "fille", tu vois.

Là-dessus, Shell lui servit un grand sourire qui menaçait de déborder hors de son visage alors que ses épaules se retrouvaient secouées d’un rire silencieux.

-’Fin t’inquiètes pas. Je sais qu’il y a des choses contre lesquelles on ne peut rien, poursuivit la jeune fille en glissant vers son air habituel. C’est toujours mieux de squatter ici que d’se laisser aller dans un couloir. , précisa-t-elle en suivant le manège du Poufsouffle.

*C’est qu’il est tout propret…*

Ça changeait de son oncle qui sortait des chiottes sans jamais faire un pas de travers en direction du lavabo. Quand il prenait la peine d’utiliser les commodités autrement que pour les plus lourdes commissions…Par contre, une sensation d’humidité contre sa fesse droite lui rappela le livre à son bon souvenir. Il appartenait probablement au jeune homme…D’un autre côté ce garçon n’aurait jamais dû se trouver là s’il avait été occuper les WC correspondant à son sexe.

-Héhé…, renchérit Shell par-dessus le rire du Jaune et Noir. Un rire qui sonnait assez peu naturel. Alors…heu…Tes cheveux ne touchent pas le sol, je vois…

Détourner l'attention. Oui, mais pour combien de temps ?

Daneel sourit à son tour au commentaire de la jeune fille. En effet, il devait bien y avoir une différence… Au moins, la Gryffondor ne s’était pas choquée de son « intrusion » dans la toilette des filles et elle semblait tout à fait comprendre que certains besoins méritaient que l’on ignore ces petits panneaux indiquant qui avait le droit ou non d’entrer.

- Ouais ben… d’un autre côté c’est un peu normal… je n’aurais pas su comment imiter la « discrétion féminine », de toute façon, dit le Poufsouffle avec un léger rire. Par contre, même si c’est toujours mieux qu’un couloir, je ne te conseille pas de faire le même coup avec la toilette des gars…

Daneel retint une grimace en songeant aux cabinets de toilettes complètement insalubres qui semblaient toujours se faire souiller bien exagérément, comme par magie, même pendant les cours. Il n’avait jamais saisi pourquoi les gens se permettaient des trucs aussi dégoûtants juste parce que ce n’était pas « leur toilette rien que à eux ». Heureusement, des élèves plus vieux savaient faire disparaître le tout en un coup de baguette.
Le Canadien cessa de penser aux affreux cabinets du septième etage et il chercha des yeux le papier sur lequel s’essuyer les mains. Ah ! Repéré ! C’etait logique qu’il ne soit pas bien loin, quand même… Daneel entreprit de débarrasser ses doigts de ce qui pouvait rester de l’eau savonneuse avec laquelle il les avait lavés quelques secondes auparavant.
Il passa ensuite une main dans ses cheveux, regardant d’un air distrait le peu qui entrait dans son champ de vision.

- Ah… ben… ben non ! Je me disais bien, aussi, que le prof ne pouvait quand même pas me lancer un tel truc sans baguette ni formule… c’était juste une blague… pas trop mon humour, mais bon… Et toi, tu as pu trouver un oiseau pour le prochain cours ?

Sans perdre la conversation, Daneel chercha son livre des yeux. Non pas qu’il était pressé –quoi que se faire surprendre par plus qu’une personne, ça pourrait être gênant, surtout que toutes ne devaient pas prendre ça aussi bien que la jeune fille face à lui-, mais il aimait bien savoir ou se trouvaient ses trucs, histoire de ne pas les chercher.

- Au fait, on ne s’est pas présenté, en cours. Moi c’est Daneel, Daneel Wright. Et toi ?

Il se mit à se promener autour du lavabo, toujours un peu plus nerveux. Il ne voyait pas son livre ! Il était pourtant là ! Juste là ! Pourquoi n’y était-il plus ? S’il l’avait perdu, il aurait des ennuis avec la bibliothécaire et c’était bien la dernière chose qu’il désirait. Elle serait bien capable de l’envoyer à Rusard qui se ferait un plaisir de lui confier quelconque tâche ingrate, de le pendre par la peau du cou ou de le mettre au pilori. Quel affreux vieux bonhomme. Il attendit qu’elle eut finit de se présenter et enchaîna rapidement, l’air un peu énervé.

- Euh… t’aurais pas vu un gros livre noir avec une couverture en cuir qui traînait par là ? C’est quand même énorme et difficile à manquer…

Sympathique garçon. Il rigolait encore, mais pour combien de temps ? Shell voyait déjà cette bonne humeur filer comme l’eau de la chasse une fois tirée: un dégorgement de reproches tourbillonnants. Quand il apprendrait qu’elle s’était servie de son bouquin comme d’une éponge pour s’éviter à elle de s’imbiber, comment réagirait-il ?

Les doigts de la petite pianotèrent machinalement sur le rebord de ses genoux, puis lissèrent sa jupe fripée sur ses cuisses. Malheureusement ,elle ne pouvait pas se la jouer «Super Prof Canaan Raven» et faire disparaître l’épais volume de sous ses fesses d’un claquement de doigt. Elle n‘aurait même pas su produire un tel phénomène avec une baguette. C’est dire si la situation était désespérée.
Il ne risquait pas de l’étriper le Pouffy, les membres de sa maison n’étaient pas réputés pour être des carnivores, bien au contraire. L’image du Poufsouffle tout au bout de la chaîne alimentaire des prédateurs de Poudlard n’était plus à implanter dans les cerveaux des étudiants. D’un autre côté, si Shell traitait facilement avec les beuglantes, elle n’avait encore jamais eu à faire face à la déception. Une déception autre que la sienne, bien entendu. Et il était assez étrange de parler de tout et de rien avec quelqu’un dont on savait pertinemment qu’on lui avait fait du tort.

*Y’a pas mort d’homme quand même. Il pourra survivre je pense.*

Oui, ce n’était jamais qu’un livre.

-Le piaf ? J’y travaille, j’y travaille…, répondit la Gryffondor avec tout "l’enthousiasme" débridé que suscitait une telle chasse.

Aussi passionnante et harassante que de partir à la pêche aux planctons femelles avec un tamis. Au moins avait-elle prévu une sauce capable d’assaisonner de fantaisie la première oie qu’elle croiserait. Encore fallait-il empêcher ladite oie de s’envoler à tire-d’aile, ce qui n’enlevait donc rien à la difficulté de sa tâche. De plus, elle n’avait pas non plus la moindre idée de ce que sa petite mixture miracle aurait comme effet sur le pauvre volatile qui lui servirait de cible et de cobaye. Enfin, la vie était ainsi faite et personne ne demandait à ce que la malchance s’abatte sur lui mais elle venait. Quand bien même on ne l’invitait jamais. De la main de Shelly ou des serres d’une chouette de l’école, ça ne ferait pas une grande différence pour la future victime aérienne. De même que le livre du jeune homme. Un Serpentard aurait très bien pu y mettre le feu, lui arracher les pages ou elle ne savait quoi d’autre. Le destin avait voulu que ce soit elle qui assassine le livre du garçon, mais après ça…

En tout cas, il semblait posséder des manières qu’elle ne tenait pas. C’était étrange de se présenter comme ça. On aurait dit qu’ils étaient deux personnes importantes, des gens du Ministère qui se rencontraient pour conclure un important traité. Et la jeune fille avait déjà de quoi atteindre l’incident diplomatique de son côté. Une conclusion: Shell ne devrait jamais faire de politique ou l’Angleterre aurait bientôt cassé tous ses accords de paix avec les trois quart du globe terrestre…

-Ben..heu, moi c’est Shell Fitzpatrick.

Daneel commençait à s’agiter au grand dam de l’irlandaise qui aurait aimé profiter d’un plus grand laps de temps pour lui trouver une réponse ou une excuse adéquate, mais ils se retrouvaient déjà au grand saut de la grande annonce. La jeune fille ouvrit la bouche, prit une inspiration pour s’élancer, la faute au fond de ses yeux noirs, mais sa langue freina de toute ses forces pour lui éviter le plongeon dans le vide profond de la vérité. Il était à ce point sympathique qu’il était dur de lui annoncer une mauvaise nouvelle.

*Quand faut y aller, faut y aller…*

Fort à propos avec l’envie pressante qui avait conduit l’adolescent dans les toilettes des filles. Eh puis, elle ne pouvait tout simplement pas restée les fesses posées là sur le lavabo, tel un Bouddha resplendissant de sagesse.

-Non ça c’est sûr, je l’ai pas manqué.

La demoiselle sauta au bas du meuble où elle trônait comme un met sur un buffet repas et ramena l’épais volume devant elle. Quelques gouttes glissèrent de sa couverture gondolée par le milieu pour venir s’écraser sur le bout ternes de ses chaussures. Avec une légère grimace d’excuse, Shelly tendit son bien à Daneel, les doigts tellement crispés sur la couverture qu’elle n’avait pas l’air de vouloir lâcher le pavé. C’était qu’il avait eu comme une pointe de colère. Et là, s’il s’énervait de trop, c’était elle qui avait le bouquin pour l’aplatir…

- Il a eu un accident, je suis désolée, je n’ai pas voulu le transformer en éponge, mais il m’est tombé sous la main.

Daneel arrêta de regarder un peu partout autour de lui, écoutant la Gryffondor parler. De toute façon, son livre ne pouvait pas être bien loin ou elle avait sûrement vu qui l’avait pris. Le jeune Poufsouffle demeura optimiste et se dit que, au pire, le bouquin ne pouvait se trouver à l’extérieur du château. Il observa donc la jeune fille lisser distraitement les plis de sa jupe en lui donnant les dernières nouvelles de sa chasse au volatile.

Quelle leçon stupide ! Tout ce cours avait été affreux, en fait… Si au moins ils avaient fait quelque chose de constructif… Non, ils n’avaient rien fait, rien appris, rien vu, ils n’avaient qu’enduré les sales manies de leur professeur, ses tendances de contrôlant et ses leçons à la noix.

Le jeune Wright se flagella mentalement. Il ne pouvait quand même pas se laisser penser autant de mal d’un professeur ! C’était un professeur, tout de même ! Mais ce n’était pas malin, quand même, d’obliger l’élève à lui ramener un oiseau… Un « piaf » comme elle disait. Quel drôle de mot, quand même.

Shell, puisqu’elle se nommait ainsi, avait justement mis un peu de temps à se présenter. Était-elle gênée, ou quoi ? Elle n’en avait vraiment pas l’air, en tout cas. Lorsqu’elle lui annonça qu’elle avait bel et bien vu son livre, Daneel se calma et attendit patiemment, son sourire revenant enfin, qu’elle lui dévoile ou était le livre. Sûrement dans un comptoir pas loin et elle allait probablement le chercher pour quitter le comptoir.

Il se prépara a suivre le mouvement de la jeune fille dans un sens comme dans l’autre, mais à sa grande surprise, elle resta plantée là et apparut enfin le fameux livre de défense contre les forces du mal avancée.

Daneel regarda le manuel, la bouche grande ouverte. Il ne savait trop que dire… Il prit l’épais volume pour sentir lui-même à quel point il pouvait être détrempé. Au contact de l’eau contre sa paume et de celle qui coula sur ses mains et ses avant-bras, le jeune Poufsouffle laissa tomber le manuel sur le sol.

Il releva les yeux dans ceux de Shell. Au moins elle ne l’avait pas fait exprès. Il ne pouvait pas vraiment lui en vouloir, ce n’était aucunement de la mauvaise volonté… mais quand même… Il ne savait pas trop quoi dire…

- Bon… euh… je veux bien croire que c’est pas de ta faute et tout ça c’est bien beau mais maintenant faut que tu m’aides à ce qu’il redevienne comme avant… Je vais me faire tuer, moi, si je le rends comme ça.

Il songea à l’horrible bibliothécaire. Oui, certainement, elle lui ferait la peau et cacherait son cadavre sous quelques tonnes de livres en désordre qui joncheraient le plancher de la partie restreinte de la bibliothèque sans que personne ne se pose de question.

- En tout cas, tu l’as pas manqué, non… Tu sais comment on arrange ça, toi ? demanda-t-il, franchement inquiet.

Il se pencha pour ramasser le livre et le posa sur le comptoir, visant un endroit le plus sec possible et le plus éloigné de ce qui n'avait pas été épargné de la surface entourant le lavabo.

Quand la bouche du Pouffy s’ouvrit, Shell s’attendit à en prendre pour son cota de décibel. Mais non, rien. Pas un son ne sortit de la bouche de Daneel qui se ressaisit de son livre pour en admirer les dégâts. Même si l’ouvrage n’était plus dans ses mains, les doigts de la petite restèrent un bon moment crispés dans les airs, en forme de serre. Le manque de reproches visibles sur le visage du jeune garçon lui fit ce qu’on pouvait appeler un peu de peine. Non pas qu’elle préférât se faire allumer dans les règles de l’art, à la façon des Serpentards ou des autres surexcités chroniques…Mais elle avait tellement l’habitude d’essuyer des insultes et des braillements que ce grand manque la déstabilisa...grandement.

Elle sursauta au bruit sourd du livre épais sur le carrelage des toilettes comme si elle venait de recevoir une gifle ou une balle dans le dos. Elle ne s’était pas vraiment attendue à ça non plus. Voulait-il achever son bouquin en sautant dessus à pieds joins ? Piquer sa petite colère comme un enfant gâté à qui on aurait cassé le jouet favori du moment ? Shelly fronça les sourcils en attendant la suite des évènements, mais même si elle se serait attendue à des récriminations virulentes, elle aurait été somme toute étonnée de les recevoir par la bouche de l’adolescent. Vrai, il n’avait pas une tête de tueur. Bien au contraire.

-Ben dis donc, tu manques pas de culot !

On aurait cru entendre son oncle ou n’importe qui d’autre ! "Gamine faut qu’tu dégages !" ,"Shell faut que tu la ferme.", "Ma p’tite faut que tu fasses une croix dessus.". Et maintenant il s’y mettait aussi avec son "Faut que tu m’aides" !? Pourquoi les gens n’employaient-ils jamais que l’impératifs quand ils prenaient la peine de remarquer sa présence ?! En plus c’était une évidence qu’elle allait l’aider, il n’avait même pas besoin d’exiger quoique ce soit !

La Gryffondor foudroya le Poufsouffle du regard et croisa les bras, les joues légèrement rosies par le pic d’indignation et de vexation qu’elle venait de subir.

*Blaireau !*

-Ça t’apprendra à laisser traîner tes affaires n’importe où ! N’importe qui aurait pu le balancer à la cuvette et se soulager par-dessus, ton bouquin ! Pff !

Adolescence, puberté…Période de la vie si douce, si calme et si posée dans les souvenirs d’une personne. De méchante humeur, l’irlandaise vint se poster à côté du jeune garçon en s’appuyant des coudes entre deux flaques d'eau du lavabo. A la question du "détiens-tu la solution miracle ô divine secoureuse des âmes en détresses ?" Shell laissa tomber un :

-Non.

De dix kilos et d’au minimum -50 degrés Celsius. Puis sa bonne conscience la rattrapa et elle fit au moins l’effort de revenir sur son ressentiment envers Daneel. Il n’avait probablement pas réfléchi à ce qu’il lui avait dit, pas plus qu’il n’avait réfléchi avant de venir faire sa petite vidange dans les toilettes des filles. C’était sa petite mine qui lui faisait pitié. Rien qu’à voir ça, elle se disait qu’il n’irait pas beaucoup plus loin qu’elle dans la vie.

-Celui qui restaure les toiles c’est Rusard. Il s’occupe peut-être aussi des livres ?

A peine avait-elle sorti ces paroles qu’elle les rejeta en bloc. Elle ne se voyait pas aller frapper dans le débarras du petit vieux pour lui demander sa potion miracle. Toute élève digne de ce nom avait pu constater qu’il était irrémédiablement perdu pour tout bien : il suivait Ombrage comme son ombre et prenait de l ’avance sur les futurs décrets pas encore inventés en redoublant de trésors d’inventivités sadiques.

-Nan, j’ai dis une connerie là…Mais non ! En fait non !

Toute excitée à l’idée d’avoir trouvé LA solution pour ressusciter le livre de Daneel, la jeune fille lui attrapa la manche de son uniforme et la secoua comme une folle.

-Il faut aller dans le cagibi de Rusard ! C’est un cracmol tout le monde le sait ! Il a forcément un tube de quelque chose pour remettre ton livre comme si rien ne s’était passé !

Daneel sursauta à la réponse de Shell et à cet air boudeur qu’elle se prenait. Elle lui en voulait ? Mais pourquoi ? Il ne lui avait pas crié dessus, il ne l’avait pas insulté, il avait seulement sollicité son aide. Les yeux du jeune sorcier scrutèrent la robe de sa vis-à-vis une fraction de secondes, cherchant le blason de sa maison. Oui, c’était bien une Gryffondor. Se laissant envahir un moment par une généralisation qui lui était tout sauf coutumière, il se dit tout au fond de lui-même que jamais il ne se serait attendu à se faire rabrouer par un rouge et or pour lui avoir demandé un service… surtout si c’était pour réparer une des gaffes du dit rouge et or…

Il continua de regarder un instant la jeune fille dans les yeux, toujours bouche- bée, surtout bouche bée et encore plus maintenant qu’elle lui reprochait d’avoir déposé son livre sur le comptoir. Mais c’était quoi, ça ? Elle s’attendait à quoi ? Qu’il le traîne jusqu’au cabinet pour essayer de le faire tenir sur sa tête pendant qu’il faisait ce qu’il avait à faire ? Peut-être ignorait-elle que, contrairement aux filles, les garçons n’avaient pas vraiment les mains libres lorsqu’ils se soulageaient.


- Désolé d’avoir laissé trainer mon livre sur ton précieux comptoir… Normalement, je ne m’attends pas à ce qu’il disparaisse pour me revenir tout détrempé ou à ce que quelqu’un le prenne pour se soulager dessus… C’est assez peu commun ce genre de choses.

Dans leur monde civilisé, il n’avait jamais eu l’habitude de prendre soin de tout garder auprès de lui au cas ou quelqu’un tenterait de lui piquer ses affaires et de se soulager dessus. Qu’est-ce que serait une vie ou l’on ne pouvait faire confiance au bon sens d’absolument personne et ou il faudrait épier avec méfiance son voisin de cabinet ou de lavabo, le soupçonnant d’un quelconque plan malicieux concernant ses effets personnels ? Non… ce genre de cancres ne se rencontraient que très rarement, même dans une école aussi grande que Poudlard. Bon, il y en avait un lot chez les Serpentards et même dans sa propre maison mais il ne s’y était jamais frotté.

Bien sur qu’elle n’avait pas d’idée. Lui non plus n’en avait aucune. C’était toujours bien plus facile de réduire quelque chose en miette que de réparer un gâchis. Daneel observa son livre un instant, incapable également de trouver quelque chose. Il n’eut même pas le temps de critiquer l’idée que Shell venait d’apporter qu’elle venait de réaliser à quel point c’était ridicule. Rusard… vieux vicieux dénaturé. Il y avait peu de gens que le jeune Poufsouffle n’aimaient vraiment pas mais Rusard en faisait partie. C’était déroutant, les commentaires qu’il pouvait faire en vous regardant droit dans les yeux, soulignant à quel point il aurait aimé avoir le droit de vous écarteler juste un peu pour vous apprendre ce qu’il considérait des valeurs morales importantes. Savait-il même de quoi il parlait ?

- Tu parles d’un tube de quelque chose de magique ? Car même s’il est cracmol et qu’il possède un tube de quelque chose de moldu, je suis a peu près sur qu’il n’a rien d’assez puissant pour absorber toute l’eau et remettre le livre intact…

Il songeait alors aux changements que les moldus auraient pu avoir vu sur leur marché, pendant les derniers mois que Daneel avait passé cloîtré à Poudlard, coupé du reste du monde et surtout des moldus… Même avec le plus brillant des « Sponge Towel » que l’on voyait trop souvent à la télé, même avec tous les super produits absorbants dans ces annonces ridicules, ils n’auraient pu assécher le livre. Peut-être que dans les derniers mois, une invention révolutionnaire permettait de faire face à des situations du genre ? Mais il en doutait.

- Si c’est quelque chose de magique, il faut aller voir. Je sais pas si c’est une bonne idée de pénétrer l’antre de cette… de cette bête, oui. Mais je n’ai aucune autre idée…

Ce qui faisait de l’idée d’aller dans la réserve de Rusard la meilleure pour leur présent problème. Daneel leva des yeux interrogateurs sur Shell, essayant de voir si elle était vraiment déterminée à y aller et s’ils étaient pour partir vite. Après tout, valait aussi mieux pour lui de ne pas traîner dans le coin.

Le livre tout mouillé… oui… Rusard devait bien avoir quelque chose de magique permettant de le sécher et de le remettre en état, pensa Daneel, de plus en plus convaincu par l’idée.

Shell releva les yeux au ciel. Les garçons…Si peu dégourdis ! Dès qu’il s’agissait de faire autre chose que de se remplir la panse et picoler, leur esprit désertait leur cerveau en laissant un terrain vague, un dépotoir encombré d‘un tas de cochonneries, de la mélasse. Bien sûr, Daneel n’était pas encore à l’âge où se profil le ventre à bière à force d‘enchaîner les packs de douze, ses petites joues étaient encore lisses et roses, il ne devait probablement jamais avoir trempé ses lèvres dans un verre d’alcool, ni reniflé les effluves de vinasse au goulot. Mais il avait apparemment décidé de prendre de l’avance sur les dégâts de la bouteille.
C’était réellement typiquement masculin, on pouvait suivre le cheminement de leur pensée mieux qu’ils ne le faisaient eux-mêmes, tout occupés qu’ils étaient à "réflexioner" et à bien vouloir suivre le fil qu’on avait dévidé pour les sortir du labyrinthe des circonvolutions de leur cervelet.

-Ben oui, quelque chose de magique, que veux tu d‘autres…

N’était-ce pas évident ? Une potion, une lotion, un élixir n’importe quoi…Rusard avait forcément un extrait de quelque chose ayant pour effet de restituer les pages humides à leur état initial, de même que les peintures restaurées à l‘identique. Le concierge était autant artiste qu’elle était chanceuse. Ils étaient tout de même dans une école de sorcellerie, pourquoi quelqu’un s’embarrasserait-il avec des machins de moldus ? Surtout quand on considérait l’enthousiasme de certain à cracher sur tout ce qui n’était pas animé d’une étincelle magique. Ce serait bien la guigne des guignes que le cerbère n’est pas un petit quelque chose dans son débarra.

Un pinceau et un soupçon de ce vernis sur le bouquin et chacun repartirait de son côté, le blaireau au sous-sol avec les rampants et la lionçonne dans sa tour à côtés des aiglons.
Shelly eut un mouvement d’impatience pour chasser les fourmis qui lui grimpaient le long de la jambe, jusqu‘à la chatouiller, de la plante des pieds aux os de ses hanches. C’était comme le départ d’une course d’obstacle. Il ne fallait pas se viander dès le départ.

La jeune fille ressentait une pointe d’excitation, de l’anxiété, comme si le temps lui avait été compté. Elle était pressée d’agir, de faire quelque chose d’utile pour résoudre ce problème. Avant que le Poufsouffle ne lui suggère quelque chose de complètement idiot. De masculin.

-Tu préfères peut-être déchiffrer l’encre qui a coulé et tout recopier à la main ?

Ce serait sans elle. Bien entendu, elle se sentait fautive. Toutefois, sa culpabilité ne la rendait pas désespérée.

L’adolescente se dirigea vers la porte de sortie, mais elle se retourna d’un coup vers le Pouffy, les sourcils froncés et l’air à nouveau désapprobateur. Elle posa un index long et effilé comme une brindille sur le bout du nez du garçon et donna une légère pression, comme si elle souhaitait le faire reculer. C’était ainsi qu’elle s’y prenait pour faire la morale à sa vieille Patty lorsque le labrador était encore en vie. Et n’ayant jamais pu enguirlander personne d’autre, elle agissait par habitude sans même penser à réadapter ses techniques à un être humain.

-Dis donc, tu peux être fier !, lança-t-elle sur le ton du "vilain chien", c’est complètement à côté de la plaque ce que tu me dis !

Eh oui, Shell fonctionnait souvent comme une bombe à retardement et répondait seulement maintenant aux paroles sarcastiques de Daneel, comme si elle venait à peine de les entendre.

-Je n’ai jamais dit qu’il s’agissait de mon comptoir, t’es en train de me transformer en mégère territoriale de Serpentard !

Tout comme elle avait elle-même mal perçu ses précédentes paroles, entendant un ordre là où il n’y avait probablement qu’un simple appel au secours. Pour la Gryffondor, il ne faisait qu’en rajouter une couche en se mettant dans son bon droit, il s’accordait le beau et sacro-saint rôle de la victime injustement bafouée et pleine de bon sens face à elle, la pauvre cloche. C’était étrange, cependant. Il employait une méthode de rabaissement qu’elle n’avait jusqu’alors jamais rencontré, mais dans le fond le résultat visé était pareil. Et il n’en était pas question. A quoi bon avoir émigré à Poudlard si c’était pour toujours rester la souffre-douleur bonne à tout faire ?