Un bel après-midi d'automne. En cette saison capricieuse, le soleil parvenait de temps à autre à s'installer durablement dans un ciel oscillant entre le bleu et le gris. Si l'azur était bien souvent tacheté de nuages, ces moments-là n'annonçaient en aucun cas une averse prochaine. Une légère brise dansait entre les feuilles des arbres de la Forêt Interdite, faisant se balancer lentement leur cime au gré de ses humeurs. Le soleil, qui avait déjà entamé son irrémédiable descente vers l'horizon, propageait encore un peu de sa chaleur, donnant au fond de l'air quelque chose d'agréable. Lentement, le paysage se peignait de couleurs chaudes, délaissant le vert habituel pour des teintes plus rouges, oranges, jaunes, s'habillant d'une tenue temporaire avant l'arrivée de l'hiver.

Dimanche, aucun cours dans la journée, l'idéal pour un rêveur comme Ultan Bower. Il avait flâné une bonne partie de la matinée le long des rives du lac avant de flirter avec la lisière du bois. Après le déjeuner, le Serpentard était passé par sa salle commune pour passer des vêtements plus décontractés, selon lui plus adaptés aux circonstances. Il portait un pantalon noir et une chemise blanche, celle-ci étant négligemment ouverte pour laisser paraître sa fine musculature. Oui, il aimait son corps, mais il aimait surtout qu'on le voit. Evidemment, il s'assurait de ne croiser aucun professeur, pas par peur des remontrances, mais parce qu'il ne voulait pas perdre de temps avec eux. En ce jour, les seuls qu'il avait pu croiser n'étaient pas nombreux et l'avaient fait avec prudence.

Finalement, Ultan avait choisi d'aller nonchalamment s'asseoir sur le rebord d'une fenêtre, qu'il ouvrit, pour profiter, en demeurant à l'intérieur, de l'atmosphère extérieure. Le vent soufflait sur son visage, soulevant de temps à autre les mèches qui lui donnait son style. Et la lumière de l'astre du jour éclairait le tout, offrant l'image d'un jeune homme paisible et profitant de l'instant présent. Oui, je parle bien d'Ultan Bower. Mais ça ne serait pas vraiment lui s'il n'y avait pas quelque accrochage, n'est-ce pas ? J'y viens.

Les yeux à demi-clos, le Septième Année demeurait immobile, gardant cependant l'oreille aux aguets. Un bruit de pas lui parvint, mais il ne bougea pas. Il lui sembla d'ailleurs que les deux personnes qui approchaient ne l'avaient pas remarqué. Après quelques secondes, durant lesquelles la paire d'élèves s'était rapprochée, ils s'arrêtèrent. L'un deux murmura quelque chose qui échappa à Ultan, mais la résonance de leurs pas montra qu'ils avaient pris leurs jambes à leur cou.

"Où allez-vous comme ça ?" lança Ultan en sortant sa baguette magique.

Et dans l'instant, l'un des deux fuyards était au-sol, une corde attachée autour du pied. L'autre extrémité du lien était... dans la main du Vert et Argent. Celui-ci ne quitta pas sa position. D'un coup de sa baguette, il enroula un peu plus de corde autour de celui qui était un élève de Gryffondor, Première Année, à vue de nez.

"Tu as peur de quelque chose ? Ou peut-être de... quelqu'un ?"

La malheureuse victime ne répondit rien, apparemment paralysée par un sentiment comme la... terreur. Usant de lévitation, Ultan amena lentement à lui sa proie saucissonnée.

"Je ne me suis pas encore... amusé, aujourd'hui. Que dirais-tu de participer à un jeu avec moi ?"

Un sourire sadique découvrit en partie les dents blanches du Serpentard.

"Je... je... laisse... moi... je..."

"Tu n'es pas d'accord ? Peu importe, je n'attendais pas vraiment une réponse."

Ultan lâcha la corde et sortit... une dague. Une dague dont se souvenait bien sa soeur.

"Approche-toi, petit lion. Voyons si le sang qui coule dans tes veines est Pur... Montre-moi ton sang, je te dirai si tu mérites de... vivre..."

Anticipant la réaction de l'élève, le bourreau lança un sortilège de silence, coupant la victime dans son envie de crier.

"Personne ne t'entendra. A cet étage, il n'y a que toi et moi."

Sans le moindre geste avant-coureur, Ultan entailla légèrement la joue du petit garçon, qui tomba à genoux, les yeux emplis de larmes.

"Est-il Pur ? Je n'en suis pas sûr..." murmura le Serpent, en regardant la lame rougie.

Un goutte tomba sur le sol nu.

"Oh, regarde, tu viens de faire une tache."

Les larmes coulaient à présent le long des joues du jeune Rouge et Or.

"Il faut te punir."

Le Serpentard leva à nouveau la dague, hésitant sur la partie à toucher.

La main en suspens, Ultan hésitait. Non pas sur le fait qu'il allait de nouveau faire couler un peu de sang, mais plutôt sur la zone à atteindre. La surface de peau dénudée était plutôt réduite, mais elle était suffisante pour recevoir nombre de coupures... Décidé à entailler l'autre joue, le Serpentard ne fit pas attention à l'arrivée de deux élèves... Un sortilège de désarmement fut lancé, et la dague fut éjectée de la main du bourreau. Bien sûr, il avait reconnu la voix. Bien sûr, il savait qui étaient les deux importuns qui venaient de l'interrompre, sans même les regarder. Lentement, il se releva, sans quitter sa victime du regard.

"Tiens, la cavalerie." lâcha-t-il.

Ultan se replaça une mèche derrière l'oreille et daigna enfin poser les yeux sur les deux Préfets. Il eut un geste infime de la baguette, ce qui eut pour effet... de libérer de ses liens le malheureux Première Année. Mais celui-ci, une fois dégagé de cette entrave, ne bougea pas, demeurant paralysée. Le Vert et Argent soupira.

"Peut-être tient-il à rester entre mes mains ?"

La question sembla rendre sa conscience au jeune garçon, qui esquissa un mouvement pour s'enfuir, en direction de ceux qui venaient de le... sauver. Mais le Septième Année fut plus rapide et l'attrapa par le col. Avant de lui envoyer un coup de pied aux fesses, pour le faire partir dans une autre direction.

"Vous croyez que... vous me faîtes peur ? Avec vos baguettes et vos insignes ?"

Un rictus mauvais s'était dessiné sur les lèvres d'Ultan, dont le regard gris passait de l'un à l'autre.

"Voilà, je l'ai lâché, Monsieur le Préfet."

Les trois derniers mots avaient été accentués et prononcés avec un certain dégout.

"En revanche, je n'ai pas l'intention de m'en aller. Je me suis trouvé un coin tranquille. Dommage que certains de vos camarades aient eu l'idée de venir me... déranger."

Le rictus disparut et une espèce d'ombre traversa un instant les yeux du Serpentard.

"Je vous conseille de ne pas commettre la même erreur. Rangez vos baguettes et séparons-nous sur ces termes."

Demeurant immobile, le bras tenant la baguette baissé, pointe de l'objet vers la bas, il attendait, simplement, de voir ce que feraient les deux Gryffondors. Seraient-ils assez stupides pour ne pas accepter la proposition ? Ou choisiraient-ils la voie de la sagesse en quittant les lieux ? Evidemment, Ultan espérait que la première solution soit leur choix...

"Et je ne me répéterai pas." articula-t-il.

La balle était dans le camp des deux jeunes. Un fin sourire était revenu se peindre sur les traits du Vert et Argent. Et ses yeux avaient retrouvé leur gris, le gris d'un ciel d'automne à l'approche d'une averse.

Même Azkaban, c'était trop doux pour cette canaille. Il méritait un châtiment bien pire, les tourments les plus atroces, et encore : cela ne suffirait pas à lui faire payer son abjection. Il aurait fallu pouvoir lui infliger des tortures sans équivalent, des choses que même son esprit malade n'aurait pu concevoir...
Mais son esprit, William en savait quelque chose, était fécond lorsqu'il s'agissait d'imaginer quelque torture nouvelle. Combien de temps les deux rouquins étaient-ils restés entre ses sales pattes, l'année précédente ? Une demi-heure, une heure, peut-être ; mais jamais heure n'avait paru plus longue au préfet des Lions. Tandis qu'il toisait, d'un regard flamboyant, le Serpentard, il lui semblait sentir chacune des blessures causées par ce dingue... Elles se rouvraient, se remettaient à saigner. Horrifié, William frissonna avant de se rendre compte que ce n'était que son imagination qui lui jouait des tours. Les plaies étaient bien refermées, et elles n'avaient même guère laissé de cicatrices, hormis sur la joue pâle du rouquin.
Un regard vers Page, pour se donner du courage, et le préfet répliqua :

-Puisque tu en parles... Effectivement, on va aller voir Dumbledore. Ce que tu m'as fait- seulement ce que tu m'as fait (il appuya sur ces mots et toucha la cicatrice de sa joue) peut t'envoyer à Azkaban pour un bon bout de temps. Moi non plus, je ne t'oublierai pas, espèce de lâche.

Sa décision était prise ; il fallait qu'il voie Dumbledore sur-le-champ. Pas question de laisser ce tordu s'en prendre à n'importe qui... Tant pis si Bower croyait à une fuite ; pour William, l'urgence était de dénoncer les agissements de ce nuisible avant qu'un autre innocent tombe entre ses mains. Le rouquin n'avait jamais raconté à personne ce que le Serpentard lui avait fait, mais tant pis ; il irait en parler à Dumbledore, surmonterait sa répugnance à évoquer ces souvenirs, et étalerait au grand jour la véritable personnalité d'Ultan Bower. Il n'avait même pas conscience d'aller contre ses propres intérêts ; Lynn aurait été catastrophée, et l'aurait convaincu de ne rien dire. Mais Lynn n'était pas là pour lui faire comprendre qu'en condamnant Bower, il était en train de se condamner lui-même.
Le Serpentard, d'une voix sèche, avait ordonné aux deux préfets de partir. C'était ce qu'il allait faire, mais William préférait préciser :

-On te laisse, Bower, pas la peine de subir ta sale présence quelques secondes de plus... Maos n'imagine pas que tu as une quelconque autorité sur nous, surtout. Et profite bien de ta tranquillité, elle ne durera pas.

Frémissant de colère contenue, William lança un dernier regard de mépris au Serpentard, et tourna les talons, sans même attendre de voir si Page voulait parler aussi. Il ne voulait pas rester davantage à côté de Bower, car il sentait que cette rencontre mettait ses nerfs à rude épreuve. Parler à Dumbledore, savoir que Bower serait puni pour ses actes, ou, au moins, qu'il ne serait plus en liberté dans un château plein d'enfants ; voilà la seule chose qui pourrait le calmer. D'un pas vif, le rouquin s'éloigna, en direction du bureau de Dumbledore. Il avait intérêt à être là.