[Ai-je déjà répondu aussi vite à un rp ? O__O]

Évidemment, elle était en retard. Plus le temps passait, plus Emilien se disait qu’il ferait mieux de tout simplement redescendre et aller rejoindre ses amis, que de toute façon ça n’en valait pas la peine, et que ce n’était pas son problème si ses notes de botanique baissaient. Du jardinage, rien de plus ! Même ses parents n’y prêtaient aucune attention, à cette matière : ils regardaient principalement ses résultats en potions, en métamorphose ou en sortilèges, mais certainement pas en botanique. Qu’est-ce qui empêchait le Serpentard de se mettre à marcher le long de ce couloir jusqu’aux escaliers ? Ou plutôt de prendre un passage plus discret pour ne pas risquer de croiser Lucy et ainsi être certain d’échapper à cette séance de torture ? Un peu d’orgueil, sûrement. Lui, il pouvait supporter n’importe quoi, ce n’était pas à cause d’une petite idiote que son après-midi allait être gâché. Ce serait complètement lâche de s’enfuir. Ce même orgueil qui l’avait poussé à être à l’heure, pile à quatorze heures devant la porte de la bibliothèque. Selon toute évidence, la Serdaigle n’accordait pas la même importance à son amour-propre … Ou alors, ils en avaient une vision très différente. De toute façon, après la façon dont Lucy s’était énervée pendant le bal de printemps, elle ne pouvait plus avoir le moindre honneur, sa réputation était ternie à jamais, son avenir à Poudlard serait taché par cette petite crise piquée au milieu d’une salle de bal bondée. Contrairement à Emilien qui était presque resté calme et qui n’avait pas fini la soirée seul, lui.

La voilà qui arrivait. On ne pouvait pas dire qu’elle se dépêchait … C’était bien parti, décidément ! Emilien retint une remarque désagréable sur son retard, il n’allait pas commencer alors qu’ils n’avaient pas encore fait un seul pas dans la bibliothèque, tout de même. Le comportement de Lucy avait beau l’énerver, il fallait qu’il reste stoïque et tout se passerait bien. Enfin, pas trop mal. Disons que ça pourrait être pire. Emilien suivi la Serdaigle jusqu’au rayon botanique, rayon habituellement déserté par les élèves, mais où il s’était déjà retrouvé l’année précédente, alors qu’il cherchait un endroit tranquille où s’installer. Sur qui était-il tombé ? Lucy. Comme les choses avaient changé en un an … La première fois, Emilien l’avait trouvée insupportable. Puis ils étaient devenus amis, après s’être découvert une haine en commun pour la botanique. Ils s’étaient disputés au sujet de Michel, un abruti dont on n’entendait plus parler – certaines rumeurs disaient qu’il avait été victime d’un coup monté par un groupe d’élèves, qui l’auraient attrapé, ligoté, enfermé dans une caisse et envoyé en Alaska. Une lettre aurait été retrouvée dans la caisse, expliquant en détail tous les détails horripilants qui avaient poussé les auteurs de cet exploit à accomplir un tel acte. Signée « Les Mousquetaires ». Ils s’étaient réconciliés, à nouveau disputés bien que cette fois-ci, c’était plutôt Emilien qui avait décidé de prendre de la distance sans rien expliquer à personne. Enfin, alors qu’ils s’entendaient à nouveau parfaitement bien, il y avait eu le bal.

Tandis que Lucy s’installait à une table – il y avait l’embarras du choix, la plupart des élèves étaient dehors : tant mieux, ça leur éviterait les ricanements des autres pendant qu’ils essayaient de faire ce foutu devoir – Emilien faisait mine de chercher un livre dans les rayons. Les plantes communes en Angleterre, Les plantes de nos jardins, Comment réussir à coup sûr une bouture, Les meilleurs sortilèges pour prendre soin de vos plantes, Entretenir son pommier. Oui, le Serpentard était bien dans le rayon botanique, mais il l’aurait facilement renommé « Rayon Jardinage pour vieilles sorcières à la retraite » … Un livre attira tout de même son attention, quelque chose sur la symbolique des bois, ou quelque chose dans le genre, leurs propriétés, etc. Mine de rien, il pesait lourd, Emilien n’aurait pourtant jamais cru qu’il y avait autant de choses à dire sur les arbres … Il rejoignit alors Lucy à la table qu’elle avait choisie et y posa le livre avec une délicatesse proportionnelle à l’amour qu’il portait à la botanique. Après s’être assis toujours avec autant de bonne volonté, il sortit du parchemin, de quoi écrire et recopia consciencieusement le sujet. Bon, il fallait parler, non ? Il était obligé ? Oui, sinon ils n’auraient pas eu besoin de se retrouver dans ce lieu poussiéreux et austère pour travailler. Lucy avait pris l’initiative et lui demandait ce qu’il avait comme baguette. Emilien aurait pu simplement lui donner les informations qu’elle voulait, ils auraient sans doute pu avancer très vite.

- Tiens, et si on faisait l’inverse ? Je te donne mon « profil psychologique », tu trouves les caractéristiques de la baguette.

En réalité Emilien estimait qu’après le bal de printemps, il avait une revanche à prendre. Lucy avait été détestable ce soir-là et avait bien entendu gâché sa soirée, sans compter qu’elle avait attiré sur eux l’attention et les moqueries de toute la salle. Bien sûr, de ce côté-là, la Serdaigle en avait eu beaucoup plus pour elle qu’Emilien, mais … Si elle croyait qu’elle pouvait faire sa crise sans qu’il n’y ait de conséquences, elle se trompait lourdement. La danse avec Isaac ? Une réaction irréfléchie, une décision prise sur le moment, une petite revanche insignifiante. Non, la vraie vengeance est un plat qui se mange froid – là, disons qu’il était encore tiède.

- Voyons, si je te dis sale caractère, méprisant et très rancunier, tu trouves quoi ?

Le Serpentard avait adopté un ton tout ce qu’il y a de plus naturel. S’il lui avait demandé quel temps il ferait le lendemain, il aurait probablement parlé de la même façon. Il avait au passage remarqué les cicatrices sur le dos de la main de Lucy, signes distinctifs d’une longue retenue avec Ombrage, voire de retenues répétées. Quelques mois plus tôt, Emilien se serait peut-être inquiété, lui aurait posé des questions sur ces retenues, se serait indigné des méthodes du professeur crapaud. A présent il se contentait de mépriser la Serdaigle pour sa stupidité : il y avait d’autres moyens de s’opposer à Ombrage que celui-là. Se faire remarquer en cours, lui répondre, aller en retenue … C’était idiot, ça ne menait à rien, sinon à ce qu’Emilien avait sous les yeux. Ce qu’il pouvait observer depuis le début de l’année, d’ailleurs. Lui, il ne s’était rangé dans aucun camp : certes il avait le crapaud en horreur comme beaucoup d’élèves, bien sûr que ses décrets étaient stupides, que ses méthodes devraient être interdites et qu’elle méritait d’être envoyée en Alaska de la même façon que Michel. Mais il refusait de ressembler aux petits idiots qui contredisaient et provoquaient Ombrage pendant ses cours, qui sortaient des retenues la main en sang, et qui malgré ça s’obstinaient. En cours, il était passif, voilà tout. Il estimait qu’à son niveau, il n’y avait pas grand chose qu’il puisse faire, surtout dans une maison comme Serpentard où la moitié des élèves adhérait au système du crapaud. Ce n’était sûrement pas le cas d’Isaac et Samael mais en ce moment, les mousquetaires étaient occupés à autre chose. Que les « BR » s’amusent s’ils le voulaient …

- Par contre, je ne trouve rien pour paranoïaque et hystérique, je veux bien un peu d’aide, ajouta-t-il en tournant quelques pages du livre, comme s’il cherchait réellement un bois correspondant.

Emilien ne tenta pas de masquer son agacement devant le fait qu'elle soit en retard, mais s'abstint de tout commentaire. Il se contenta d'entrer à sa suite dans la bibliothèque, et tandis que Lucy leur choisissait une table, disparut dans les rayons pour aller chercher des livres. Il revint avec un pavé qu'il fracassa littéralement sur le bureau. L'ouvrage était d'ailleurs si poussiéreux et tombait tellement en loque que la Serdaigle s'étonna qu'il ne se soit pas désintégré sous le choc. Voilà qui aurait été une bonne excuse pour ne pas pouvoir continuer le devoir, et se séparer pendant qu'il en était encore temps. Malheureusement, ce fichu bouquin n'était pas décidé à rendre l'âme tout de suite, et la confrontation semblait inévitable. Le Serpentard sortit à son tour ses affaires. Ses gestes brusques manifestaient tout de sa mauvaise humeur. Génial... Toutes les conditions étaient réunies pour le pire tête à tête de sa vie. Décidément, elle ne râlerait jamais assez à propos du père Bachelard. Lui aurait eu besoin d'un rendez-vous amoureux avec le Saule Cogneur. Voilà qui aurait libéré tout le monde.

Lorsque la Bleue et Bronze demanda à son camarade les caractéristiques de sa baguette, il proposa d'agir autrement. Ca l'aurait étonnée tiens... De toute façon, à tous les coups, Emilien et elle seraient en désaccord complet. Il suffirait qu'elle émette une idée pour qu'il la rejette. C'était tout à fait son genre... Il se déclina donc lui même d'un ton très neutre comme ayant sale caractère, étant méprisant, et très rancunier. Lucy n'était pas à Serdaigle pour rien. Et si le sang froid lui manquait, ce n'était pas le cas de l'intelligence. Elle comprit donc parfaitement le message qu'Emilien voulait lui faire passer. Il lui en voulait toujours à mort pour l'épisode du bal, la considérait de haut, et s'apprêtait à lui faire vivre un enfer. Super après-midi en perspective vraiment, elle ne regretterait pas d'être venue... Moins elle parlerait, mieux ce serait. Elle se contenta donc de hausser les épaules et de chercher.

Le Vert et Argent faisait mine de feuilleter l'énorme livre à la recherche d'informations, et ajouta à son attention qu'il ne trouvait rien pour ses traits de caractère à elle. Paranoïaque et hystérique hein ? La blondinette rougit violemment; elle ne nierait pas ses torts, contrairement à d'autres... Mais il lui devenait difficile de ne pas laisser sa langue s'exprimer. Elle fit donc des efforts magistraux pour rester calme et ne pas sortir de ses gonds, c'était peut-être ce qu'il espérait. Paranoïaque et hystérique... restons calme. D'accord, paranoïaque, elle l'avait été ce soir là. Hystérique aussi... Mais c'était exceptionnel... si elle s'était énervée c'était sous le coup de la fatigue et... de la paranoïa et de l'hystérie, d'accord. Mais elle ne pouvait quand même pas le laisser l'insulter sans réagir, non ? Non. Elle en était en fait incapable.

- Y disent que le bois de hêtre ou de chêne correspond bien... mais pour plus de précisions, y faudrait sans doute ajouter insociable et mesquin tu crois pas ?

Comme si elle lui demandait son avis ! Elle s'était aussitôt plongé dans le monstrueux bouquin à la recherche de ses deux mots. Insociable, oui, parfaitement. Il était incapable de faire le moindre petit effort avec quelqu'un qu'il n'aimait pas, comme avec Michel par exemple. Il s'était bien moqué de savoir si elle tenait à lui ou non, et l'avait placée entre lui-même et Stanislas [si je te dis que je trouvais plus son vrai pseudo? ]. Quant à la blondinette, s'il l'avait appréciée un jour, il lui avait fait suffisamment de scène pour qu'elle sache qu'il savait parfaitement être désagréable, même avec ses "amis". La plus récente datait du début d'année. Lorsqu'il avait décidé de s'éloigner, et qu'il refusait de lui adresser la parole. Quant à mesquin, sa petite scène suffisait à le prouver. Là-dessus, Deniel, lui et elle s'entendaient à merveille sur le sujet. Il semblait que ce soit leur seul point commun. Et dire qu'Ashley et Mariana étaient persuadées qu'ils étaient amoureux l'un de l'autre ! Là-dessus, on pouvait dire qu'elles se trompaient sur toute la ligne. D'ailleurs, Lucy n'en revenait toujours pas que Dash ait pu lui faire cette remarque au moment même où elle avait eu la preuve du contraire.

- T'inquiète pas si tu trouves pas pour paranoïaque et hystérique, tu peux toujours rajouter fière et susceptible... ajouta-t-elle.

La deuxième année ajoutait cela comme si ça lui était égal. En réalité, le comportement distant d'Emilien resterait toujours plus blessant que ses insultes. Mais il n'y avait rien à ajouter n'est-ce pas ? C'en était clairement fini de leur amitié, et même si elle aurait pu versé une larme sur leurs chers et tendres souvenirs, elle ne le fit pas. Parce que justement, elle était trop fière pour paraître triste devant lui. Et ces souvenirs c'était quoi ? Deux années de disputes, qu'elle avait passées à excuser le comportement du Serpentard ? Tout ça pour se faire jeter dès qu'il trouvait d'autres amis. Elle n'était pas le genre de personne que l'on pouvait prendre, jeter et reprendre à sa guise. La prochaine fois qu'Emilien aurait des problèmes avec sa famille, il n'aurait qu'à s'adresser à ses "mousquetaires" et l'on verrait bien s'ils étaient aussi attentifs qu'elle avait pu l'être. Parce que lorsque la Serdaigle avait des amis, elle ne se contentait pas que de passer les bons moments avec eux, elle s'arrangeait aussi pour les épauler dans les coups durs. Visiblement, son ex-ami avait été incapable de parler à Isaac et Samaël de sa situation familiale quelques mois plus tôt. Etaient-ils si peu dignes de confiance que ça ? Et dans le cas contraire, pourquoi ne leur avait-il rien dit ?

En attendant, l'Aiglonne se leva pour aller voir s'il y avait d'autres livres qui traitaient du sujet. Celui qu'Emilien avait trouvé ne semblait parler que des défauts. Elle finit par dénicher celui qui évoquait les qualités. Mais à quoi cela servirait-il de toute façon ? Elle réfléchit, seule parmi les étagère. Etait-elle encore capable de trouver des qualités chez le Vert et Argent ? Il était loin d'être stupide, elle pouvait donc lui accorder le fait qu'il était à peu près intelligent. A part ça... elle reposa l'ouvrage là où elle l'avait trouvé. Ca ne les ferait pas avancer. Et ils étaient là avant tout pour le devoir, elle ne l'avait pas oublié. Elle trouva en revanche, le livre qui permettait de lier les profils magiques aux éléments de la baguette. Ca pourrait servir. Elle retourna donc à leur table, et commença à chercher en attendant d'autres éventuelles remarques charmantes de la part de son camarade...

De loin, on avait presque l’impression qu’ils travaillaient. Un élève lambda passant par ici et ne connaissant pas nos deux protagonistes aurait peut-être même l’impression qu’ils discutaient tranquillement, et se poserait sûrement des questions : un garçon et une fille en tête à tête, c’est louche ! Il se demanderait ce qu’il y a entre eux, penserait sans doute en premier à ce genre d’amour léger et volatile digne des enfants qu’ils sont encore, envisagerait également une amitié même si comme le pensent grand nombre de jeunes, une vraie amitié fille-garçon, c’est louche ! Enfin, tant qu’il ne se dit pas que « c’est chelou », je n’ai rien contre cet élève lambda qui, après tout, n’est rien d’autre qu’un pauvre idiot parmi tant d’autre, un élément sans relief, appartenant à la masse et se noyant dans sa banalité. Bref. Laissons de côté mister lambda pour nous intéresser à nos chers héros qui eux le méritent.

En réalité Emilien et Lucy, assis l’un en face de l’autre, rassemblés par un stupide sujet de la matière qu’ils détestaient tous les deux, se disputaient plus qu’autre chose. S’insultaient, même, s’échangeaient d’aimables paroles, s’évertuaient à faire la liste des défauts de l’autre sans pour autant être grossier. La grande classe. Chose que l’on ne peut pas obtenir en s’échangeant des mots doux, cela va de soi. De toute façon, entre eux, il n’y aurait plus que de la rancœur, de la colère peut-être, de l’amertume. Ils n’avaient été qu’amis, après tout, le genre d’ami qui s’oublie vite ? Emilien était-il de cette espèce-là ? Il était incapable de bêtement laisser tomber, de juste ignorer et s’éloigner. Lucy avait effectivement été son amie, elle lui avait manqué les premières fois qu’ils s’étaient disputés, il lui en avait voulu mais s’en était aussi voulu à lui-même. Rien que pour ça, s’il devait arrêter de lui adresser la parole, il se débrouillerait pour qu’elle ne l’oublie pas, quitte à ce qu’elle garde une mauvaise image de lui. Pardonner ? Conserver une certaine nostalgie, sourire aux souvenirs des moments passés ensemble ? Pas question ! Quitte à être immonde, insupportable, à passer pour le méchant de l’histoire et quitte à dégoûter Lucy, il ne regretterait rien.

Lucy n’avait pas réagi au début, lorsque Emilien avait pris la parole pour suggérer un léger changement de programme. Elle comptait rester stoïque toute l’après-midi ? Ce serait tellement dommage ! C’était beaucoup moins amusant pour le Serpentard si elle ne réagissait pas, car le plus drôle lorsqu’on provoque, c’est la colère de son interlocuteur. Emilien n’avait pas remarqué le rouge qui s’était étalé sur les joues de Lucy pour la simple et bonne raison qu’il était toujours plongé dans ce livre – si passionnant – à ce moment-là ; s’il l’avait vu, il aurait été très satisfait, cela va sans dire. Enfin, elle répondait, c’était le principal ! « Insociable et mesquin », ah bon ? Insociable … Il n’irait pas jusqu’à dire ça. Au début, peut-être, quand il était arrivé à Poudlard, mais il sortait d’une période compliquée … Il s’était beaucoup arrangé depuis, il s’était plutôt bien intégré dans sa maison – en tout cas, suffisamment à son avis – et ce n’était pas parce qu’il méprisait beaucoup de gens qu’il n’était pas sociable. Au contraire, avec sa facilité au mensonge et à l’hypocrisie, il avait tout pour être comme ceux qui paraissaient être amis avec tout le monde, souriaient à n’importe qui, faisaient la bise au premier venu sous prétexte qu’il était l’ami d’un ami d’un ami. Bizarrement, ce phénomène était bien plus répandu chez les filles. Quant à mesquin …

- Mesquin, c’est un peu faible, à mon avis. Tu n’as rien trouvé de mieux ?

Tu n’es pas capable de faire travailler tes méninges un peu plus ? Tu manques de vocabulaire ? Ou tu n’as pas les yeux en face des trous ? Comment en étaient-ils arrivés là … Eux qui avaient été amis. Elle qu’Emilien avait même considérée comme sa meilleure amie. C’est drôle comme les gens pouvaient changer, avec le temps qui passe. Mais qui avait changé ? Emilien, c’était certain, il s’était davantage ouvert, puis refermé, puis s’était enfin décidé et avait trouvé un juste milieu entre ce qu’il pouvait dire et ce qu’il préférait garder pour lui. Il s’était fait des amis dans plusieurs maisons avant de ne garder que ceux de Serpentard, les seuls qui lui ressemblaient vraiment, d’après lui, les seuls avec lesquels sont caractère était compatible, les seuls qu’il supportait. La niaiserie des Poufsouffle lui donnait la nausée, la bêtise des Gryffondor le faisait vomir, et les Serdaigle … Soyons francs, c’était surtout Lucy qui lui posait problème dans cette maison, même s’il n’appréciait pas spécialement les autres.

« Fière et susceptible », c’était la raison pour laquelle elle lui répondait, au lieu de s’enfermer dans le silence. Ça arrangeait bien Emilien. Il avait encore la possibilité d’enfoncer le clou, tandis qu’il tournait pensivement quelques pages, à la recherche de … De rien de spécial, au point où il en était, le devoir il s’en fichait. Il était surtout venu pour ête « mesquin » avec Lucy. Bien sûr, pour ne pas que la Botanique fasse trop tache sur son bulletin, mais …

- Tiens, je mettrais bien naïve, en plus. Non ?

Tant qu’il s’agissait de dire du mal de Lucy, c’était facile. Même en étant de mauvaise foi, Emilien arriverait toujours à lui trouver des défauts supplémentaires, même les défauts les plus insignifiants. Paranoïaque, hystérique, fière, susceptible, naïve, c’était tout ce qu’ils avaient trouvé pour le moment. Le Serpentard tournait toujours des pages, comme s’il espérait réellement trouver une baguette dont le bois correspondrait au caractère évoqué ci-dessus. Comme si c’était possible … Il ne lisait même plus et se contentait de passer d’une page à l’autre, avec un bref coup d’œil sur les images histoire de. Il avait toujours détesté la botanique, et il se souvenait même de l’époque où ils l’avaient détestée ensemble, cette matière, assis au fond de la classe et se moquant des élèves trop enthousiastes. Enfin peut-être qu’Emilien était le seul à se moquer. Peu importe, à cette époque ils avaient cru se découvrir quelques points communs. Qu’en était-il devenu ? Qu’en était-il resté ? Il y avait toujours cette haine du jardinage qui les rassemblait autour de ce devoir stupide … A mort Papy Bachelard.

Mais dès lors que Lucy commençait à répliquer et à énoncer ses défauts, à lui, il était moins facile de rester de marbre et de répondre sur un ton léger et complaisant. Pour insociable et mesquin, il n’avait pas réellement été touché, tout d’abord parce qu’il ne se trouvait pas insociable, et ensuite parce que mesquin n’était même pas vraiment un défaut, à ses yeux. La première pique qui atteignit réellement le Serpentard fut le « prétentieux » lancé par Lucy. Prétentieux ? Le souvenir de leur première dispute, dans la volière, lui revint brièvement. Oui, il l’avait dit lui-même, mais … Il avait changé, depuis. Plus d’une année s’était écoulée … Et puis en quoi était-il prétentieux ? Ce n’était pas parce qu’il n’admettait pas ses propres fautes qu’on pouvait le qualifier ainsi ! Quelles fautes, de toute façon ? Il n’y était pour rien, dans toute cette histoire, il n’avait rien fait d’autre que parler à Ashley, une amie, ce n’était pas non plus lui qui s’était mis à hurler dans la salle de bal, ni qui avait décidé de travailler avec la Serdaigle pour le devoir. « Tu n’as fait aucun effort, tu n’as pas cherché à comprendre, tu ne t’es jamais excusé, tu ne t’es pas comporté comme un ami » lui soufflait la petite voix de sa conscience qu’il tentait d’enterrer définitivement.

Le coup suivant fut plus dur à encaisser. « Je voulais croire que t’étais quelqu’un de sympa », ça faisait mal, mine de rien. Emilien avait beau être à Serpentard, être désagréable quand ça lui plaisait et mépriser un bon nombre de personnes, une petite part de lui refusait toujours d’être catalogué comme quelqu’un qu’on n’aimait pas. Comme quelqu’un de méchant, de « pas sympa ». Il avait tenté de concilier ces deux facettes contraire en étant sympathique avec un petit nombre seulement de personnes, des privilégiés en quelque sorte, ceux qui auraient su prouver leur valeur à ses yeux. Mais avec Lucy, il avait échoué. Pourquoi ? A quel moment ? Ça lui faisait plus mal au cœur qu’il ne le croyait de s’en rendre compte, parce que la Serdaigle avait été une amie spéciale pour lui. Il réalisa qu’il avait froissé le coin de la page qu’il s’apprêtait à tourner, les doigts crispés, et tenta de se détendre un peu. Lucy venait de déclarer qu’elle ne risquait plus d’être jalouse et Emilien répliqua :

- J’ai déjà paranoïaque, et je pense que ça correspond mieux puisqu’il n’y avait strictement aucune raison d’être jalouse.

Il n’avait pas réussi à retrouver complètement son calme et sa tension était encore décelable dans sa voix. Franchement, être jalouse d’Ashley, c’était … Incompréhensible. Qu’Emilien ait été jaloux de Michel – et encore, jaloux, même pas – était déjà plus normal. Il avait surtout été déçu que son amie ait si mauvais goût, et choisisse le pire élève possible – Michel était moche, bête, et sans intérêt. Lucy ne pouvait pas en dire autant de la Poufsouffle puisque qu’elles étaient amies. Et il était à peine ami avec Ashley ! L’incompréhension totale. Longtemps après cette soirée, elle était encore là.

[Réponse tardive ... Mais vu qu'on a ouvert l'autre sujet, mieux vaut qu'on termine vite fait celui-là]

- C’est ridicule, décréta Emilien quand Lucy lui expliqua sa réaction au bal.

Elle avait fait cette crise parce qu’il n’avait pas l’air de l’attendre avec impatience ? Parce qu’au lieu d’être resté planté devant la porte en tapant du pied, il avait discuté trente secondes avec Ashley, qui était de plus une amie commune ? Et ainsi elle avait imaginé qu’il ne l’attendait même pas et qu’après tout, il se fichait bien de sa présence au bal. C’était juste qu’elle le connaissait mal dans ce cas, Emilien n’était pas du genre à se laisser atteindre par les petits désagréments de la vie de tous les jours, ou du moins pas à le montrer. Evidemment que ça l’énervait quand il attendait quelqu’un qui était en retard, quand il n’y avait plus de toasts quand il arrivait à la table de Serpentard le matin au petit-déjeuner, quand dans n’importe quelle boutique de Pré-au-Lard il fallait faire la queue des heures, quand il ne trouvait pas ce dont il avait besoin, et tant d’autres choses. Mais quand il le pouvait, il restait calme, stoïque, enfin autant que possible … Sauf quand il était vraiment de mauvaise humeur, ou quand il était seulement en présence de ses amis – dans les dortoirs de Serpentard, par exemple. Mais au bal … Il craignait déjà les réactions des gens quand on allait se rendre compte qu’il avait invité Lucy, mais si en plus il se mettait à être impatient de la voir arriver, de quoi aurait-il l’air ?

- Et si j’avais parlé à un garçon, ça aurait été différent ? N’importe quoi.

Une question de respect, ben voyons … Elle avait été jalouse, point, sinon elle ne lui aurait pas reproché de parler à Ashley et n’aurait pas été aussi désagréable avec elle. De toute façon une fille, par nature, avait l’esprit tordu, et pas qu’un peu. Quand elle disait non, il fallait comprendre oui, mais si c’était peut-être, alors c’était non. Ça vous reproche votre mauvais caractère quand vous avez essayé d’être aimable, c’est sympa avec vous et puis d’un seul coup ça vous fait la tête. Quand on essaye d’être gentil, deux fois sur trois ça tombe à l’eau parce qu’on est à côté de la plaque, et la fille ne se rend même pas compte de l’intention et se focalise uniquement sur le résultat. Il fallait comprendre l’incompréhensible, déchiffrer l’indéchiffrable, tout deviner. Si elles ne passaient pas tant de temps à faire des sous-entendus et des mensonges à la noix, elles obtiendraient plus souvent ce qu’elles voulaient et auraient moins l’occasion de faire des crises d’hystérie comme Lucy.

- Moi j’aurais voulu passer une soirée normale, pour une fois. Juste une soirée agréable avec quelqu’un que …

Que j’estimais, que j’appréciais, que je ne supporte plus, aurait pu ajouter Emilien. Ils n’étaient pas faits pour s’entendre, il fallait se rendre à l’évidence : depuis leur première rencontre, ils n’avaient pas cessé de se disputer, pour se réconcilier, puis pour se disputer à nouveau. Pas trois mois n’avaient passé sans qu’il y ait un nouveau problème ! Chacun de leur côté, ils avaient créé des problèmes et l’autre en avait souffert, jusqu’à leur réconciliation. Cette fois elle n’aurait pas lieu. Si c’était pour encore une fois ne plus pouvoir se voir en face pendant des semaines, s’ignorer royalement dans les couloirs, se détester mutuellement en apparence, mais secrètement se demander ce qui clochait, se poser des questions, avoir envie de se parler à nouveau et difficilement faire le premier pas … Emilien préférait en rester là, il avait des amis en qui il pouvait avoir confiance, ils lui suffiraient. Pour le moment il n’avait aucune envie d’être ami avec Lucy, et tant pis si pour l’instant le plan des Mousquetaires tombait un peu à l’eau, ils trouveraient bien un autre moyen. Il n’abandonnait pas, évidemment, et la Serdaigle était toujours la victime idéale. Mais les vacances approchaient, il voulait les passer à tête reposée, la conscience tranquille.

- Bon écoute, mieux vaut qu’on s’adresse plus la parole du tout. Tant pis pour ce devoir, mais on se supporte pas, Bachelard se fera une raison.

Il referma brusquement le livre de Botanique posé devant lui et se leva, rassemblant très vite toutes ses affaires pour les jeter sans précaution dans son sac. Après un dernier regard lancé à Lucy, il quitta la bibliothèque sans même remettre le livre à se place, manquant de claquer la porte au passage.

Alors comme ça, c'était ridicule ? Comment ça RIDICULE ? Et puis, quelle signification au juste avait ce mot ? Un adjectif parmi tant d'autre, péjoratif, et là seulement pour justifier une incompréhension totale et un entêtement stupide. Des tas d'expériences dont elle avait pu être le cobaye avaient démontré que le ridicule ne tuait pas, c'était certain. Mais en plus, au final, qu'était-ce que le ridicule ? Une notion abstraite, relative, trop intime pour que chacun puisse en avoir la même perception que son voisin. La définition du mit était d'ailleurs: qui mérite que l'on se moque, risible. Admettons. Il avait donc envie de rire. Et en quoi était-ce drôle, qu'elle ait voulu qu'il l'attende, qu'il soit impatient de la voir ? S'il ne l'avait pas invitée, elle n'aurait certainement pas mis les pieds à ce fichu bal, elle se serait contentée d'écouter les rapports de ses camarades de dortoir. Mais là, non, elle s'était faite belle, s'était réjouie comme les autres d'aller danser, avait touché du bout du doigt ce rêve d'une princesse au bal que vivaient toutes les filles invitées le soir du bal. D'autant plus que comme cavalier, Emilien semblait plus que convenable. Même parfait.

Le Vert et Argent se moquait ouvertement de sa façon de penser. Evidemment que la situation aurait été différente s'il avait été en train de discuter avec un garçon ! Cela aurait tout changé à vrai dire. Car il ne pouvait être en train de draguer un garçon en attendant sa cavalière. Encore aujourd'hui, malgré les nombreux commentaires qui avaient été fait sur sa danse avec Isaac, Lucy n'en doutait pas.
Oh et puis d'accord, c'était une manifestation de jalousie, une fière réaction d'orgueil blessé, et alors ? N'était-il pas capable de comprendre ça ? Ne pouvait-il pas essayer un instant de s'adapter, d'être un tant soit peu sensible à la situation de quelqu'un d'autre que lui-même ? Mais non, il était aussi souple dans sa façon de penser qu'un manche à balais. Le tact lui était inconnu, et il n'était visiblement pas près de comprendre une fille. Ce n'était pas si compliqué pourtant ! Une petite marque d'attention, une preuve qu'il pensait à elle et que c'était avec elle qu'il voulait passer la soirée, et avec personne d'autre ! Les garçons étaient décidément trop fermés, incapables de voir plus loin que le bout de leur nez, de saisir les besoins des personnes qui les entouraient, et de les satisfaire. En revanche, ils étaient volontiers les premiers à se plaindre et à gémir quand tout allait mal pour eux ! Alors il fallait se montrer douce et compréhensive, pardonner leurs erreurs passées et écouter les malheurs qui leur arrivaient, et qui ne se produiraient pas s'ils savaient être un peu plus actifs.

Et le voilà qui était reparti dans ses doléances d'ailleurs ! Pauvre Milou martyrisé par un monde qui n'avait de cesse que de lui infliger d'atroces aventures, des situations pénibles et triste. Oh, Pinpin en aurait presque pleuré ! Elle était plus en colère que jamais en le voyant geignard après l'avoir enfoncée sans ménagement. Pourtant, son coeur fit un bond lorsqu'il manqua de lui faire un compliment. Mais sa fureur redoubla en voyant qu'il était incapable de faire fi de la situation pour laisser place à la franchise. Dans ce cas-là, tant pis pour lui ! Une soirée normale et agréable, n'était-ce pas pour lui une soirée passée à dire du mal de ceux qui l'entouraient, en compagnie de ses amis ? Il semblait pourtant que ces deux objectifs avaient été accomplis sans faute ! Lucy avait été humiliée de bout en bout, et le tout grâce à la présence de Deniel. Non vraiment, il en avait de la chance Emilien d'avoir un ami pareil, prêt à se sacrifier et à sacrifier la réputation des autres pour organiser la chute d'une tierce personne. Trop, c'était trop. Leur amitié n'avait plus aucun sens. Ils ne parvenaient pas à se comprendre, et cela débouchait toujours sur des disputes, plus ou moins violentes. Les rancœurs laissaient leurs relations vacillantes, et elles étaient trop faciles à briser de nouveau. Pour sa part, l'Aiglonne en avait assez de lutter dans le vide pour espérer un geste de la part d'Emilien.

Aussi se contenta-t-elle d'acquiescer aux paroles du Serpent. Ne plus se parler ? Sans problème. De toute façon, ça faisait déjà plusieurs mois qu'ils ne s'étaient pas adressé la parole. Pour la différence que ça faisait... Ne plus se supporter ? C'était la stricte vérité. Elle avait envie de le secouer comme un prunier dans tous les sens pour le faire réagir, et ne pouvait plus souffrir son indifférence. Alors oui, c'était la fin. La fin d'une amitié de deux ans, si l'on ne comptait pas toutes les disputes qui l'avaient composé, et la réduisaient au moins de moitié. Ce constat ne toucha pas Lucy. Elle était encore trop en colère, et n'avait que trop l'habitude du leitmotive "dispute-réconciliation-dispute" avec le Milou pour se rendre réellement compte de ce qui se jouait à cet instant. D'un commun accord ils acceptaient la fatalité de leur situation, et leur incapacité à s'entendre et à coopérer, à tel point qu'ils ne pouvaient même pas travailler ensemble. Mais n'était-ce pas chose courante dans la vie ? Passer d'une situation de proximité totale avec quelqu'un à la mésentente la plus complète ? Seulement, il fallait généralement pour cela un évènement précis qui ruinait la confiance que l'on portait à l'autre, une déception particulière. Ici, la moindre raison était bonne pour alimenter leurs incessants conflits.

- Ouais, t'as raison. Salut. dit-elle avec un vague geste de la main, sans même regarder Emilien.

La blondinette récupéra le livre et le rangea à sa place dans la bibliothèque, ne serait-ce que pour ne pas suivre immédiatement le chemin qu'avait pris le Vert et Argent vers la sortie, claquant presque la porte. Elle rangea ensuite tranquillement ses affaires, prenant toujours tout son temps, avant enfin, de se diriger vers la salle commune des Serdaigle.