Cruciale rencontre (Raven)

On était le vingt-deux novembre, et il y avait exactement trente-et-un ans que Solveig, l'épouse de Lord Kirkby, avait succombé à une dragoncelle foudroyante. James n'avais jamais connu cette grand-mère, et il n'éprouvait rien de particulier à son égard ; ni tristesse, ni manque, simplement l'indifférence qu'il nourrissait à l'égard de tous les autres morts de ce cimetière- un peu plus respectueuse, peut-être, pour Solveig que pour les autres. Il s'était rendu au cimetière en sortant du travail, sur l'ordre de son grand-père, qui lui avait demandé d'aller fleurir la tombe.
Il lui fallut un moment pour retrouver la sépulture familiale dans le vaste cimetière ; il ne fréquentait guère cet endroit, mais il devait admettre qu'il avait son charme. Un calme profond y régnait, très reposant après la cohue du Ministère. La journée n'avait pas été de tout repos ; le matin, James avait subi une longue algarade de la part de son supérieur pour avoir perdu un message important, avant d'apprendre dans l'après-midi que le supérieur en question avait retrouvé ledit message dans la poche de sa robe... Pas d'excuses, bien entendu, on ne s'excuse pas auprès d'un simple coursier. Le jeune Kirkby avait quitté le Ministère dans un état de rage assez indescriptible, remâchant sa rancune à l'égard de cet imbécile qui s'était permis de le traiter de "bon à rien irrécupérable"... Et finalement, la visite au cimetière lui permettait de se calmer un peu. Observant les tombes dans le crépuscule, il imaginait les funérailles d'un petit chef du Ministère, sauvagement assassiné par un coursier, et il souriait franchement lorsqu'il arriva enfin devant le caveau familial. Il cessa de sourire- ça ne se fait pas, pas devant la tombe de grand-mère- et tira sa baguette de sa poche pour faire apparaître une belle gerbe de fleurs, de la part de son grand-père. Il allait partir, mais il se ravisa et créa une autre gerbe de fleurs, de sa part à lui cette fois... Après tout, Solveig méritait bien un petit hommage... Elle avait été une épouse et une mère remarquable, en même temps qu'une sorcière au sang pur et aux pouvoirs très honorables.
James ne s'attarda pas davantage devant la tombe ; se recueillir sur un caveau ne lui ressemblait pas, et il éprouvait même une étrange fascination à l'égard de la mort. Il n'avait jamais tué lui-même, mais avait vu mourir des gens, et il avait observé leur agonie avec un intérêt presque scientifique. Lorsque le jour viendrait, il savait qu'il tuerait sans états d'âme, et même avec une certaine satisfaction...
Avant de rentrer, le jeune sorcier décida de profiter de la fraîcheur et du calme de cette soirée pour faire quelques pas. Il alluma sa baguette magique et se mit à déambuler entre les tombes, dans la nuit à présent bien noire, lisant les noms gravés sur les pierres. Certains lui étaient familiers, d'autres lui rappelaient des anecdotes contées par son grand-père...
Rien, pas même le ronron des voitures pourtant proches des Moldus, ne venait troubler le silence du cimetière, et James s'imprégnait peu à peu de ce calme. C'est pourquoi il sursauta lorsque le craquement caractéristique d'un transplanage retentit à quelques mètres de lui, amenant un visiteur qu'il devinait à peine dans l'ombre.

Le soleil rejoignait lentement les bras de Morphée en cette soirée de novembre et déjà les ombres ténébreuses de la nuit commençaient à envahir lentement les allées du vieux cimetière.
Entièrement revêtu de son éternelle bure brune sombre, le visage dissimulé sous la longue capuche du vêtement de damas, les mains jointes face à lui au sein même de leurs larges manches pendantes à la manière d'un prêcheur anglican prenant la route d'un pèlerinage en ville sainte, le rôdeur pouvait voir tout cela depuis l'intérieur même du salon qui lui avait été alloué au sein du repère Mangemort.
Et déjà, sa cible arrivait.
Le rôdeur se releva de son fauteuil de pourpre velours et se dirigea lentement vers la porte. Et tout en mouvement, il sembla subitement se dématérialiser pour réapparaître au coeur d'une épaisse fumée de souffre, face à l'homme.
James Kirkby, jeune employé du ministère connu pour avoir nombre de fois laissé s'échapper quelques cinglantes répliques lourdes en sous-entendus quant à sa considération pour le Lord. Un coursier, quelqu'un dont le métier même lui offrait d'avoir une oreille partout, de se tenir au courant de la moindre missive déléguée de part et d'autre du bâtiment gouvernemental. Un pion, certes, mais de choix. En sorte, un espion on ne peut plus légal et par là même insoupçonnable, propre à tenir au courant l'Organisation des moindres décisions prises au sein du bâtiment par les membres du ministère, du fonctionnaire le plus lambda au ministre le plus haut placé.
Depuis plusieurs jours, maintenant, le rôdeur traquait sa cible depuis le sein même de son salon, pièce qu'il ne quittait en fait qu'en de rares occasions, lorsque le Lord l'y invitait au cours de l'une ou l'autre des différentes missions qui lui étaient allouées, lorsque l'envie lui prenait de se rendre au pub le plus proche et d'y vidée le zinc jusqu'à oublier qui même il était, ou, à l'instar du cas présent, lorsqu'il lui était demander de désigner une nouvelle tête et de la recruter.
Et si le rôdeur faisait alors face à l'homme, celui-ci au contraire l'aurait trouvé dans son dos.
Et alors que le rôdeur apparaîssait, l'atmosphère du lieu elle-même en sembla affectée. L'air se fit plus lourd, plus étouffant, comme si la simple présence du nouveau venu avait été repérée par la Nature mère qui tentait désormais de prévenir la cible du danger qui le guettait.
Car si, somme toute, le rôdeur également n'était dans le fond qu'un pantin, il n 'en était pas pour autant n'importe qui. De plusieurs rangs le plus haut gradé de l'organisation Mangemort, et également sûrement en tout point le plus mystérieux des membres qu'elle pouvait compter, le rôdeur avait acquis la réputation auprès de ses paires d'en être le plus redoutable. Car si rares auraient étés ceux acceptant d'admettre même ce fait, aucun n'aurait osé sous-estimer le mercenaire, pertinemment conscients au fond d'eux-même que la différence de niveau était flagrante.
Une voix rauque, et particulièrement charismatique, somme toute parfaitement calme et d'une fréquence en décibels étrangement douce, sembla émerger de sous la longue capuche sombre, tandis que les mains de l'ombre se séparaient l'une de l'autre et que la gauche venait tendre en son poing fermé une courte fiole de verte liqueur.

- Approche, Kirkby, et avale ceci jusqu'à la dernière goutte. Alors, seulement, nous pourrons parler.

Inutile de se présenter. Inutile même d'en dire le moindre mot de plus. Si la cible n'était pas stupide, aussi grand son orgueil soit-il, elle comprendrait que mieux vaudrait pour sa survie d'obtempérer en toute sérénité.

Remis de sa surprise, James allait reprendre sa promenade, mais quelque chose dans l'aspect physique du sorcier le retint. Ce vêtement sombre, cette capuche que beaucoup auraient jugé de mauvais augure, et jusqu'à cette étrange présence qui semblait avoir refroidi l'atmosphère... Le jeune homme demeura immobile, silencieux, le regard irrésistiblement attiré vers le sorcier qui venait de transplaner. Il avait vaguement conscience de faire preuve de la plus grande impolitesse en scrutant l'homme avec tant d'insistance, mais il ne pouvait bouger.
Un instant, il lui sembla que le nouveau venu s'approchait de lui, et il pensa qu'il voulait lui parler... Mais bientôt cette idée lui sembla ridicule ; personne ne savait qu'il était là, ce qui excluait que ce rôdeur ait transplané spécialement pour le voir.
Quant à son aspect, James tenta de se convaincre qu'il ne signifiait pas ce qu'il croyait : de nombreux voyageurs portaient des vêtements sombres, et gardaient leurs capuches sur leurs yeux, et cela ne voulait rien dire... Sans doute, dans son impatience, le jeune homme se faisait-il des idées.
A regret, il fit un pas vers la gauche- et à cet instant, le sorcier lui parla, d'une voix profonde qui le stoppa net. Il venait donc le voir ; il connaissait son nom, et l'avait probablement espionné pour savoir où le trouver.
Le sorcier lui tendit une fiole de potion, et lui ordonna de la boire. Sans prendre le flacon, James leva les yeux vers l'homme, cherchant à voir son visage- en vain. Pourquoi voulait-il lui faire boire cette préparation ? N'était-il pas dangereux d'obtempérer ? le jeune coursier eut un instant envie de répliquer qu'il ne boirait pas, mais il se sentait comme poussé vers cet homme... Sa voix était douce, mais n'admettait pas de réplique ; autant obéir, si ce rôdeur voulait simplement parler...
James s'avança, et prit la fiole des mains de l'homme. Il eut encore une hésitation, puis il fit sauter le bouchon de cire et porta le flacon à sa bouche.
Une gorgée, une seule gorgée vint à bout du liquide, et le jeune Kirkby tendit la fiole vide au rôdeur. Toute prudence oubliée (après tout, la potion était bue ; si c'était du poison, le sort en était jeté), une grande curiosité s'était emparée de lui. Qui était cet homme qui le connaissait, et que lui voulait-il ? Impressionné par l'aspect et par la voix du sorcier, il n'osa pas poser de question, mais il regarda à nouveau en direction de son interlocuteur, comme pour lui demander de passer à la suite.

La cible but d'un trait la liqueur, puis tendit la fiole au rôdeur, qui ne fit pas le moindre geste. Car l'homme pouvait désormais disposer comme il le voulait de cette fiole, maintenant que le liquide était avalé, celle-ci n'était plus d'aucune utilité, et nombres d'autres de ce type se trouvaient à disposition de l'alchimiste au sein de son laboratoire.
La cible devait encore, à l'instant même, se demander de quelle nature pouvait être la mixture.

- Ce que tu viens de boire est du veritaserum. Cela nous permettra nous seulement de gagner en prudence mais également en temps. Commence par décliner ton identité.

Une fois que, sous l'effet de la potion, la cible ne pu que révéler ses réels prénoms et noms, et que le rôdeur pu ainsi s'assurer qu'il n'était pas en présence d'une autre personne, qui que ce soit, qui ait changé son apparence pour celle de la cible, dans un but obscur tel qu'une infiltration chez les Mangemorts ou quelque chose du même genre, il pu reprendre son interrogatoire ..

- Bien .. Maintenant, dis moi précisément .. ce que tu penses du Lord.

Y avait-il réellement besoin d'en dire plus ? Une phrase simple pour voir si, tel qu'il le pensait, la cible avait bel et bien des motivations certaines pour devenir une nouvelle recrue.
À vrai dire, les motivations de la cible n'importaient en rien le rôdeur, qui ne voyait en la cible qu'un moyen, un pion pour monter une fois de plus de niveau, et approcher de son but ultime. Non, le rôdeur ne voulait pas devenir le plus haut serviteur du Lord. Il voulait devenir le sorcier noir le plus puissant qu'il soit. Il savait cependant qu'il ne le serait jamais qu'après le Lord lui-même. Or, il savait également que seul le Lord pourrait l'y faire accéder, et que pour que ce dernier en vienne à agir ainsi, il faudrait au rôdeur de monter suffisamment en hiérarchie pour prouver non seulement de la confiance que le Lord pouvait lui accorder - bien qu'il sache pertinemment que le Lord ne faisait confiance à personne - mais également qu'il n'était pas qu'un simple pion, et qu'il était digne d'être enseigné. Devenir l'héritier du Lord était la solution.
Et la cible alors présente serait le pion qui lui permettrait en un certain point d'y accéder.
Désormais, seul restait à la cible de répondre. Si la réponse était bonne, alors le rôdeur lui permettrait d'accéder au repère et irait peut-être même jusqu'à lui obtenir un entretien avec le Lord.

Du Veritaserum... L'information était désormais superflue ; une sorte de vertige s'était emparé de James, qui se sentait à présent étonnament docile, disposé à révéler à cet homme ses plus intimes secrets. Le rôdeur posa immédiatement une question ; et le jeune Kirkby, d'une voix monocorde, récita son identité, donnant même ses trois prénoms tant son désir de donner satisfaction était important. Le sorcier sembla satisfait, et il enchaîna sur une autre question, nettement plus intéressante. Machinalement, James s'était mis à jouer avec la fiole vide ; mais en entendant la question, il cessa de retourner l'objet entre ses doigts, et marqua une légère pause. Le Lord... De toute évidence, cet homme ne parlait pas de Lord Kirkby- qui s'inquiétait donc de savoir ce que James Kirkby pensait de son grand-père ? Non, il voulait parler du Lord, du seul qui méritât ce titre...
Même sous Veritaserum, il n'était pas facile de répondre à cette question ; on ne parlait pas du Seigneur des Ténèbres à la légère, et James garda un instant le silence, occupé à choisir les mots qui exprimeraient le mieux son opinion. Quelques secondes, guère plus- la potion l'obligeait à répondre rapidement, et en disant la vérité... Le jeune sorcier reprit, de cette même voix monocorde :

-Le Lord... Le Seigneur des Ténèbres est le plus grand sorcier du monde, et je pense... j'espère qu'il parviendra bientôt au pouvoir... Son accession au pouvoir absolu est ce qui pourrait arriver de mieux au monde magique. J'ai le plus grand respect et la plus grande admiration pour le Seigneur des Ténèbres... et j'espère avoir un jour l'honneur de devenir l'un de ses serviteurs.

La réponse était brève, mais elle résumait bien l'opinion de James à l'égard de Lord Voldemort. Il n'allait pas se mettre à raconter que depuis l'enfance, on lui avait répété que le Seigneur des Ténèbres devait devenir le maître du monde magique, pour le plus grand bien des sorciers... Il n'allait pas dire qu'il possédait une collection de livres et de coupures de journaux concernant le redoutable mage noir, et qu'il les consultait parfois avec une sorte de frénésie... Tout cela était hors sujet... la potion conditionnait ses réponses, et elle lui dictait de ne pas s'étendre sur des détails sans importance.
Bien que ses pensées fussent troublées par le Veritaserum, une question s'insinuait dans l'esprit de James : qui était cet homme ? Qu'allait-il faire de ces déclarations d'allégeance au Seigneur des Ténèbres ? Si ce rôdeur était un agent du Ministère, James s'exposait à de graves ennuis. Mais le Ministère prenait-il la peine d'enquêter ainsi sur ses employés ?... Le jeune Kirkby posa à nouveau son regard bleu sur l'inconnu, cherchant à deviner qui il était- et attendant la question suivante.