William bâilla largement, sans prendre la peine de mettre sa main devant sa bouche- à quoi bon, puisqu'il était tout seul? Il frissonna, et en pensant à son lit qui l'attendait, pressa le pas. Le jeune homme venait de faire une vérification dans le parc, dans le cadre de ses devoirs de préfet... Ce qui expliquait sa présence dehors à pareille heure. Le Gryffondor se hâtait en direction du château, pressé de se mettre au chaud et de faire quelque chose d'un peu plus constructif que de traîner dans le parc à la recherche d'un éventuel contrevenant au règlement... Son dernier devoir d'arithmancie, par exemple, qui semblait effroyablement compliqué et qui l'attendait sagement, depuis la veille, dans son sac.
Le dos courbé pour résister au vent glacé qui s'était mis à souffler, William arriva à proximité du lac, et le vent fraîchit encore en passant sur l'eau. Le rouquin pesta à haute voix contre le temps épouvantable de l'Ecosse, et releva le col de sa cape en dépassant un saule pleureur.
Machinalement, il jeta un coup d'oeil vers la masse sombre d el'arbre, et une petite silhouette apparut alors à sa vue. Un élève, de très petite taille- un première année? Que faisait-il là?... William s'arrêta, et d'une voix qu'il tâcha de rendre autoritaire (même s'il avait du mal avec l'autorité), il appela:

-Qu'est-ce que tu fiches là? Tu as vu l'heure? Sors de là et viens avec moi...

Il se demanda à quelle maison appartenait l'élève en question, et espéra que ce n'était pas un Gryffondor. En attendant une réponse, le préfet vérifia l'heure- le couvre-feu était bel et bien passé, il devrait, normalement, retirer des points pour cette escapade nocturne... Mais William n'avait jamais retiré de points, et Dolorès Ombrage en enlevait assez pour qu'il n'ait pas envie de la seconder.

La menace, ce n'était pas ce que William préférait, mais il y avait des fois où il était obligé d'y recourir... Par exemple, quand un élève sur un arbre perché ne faisait pas mine de descendre. Et ô miracle... la menace proférée par le préfet sembla faire l'effet escompté. Un léger bruit dans les branchages lui indiqua que l'élève bougeait- et un instant après, William se retrouvait nez à nez avec le visage courroucé d'Ambre Nocis. Sous le coup de la surprise, le rouquin recula d'un pas- il y avait si longtemps qu'il n'avait pas vu la Serdaigle... Depuis l'année précédente, maintenant qu'il y pensait. Ils s'étaient aperçus en cours, mais ne s'étaient pas rencontrés et n'avaient pas eu de vraie conversation depuis plusieurs mois.
Jamais William ne se serait attendu à trouver Ambre en pleine nuit, dans un arbre. Il s'en voulut un peu d'avoir été menaçant- il ne s'était pas montré sous son meilleur jour- et tâcha, d'une voix précipitée, d'expliquer sa conduite :

-Ambre... si je m'attendais... mais qu'est-ce que tu fiches là? Tu sais que ce n'est pas très recommandé de traîner dehors après l'heure... si Rusard te trouve...

Se faire prendre par Rusard en train de braver le règlement, il ne le souhaitait à personne, mais surtout pas à Ambre... La petite Indienne était si douce, si pacifique... si démunie aussi avec son carnet pour seul moyen d'expression... Le concierge se ferait sans doute une joie de la tourmenter encore plus que les autres élèves. D'une voix beaucoup plus douce, Will reprit :

-Tu devrais rentrer au château, Ambre... Tu veux que je t'accompagne ?

Le regard sombre de la demoiselle n'était guère engageant, mais William espérait que cette colère n'était dûe qu'au fait qu'elle avait été dérangée... Elle ne pouvait pas lui en vouloir pour ses paroles menaçantes... puisqu'il ne savait pas à qui il les adressait.

Imperceptiblement, l'ambiance s'était tendue entre les deux adolescents, même si Ambre avait cessé les chatouilles. William s'en voulait un peu ; elle n'avait pas eu l'intention de lui faire de la peine, il en était certain, et il ne voulait pas qu'elle se vexe devant sa réaction. Sachant à quel point elle percevait les sentiments, il n'y avait aucun doute ; elle avait forcément eu conscience du changement qui s'était opéré en lui, même s'il s'était efforcé de ne pas le laisser paraître.
Le jeune Gryffondor reprit son souffle, risquant un regard en direction d'Ambre qui s'était assise dans l'herbe. Elle ne devait pas savoir quoi faire pour se faire pardonner... comme si elle avait quelque chose à se faire pardonner. Rien de tout cela n'était de sa faute, et il fallait que William le lui explique... Il détourna la tête et, toujours allongé, se mit à regarder le ciel. Dans l'obscurité, il serait plus facile de parler. Et il se mit alors à s'expliquer :

-Je dois te dire quelque chose... je n'en ai parlé à personne. Je suis sorti avec Lynn, et nous nous sommes disputés. Maintenant, on ne se parle presque plus. Ne le répète pas, mais ça me rend vraiment triste. J'ai passé de si bons moments avec elle que je n'imaginais pas que ça pourrait s'arrêter un jour. C'est idiot, mais quand je pense à elle, j'ai envie de pleurer.

D'ailleurs, une larme venait de couler le long de sa joue, malgré ses efforts pour ne pas pleurer. Il ne s'en soucia pas, ne l'essuya même pas. Il évitait toujours le regard d'Ambre, même s'il se rendait compte que lui parler lui avait fait du bien... Il n'avait confié à personne ce qu'il éprouvait, et à cet instant, il était partagé entre la honte, le soulagement et le remords d'infliger ça à Ambre. Poussé par un restant d'orgueil masculin, il essaya tout de même d'adopter un ton dégagé pour dire :

-Tu ne diras rien à personne, hein ?

Pourquoi demander ? Bien sûr qu'elle ne dirait rien. Il s'en voulut d'avoir dit cela, à peine les mots prononcés. Il avait l'air de douter de la loyauté d'une amie- et aux yeux du rouquin, rien n'était pire que de douter d'un ami. En se mordant les lèvres, il songea que ce n'était vraiment pas son jour...