Le lendemain du bal, William se leva avec quelques difficultés ; il faut dire que lorsqu'il s'était couché, le sol de son dortoir tournait sur lui-même, et que toute la pièce se brouillait dans un tourbillon écarlate. Ce matin, le sol était redevenu aussi sage que d'habitude, mais c'était l'estomac du Gryffondor qui avait pris le relais et qui lui donnait l'impression d'avoir un tambour de machine à laver en mode "essorage" dans le ventre.
Il n'était que huit heures lorsque le préfet se réveilla, principalement à cause d'une soif épouvantable ; après avoir longuement bu, il essaya de se recoucher, mais sans parvenir à se rendormir. Un quart d'heure après, il se décida enfin à se lever, en maugréant, et s'habilla distraitement. Il enfila un jean avec sa chemise, son pull et sa cravate d'uniforme, formant un étrange mélange de vêtements scolaires et d'affaires personnelles. Son insigne de préfet était épinglé sur sa cravate- une idée bizarre qu'il avait eue le vendredi, dans l'ennui du cours d'histoire de la magie.
Il prit son sac, traversa la salle commune déserte et descendit prendre son petit déjeuner. A la table des Gryffondor, il se retrouva presque seul ; la majorité de ses camarades dormaient encore. L'odeur des oeufs au bacon et des harengs faillit le faire vomir, et il ne put avaler qu'une tasse de café et une pincée de corn flakes, après lesquelles il eut l'impression que son estomac allait exploser.
La Grande Salle, bien qu'elle fût aux trois quarts vide, lui semblait terriblement bruyante, et le moindre petit son résonnait dans son crâne douloureux. C'est donc avec soulagement qu'il quitta l'immense pièce, avec la vague idée de monter à la volière pour écrire à ses parents. Machinalement, il jeta un regard à la table des Serdaigle pour voir si Mathias s'y trouvait, mais il se rappela alors l'attitude du Serdaigle la veille, et détourna la tête. Une intense déception s'empara de lui à ce souvenir, comme si le Français s'était rendu coupable de la plus inqualifiable des félonies. Un peu excessif, le William, les lendemains de fête... Son mal de tête ne l'aidait pas à avoir un jugement serein des choses, et il avait tout simplement l'impression que la terre entière était contre lui. En montant les étages, il lançait des regards noirs à tous ceux qu'il croisait, comme s'ils étaient responsables de sa situation...
L'odeur âcre de la volière le submergea, et une fois de plus, il eut envie de vomir. En vitesse, il sortit un vieux style Bic et une feuille de papier de son sac (il gardait toujours ses fournitures moldues, beaucoup plus pratiques) et se mit à griffonner un mot à ses parents. Il expliqua que le bal avait été magnifique, qu'il s'était beaucoup amusé, qu'il s'y était rendu avec une splendide cavalière- un tissu de mensonges. Il ne pouvait pas dire qu'il avait passé la soirée à boire avec un type aussi déprimé que lui, et qu'il s'était fâché avec son meilleur ami...
Il termina la lettre par l'habituelle demande de nouvelles de sa mère, et les conseils affectueux qu'il formulait désormais dans chaque missive ; prends bien soin de toi, maman, soigne-toi bien... et la supplique qu'il n'osait pas écrire : reste vivante, je veux te revoir. Dans son état, il n'en fallait pas davantage pour l'attrister, et une larme perla à ses yeux. Etonnant comme l'alcool rendait sensible...

Plongé dans ses pensées et dans sa migraine, William n'avait pas remarqué que quelqu'un se trouvait déjà dans la volière. S'il avait vu que Mathias s'était installé dans la pièce, il aurait peut-être fait demi-tour... Le souvenir de la veille était encore trop cuisant. Mathias lui lançant un regard flamboyant de colère, et lui répliquant sèchement... alors que c'était Aïlin qui avait été désagréable avec lui... Le Gryffondor avait essayé d'être aimable, de rattraper la situation, et voilà le résultat ; il se faisait rabrouer comme un malpropre. Ce n'était pas la première fois que Mathias lui semblait excessif, et même injuste avec lui ; mais c'était la fois de trop. La mauvaise humeur désormais chronique du rouquin avait parlé ; il n'était pas question, cette fois, de trouver une excuse au Serdaigle et de faire comme si de rien n'était.
Secoué par la pensée de sa mère morte, William s'était levé vivement, en reniflant, et s'était mis à fouiller ses poches pour y trouver un mouchoir. Ce geste permit à Mathias de se rendre compte de sa présence, et le Gryffondor sursauta en s'entendant appeler :

-William ? C'est toi ?

En d'autres temps, le rouquin se serait déplacé pour voir son ami, et il aurait répondu cordialement. Là, Mathias dut se contenter d'une sorte de grognement, un “Mmmmhh”... qui devait certainement signifier “oui”. Pourquoi faire un effort ? Entendre la voix du Français avait encore accru le ressentiment de William à son égard.
Sa feuille sur les genoux, Will signa sa lettre, et l'enferma dans une enveloppe moldue. Il fit quelques pas en direction des perchoirs, à la recherche d'une des chouettes de l'école qu'il aimait bien.

-Gertrude, viens...

Il l'avait baptisée Gertrude, sans trop savoir si elle avait un autre nom, et la bête, obligeante, répondait à ce prénom. Elle s'envola de son perchoir et se posa sur l'avant-bras du préfet, la patte tendue. William attacha sa lettre à la patte de l'oiseau en songeant qu'il n'avait jamais remarqué à quel point ces bestioles puaient. Son estomac se remit à vaciller dangereusement lorsque la chouette déploya ses ailes, répandant cette odeur dégoûtante d'oiseau sale.
Le Gryffondor porta sa messagère jusqu'à la fenêtre, et la regarda s'envoler en direction de Brighton. L'air frais lui fouettait agréablement le visage et rendait ses pensées un peu plus claires, mais il se sentait tout de même un peu bizarre en regardant Gertrude s'éloigner. Elle allait voir sa mère... lui devait attendre encore plusieurs semaines jusqu'aux prochaines vacances, et qui sait ce qui pouvait arriver jusque-là ? Avec un frisson, William imagina que Gertrude reviendrait peut-être avec de mauvaises nouvelles... Il eut un nouveau haut-le-coeur en s'imaginant, dépliant la lettre dans laquelle son père lui annoncerait le pire...
Le préfet seoua la tête, et recula dans l'intention de quitter la volière. Il fallait absolument qu'il se trouve quelque chose à faire, quelque chose qui lui changerait les idées, qui l'empêcherait de ruminer sans cesse les mêmes pensées. Il avait déjà presque oublié la présence de Mathias, signe qu'il était vraiment très mal disposé à son égard. D'ailleurs, il était mal disposé à l'égard d'à peu près tout le monde- mais il est vrai que Mathias occupait une place particulière dans sa mauvaise humeur, à la mesure de celle qu'il avait occupée dans son coeur.

HJ: J'ai craqué

Curieusement, en son for intérieur, Mathias s'attendait à une réaction comme le grognement que William venait de lui adresser. Il est vrai que le jeune Français avait une nouvelle fois été maladroit envers le rouquin, lors du bal de printemps qui avait eu lieu la veille. Mais Aïlin avait eu à son égard un comportement si détestable, et ce gratuitement, qu'il s'était senti obligé de faire sortir sa colère d'une manière ou d'une autre. Et puisque William était avec le Serdaigle... C'était "naturellement" sur lui que c'était retombé. Enfin tout de même, il ne s'attendait pas à ce qu'il lui en veuille encore à ce point... L'air légèrement dépité, le Préfet descendit lestement de son perchoir pour se retrouver au sol, au même niveau que le Gryffondor. Celui-ci l'ignorait totalement, préférant s'intéresser à son hibou qui partait au loin. Un peu perdu, Mathias ne sut pas trop comment aborder ses excuses. Dire immédiatement "écoute, je suis désolé" ne marcherait pas, il avait appris. C'était sur un ton plus mûr que Mathias devait montrer qu'il regrettait, encore une fois. Ou plutôt, il devait montrer à William qu'il n'était pas du tout obligé de lui pardonner... Bon, pour commencer:

Hum... Ma mère va mieux, tu sais?

Bien entendu, Mathias ne savait pas du tout que cette remarque risquait de plus blesser son ami qu'autre chose. Tout comme ce que Lynn lui cachait au sujet de sa famille, le jeune Français avait été laissé à l'écart du secret de la maladie de la mère de William. Il était vrai qu'aujourd'hui, Mathias n'était pas vraiment considéré comme digne de confiance, pour une raison qui lui échappait, et qu'il préférait ignorer. Pour l'heure, rester naturel, paisible, était la meilleure chose à faire. Mais l'âme sensible du Serdaigle résisterait-elle à un nouvel assaut de la part de son ami?

La chouette avait maintenant disparu à l'horizon, chargée des pieux mensonges de William, et le rouquin ne pouvait plus prétendre s'intéresser davantage à sa trajectoire. Il se retourna donc et, adossé à l'appui de la fenêtre, lança un regard glacial à Mathias qui s'approchait. Il aurait préféré qu'il n'insiste pas, qu'il s'éloigne, mais le Serdaigle en avait décidé autrement ; il s'avança jusqu'à se trouver juste à côté de William, et, d'une voix un peu timide, annonça au Gryffondor que sa mère allait mieux. Il n'aurait pas été plus mal reçu s'il lui avait donné une gifle... Car ces quelques mots venaient raviver toutes les inquiétudes de William au sujet de sa propre mère. Qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire, à lui, que la mère de Mathias aille mieux ? Toutes les mères de tous les élèves de Poudlard pouvaient bien mourir, si ça devait sauver la sienne... D'un ton tranchant, passablement agressif, le rouquin répliqua :

-Tant mieux pour elle.

Il aurait voulu en rester là, ne rien dire de plus, mais le sang battait à ses tempes. Il était si inquiet... comment allait-elle en ce moment ? Pourrait-il, lui aussi, dire un jour "ma mère va mieux" ?... Non. D'après ce qu'avait dit son père, il fallait se préparer au pire.
C'est pourquoi le préfet fut incapable de se contenir et, toujours de cette voix assourdie par l'agressivité, annonça :

-La mienne est en train de mourir, mais je suppose que ça ne t'intéresse pas...

Aucune raison, en effet, pour que cela retienne l'attention de Mathias. Il ne s'était pas demandé ce qui arrivait à son ami, ne s'était pas inquiété de ses disparitions de plus en plus fréquentes- tout ce qui l'intéressait, c'était d'avoir quelqu'un à qui confier ses problèmes. Que William ait ses propres problèmes n'avait jamais semblé l'effleurer...
Peu à peu, dans l'esprit du rouquin, l'image de Mathias noircissait. La veille, il avait commis la maladresse de trop ; et si William n'y avait pas répondu sur le moment, il avait eu toute la nuit pour ressasser sa rancoeur, si bien qu'à cet instant, son amertume était à son comble.
La respiration du Gryffondor s'était faite tremblante, sous l'effort qu'il devait faire pour ne pas laisser éclater sa colère.