C’était une soirée grise d’hiver. Un soir gris plutôt, vu l’heure tardive. Dans ce bar lugubre, la lumière glauque de l’établissement éclairé douloureusement les silhouettes qui buvaient, s’entretenaient de leurs trafics, riaient de leurs blagues vaseuses, se soulaient. En cette heure avancée de la nuit, les seuls clients restants étaient soit des gens louches, soit des soulards qui cuvaient ou entretenaient leur cuite. Deux hommes, appuyés au comptoir, chantaient des chansons paillardes à pleines voix, et trois autres discutaient à voix basse, au fond de l’établissement dans un des nombreux recoins sombres.

Il n’y avait qu’une fine silhouette qui était seule, enveloppée dans une large cape sombre, buvant doucement un verre de whisky Pur Feu. Celle-ci ne semblait ni voir les messes basses des ombres menaçantes du fond du pub, ni entendre les chants beuglards des buveurs d’alcool. Ses traits étaient cachés par une large capuche qui lui faisait suffisamment d’ombre pour qu’on ne puisse rien voir d’elle. La jeune personne leva son verre, portant un toast à une personne invisible, inconnue, et le finit cul-sec avant d’en commander un autre.

Ce n’était que le deuxième qu’elle prenait, et, pour l’instant, ne ressentait pas l’effet si enivrant et dangereux de l’alcool. Et comme elle ne comptait pas finir au comptoir pour chanter avec les deux hommes soûls, elle se réprimanda muettement.

** Fais attention, ne bois pas trop ! Tu te connais, tu connais tes limites… **

Vous savez, cette petite voix muette qui vous dit toujours « attention, danger ». Erylis la chassa d’un geste de la tête, et haussa les épaules. Ce soir, elle n’avait pas envie de l’écouter, et n’avait pas grand-chose d’autre à faire. Pourtant, la petite voix sage revenait sans cesse.

** Une épave. On dirait une épave là. Bouges toi, nom de Merlin ! **

Oui, bouger. Peut-être après. Elle verrait. Par pur esprit de contradiction, de toute façon, elle n’avait pas envie d’écouter la partie de sa conscience qui gardait à peu près les pieds sur terre. Elle leva son verre vers le barman.

« A boire ! »

L’homme se contenta d’hausser les épaules comme si il en avait vu d’autres, et la servit sans mots dire. Erylis posa alors sagement son verre rempli à ras bord sur la table, et plongea ses prunelles noires dans le liquide un peu ambré, le contemplant d’un air absent. Elle pensa à son frère, disparut et mangemort. Ou plutôt, disparut parce qu'il était mangemort. Sans laisser de traces, rien. Et elle qui le cherchait toujours..

Un sourire ironique étira ses lèvres, se moquant cruellement d'elle-même.

** Mais quelle idiote...** .

Ses sombres pensées étaient tellement envahissantes qu’elle ne vit pas venir la jeune femme, ni ne sentit sa présence lorsqu’elle s’approcha d’elle pour lui murmurer quelque chose. La jeune fille s’appliqua à ce qu’aucun de ses mouvements ne traduisent la surprise et l’étonnement, chose qu’elle faisait maintenant très bien grâce à l’habitude, et presque instinctivement. La voix moqueuse de cette femme la tira rapidement de ses pensées, et Erylis releva la tête pour voir à qui elle avait à faire. Plus vieille qu’elle, c’était sur, et sans doute plus forte, la jeune fille évaluait déjà son niveau, et ses chances de s’en sortit fac à un tel adversaire. Celles-ci frôlaient le pur zéro et l’élève de Serpentard s’en rendit rapidement compte.

Erylis se retourna pour faire face à la jeune femme, et plongea son regard sombre dans celui de son interlocutrice. Elle imaginait bien que si elle lui parlait, ce n’était ni par acquis de conscience, ni par pur gentillesse. L’aura qui s’échappait de ses paroles et de son maintient lui rappelait quelque chose qu’elle connaissait sans pouvoir pour autant y mettre un nom. Mais elle comprit presque instantanément que cela ne servirait à rien de mentir sur son âge, et donc sur son niveau.

« Vous imaginez bien, et je suis tout à fait consciente des risques que je prends en venant ici pour boire. Mais c’est aimable de s’inquiéter. » Ne put-elle s’empêcher de rajouter avec ironie.

Elle hésita tout de même à lui dire la vérité sur l’endroit d’où elle venait, puis haussa les épaules.

« Je suis de Poudlard, bien sur. »

Elle détailla alors avec plus d’attention cette jeune femme. Et elle, qui était-elle ? Car pour une jeune femme, pas tellement plus âgée qu’elle-même, ça n’était pas non plus un endroit convenable et sur. Fallait-il qu’elle soit si sure de ses capacités pour venir trainer ici le soir ? Car Erylis doutait qu’elle soit venue, comme elle, dans le simple but d’affronter sa conscience et ses souvenirs. Et d’éviter ainsi ses professeurs si jamais il leur venait l’idée d’aller boire un coup puisqu’à coup sur, ils choisiraient Les Trois Balais.
Le mystère qui émanait de cette femme l’intriguait décidément beaucoup, et bien qu’elle soit tout à fait consciente qu’elle pourrait très bien être plus en danger en compagnie de cette personne que lorsqu’elle était seule avec son verre, elle ne put s’empêcher de lui poser des questions.

"Et vous, qui êtes vous ? Et que faites-vous ici, à me parler ? Etrangement, je doute que vous soyez du genre à vouloir me conseiller ou à vouloir m’aider…. »

Dans sa voix, il y avait une pointe de moquerie amusée, dénuée de méchanceté. C’était sa façon à elle de se rassurer et d’oublier cette petite voix intérieure qui disait clairement :

** Danger ! Danger ! Danger… **

Erylis esquissa un fin sourire ironique qui n’avait absolument rien de joyeux. Il était très clair qu’elle ne s’inquiétait absolument pas pour elle, et la jeune fille préférait cela car elle n’aimait pas franchement qu’on la conseille et qu’on s’occupe d’elle. Elle tenait à son indépendance comme à la prunelle de ses yeux, et il lui arrivait de se mettre consciemment dans des situations potentiellement dangereuses, comme ce soir là, juste pour se prouver qu’elle était vivante, qu’elle décidait d’elle-même. Même si cela pouvait paraitre stupide. Même si ça l’était, en fait.

« Qui sait … »murmura-t-elle, rentrant dans le jeu de la mangemort.

Oui, qui sait ? Car Ery’ se souvenait bien maintenant d’où venait cette impression de déjà vu quant à son aura à la fois fascinante et repoussante. Une aura de mort, de meurtrière. Une aura de mangemort. Comme l’avaient été ses parents. Comme l’était son frère. La jeune femme lui refusa alors le droit de connaitre son nom, ou même son prénom, et Erylis hésita à faire de même. Juste par esprit de contradiction, juste parce que son caractère le lui dictait, elle aurait voulut lui répondre de même. Mais quelque chose de plus fort, quelque chose qu’elle cachait profondément la poussait à se présenter, à donner au moins son nom.

« Mon est Sayan. Quant à mon prénom, je ne vois pas ce qu’il vous apportera de plus… Je ne pense pas que nous deviendrons suffisamment intimes pour qu’il soit essentiel que vous le connaissiez. »

L’ironie était plus marquée encore dans la voix habituellement douce de la jeune fille. Erylis observa la réaction de la femme lorsqu’elle apprit son nom. Elle cherchait sur le visage de la mangemort un signe qui lui montrerait qu’elle connaissait ce nom. Que ce soit du mépris ou de l’étonnement, peu importe. De ses larges prunelles noires, la fille des serpents défiait cette mangemort qui, elle en était bien consciente, mais ne pouvait rien y faire, jouait avec elle. Elle aurait pu fuir, peut-être. Mais c’était cet espoir qui la gardait ici, et puis cette similitude dans l’aura qui lui rappelait celle d’un être cher et disparut. Mais tout cela, elle le cachait derrière cet air d’ironie mêlée de défi, son seul et unique moyen de protection.

La jeune fille but une gorgée de sa boisson, et désigna la chaise qui lui faisait face, à sa table. Puisque cette femme semblait avoir envie de parler avec elle, autant que leur discussion se passe dans les meilleures conditions possibles.

** Dans le domaine du possible … ** songea-t-elle.

« Si vous voulez vous assoir… »

Une pointe d’inquiétude lui picotait le ventre et Erylis espéra brièvement qu’elle refuse. Elle n’était pas inconsciente, du moins pas tout à fait, et se rendait bien compte de la situation. Une mangemort à sa table, qui venait discuter avec elle... Aimablement, certes, pour l’instant. Un bref moment, l’espoir fou qu’elle fut envoyée par son frère lui traversa l’esprit, mais elle chassa cette idée avant même qu’elle ne germe complètement dans son esprit.

Cette Erylis avait du cran, il fallait l'avouer, pour oser lui sourire de la sorte. Elle était à la fois courageuse et imprudente. Très imprudente. Mais Iseut se souvint qu'à ses âges de gamine, son comportement se traduisait de la même manière, voire pire. Bien pire. Seulement, elle, avait déjà eu tout son destin tracé devant elle. Erylis, quant à elle, ne semblait pas sûre du bon chemin à prendre. Et l'insolence était un test, elle devait pousser la Mangemort à ses limites, seulement, Iseut n'avait pas de limites. Elle agissait, ou n'agissait pas, de manière imprévisible. Ce soir là, ou plutôt cette nuit là, le vent soufflait en la faveur d'Erylis. Rien à craindre quant à sa vie sauve... Mais il ne fallait pas en rester là...

...Ainsi donc, son nom était Sayan... C'était peu commun, et elle avait entendu parler par le biais de sa mère, de Mangemorts du nom de Sayan. Aussi, ce jeune Mangemort qu'elle avait du croiser au repère... Oui, Erylis devait avoir un frère. Alors elle était de sang pur, née de Mangemorts, et soeur de Mangemort.
Pourtant elle semblait la craindre. C'était bien sûr le but d'Iseut mais quelque chose lui disait que tout avait à voir avec cette nuit au bar, ce Whisky, ce regard vitreux du départ...

" En effet, ton prénom ne m'intéresse pas vraiment. En revanche ton nom peut m'être très utile. Je sais à présent qui tu es, et de quelle famille tu viens. "

Ces paroles devaient confirmer à Erylis l'hypothèse prétendant qu'Iseut était Mangemort. La jeune femme marquée du signe ténébreux du Lord soutint facilement le regard d'Erylis, notant qu'elle scrutait ses yeux avec curiosité. Mais Iseut ne montra aucune expression.

" Qui te dit que nous aurions pu devenir, comme tu dis, intimes ? Tout dépend de ce que tu penses de ton avenir, Miss Sayan... "

Elle s'assit face à l'élève, comme celle-ci le lui demandait.
L'idée qui avait germé dans sa tête pouvait finalement ne pas s'avérer vaine. Elle pourrait... oui, elle pourrait. Mais elle attendait de voir.
A présent, cette envie de s'amuser ne cessait de s'accroître...

" Pour le moment tu n'es qu'une élève, mais viendra un jour où tu devras choisir. J'imagine que tu connais déjà tes desseins ?... " fit-elle d'un ton légèrement amusé.
Elle sentait qu'Erylis était confuse quand à son destin.
Iseut pouvait éclaicir sa lanterne... Elle n'était pas venue pour ça, non. Mais le destin avait mis sur son chemin un être indécis. Elle aurait certainement des capacités, de grandes, et un honneur. Il lui fallait encore un choix, et les Ténèbres avaient du recrutement dans la poche.

Oh bien sûr qu'elle allait s'amuser. Peut être un peu avec ses sentiments, ça mettait des épices dans le plat.

" Whisky Pur Feu. " fit-elle à l'attention du bar-man, qui lui apporta sa boisson.
Elle ne comptait pas engourdir son cerveau, ni manipuler quoi que ce soit...

Mais contre toute attente, dans un geste lent et précis, elle poussa son verre de Whisky vers Erylis, la fixant d'un regard perçant, mais pas méchant pour autant. Elle avait, comme à son habitude, un léger sourire.

" Je ne suis pas là pour faire la connaissance d'enfants, ni pour les enrôler. Mais ton nom m'incite à te dire... Sais-tu exactement ce qu'est le Mal, Miss Sayan ? "