La plume courait sur le parchemin, rédigeant en hâte une réponse à un rapport que Mark avait passé l'après-midi à éplucher. Son rythme de travail n'avait pas changé depuis quelques mois, il était plutôt soutenu, et l'absence d'Ophelia à la tête du Bureau des Aurors avait mis du temps à ne plus se faire ressentir. Et par moments, pourtant, elle ressurgissait comme une évidence. Les Aurors mettaient du cœur à l'ouvrage, sans aucun doute, mais quelques-uns avaient été découragés par l'article anonyme de la Gazette du Sorcier. Le Directeur, qui ne s'était pas le moins du monde senti concerné par les attaques à l'encontre des "illustres membres rescapés de l’ordre du phénix", pour la simple et bonne raison qu'il avait toujours travaillé au Ministère avant de rejoindre l'Ordre, s'était empressé de dédramatiser la situation, indiquant que ce genre d'offensive médiatique menée par des individus qui n'avaient même pas le courage de se découvrir étaient sans intérêt.

Le discours avait été plutôt bien accueilli, mais Mark comprenait les réfractaires. Son regard s'arrêta sur la pendule, il était presque dix-huit heures, et sa concentration n'avait cessé de diminuer à mesure que le temps était passé. Ses yeux glissèrent sur le cadre posé sur son bureau. Le cliché parfait. Mais avoir une photographie de son épouse, portant dans chaque bras leurs deux bébés, c'était un excellent remède contre les baisses de régime ou de moral. Tout s'était enchainé si vite. La rencontre, le mariage, les naissances. Il y a encore peu, jamais Mark n'aurait pensé sortir si vite du célibat. Mais il lui avait simplement fallu rencontrer la bonne personne. S'étirant, il saisit la plume rester en suspens pour apposer ses initiales au bas du parchemin. Puis, d'un coup de baguette, il roula le document et l'envoya à travers le service, jusqu'au bureau du destinataire. Devant sa porte ouverte, Timothy manqua de ce branche objet volant dans l’œil.

"Wow ! Fais gaffe, il y a des gens qui passent, ici !"

Devant l'absence de réponse de son frère, Tim entra et ferma derrière lui. Depuis que Mark avait pris la direction du Département de la Justice Magique, Timothy avait été son meilleur soutien, une sorte de rayon de soleil dans la grisaille et la lourdeur du quotidien. Se glissant derrière le fauteuil, il plaqua ses mains sur les épaules de son aîné.

"Il est grand temps pour toi de rentrer te reposer, mon petit Marcus ! Tu bosses trop !"

"Il faut bien que l'un de nous s'y colle." rétorqua Mark, avec un petit sourire.

Ce qui fit éclater Timothy de rire. C'était quelque chose d'agréable chez lui, il pratiquait l'humour sous toutes ses formes et ne se vexait jamais. Il était le roi de la répartie et de l'auto-dérision.

"Touché ! Allez, file, va te détendre entre les doigts de fée d'Ophé. Elle y mettra certainement un peu plus de douceur que moi !"

Et sur ces mots, l'Auror se mit à malaxer les épaules de Mark, qui se leva brusquement. Et ils partirent tous les deux à rire. Au moins, cette courte visite avait entamé la phase de décompression.

"Tu as raison. J'y vais." dit Mark, en rassemblant ses affaires et en attirant sa cape à lui. "N'en profite pas pour faire des conneries."

"Ah, on voit que tu ne me connais pas !" répliqua Tim, en lui donnant une accolade fraternelle.

Et Mark quitta les lieux, se dirigeant vers les ascenseurs, pour passer par l'Atrium. On le salua au passage, lui souhaitant une bonne soirée, il répondit, la routine habituelle, et il atteignit un des cheminées qui menaient à la surface. Après être sorti des toilettes, il rejoignit le point de départ des transplanages. En un clin d’œil, il était devant la porte de chez lui. Un regard alentour lui permit de constater qu'il n'y avait personne. L'avantage du quartier, c'est qu'il était tout à fait tranquille. Après s'être assuré qu'il était bien dix-huit heures, il entra, et ferma derrière lui, pour réactiver les protections sur la maison. Ôtant sa cape et laissant là sa pochette, il apprécia à sa juste valeur le moment d'enlever ses chaussures. Puis il passa au salon où Ophelia était occupée à lire, gardant à proximité le siège double dans lequel étaient installés leurs enfants. Comme d'habitude, Sophia somnolait tandis qu'Aaron était parfaitement éveillé. Il suivit d'ailleurs son père des yeux lorsque ce dernier se pencha sur son épouse pour l'embrasser :

"Bonsoir, ô femme de ma vie."

Puis il déposa un baiser sur le front de sa fille avant de prendre son fils dans ses bras. Mark avait quelque peu appréhendé la paternité. Mais lorsqu'il avait découvert ses jumeaux, tous les doutes avaient été balayés. Il était tout simplement fou d'eux ! Sa propre mère, Natalie, avait d'ailleurs, avant même leur naissance, été d'un immense secours. Trois fois mère et une fois grand-mère, elle avait l'habitude mais avait surtout longtemps (quinze ans !) attendu avant de pouvoir pouponner de nouveau. Avec Aaron contre lui, Mark rejoignit la cuisine, pour se servir un verre de ce même vin qu'il avait vu devant Ophelia, et il revint, non sans avoir remis au passage le bébé dans le siège.

"Ah... Ces journées me paraissent interminables." dit-il en prenant place aux côtés de son épouse.

Il but une gorgée de vin et posa le verre sur la table, avant de faire signe à Ophelia de venir contre lui. Après leurs harassants quotidiens, il était tellement agréable de se retrouver le soir ! Avec un soupir de satisfation, Mark reprit :

"Journée classique ? Pas de difficulté majeure ou d'événement sortant de l'ordinaire ?"

Si difficulté il y avait, cela venait rarement des bébés, qui étaient des modèles d'enfants sages. Mais entre le supermarché et la maison, il pouvait survenir n'importe quel problème. Et niveau événement, ça pouvait être une rencontre. Quelques familles de sorciers habitaient dans le coin, et il était toujours agréable de pouvoir s'arrêter un peu pour discuter.

Profitant enfin, après sa journée, du confort du canapé, Mark attira son épouse contre lui, et elle en profita pour entremêler ses jambes aux siennes, tout en défaisant deux boutons à la chemise. Et c'est en le regardant droit dans les yeux qu'elle répondit à la question. Il rit avec elle lorsqu'elle parla de trois incendies. Même s'il se doutait que c'était une blague, ça aurait bien pu être vrai que rien n'y paraissait ! Il jetterait quand même un œil au dressing, juste comme ça. Elle démentit bien sûr dans la foulée. Donc, elle avait été faire des courses... Ce quotidien devait la peser, surtout que travailler de nouveau lui manquait. Elle avait aussi croisé une voisine, et voilà que l'idée d'un dîner était mis sur la table... Oh. Pourquoi pas. Les mondanités, parfois, c'était trop, et d'une manière générale, Mark préférait ne pas s'y plier à moins d'y être réellement forcé. Mais avant même qu'elle n'ait terminé, elle fut interrompue par une plainte enfantine.

Avant de se lever pour aller répondre à l'appel d'Aaron, Ophelia lui glissa quelques mots en Grec. Bien que cette langue soit peu répandue, il était tout de même stratégique d'apprendre dès le plus jeune âge les langues maternelles des parents aux enfants. Et puis, depuis quelques mois, Mark, sans le parler, arrivait à saisir le sens de quelques phrases. Heureusement qu'il parlait Anglais, il avait ainsi pu s'en sortir plutôt bien lorsqu'il avait été en Grèce et s'était retrouvé seul. Aaron, cependant, ne sembla pas goûter les paroles de sa mère. La faim, ça se satisfaisait tout de suite. Ou les joies de ne rien faire soi-même, d'avoir quelqu'un pour s'occuper de soi à longueur de journée. Et de nuit. Aussi, Mark répondit au baiser de sa femme avant qu'elle se lève, tout en lui suggérant de penser à ce qu'il voudrait au dîner. Ce qu'il voulait ? Il acquiesça avant de la regarder rejoindre la cuisine.

Attrapant son verre, il en but une longue gorgée avant de soupirer et de s'étirer. Basculant la tête en arrière, il ferma un instant les yeux, jusqu'à ce qu'il sente le retour à ses côtés de la femme de sa vie. Dans ses bras, leur fils n'attendait qu'une chose, qu'elle soit bien assise et lui présente sa ration du soir. Mark rouvrit les yeux et sourit à la vue du tableau. Et durant sa micro-récupération, il n'avait même pensé au dîner... Tant pis. De toute manière, comme souvent, ils seraient tous deux en cuisine. Pourquoi ne pas laisser aller un peu la créativité ? Ils verraient bien. Le calme revenu, Aaron tétant goulument, Ophelia en profita pour retourner la question. Ah, revenir sur les journées, en ce moment, ça n'était pas de la tarte.

"Ah... Heureusement que Tim est là avec son éternel optimisme et sa légendaire bonne humeur, parce que je crois que je pourrais craquer. Les conséquences de l'article ont été moindres, mais il y a quand même quelques grincheux. Alors, forcément, c'est moi, le Directeur, qui trinque."

Il soupira de nouveau et haussa les épaules. A côté, Sophia remua et ouvrit les yeux. Le moment où son tour viendrait était imminent, mais il y aurait quand même les quelques secondes nécessaires au réveil. Mark se leva pour la prendre dans ses bras et se réinstalla, tout en sachant qu'il se lèverait bientôt, à son tour.

"Vivement que tu nous reviennes ! Que tu ME reviennes, surtout... Enfin, tu manques à ton équipe, mais si tu avais été présente, tu aurais probablement été ciblée aussi. Alors qu'ici, les seuls qui peuvent se plaindre de ton travail ne savent pas encore parler !"

Et comme si elle avait compris qu'elle pouvait se plaindre, justement, Sophia se manifesta à nouveau, de façon insistante.

"Ah, et voilà... A mon tour !"

Laissant Ophelia avec Aaron, il se leva, remit Sophia dans le siège en attendant de revenir, non sans lui glisser quelques mots également, et il fit le même manège que son épouse, avant de revenir quelques instants plus tard. Entre temps, sa fille s'était montrée plus démonstrative, et elle accueillit le retour de son père en s'agitant d'autant plus. Et lorsque Mark fut à nouveau installé, elle attaqua avec appétit son repas. A côté, son jumeau atteignait le fond de son propre biberon.

"Ca ne manque jamais, il finit toujours avant qu'elle commence !" fit Mark en riant.

Ah, l'avantage d'être des sorciers, de pouvoir réduire les déplacements au minimum pour passer un maximum de temps en famille. Parce qu'il s'en serait tellement voulu de ne pas vivre ces moments-là. Voir grandir ses enfants était quelque chose d'extrêmement important.

"Et sinon... Je crois que je suis prêt à tout affronter, ou presque, quand je sais ce qui m'attend quand je rentre à la maison."

Cliché ? Mais non voyons. C'était la réalité.

Quand ils seront ados. La phrase, sur le coup, n'eut absolument aucun effet sur Mark. Et puis, il se rendit compte qu'il n'était pas temps de se préoccuper de l'adolescence des jumeaux. Bien sûr, il voulait les voir grandir, mais pour l'instant, ils étaient encore des nourrissons. Et alors qu'Ophelia opérait le rituel du rot avec Aaron, Sophia engloutissait son propre biberon. Mais le rythme était tout de même bien moins soutenu que celui, effréné, de son frère. D'ailleurs, elle ne tarda pas à ralentir. Encore un petit effort, et elle aurait terminé, mais elle semblait sur le point de s'endormir... Et puis, elle parvint au bout, mais le sommeil avait déjà fait un grand pas. Laissant le biberon sur la table basse, Mark redressa délicatement sa fille, ce qui eut pour effet de lui faire ouvrir les yeux, bien que peu, et ce fut suffisant pour qu'elle fasse son petit rot, à son tour. A présent, ils pouvaient rejoindre leur chambre ! Mark acquiesça et se leva, suivant son épouse qui portait Aaron.

A l'étage, ils se séparèrent. La maison était suffisamment grande pour que les jumeaux aient chacun leur chambre, ce qui était bien plus pratique pour les années à venir. A moins de déménager, ils auraient chacun leur espace, à leurs couleurs. C'est donc dans la pièce dédiée à la petite fille que Mark entra d'abord. Et pendant qu'Ophelia gérait Aaron de son côté, il passa en revue toutes les étapes du coucher, avant de déposer le bébé dans son berceau, déjà endormie. Un baiser sur le front, et il pouvait aller embrasser son fils. Il croisa d'ailleurs sa femme et en profita pour la prendre par la taille et l'embrasser, elle aussi, passionnément. Ils auraient bientôt leur temps à eux, quand ils seraient redescendus. Dans la chambre d'Aaron, Mark le trouva déjà emporté par ses rêves. Il n'avait attendu que d'être rassasié. Et puis, le couple put rejoindre le salon. Maintenant que leurs enfants dormaient... il y avait la cuisine à faire.

"Et si on faisait quelque chose de simple ?"

Il y avait ce qu'il fallait pour faire un bon repas qui ne prendrait pas trop de temps à se préparer... Un petit quelque chose à déguster rapidement, pour qu'ils puissent se retrouver plus vite par la suite... Et ce fut fait. Une demi-heure plus tard, c'était prêt. Et une autre demi-heure plus tard, ils avaient terminé. Le dîner fut accompagné d'une discussion sur des projets de vacances, sur des probables invitations à venir manger à la maison... et puis Mark ouvrit une bouteille de vin, pour qu'ils aillent tous deux, avec leur verre, tranquillement terminer la soirée dans le salon. L'avantage de la maison, c'était la cheminée. Qui pouvait être reliée au service de cheminette, mais Mark avait préféré ne garder cette option qu'en cas d'urgence. D'un coup de baguette magique, il alluma la bûche qui se trouvait dans l'âtre, pour l'ambiance, pour l'odeur.

Et dans le canapé, il attira Ophelia contre lui. Toute la tension de la journée s'évanouissait progressivement dès le moment où il franchissait le seuil de leur domicile mais ne disparaissait jamais complètement avant cet instant. Instant où il n'y avait pas besoin de mot, juste de la présence de l'un et de l'autre. Ils avaient tout pour être heureux, ils étaient un couple soudé, uni, avec deux beaux enfants. Et même s'il pouvait être facile, tellement facile de faire glisser l'amour dans le quotidien, de faire l'attachement et de l'affection une simple habitude, ils ne tombaient jamais dans le piège. Ils trouvaient toujours des moyens de se prouver qu'ils s'aimaient, de se le dire parfois, par des petites intentions, ou bien par des partages beaucoup plus charnels. D'ailleurs, la main de Mark remonta, lentement, le long de la cuisse d'Ophelia...